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       Porter un enfant demeure l'une des activités les plus dangereuses qu'une femme puisse entreprendre ; d'ailleurs un vieil adage dit "qu'être enceinte c'est mettre un pied dans la tombe"

      

    En dépouillant les BMS de Frouzins, je me suis rendue compte qu'il y avait un nombre assez important de femmes qui mourrait en couche au 18 et 19ème siècle ou peu après la naissance. De même j'ai toujours été sidérée par le nombre d'enfants qu'une femme pouvait mettre au monde au cours de sa vie . Aussi je me suis demandée quelles étaient les conséquences pour elles, physiquement, à avoir toutes ces grossesses et le pourquoi du comment de ces morts en donnant la vie.

     

    Et c'est là que je me suis dis que j'étais bien contente d'être née au 20ème siècle .... 

     

     

     

     

    Les chiffres

    D'après l'étude du Docteur Le Fort, réalisée dans les maternités parisiennes de 1860 à 1863, la mortalité maternelle était en moyenne de 3%, ce taux atteignant 9 % dans les maternités les plus mortifères.

     

    De nos jours, une étude du Bulletin Épidémiologique Hebdomadaire (BEH) datant de 2006 précise que depuis une dizaine d'années, le taux de mortalité maternelle se stabilise entre 9 et 13 décès pour 100 000 naissances vivantes ce qui correspond en moyenne à 60 décès de femmes chaque année.

     

     

    La « mort maternelle », de quoi parle t-on précisément ?

    La mort maternelle est définie comme « le décès survenu au cours de la grossesse ou dans un délai de 42 jours à un an après la fin de la grossesse, pour une cause quelconque déterminée ou aggravée par la grossesse ou les soins qu’elle a motivés, mais ni accidentelle ni fortuite ».

    Le taux de mortalité se calcule de la façon suivante : TMM = m/nv

    TMM = taux de mortalité maternelle

    m= décès maternels sur une année

    nv = naissances vivantes durant la même année

      

      

    Les complications, mortels ou non, qu’encourent la jeune maman

    La grossesse et l’accouchement sont le lieu de toutes les complications, aggravées par l’état général, le travail au champs ou à l’usine jusqu’au dernier moment, la méconnaissance des règles élémentaires d’hygiène, les grossesses à répétition … 

     Bref, je ne suis pas médecin, je ne vais donc pas vous faire une liste détaillée et exhaustive des risques, complications et séquelles de l’accouchement. Mais vous trouverez ci-après quelques éléments permettant de mieux appréhender le quotidien des femmes avant notre XXIème siècle somme toute très confortable ….

     

    Les hémorragies qui demeurent aujourd’hui la 1ère  cause de mortalité maternelle (18 %) ont toujours été très difficiles à gérer en raison notamment des multiples causes possibles . Ces hémorragies sont souvent liées à un placenta praevia, des hématomes rétro placentaires ou des troubles de la coagulation. Cette complication de l’accouchement s’accroit en cas de multiparité, entre autre. 

    Les maladies thrombo emboliques constituent aujourd’hui la deuxième cause de mortalité maternelle. Là aussi il était impossible d’anticiper et de traiter ce risque. Souvent, il s'agit d'accidents vasculaires cérébraux pas nécessairement provoqués directement par la grossesse mais apparaissant à la suite (un anévrysme qui va se rompre lors de l'accouchement par exemple). Ce risque est aggravé chez les multipares et lors des accouchements compliqués.

    L’hypertension artérielle : Les patientes hypertendues présentent un risque de complication plus élevé lors de l'accouchement.

    Les abolies amniotiques : C'est le passage de liquide amniotique dans le sang, une cause de décès fréquente et impossible à prévenir.

    Et que dire des obstructions à l’accouchement ? Elles peuvent être causées par la morphologie de la mère (un pelvis trop étroit pour le passage de la tête du bébé), par une mauvaise position de l’enfant ou par des contractions utérines trop faibles. Des lésions squelettiques importantes liées à la tuberculose osseuse, le rachitisme, des séquelles de la poliomyélite, des cyphoscolioses graves, des luxations congénitales des hanches rendent les conditions mécaniques de l’accouchement impossibles ou à tout le moins très difficiles.

    Sans une intervention médicale appropriée dans ces situations, la femme peut subir un accouchement de plusieurs jours et éventuellement mourir des suites d’une rupture de l’utérus.

    Généralement le bébé est mort-né ou décède rapidement après sa naissance.

    Au XVIII et XIXème siècle, l'accoucheur a conscience de l'existence des mauvaises présentations du bébé ou des cas de malformation du bassin des femmes rendant difficile voire impossible l’accouchement. 

    L'accouchement ... avant

    Pour pallier cette difficulté, des instruments facilitant l'extraction ont donc été inventés par les premiers obstétriciens.

     

    Cependant, ni la femme ni l'enfant ne sont épargnés lors des accouchements difficiles. Les femmes subissaient de graves délabrements anatomiques (déchirures et autres lésions  périnéales, lésions du sphincter anal et/ou lésions de la muqueuse anale, déchirure du col, fistule obstétrique, lésion de la vessie, de l’urètre, fracture coccygienne  …) sans parler du traumatisme psychologique !

     

    A noter que ces différentes séquelles existent aussi en cas d'accouchement sans instruments barbares !

     

    Pieds de griffon - Ambroise Paré

     

    L'accouchement ... avant

    Autre type de pied de griffon - Ambroise Paré

     

    Dans ces situations donc, le but n’est pas de sauver l’enfant mais la mère ; aussi des instruments tels que les pieds de griffon d'Ambroise Paré au 16ème siècle, le basiotrypse, le basiotribe , le céphalotribe, ou le cranioclaste aux 18 et 19ème siècle vont broyer le crâne du foetus afin de permettre l'accouchement, que le bébé soit mort ou vivant.

     

    Basiotribe

     

    Randi Hutter Epstein écrit dans «Sortez-moi de là: histoire de l’accouchement du jardin d’Éden aux banques de sperme» :

     «Avant les forceps, les bébés coincés dans le canal génital en étaient tirés par le médecin, souvent en plusieurs morceaux. Parfois les sages-femmes brisaient le crâne, tuant le bébé mais épargnant la mère. Parfois les médecins cassaient l’os pubien, ce qui souvent tuait la mère mais épargnait le bébé. Les médecins disposaient d’un arsenal complet d’épouvantables gadgets pour accrocher, poignarder et découper un bébé difficile à mettre au monde. Beaucoup de ces gadgets avaient une ressemblance troublante avec des instruments de torture médiévaux».

     

    Catherine de Médicis en fit les frais puisqu'en 1556 l'accouchement des jumelles qu'elle portait étant impossible, on fut obligé de découper in utero l'une d'elle, Jeanne, pour que sa sœur Victoire survive.

     

    L'accouchement ... avant

    Couteau pour découper in utero - Ambroise Paré

     

    Une autre méthode, moins "barbare" (encore que ...) , pouvait permettre de sauver l'enfant et la mère lorsque l'accouchement s'avérait très compliqué voire impossible là aussi. Il s'agit d'une méthode manuelle, donc sans instruments appelée "version podalique" qui consiste à saisir les pieds, à faire éventuellement tourner l'enfant et à le sortir par les fesses. Cette version podalique sur enfant vivant a été décrite pour la première fois en 1573 par Ambroise Paré (mais elle existait déjà depuis longtemps au moins sur enfant mort).

     

    Puis vint le forceps, instrument destiné à sortir l'enfant du ventre de sa mère sans le mutiler, en principe. Le premier inventeur du forceps « moderne » est un français huguenot, Pierre Chamberlen (1560-1631). Mais malgré l'évidente amélioration que le forceps représente, ces instruments abiment encore les femmes et sont très traumatisantes pour les bébés.

    Progressivement, la forme des forceps et la manière de les utiliser évoluent. Lors du XIXème siècle, l'utilisation des forceps reste toutefois trop fréquente même dans des situations qui ne le nécessitaient pas

     

    Forceps de Chamberlen

     

    Tous les instruments du monde ne sont toutefois pas toujours suffisants :

    Témoignage du Dr Moriceau : « : « Le 19 août 1670, j'ai vu une petite femme de 38 ans, qui avait le passage tellement étroit et les os qui le fermaient si serrés et proches l'un de l'autre et l'os du croupion si recourbé en dedans, qu'il me fut impossible d'y introduire une main pour l'accoucher.

    Il survint aussitôt un médecin anglais, nommé Chamberlen (petit neveu de Pierre Chamberlen), qui était alors à Paris et qui, de père en fils, faisait une profession ordinaire des accouchements en Angleterre, dans la ville de Londres, où il a acquis depuis ce temps-là le suprême degré de réputation. Il était venu à Paris dans l'espérance d'y faire fortune, faisant courir le bruit qu'il avait un secret tout particulier pour les accouchements de cette nature. Ce médecin, voyant cette femme et ayant appris que je n'avais pas trouvé aucune possibilité de l'accoucher, témoigna être étonné de ce que je n'en avais pas pu venir à bout, moi, qu'il disait et assurait être le plus habile homme de cette profession qui fût à Paris; nonobstant quoi, il promit d'abord de l'accoucher très assurément en moins d'un demi quart d'heure, quelque difficulté qu'il pût y trouver. Il se mit aussitôt en besogne et au lieu d'un demi quart d'heure, il travailla durant plus de trois heures entières sans discontinuer que pour reprendre haleine. Mais ayant épuisé inutilement toutes ses forces aussi bien que toute son industrie, et voyant que la pauvre femme était près d'expirer entre ses mains, il fut contraint d'y renoncer et d'avouer qu'il n'était pas possible d'en venir à bout. Cette pauvre femme mourut avec son enfant dans le ventre, vingt-quatre heures après les extrêmes violences qui lui avaient été faites ».

     

    Il faudra attendre le milieu du XXème siècle pour permettre aux accoucheurs une alternative à l'utilisation des forceps. En 1950, le Dr Thierry invente les spatules et en 1954 le Suédois Malmström met au point la première ventouse réellement efficace. Les extractions par ventouse moins traumatisantes pour la mère et le foetus ont au cours du siècle remplacé en partie celles par forceps.

      

    Forceps de Tarnier

     

    D’autres complications et séquelles existent : le prolapsus (surtout chez les multipares), le retour de couche hémorragique, l’abcès du sein, la dépression puerpérale et tellement d’autres problèmes, malheureusement ....

     

    Et bien sûr il y a les infections : c’est LE plus grand danger menaçant les femmes enceintes et ce, jusqu’au 20ème siècle (encore dans les années 1920 aux États-Unis, la moitié des morts maternelles étaient causées par la fièvre puerpérale).

     

    A noter que la manifestation de la septicémie puerpérale se caractérise par une fièvre élevée survenant généralement entre le 5e et le 7e jour après l'accouchement ; donc manifestement les femmes décédées au moment de l'accouchement ou tout de suite après, que l'on recense  dans nos généalogies, ne sont pas mortes par infection.

     

    En ce qui concerne les causes de cette fièvre, je pense que tout y est passé sauf l'essentiel : 

    Tous les accoucheurs du début du 19ème siècle s'accordent à regarder comme causes spéciales de la fièvre puerpérale  "...des erreurs dans le régime, un air insalubre et humide que l'on respire, le défaut de soin domestique, des passions tristes et débilitantes, les jouissances réitérées, une vie molle et sédentaire ...mais après la délivrance, on doit aussi regarder comme causes générales de cette fièvre les attouchements rudes et peu ménagés, la séparation trop précipitée des placenta, une mauvaise application du forceps ou de la main, la déchirure du col de la matrice, un accouchement accéléré, une pression trop forte de la région abdominale par des bandages, des boissons alcoolisées, des substances animales trop nourrissantes ou faisandées, la constipation, l'exposition trop prompte à l'air, l'impression du froid et de l'humidité, l'influence de quelques épidémies régnantes ...»

    et seulement à la fin de cette longue litanie, ils ajoutent  quand même « ...n 'oublions point que l'hygiène ou la médecine préventive ne sera jamais plus importante par ses heureux résultats, que lorsqu'elle sera appliquée avec succès à la conservation des femmes». (Robert, 1816).

     

     

    Bref, ce qu'il faut surtout retenir c'est qu'avant l’apparition de la  théorie microbienne, les gens pensaient que la fièvre puerpérale était probablement contagieuse et savaient que certaines sages-femmes et certains médecins en avaient davantage dans leur patientèle que d’autres (la «putridité de l’air» était une des hypothèses en vogue :  l’air des salles d’hôpitaux est toxique et  les sécrétions des femmes en couches constituent des foyers d’infection, on en est certain).


    Fin 19è, fort de ces constations, Hervieux, médecin à Port-Royal, conclut que la continuité des femmes en couches dans un local déterminé associé à l’encombrement des salles facilitent le "miasme puerpéral" et la contagion d’une personne infectée à une personne saine. 

     

    L'accouchement ... avant

    Maternité de Port Royal - Paris

     

    Il suggère d’espacer les lits, d’organiser une occupation alternée des salles et des lits, de ventiler régulièrement, de supprimer les rideaux, de purifier les salles et les objets mobiliers. Ce ne sera pas suffisant toutefois sans une hygiène rigoureuse de toutes les personnes amenées à manipuler la femme enceinte ou venant d’accoucher. Et c’est là que l’on s’aperçoit avec stupéfaction que ce sont dans les maternités que le taux de mortalité maternelle est au plus haut.

      

    L'accouchement ... avant

    Maternité à Vienne

     

    En effet jusqu'à la fin du XIXème siècle, les maternités sont de véritables mouroirs. Les épidémies de fièvre puerpérale déciment les femmes venant y accoucher. La mortalité maternelle atteint des sommets sans que la communauté scientifique ne comprenne pourquoi.

     

    La description que font les frères Goncourt, dans leur roman Germinie Lacerteux, de la maternité de Paris au 19ème siècle est à ce titre très explicite  : « « elle était là depuis plusieurs heures, abimée dans ce doux affaissement de la délivrance qui suit les épouvantables déchirements de l’enfantement […] Tout à coup un cri […] Presque au même instant, d’un lit à côté, il s’éleva un autre cri horrible, perçant, terrifié, le cri de quelqu’un qui voit la mort […] Il y avait alors à la Maternité une de ces terribles épidémies puerpérales qui soufflent la mort sur la fécondité humaine, un de ces empoisonnements de l’air qui vident, en courant, par rangées, les lits des accouchées et qui autrefois faisaient fermer la clinique : on croirait voir passer la peste, une peste qui noircit les visages en quelques heures, enlève tout, emporte les plus forts, les plus jeunes, une peste qui sort des berceaux, la Peste noire des mères ! C’était tout autour de Germinie, à toute heure, la nuit surtout, des morts telles qu’en fait la fièvre de lait, des morts tourmentées, furieuses de cris, troublées d’hallucination et de délire, des agonies auxquelles il fallait mettre la camisole de force de la folie, des agonies qui s’élançaient tout à coup, hors d’un lit, en emportant les draps et faisaient frissonner toute la salle de l’idée de voir revenir les mortes de l’amphithéatre ».

      

     

    Autres exemples : au printemps 1843, 25 des 54 accouchées à l’hôpital Necker décèdent. A la maternité de Port Royal, au cours de la première semaine de mai 1856, 31 des 32 accouchées décèdent). Un interne, Stéphane Tarnier, décide de consacrer sa thèse aux maladies des femmes en couches. Afin de prendre la mesure des choses, il compare la mortalité maternelle à la maternité pour l’année 1856 à celle survenue en ville, dans le même arrondissement : la mortalité est de 5,9 % à la maternité alors qu’elle n’est que de 0,3 % en ville. Comment expliquer ce décalage ?

     

    Tout a été expliqué 9 ans auparavant par un médecin autrichien, le Dr Semmelweis (1818-1865). Celui-ci va comprendre en 1847 le mécanisme de la fièvre puerpérale en constatant tout simplement que le nombre de décès est nettement supérieur lorsque les femmes sont accouchées par les médecins que lorsqu'elles sont accouchées par des sages-femmes. 

     

    L'accouchement ... avant

    Ignace Semmelweis en 1864

    Et la raison en est là aussi très simple : les médecins sortent de la salle d’autopsie pour aller accoucher les femmes sans aucun lavage des mains entre les deux actions ...

    Il consignera ses notes en 1861 dans un ouvrage intitulé «Etiologie de la fièvre puerpérale et sa prophylaxie».

    Semmelweis préconise le lavage des mains avec du chlorure de chaux après la réalisation d'une autopsie : les résultats sont spectaculaires : la mortalité a chuté à l'hôpital de Vienne passant de 18,27 % en avril 1847 à 0,19 % à la fin de l’année.

    L'accouchement ... avant

    Mais l’importance de ses découvertes ne sera pas convaincante pour le monde médicale, du moins pas de suite …

     

    L'accouchement ... avant

    Maternité en 1915

    Voir aussi l'article sur la naissance au fil des siècles

     

    Sources

    Histoire de naître: De l'enfantement primitif à l'accouchement médicalisé de Fernand Leroy

    Évolution de la Mortalité maternelle au XXème siècle en France.de  LANGLAIS Margaux

    Etudes sur quelques échecs de basiotripsie du docteur Henri Galvin http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k58064072

    Accouchements et mortalité maternelle à l’Hôtel-Dieu de Marseille au milieu du XIXe siècle de Gilles Boetsch, Emma Rabino-Massa, Silvia Bello

    La tragédie des maternités hospitalières au 19è siècle et les projets de réaménagement de Scarlett Beauvalet

    Naître en France du XVII au XXème siècle de Marie Françoise Morel


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