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  • Le pont du Bazacle

    Le nom « bazacle » vient de vadaculum (petit gué) ; il désigne un site sur la Garonne constitué de bancs de marne dure traversant obliquement le fleuve. La faible hauteur des eaux à cet endroit en fait un passage pratique pour les hommes. Ce devait être d’ailleurs le seul point de passage du fleuve avant la construction du pont antique (le 1er pont vieux).

    Il faut bien avoir en tête quand on étudie les ponts de Toulouse, les berges, le guet ou la Garonne elle même que la configuration topographique actuelle n'est pas tout à fait la même que celle des siècles passées et que les aménagements effectués par les hommes ont modifié l'ensemble de façon plus ou moins importante (voir à ce sujet l'article de Henri Molet).

     

    Le pont du Bazacle

    bloc de marne blanche

     

    Des fouilles archéologiques ont ainsi permis de prouver l’utilisation du gué comme passage depuis l’âge du bronze.

    Manifestement les hommes ont eu à un moment besoin de pérenniser ce passage par la construction d’un pont : Georges Fouet, et Georges Savès, archéologues,  ont effectué trois campagnes de recherches dans les années 70 sur ce site et ont découvert, sur ce gué, à 40 mètres en aval du barrage actuel (reconstruit en 1719 par l’ingénieur  Joseph Abeille à l'origine de la reconstruction du pont de Pigasse) et à 250 mètres en amont du pont des Catalans, des vestiges prouvant l’existence d’un pont sans doute entièrement en bois dans les 1ers temps puis en maçonnerie.

    Ils ont étudié un fragment de pile avec éperon, en briques et galets, située à une vingtaine de mètres à l’est de la tour d’angle de l’hospice de la Grave ; la pile mesurait 5 mètres de long et 3 mètres de large, et était haute de 1,80m.

    Ils ont trouvé lors de leurs fouilles sur le gué plusieurs milliers de pièces diverses des 13 et 14ème siècles (monnaies, épingles, etc.) qui prouvent l'importance de la circulation sur ce pont.

     

    Le pont du Bazacle

    Toulouse au 12ème siècle par Pierre Gérard - 

    Plan de Toulouse 1080-1208 soit avant la construction du pont du Bazacle qui a eu lieu quelques années après mais on peut voir en bas de la carte la chaussée et le gué du Bazacle, l'emplacement du chateau et des moulins et la porte Vital Carbonnel

     

    Le pont du Bazacle a vraisemblablement été construit au début du 13ème siècle, à la suite de la croisade contre les Albigeois. Il était protégé par un château (le château du Bazacle) qui surveillait le gué et les moulins du même nom ainsi que la porte dite « de Vital Carbonnel ». Il ne s’agissait pas d’un point de passage important car assez excentré. Il servait essentiellement à l’usage des moulins d’après Georges Fouet et Georges Savès (L'emplacement réel du pont du Bazacle, dans L'Auta, n° 399, novembre 1973).

     

    Le pont du Bazacle

    Toulouse, le patrimoine en images - éditions Privat

     

    Le 13 septembre 1217, il était non achevé lorsque Raimond VI entra dans Toulouse. En 1218, on enregistre une donation pour son entretien. La Chanson de la croisade albigeoise, traitant des événements de 1219, spécifie d'ailleurs que ce pont était « nouvellement construit » ; le texte énumère en effet les chevaliers qui « an la charga del ponh nau del Bazacle, lo qual asta fact novelaman » (les ponts de Toulouse de Jean Coppolani, p.23).

    En 1222, un texte cite « illo loco in quo pons Badaclei est constructus ».

    Le pont est mentionné en 1271 et en 1350 ; en 1337 il est réparé de même qu’en 1391. On ne retrouve plus de mention du pont ensuite.

     

    Il est à noter qu’en 1613 lors d’une crue de la Garonne qui provoqua la rupture de la chaussée du Bazacle, les vestiges d’un édifice romain apparurent, vraisemblablement un temple. 

    Le pont du Bazacle

    Deux témoins oculaires de ces vestiges surgis des eaux :

    Bertrand de Laroche-Flavin « Recherches sur les antiquités et curiosités de la ville de Thoulouse », 1627, Toulouse. Exemplaire conservé à la B.M. Toulouse, cote res D XVII 499, daté de 1627, mais écrit vers 1618-21. « En cet endroit du moulin du Bazacle, il y a eu au temps passé quelque grand et superbe bâtiment car il se trouve encore dans l’eau de grandes et épaisses murailles et de grandes pièces de marbre et autre pièces élaborées à l’Antique ; y ayant esté trouvée une statue qu’on jugeait être de Pallas ».

     Catel, Mémoires de l’Histoire du Languedoc, 1629, paru en 1633, Toulouse, Colomiez. Pages 123-124: « Temple au Bazacle : …mais je pese qu’il y a plus de raison de dire qu’il estoit tout contre le moulin du Bazacle, et entre l’hospital de la Grave et ledict moulin. Car il y a quelques années que la chaussée du moulin du Bazacle estant quasi du tout rompüe, et par ce moyen la rivière de Garonne estant fort basse du costé du bazacle, on descouvrit dans ladite rivière devers le moulin, des ruines d’un édifice très somptueux, lesquelles ayant esté veües par Souffron, et Bachelier, gens forts ingenieux et sçavans en l’architecture, ils trouvèrent que c’estoient des masures et ruines d’un grand temple, lequel estoit de marbre blanc basty avec telle solidité que les quartiers de marbre estoient liés ensemble avec des lames de fer cramponnées avec du plomb. Dequoy ayant esté adverty je fus aussi tost sur le lieu, et vis partie de ces ruines, entre lesquelles plusieurs batteliers s’occupoient à tirer le plomb qui avoit servy à faire tenir les crampons de fer. Je vis aussi plusieurs grandes pierres de marbre, où estoient entaillés a demy relief de grands personnages vestus à la romaine. Les masures de cet édifice estoient fort grandes, et commme en quarré, tesmoignant que ce temple ou édifice estoit enrichy de colonnes de marbre noir si grandes, quelles avoient trois pieds et demy de diamètre… L’ay appris dudit sieur Souffron que aux corniches desdites colonnes estoient entaillées des hiboux, ce qui donne sujet de croire que c’estoit le temple de Pallas. Ce temple semble avoir esté grandement fréquenté ; car l’on recognoit encores dans la rivière de Garonne des fondements, et vieilles masures de piliers qui estoient sans doute d’un pont pour aller du costé de Sainct Cyprien au susdit temple»

     

    Toulouse renferne quantité de vestiges romains en son sein depuis des siècles et les divers vestiges de cette Toulouse romaine furent utilisées depuis le 13ème siècle pour créer notamment la chaussée du Bazacle.

    Le pont du Bazacle

    Chaussée du Bazacle - collection Trudat (1840-1910)

     

    Sources

    https://societearcheologiquedumidi.fr/_samf/memoires/t_61/015-034-MOL.pdf

    Chanson de la croisade albigeoise : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k103147b.image

    Les ponts de Toulouse de Jean Coppolani

    le pont du bazacle de Henri Paum Eydoux

    Autour du Bazacle, la Garonne et les vestiges antiques de Henri Molet

    FOUET et G. SAVÈS, « Le gué du ramier du Bazacle », dans L’Auta, août 1971, n° 381, p. 138-145 ; Idem, « Le gué du Bazacle, catalogue sommaire des trouvailles faites avant 1971 », dans L’Auta, janvier 1972, n° 384, p. 8-20 ; Idem, « L’emplacement réel du pont du Bazacle », dans L’Auta, novembre 1972, n° 399, p. 202-207 ; Idem, « Le gué du Bazacle, ses ponts et ses richesses archéologiques », dans L’Auta, mars 1977, n° 426, p. 73-81 ; Idem, « Les premières fouilles du Bazacle au XIXe siècle », dans L’Auta, octobre 1983, n° 489, p. 227-236


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  • Le pont de Pigasse et l'arche de Tounis

    Le Pont de Tounis (qui n'a rien à voir avec l'arche de Tounis), reliant l’ancienne île de Tounis à la ville, enjambe la "Garonnette", ancien bras maintenant asséché de la Garonne, et est le plus ancien pont de Toulouse.

    Le pont de Pigasse

    Plan de Toulouse - Rochefort 1670 - on peut voir comment se situe l'île de Tounis 

     

    Mais il a existé un autre pont  plus ancien encore, traversant la Garonnette plus en aval, à l'endroit où la Garonnette débouchait dans la Garonne sous l’actuel quai de Tounis. Plus précisément il partait de la halle aux poissons (aujourd'hui rue de la Descente de la Halle aux Poissons) et arrivait à la pointe nord de l’ile. Il s'agit du pont qui se trouve au n°12 ci dessous :

    Le pont de Pigasse

    Ile de Tounis avec le Pont Neuf tout à droite

    Le n°12 correspond au pont de Pigasse ou pont en fil de fer qui est l'emplacement aujourd'hui de l'arche de Tounis (voir plus bas)

    Le pont de Tounis est au n°8

    La Garonnette figure au n° 7 (aujourd'hui il s'agit de l'avenue de la Garonnette)

    La rue des abattoirs au n°11

    La rue des Teinturiers au n°6

     

    Jules Chalande (historien né en 1854 à Marseille et mort en 1930 à Toulouse) a retrouvé un texte dans les archives de Toulouse qui atteste de l’existence du pont de Pigasse en 1597.

    Il semblerait qu’une crue l’ait détruit en 1608 et qu’il fut reconstruit en bois de chêne en 1612.

    Il reprenait le tracé du Pont-Vieux, 1er du nom et fut dénommé Pont de la Halle (la Halle aux poissons était toute proche) ou plus simplement Pont de Bois avant de s'appeler pont de Pigasse pour une raison inconnue.

     

    Le pont de Pigasse

    Hypothèse de restitution cadastrale en 1680

     

    Plusieurs fois réparé, voire entièrement refait (il s’écroule en 1690 et fut reconstruit totalement en 1693 pour 1800 livres), il fut emporté par l’inondation de 1709. Malgré un appel d’offres lancé par les capitouls en 1711 puis en 1720, aucun artisan ne souhaite s’emparer du chantier.

    En 1731 l’ingénieur Joseph Abeille (né en 1671 à Vannes et mort en 1756 à Rennes) se lance et reconstruit le pont de bois qui s’effondrera en 1764. (Joseph Abeille a apporté son expertise technique ainsi que des capitaux dans la réparation du moulin du Bazacle et la digue qu’il a construite est toujours celle actuellement utilisée pour produire de l'électricité).

     

    Le pont de Pigasse

     

    Pont de Bois, dit pont de Pigasse. Plan de construction dressé par l'architecte Souffron, 1612, Ville de Toulouse, Archives municipales, DD213/1 (détail)

     

    Pierre Barthès auteur des Heures perdues, ouvrage rédigé à partir de 1737 écrit à ce sujet :

    « Le dimanche 8ème de ce mois (juillet), jour de la dizaine de l’île de Tounis où l’affluence du monde qui passe et qui se rend dans l’île après vêpres pour se divertir est très grande, entre 9h et 10h du soir, le pont qu’on appelle de Pigasse et qui va de la Halle aux poissons dans l’île, tomba dans l’eau, rongé de vétusté. La 3ème partie de l’édifice qui aboutit à Tounis vis-à-vis la maison de Dubarry, s’étant affaissée sur les piliers qui n’étaient plus que de bois pourri, n’ayant jamais été réparée, fut entrainé dans la chute. Personne ne se trouvait à passer dans ce moment funeste, ce qui a été regardé comme un bienfait du ciel, après la grande quantité de monde qui avait passé dessus pendant cette journée. »

    il fut définitivement démoli en 1767.

     

    Par la suite un bac sera utilisé pour que les Tounisiens puissent traverser la Garonnette depuis la pointe nord de l’île.

    Pierre Barthès précise dans ses Heures perdues que « pour la commodité des bouchers, des habitants, des blanchers, des pêcheurs qui habitent Tounis, ont établi sans doute avec permission, un passage dans une barque pour la traversée où chacun pour le prix d’un liard, peut se faire passer sans pour remonter au pont de la Dalbade, ce qui allongeait beaucoup ».

    Ce bac sera utilisé jusque vers 1829 date à laquelle on construisit au même endroit, un pont suspendu (réservé aux piétons)  appelé par les toulousains le pont de fil de fer, long de 24m et large de 2m ; il a couté 4 295 frs et 99 cts.

    Toutefois entre la décision de construire le pont et l’achèvement de celui-ci, les habitants de Tounis ont décidé d’écrire au maire de Toulouse, Joseph Viguerie, le 6 septembre 1830 :

    « les habitants de l’île de Tounis ont l’honneur de vous exposer que depuis longtemps un bac placé sur le canal de fuite (la Garonnette) du moulin du Château leur facilitait le passage de l’île au pont, lorsque la construction du pont en fil de fer est venu interrompre le service de ce bac. Par la démolition de l’escalier de la halle (aux poissons) voilà plusieurs mois qu’ils se trouvent privés de ce passage qui leur est si utile, notamment aux bouchers qui sont obligés, chargés d’un lourd fardeau, de faire un long contour. C’est pourquoi Monsieur le maire, ils viennent solliciter de vos bontés, vu l’escalier provisoire établi à la halle, ordonner au fermier dudit bac de continuer son service, jusqu’à ce que le pont soit totalement achevé, et à défaut autoriser momentanément tout autre individu à faire ce service ».

     

    Mais ce pont ne dura guère car il fut détruit vers 1854 pour faire place à un nouveau quai construit d’après le projet de l’architecte Urbain Vitry, né en 1802 à Toulouse, mort dans cette ville en 1863.

    A la place du pont de Pigasse fut construit dans la maçonnerie du quai de Tounis, l’arche de Tounis pour laisser le passage à la Garonnette dont les eaux permettaient encore le fonctionnement du moulin du Château.

     

    Le pont de Pigasse

    1ère photo : l'arche de Tounis et les quais avant 1950 (époque où la Garonnette existait encore) - à noter au loin le clocher de la Dalbade qui s'est effondré en 1926 

    Seconde photo : l'arche et les quais après 1950 (la Garonnette n'existe plus) et avant 2019, date à laquelle les berges furent rénovées - à noter la buse qui permet l'écoulement de ce qui reste de la Garonnette

    Photos tirées du blog : Le Soulier Voyageur http://souliervoyageur.canalblog.com/

     

     

    Le pont de Pigasse

    L'arche de Tounis et le quai de Tounis après les rénovations de 2018/2019

    Photo tirée du blog : Le Soulier Voyageur http://souliervoyageur.canalblog.com/

     

     

    Le pont de Pigasse

    L'arche de Tounis et sa voûte composée de 9 arcs et au loin le Pont Neuf

     

    La largeur de l’arche est de 12 mètres et est composée de 9 arcs en pierres et en briques

    Cette arche est aujourd’hui sèche à l’instar du pont de Tounis puisque la Garonnette a été comblée et asséchée dans les années 1950

     

    Le pont de Pigasse

     1ère photo : la garonnette et le pont de Tounis  avant 1950

    2nde photo : la Garonnette est le ruisseau au milieu de la photo entre les deux espaces de gazon, le pont de Tounis au second plan

    Photos tirées du blog : Le Soulier Voyageur http://souliervoyageur.canalblog.com/

     

    Le pont de Pigasse

    Ce qui reste de la Garonnette aujourd'hui : un ruisseau ; au loin le pont de Tounis

     

     

    Sources

    Les heures perdues sur https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k132172x.image

    L'île de Tounis de Jean-Marie Arrouy

    Les ponts de Toulouse de Jean Coppolani

    L’îlot de la rue de la Descente-de-la-Halle-au-Poisson à Toulouse de Yoan Mattalia


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  • Le 1er pont vieux de Toulouse

    Le premier pont de Toulouse est le Pont Vieux, 1er du nom (il y en aura un autre plus tard). Le Pont Vièlh est à l'origine un ancien pont aqueduc construit au 1er siècle pour franchir le fleuve et pour alimenter Toulouse en eau. La légende attribue sa construction à la reine wisigoth Pédauque d'où son nom au Moyen âge de Pont de la reine Pédauque ou Pont de la Régine. Il ne s'appellera Pont Vieux que lorsque le Pont de la Daurade sera construit au 12ème siècle mais pour plus de commodité ici nous l'appellerons d'ores et déjà Pont Vieux.

    il est à noter toutefois que les historiens ont longtemps contesté le fait que l'ancien pont aqueduc corresponde à ce que les textes médiévaux appellent le pont vieux (le 1er du nom). Les avis sont partagés mais il semblerait toutefois au vu des découvertes archéologiques qui ont été faites que l'on puisse imaginer qu'il s'agisse bien du même ouvrage... Affaire à suivre. 

     

    Le 1er pont vieux de Toulouse

    Reconstitution de la Tolosa antique vers le 5ème siècle où l’on voit l’aqueduc à droite et l’emplacement des sites actuels de Saint Sernin , Saint Etienne et le Capitole ainsi que le Pont Neuf qui bien sûr à l’époque n’existaient pas

     

    Voyons un peu comment se présentait le pont aqueduc antique long de près de 9 km : il comprenait deux sections :

    - La première est souterraine et va de Monlong à la Cépière en passant sous les immeubles de Bellefontaine (notamment sous l'immeuble Camus), de la Reynerie et du grand Mirail; cette section captait les sources proches et amenait les eaux par un canal souterrain jusqu’à la Cépière où devait se trouver un château d'eau. L'abbé Georges Baccrabère, archéologue et historien toulousain né en 1920, énumère une vingtaine de sources sur ce parcours (dont sept dans le parc du Mirail, cinq dans celui du château de la Réynerie).

    - La seconde section, aérienne avec ses 517 arches commençait donc à la Cépière pour virer à 90° plein ouest empruntant le tracé actuel des routes de Saint Simon, de la rue de Cugnaux, où une quinzaine d'arches ont été exhumées au XIXe siècle, et de la rue des Teinturiers, et culminant à 5 mètres au-dessus de l’actuel quartier Saint Cyprien pour rejoindre la Garonne. Le nom de la rue des Arcs Saint Cyprien (Cami dels Arcs) est le souvenir de la présence de l'aqueduc à proximité.

     

    Le 1er pont vieux de Toulouse

    Dessins de Christian Darles d’après les travaux de Pierre Pisani et de Badie et Gassend

     

    Le pont aqueduc traversait ensuite le fleuve environ 200 mètres en amont de l'actuel Pont Neuf, et atteignait la rive droite au niveau de la rue de la Descente de la Halle au Poisson où l'eau était stockée dans un premier réservoir. Puis l'aqueduc, descendant jusqu’au niveau de la chaussée, poursuivait jusqu'à l'actuelle place Rouaix où devait se trouver là aussi un château d'eau. 

     

    Le 1er pont vieux de Toulouse

    Tracé du pont aqueduc en fonction des traces et vestiges archéologiques retrouvés

     

     

    Le 1er pont vieux de Toulouse

    Illustration de Philippe Biard donnant une idée de ce qu'était le pont aqueduc en fonction

    de sa situation sur le tracé

      

    On retrouve les vestiges d'un réservoir à l'emplacement de l'actuelle école Lespinasse près de la place Olivier à Saint -Cyprien (article de la Dépêche du 25/08/2017 ).

    Autre vestige de ce pont : une arche de pont est enfouie à 3 mètres de profondeur sous le tronçon nord de la rue de la Descente de la Halle aux Poissons et n'est accessible que par les caves des immeubles voisins. Il semblerait que ce soit aussi les vestiges du premier « pont Vieux » de Toulouse qui aboutissait vraisemblablement dans ce secteur après avoir traversé la pointe de l’ile de Tounis.

     

    On peut supposer que le pont adueduc de Toulouse ressemblait à l'aqueduc du Gier près de Lyon, encore debout :

    Le 1er pont vieux de Toulouse

     

    Bertrand du Puy des Grais, avocat né en 1639, donne déjà à l'époque une description (spartiate) du tracé de l’aqueduc de Monlong à la Garonne :

     

    Le 1er pont vieux de Toulouse

    Plan reconstitué de Toulouse antique, dans Bernard Dupuy des Grais, "Tolosae antiquae chorographia", 1713, Bibliothèque municipale de Toulouse, Ms. 1254.

     

    Ce pont est encore utilisé au 12ème siècle mais sans sa fonction d’aqueduc ; plus précisément il apparaît pour la première fois dans les textes en 1152 ; il est le seul pont à cette époque permettant de franchir la Garonne. Il permet le passage des marchandises et des voyageurs notamment les pèlerins qui vont à Compostelle.

    Mais il subit les vicissitudes du temps... En 1258 il est emporté par la Garonne en crue ; en 1281 il s’effondra sous le poids de 200 personnes qui regardaient passer une procession de bateaux : « L’an 1281 et la veille du jour de l’Ascension, une partie du Pont-Vieux s’écroula pendant que la Confrérie des Bateliers de la Dalbade faisait sur la Garonne sa procession accoutumée. Les spectateurs qui s’étaient portés en grand nombre sur ce pont furent entraînés dans sa chute et 200 personnes périrent dans les eaux du fleuve ».

    Le 30 mai 1485 le pont est entouré par un "soudain débordement de la Garonne". En 1508 il "croula quasi d'un bout à l'autre". En 1508 et en 1523 des crues emportent une partie de l'ouvrage. En 1524, le tablier en bois est refait.

    Il sera remplacé progressivement par le pont de la Daurade construit plus en avant à partir de 1153 et sera abandonné totalement à partir de 1556. Il n'apparaitra plus entier sur les plans de la ville à partir du 17ème siècle.

     

    Le 1er pont vieux de Toulouse

    Extrait du plan de Toulouse par Albert Jouvin de Rochefort en 1680 montrant en jaune les restes du pont vieil de pédauque

     

     

    Le 1er pont vieux de Toulouse

    Extrait du plan de Toulouse de 1663 par Nicolas Berey (Musée Paul-Dupuy, inv. 20.6.1) montrant les ruines de l'aqueduc antique. Tirage photographique couleur, 13 x 18 cm. Ville de Toulouse, Archives municipales, 2 Fi 1305 détail.

     

    Au 17ème siècle, l’historien toulousain Guillaume Catel donne une description des vestiges du pont vieux (Guillaume Catel, Mémoires de l'histoire du Languedoc, 1633, p. 127-128 et 194-195) :

    « L'aqueduc [...] estoit continué jusques dans la ville, passant à travers la riviere de Garone, dans laquelle se treuvent encore les fondemens des piliers de brique qui portoient ledit aqeuduc. Et peut estre estoit il continué dans la riviere par piliers & arceaux à la façon d’un pont, d’où vient qu’il est appellé par le peuple, le Pont de la Regine Pedauque, c’est-à-dire pied d’oye, d’autant qu’il estoit si estroit qu’un homme, ou autre animal n’y pouvoit si commodement passer, qu’une oye. [...] Ce Pont est appellé le Pont Vieil depuis longues années, pour le distinguer de celuy de la Daurade [...]. Ce Pont Vieil estoit de structure romaine ou plustost Gotthique ; car il est fait grossierement, comme l’on peut recognoistre à l’arcade, qui reste encores dans la maison du Sieur Raché, laquelle est bastie de brique, & de pierre fort grossierement. »

     

    Le 1er pont vieux de Toulouse

    Vestiges du pont de la reine Pédauque à droite du Pont Neuf et vestiges du pont de la Daurade à gauche -

    Gravure de 1730

     

    Il restait encore fin 19ème siècle deux piles visibles aux basses eaux et qui furent emportées lors de la crue de 1875. 

    En 1949, la dernière pile, qui émergeait à une trentaine de mètres de la rive actuelle de la Prairie des Filtres connue comme le « rocher de Carnaval » ou rocher de Callebe, est démoli. Le terme de Callèbe semble désigner le dispositif de bascule en bois qui y était implanté.

    Il est possible que l’on y suspendait une cage en fer, la « gabio » (en occitan gàbia qui veut dire cage), utilisée du XVIe au XVIIIe siècle pour le supplice qui consistait à plonger à plusieurs reprises dans le fleuve une personne condamnée pour prostitution ou proxénétisme ou pour blasphème : ceux qui survivaient à la noyade étaient reconnus innocents... Le terme de gabio va donner son nom au port de la Gabio sur l'ile de Tounis, à proximité de la pile en question.

     

     

    A noter que la rue du Pont-Vieux dans le quartier Saint Cyprien – nom qu'on lui donne dès le 13ème siècle – rappelle la présence de ce pont qui franchissait la Garonne dans l'axe de cette rue et atteignait la pointe nord de l’île de Tounis pour arriver dans la rue de la Descente de la Halle aux Poissons.

      

    Le 1er pont vieux de Toulouse

     Représentation du Pont Vieux en miniature sur la couverture d’un livre des tailles de 1480.

    Ville de Toulouse, Archives municipales, CC 164

     

     

    Sources

    Toulouse au 12ème siècle par Pierre Girard

    Les ponts de Toulouse de Jean Coppolani

    Evocation du vieux Toulouse de Robert Mesuret

    https://aqueduc.jeb-project.net/

    https://www.bazarurbain.com/2087/laffaire-de-laqueduc-dit-de-la-reine-pedauque-episode-2/

    https://documents.toulouse.fr/AToulouse/atoulouse_mai2022/version_accessible/patrimoine/de-leau-par-dessus-la-garonne.html

    https://lavilledetoulouseetsonarchitectureauxepoquesantique.wordpress.com/2017/10/02/toulouse-naissance-dune-ville-porte-nord/

    focus sur l'aqueduc gallo romain : https://www.calameo.com/books/006765105182e1cecfb69

    Documents des Archives de Toulouse sur le sort réservé aux maquerelles : https://archives.mairie-toulouse.fr/documents/10184/311548/FRAC31555_Bas-Fonds-2016-10.pdf/96cc1376-1603-4ae4-a80d-fc5bfc6b4fca

     


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    Comment survivre quand on est pauvre ?

    La pauvreté ne doit pas se résumer à la situation d’une personne à un instant T. La catégorie des personnes pauvres est en effet très hétérogène : elles n’ont pas toutes le même statut social ni la même capacité à survivre en temps de crise. Il est donc nécessaire à mon sens de prendre en considération le fait que les individus ne vivent pas uniquement dans le présent mais qu’ils essayent aussi de se prémunir contre un avenir encore plus sombre (maladie, accident, décès du conjoint, perte de son emploi etc). Ce qui est intéressant donc d'analyser c'est la façon dont les individus vont tenter de se prémunir contre les accidents de la vie (quand ils y pensent et s'ils ont la capacité d'anticiper cela) et une fois catapulté malheureusement dans une telle situation,  de voir quels sont les comportements qui vont leur permettre de survivre.

     

    Comment survivre quand on est pauvre ?

    La jeune mendiante - Léon Jean Basile Perrault (1832-1908)

     

    Car pour tous ceux qui n’ont que leur travail pour vivre voire survivre, cet aléa qu'est l'accident de parcours quel qu'il soit (professionnel, familial, physique, financier) est fondamental à une époque où il n'existe aucune aide étatique. D’autant plus pour la gente féminine qui de facto part avec un handicap de taille : être une femme dans un contexte politique, social, économique encore plus compliqué pour elle que ne l’est notre vingt et unième siècle.

     

    Qui est pauvre ? qu’est ce que c’est être pauvre ? Depuis le Moyen Age, les textes décrivent le pauvre comme celui qui n’a que son travail pour vivre et qui est susceptible d’être une charge pour la communauté.

    Condorcet, philosophe des Lumières, le définit comme « celui qui ne possède ni bien ni mobilier [et qui ] est destiné à tomber dans la misère au moindre accident »

    Laurence Fontaine, directrice de recherche à l’EHESS (école des hautes études en sciences sociales) distingue dans son livre "Vivre pauvre" :

    • les pauvres « structurels » : c’est-à-dire ceux qui ne peuvent plus travailler notamment les personnes âgées, les infirmes, les veuves soit à peu près 4 à 8% de la population des grandes villes européennes entre le 15 et le 18ème siècle.
    • Les pauvres "conjoncturels" : ceux qui vivent d’emplois instables et donc de maigres salaires et qui sont à la merci de la moindre fluctuation du prix du pain soit 20% des habitants des villes.
    • Les ouvriers, les artisans, les détaillants pour lesquels la moindre crise économique ou difficulté familiale les fait basculer dans la misère c’est-à-dire 50 à 70% des citadins
    • Les victimes de guerre et d’épidémie

     

    De quels moyens peuvent-ils user pour éviter de tomber dans l’indigence ? Certes la réponse va dépendre de l’époque, du pays et bien entendu des individus eux-mêmes mais il est possible de dégager une réponse plus globale en s’appuyant sur la documentation liée à ce sujet.

    Il s’avère que la pluriactivité est la 1ère des stratégies : ainsi Antoine Latour, colporteur lyonnais habitant à Lyon chez un voiturier au 18ème siècle : « l’hyver il vend quelques almanachs et l’été des couteaux, des cizeaux, et des lunettes qu’il achète par demi douzaines » et lorsqu’ « il manque d’ouvrage, il fait des neuvaines et des pèlerinages pour ceux qui le payent ». il ne mendie pas mais « va quelques fois manger la soupe à la porte des couvents ».

    La pluri activité va entraîner dans de nombreux cas un phénomène de migrations. En effet cette pluriactivité peut se décliner de multiples façons : exercer plusieurs métiers dans une même journée ou partir loin de son domicile et n’y revenir que le soir, la fin de la semaine ou la fin du mois voire au bout de plusieurs mois. Voir un article ICI

    Avec la construction des chemins de fer, on voit apparaître ces migrations quotidiennes ou hebdomadaires. Mais bien avant le rail, ce type de migration existait. Par exemple dans la région lyonnaise, on a les jeunes filles des campagnes qui allaient travailler dans les soieries de Lyon et des alentours ; elles ne pouvaient pas se déplacer tous les jours au vu de leurs longues et pénibles journées de travail aussi elles gagnaient la fabrique en début de semaine à pied (ou en train quand il est arrivé) en emportant la nourriture de la semaine (pain de seigle, fromage, pommes de terre, légumes secs) et en couchant dans des dortoirs de fortune pour ne revenir chez elles qu’en fin de semaine.

    Mais ce peut être également avoir plusieurs activités successives qui vont se décliner sur un périmètre géographique plus étendu cette fois ci. Et c’est ce que l’on va retrouver le plus souvent : les journaliers vont louer leurs bras là où il y a du travail (moissons, vendanges, chantiers). Les colporteurs vont aller là où ils auront le plus de chance de vendre leur camelote. Et individus sans domicile réellement fixe vont être assimilés aux vagabonds au sens pénal du terme et être passible d’une condamnation pour cela !

    Ce peut être aussi exercer différents métiers tout au long d'une vie : on va trouver ainsi un Auvergnat du Puy de Dôme qui de 1800 à 1860 va être successivement ramoneur rural, chiffonnier, ramoneur à Paris, brocanteur ambulant. Un autre sera porteur d’eau à Paris, puis vendeur de charbon, et enfin tenancier de café.

    Voir pour approfondissement sur les vagabonds et les migrations liées au travail les articles suivants : 

    qui sont ces gueux et autres vagabonds que l'on enferme?

    enfermement des pauvres

    - conditions de vie des ouvriers / niveau de vie 1

    conditions de vie des ouvriers : les filatures au 19ème siècle 2

     

    Les travailleurs de force du Velay, du Brivadois, du Livradois vont jusqu'en Sologne pour défricher, curer les fossés, créer des étangs. Les travailleurs du Forez vont louer leurs bras en Piémont ou en Milanais. Les peigneurs de chanvre du Dauphiné descendent dans la plaine du Pô chaque automne etc. Tous vont chercher du travail loin de chez eux chaque année.

    Lors d'une enquête agricole réalisée en 1852, on constate que le bassin parisien et la région du Nord attirent 374 000 travailleurs saisonniers agricoles, le midi méditerranéen 103 700. Ces travailleurs partent du Puy de Dôme (21 000) de la Haute Loire (15 200), de l’Aveyron (11 800) de la creuse 11 000, de l’Aisne (104 00), de la Sarthe (8 300).

    Hors du secteur agricole, 23 000 travailleurs partent de la Creuse en 1825 pour travailler dans le bâtiment, ils sont 45 000 en 1885.

    Déjà sous Napoléon, des chaudronniers cantaliens sont signalés en Espagne et jusqu'en Belgique, des scieurs de long aveyronnais et des marchands auvergnats se retrouvent en Catalogne et en Castille, des gouvernantes de l'Est de la France vont jusqu'en en Bohême, des vitriers du Piémont sont mentionnés dans de nombreux départements de l'Empire.

     

    Comment survivre quand on est pauvre ?

    Migrations saisonnières des morvandiaux au 19ème siècle 

     

    Exemple de Saint Maurice la Souterraine dans la Creuse (en 1831 la commune compte 1903 personnes) : du 27/02 au 29/05/1832, 136 migrants à destination sont recensés via les livrets ouvriers dont 63 maçons, 26 aide maçons, 1 tailleur de pierre à destination de Paris. 10 paveurs et 3 aide paveurs vont en Charente inférieure ; 4 paveurs vont en Charente ; 3 paveurs et un aide vont en Dordogne ; 3 paveurs vont en Corrèze, 1 maçon, 7 paveurs et 2 aides vont en Gironde ; 1 paveur se rend en Aveyron ; 9 paveurs iront dans le Puy de Dôme et 2 couvreurs de paille sont en Seine et Oise.

    Cette migration saisonnière est également "une économie de l'absence". C'est à dire qu'en migrant les hommes, les familles vont permettre à la communauté d'économiser le pain qu'ils ne mangeront pas. Ainsi chaque année au moins vingt mille partent du Dauphiné "ce qui épargne à la province 40 000 quintaux de consommation pendant 6 mois" écrit l'intendant dauphinois Fontanieu au 18ème siècle.

     

    La revente de produits (obtenus légalement ou non) est aussi le métier secondaire par excellence de tous ceux qui ont du mal à survivre. Colportage de denrées alimentaires, vente de plats que les femmes ont préparés, colportage de menus objets du quotidien (rubans, mouchoirs, aiguilles, fil, épingles, crochets, boucles de souliers, boutons, miroirs, gants, peignes, jarretières, bas, plumes à écrire, couteaux, fourchettes, lacet etc). Ces colporteurs et autres vendeurs ambulants parcourent également tout le pays pour acheter et revendre. Dans une enquête réalisée sous le 1er Empire, on note déjà que les colporteurs des Basses-Alpes, du Cantal, du Puy-de-Dôme, de la Meuse ou des Pyrénées sont signalés partout dans l'Empire et que les marchands de peaux de lapin et de lièvre auvergnats fréquentent le Bassin Parisien et jusqu'à la Bretagne. 

     

    Comment survivre quand on est pauvre ?

    Gérolamo, le vendeur ambulant - 1872

     

    Mais ces ventes se font sans l’autorisation des autorités le plus souvent ce qui entraîne des arrestations qui peuvent tourner à la révolte : en février 1751, à Paris, « plus de cinq cents personnes de différents sexes » empêchent les maîtres pelletiers fourreurs d’arrêter un colporteur de peaux de lapin ; en juin 1769, du côté de la Bastille, « une grande multitude d’auvergnats et porteurs d’eau » tentent en vain d’empêcher les jurés de la corporation des fabricants de bourses à cheveux et autres petits articles de mode d’arrêter un marchand de parasols et parapluies.

    Louis Sébastien Mercier dénonce dans son Tableau de Paris toutes ces actions destinées à exclure les petits vendeurs : « rien de plus fréquent et et rien qui déshonore plus notre législation. On voit souvent un commissaire avec des huissiers courant après un vendeur de hardes ou après un petit quincaillier qui promène une boutique portative. … on dépouille publiquement une femme qui porte sur son dos et sur sa tête une quarantaine de paires de culottes. On saisit ses nippes au nom de la majestueuse communauté des fripiers […] on arrête un homme en veste qui porte quelque chose enveloppé sous son manteau. Que saisit on ? des souliers neufs que le malheureux avait cachés dans un torchon. Les souliers sont enlevés par ordonnance, cette vente devenant attentatoire à la cordonnerie parisienne ».

     

    Comment survivre quand on est pauvre ?

     

    Gérard Portielje (1856-1929), le vendeur itinérant

     

    Sans patente, point de vente ! En 1796, Marie Denise Toutain, femme d’un charpentier et sa soeur Antoinette sont arrêtées pour avoir vendu sans patente des vêtements à la foire de Meaux. Elles confectionnent des vêtements d’enfants dans de vieux habits et elles vendent des marchandises que leur a confiées une marchande fripière. Leur avocat au procès déclare « les femmes Moreau et fille Toutain sont comme beaucoup de citoyennes de toutes les communes de la République qui, comme elles fabriquent des hardes d’enfants avec de vieux linges qu’elles se procurent , hors d’état de payer la moindre patente, le fond de commerce de la plupart d’entre elles n’équivalent pas au prix de la plus petite patente ».

     

    Un autre marché qui fonctionne bien est la location d’un logement ou d’un lit à plus pauvre que soi. A noter que ce sont souvent des femmes qui tiennent ce genre de commerce. A Paris la moitié des femmes enregistrées comme logeuses en 1767 sont des veuves.

    Ces logements même insalubres et d’une taille ridiculement petite sont une nécessité pour tous ces colporteurs et journaliers qui sont régulièrement sur les routes ou tout simplement loin de chez eux et n’ont que peu de moyens à consacrer à un lit.

    Cependant dès le 18ème siècle les autorités vont là aussi mettre en place des contrôles : à Bordeaux le 8 octobre 1768 la police trouve chez Clément Marselou qui loue avec sa femme et trois de ses enfants une chambre et une « rochelle » à l’étage à trois femmes établies depuis un mois et demi et à 35 vendangeurs des deux sexes. Aucune déclaration n’a été faite par sieur Marselou depuis 1767. Il est condamné à une amende de 25 livres.

     

    Une activité supplémentaire, moins visible mais tout autant essentielle, contraignante, physique pour la personne dite pauvre, consiste dans l’utilisation des biens communaux : ceux-ci sont essentiels pour la survie : lande, forêt, zones marécageuses ou pâturages, tous ces endroits vont permettre à ceux qui peuvent y accéder de trouver du bois pour se chauffer, des herbes, des noix, des baies, du gibier. Mais ces biens ne sont pas accessibles à tous et l’administration a toujours essayé pour des raisons légitimes ou non d’en restreindre l’accès au grand désarroi des populations.

     

    Comment survivre quand on est pauvre ?

    Pierre Edouard Frère - Enfants ramassant des brindilles dans la forêt

     

    En 1727 au Pont de Beauvoisin, le jeudi de l’ascension, les femmes se jettent sur le sergent qui s’apprêtait à donner lecture devant la porte de l’église et en présence de deux hommes de la maréchaussée, d’une ordonnance interdisant aux troupeaux l’accès des secteurs protégés. Elles crient « qu’on ne les empêcherait pas d’aller dans leur bois, qu’elles tueraient plutôt tous ceux qui voudraient les en empêcher ».

    Au 18ème siècle, de nombreuses interdictions voient le jour empêchant les gens de s’adonner à des activités leur permettant de joindre les deux bouts : interdiction de glaner dans les champs tant que les gerbes sont à terre, tant que la dîme ou les droits du seigneur ne sont pas levés ; interdiction de chaumer ou d’arracher le chaume à la main ou au râteau pour la nourriture des bêtes, la litière des étables, la réparation des toits avant fin septembre.

    C’est ainsi qu’en 1775 à Etrépagny en Normandie, les femmes accueillent à coup de pierres les cavaliers venus les arrêter car elles glanaient alors que les gerbes étaient à terre et que la dîme n’était pas encore prélevée.

     

    Sources

    https://www.ariege.com/decouvrir-ariege/autrefois-en-ariege/colportage-haut-couserans

    Vivre pauvre, quelques enseignements tirés de l’Europe des Lumières - Laurence Fontaine

    Histoire du colportage en Europe (15-19ème siècle) - Laurence Fontaine

    Les migrations des pauvres en France à la fin du 19ème siècle : le vagabondage ou la solitude des voyages incertains – Jean François Wagniart

    Les migrations temporaires françaises au XIXe siècle. Problèmes. Méthodes - Abel Chatelain

    Les migrations saisonnières en France sous le Premier Empire - Roger Béteille

    Mobilité du travail, migrations de travailleurs, Europe 1830-1940 

     


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    Enfants trouvés 2

     

    Prise en charges des enfants

    Sous l’ancien régime l’assistance envers les enfants abandonnés s’est exercée de 3 manières différentes :

    Par les seigneurs justiciers en vertu d’un droit d’épave qui fait d’eux les héritiers des bâtards nés dans leur seigneurie ; un arrêt du Parlement de Paris du 13 août 1552 renouvelle cette obligation et l’étend aux enfants trouvés et non aux seuls orphelins. Les seigneurs laïcs ou ecclésiastiques prennent en charge l’entretien de l’enfant et se dédommagent sur les biens que celui-ci pourrait détenir.

    Le Parlement de Paris en 1530 enjoignait par ailleurs les seigneurs justiciers à participer proportionnellement à la dépense nécessitée par ces enfants dans la limite de 960 livres parisis.

    Il est à noter qu’encore en 1777 l’hôpital de Calais se cache derrière cette règle pour ne pas prendre en charge les enfants abandonnés et les envoyer à Paris : « le roi étant seul seigneur foncier, gros décimateur et haut justicier de tout le Calaisis, et jouissant des droits d’aubaine, de bâtardise, etc, devait être chargé des enfants trouvés ».

    Dans les faits force est de constater que les seigneurs justiciers vont s’efforcer de placer l’enfant trouvé ou orphelin au sein des institutions charitables de leur fief.

     

    Par les administrations hospitalières et institutions charitables : comme on l’a vu dans un précédent article il existe peu d’institutions spécialement dédiées aux enfants trouvés au Moyen Age hormis l’ordre du Saint Esprit (ordre hospitalier du Saint Esprit fondé à la fin du 12ème siècle par Guy de Montpellier). Mais surtout ces institutions ne gèrent que les enfants nés « en loyal mariage », ce qui exclut de facto les bâtards, les enfants nés de viol, les enfants nés de la misère…

     

    Enfants trouvés 2

    Par Anonyme, religieuse du St Esprit

     

    Une lettre patente de Charles VII du 4 août 1445 donne une explication de cette exclusion : « si les revenus dudit hôpital étaient employés à nourrir et gouverner lesdits bastards, illégitimes … pourroit advenir que moult de gens s’abandonneroient et feroient moins de difficultéz de eulx abandonner à pescher quand ils verroient que de tels bastards seroeint nourris davantage et qu’ils n’en auroient pas de charge première ni sollicitude ».

    Toutefois rareté ne veut pas dire absence et des institutions sont mises en place, liées à des initiatives privées. A Saint Omer et à Béthune les Bleuets et les Bleuettes (noms donnés aux orphelins à cause de la couleur de leur costume) sont recueillis dans des asiles spécialement fondés par de généreux donateurs.

    Marguerite de Valois Angoulême, soeur de François 1er  , fonda en 1536 sous le titre d’Enfants Dieu (qui devint ensuite les Enfants rouges du fait de la couleur de leur vêtement) un hospice pour les enfants dont les parents sont morts mais maintint la même exclusion pour les enfants trouvés. Il se situait au 90 rue des Archives à Paris.

    Enfants trouvés 2

     

    Ceci étant comme on l’a déjà noté précédemment, face à l’afflux grandissant d’enfants trouvés, les hôpitaux et autres institutions durent les prendre en charge malgré tout.

    L’œuvre de saint Vincent de Paul changea les mentalités à leur égard comme on l'a vu précédemment.

     

    Par les villes et villages par l’intermédiaire de la table ou bourse des pauvres notamment mais pas que ; en effet selon les territoires, les enfants étaient pris en charge par des moyens divers. Ainsi à Lille des officiers appelés gard’orphènes, bourgeois de la ville de par leur statut, étaient nommés par les échevins pour veiller aux intérêts des enfants orphelins. Dans les registres de la ville d’Amiens, se trouve un chapitre intitulé Deniers mis en warde : il s’agit d’une caisse ouverte par les magistrats de la ville destinée à recevoir les capitaux recueillis pour les orphelins. Certes il s’agit là encore d’enfants dont on connait les parents et non d’enfants trouvés…

    L'ordonnance de Moulins de 1566 dans son article 73 énonce de façon claire que les enfants abandonnés sont à la charge des habitants des villes, bourgs et villages dont « ils sont natifs et habitants ». Il n’y a pas de distinction entre les orphelins d’un côté et les enfants trouvés de l’autre mais force est de constater que ce sont les 1ers qui vont être pris en charge de prime abord pour essentiellement éviter que cela n'incite à l'abandon d'enfants.

     

    Coût de la prise en charge

    Par souci d'éthique, de morale, de charité mais aussi de coût financier, la recherche des parents est donc prioritaire dès qu’un enfant abandonné est trouvé, pour éviter qu’il ne soit une charge pour la paroisse, le seigneur ou les institutions charitables.

    On va procéder par des criées dans les rues en promenant le bébé. On encourage les dénonciations par des récompenses : ainsi en 1527  à Lille on donne 34 sous à un homme chargé de reconduire à Tournai un enfant dont il a dénoncé l’origine.

    La mère peut dénoncer le « père » sous la foi du serment mais est ce bien le père… en fait tout est mis en place pour trouver finalement non pas le père géniteur mais un père nourricier. Ainsi en février 1676 à Paris un homme marié fut condamné à se charger de l’entretien d’un enfant alors qu’il a pu être prouvé que la mère entretenait des rapports intimes avec le vicaire …

     

    Enfants trouvés 2

    L'Enfant recueilli, tableau de Michel Philibert Genod

     

    Malgré le nombre d’institutions charitables existantes dans les villes, le nombre d’enfants abandonnés reste énorme et les ressources faibles. Les nourrices manquent en ville et il faut se résigner à envoyer les nourrissons à la campagne. Les hôpitaux vont donc mettre en place tout un réseau d’informateurs pour trouver des nourrices : curés, accoucheuses, anciennes nourrices …  

    Sans compter le fait que la majorité des enfants nés en province ont été rapatriés, faute de moyen sur place, sur l'hôpital de la Couche à Paris mais que celui ci ne peut tous les prendre en charge. Il faut donc les renvoyer en province vers des nourrices en principe dignes de ce nom ...

    Et il faut faire appel à nouveau aux meneurs. Ce sont eux en effet qui vont amener les enfants aux nourrices puis assurer la liaison entre celle-ci et l’hôpital.

    Ils vont servir ainsi d’agent payeur des gages et des vêtures destinés aux enfants. Ils se chargeront de ramener également les effets de l’enfant trouvé décédé chez sa nourrice campagnarde ainsi que  l'acte de décès. Bref, ils sont chargés du recrutement des nourrices, de la surveillance de celles ci, du paiement des pensions et surtout du transport des enfants entre Paris et la province.

    Le meneur peut transporter les bébés dans une hotte et faire le chemin à pied. Ainsi, en 1751, à raison de quarante à cinquante kilomètres par jour, il atteint les villages les plus éloignés de la capitale en trois ou quatre jours. Par le coche d'eau, sur la Seine par exemple, ou en voiture, le périple peut être abrégé. L’aire de nourrissage pour Paris s’étend  tout de même jusqu’à la Normandie et la Picardie.

    La mission étant d’importance, ne devient pas meneur qui veut. A Paris la personne qui postule doit verser une caution variant entre 3 000 et 12 000 livres ; ses biens personnels sont répertoriés et cautionnés. Le curé de la paroisse doit remettre un certificat de bonne conduite authentifié par un juge royal. S’ils sont acceptés, ils perçoivent le vingtième de toutes les sommes versées à la nourrice soit à peu près 5 à 6 sous par mois (d’après les règlements de Paris de 1713).

    S’y ajoutent diverses gratifications en fonction des services rendus : frais de recherche, vêture, retour de l’enfant après le sevrage …

    Cette organisation se prêtent à de nombreux abus : la nourrice ne reçoit jamais l’argent de l’hôpital car le meneur le garde par devers lui, les vêtements alloués aux enfants font l’objet de trafic, les enfants décédés ne sont pas déclarés comme tel pour pouvoir continuer à percevoir les sous de son entretien, ou alors l’enfant décède en route et le meneur ne dit rien, empochant l’argent de la nourrice. Les familles nourricières prennent plus d’enfants qu’elles ne peuvent entretenir, mettant à mal la survie des enfants. Et que dire des parents qui abandonnent leurs enfants et réussissent à les récupérer en nourrice, empochant ainsi les sous de leur entretien !

     

    Enfants trouvés 2

    La nourrice, Le Camus Pierre Duval, 1ère moitié du 19è, Musée du Louvre

     

    Comment endiguer la mortalité des nouveaux nés abandonnés ?

    En réponse à la mortalité effrayante de ces enfants, on va déjà tâcher d’éviter les transports mortifères.

    Il ne faut pas oublier que beaucoup d’hôpitaux de province refusent d’accepter les enfants abandonnés dans leur ressort et les font systématiquement envoyer sur Paris ou bien pratiquent des envois groupés d’enfants abandonnés qu’ils avaient recueillis pendant un certain temps et dont ils se débarrassent par la suite car trop coûteux à entretenir.

    En 1772 par exemple on enregistre des envois massifs d’enfants par les hôpitaux de Troyes ,Thiers, Auxerre, Caen et Metz.

    En 1778 les hôpitaux de Troyes, Auxerre ,Vendôme, Orléans ,Rouen et Sens sont les principaux points de départ de ces convois enfants souvent assez âgés de 1 à 10 ans (parfois davantage).

    Les survivants de ces premiers voyages vont ensuite comme on l'a vu plus haut devoir subit un second voyage vers des nourrices de campagne !

    En octobre 1777, Jacques Necker adresse un courrier aux intendants du royaume dans le cadre d’une enquête nationale sur le problème des enfants abandonnés : « Le sort des enfans trouvés, Monsieur, est de tous les objets que le Roy a eu en vue, en établissant une commission pour subvenir aux besoins des hopitaux, un des plus intéressans pour l’humanité et pour l’ordre public. Il a été reconnu que le transport qu’on fait chaque jour d’un très grand nombre d’enfans à Paris où ils affluent des provinces les plus éloignées, est la cause principale de l’état fâcheux où se trouve l’hopital des enfans trouvés : ses facultés, ni même ses emplacemens ne suffisent plus pour cette multitude ; mais ce qui est encore plus touchant, ces enfans conduits sans précaution et exténués par une longue route, ne peuvent y arriver que languissants et périssent bientôt après. »

    C’est ainsi qu’un arrêt du Conseil du Roi du 10 janvier 1779 interdit leur transport vers Paris et prescrit leur dépôt dans l’hôpital le plus proche de leur découverte. Cet arrêt ne fut que médiocrement suivi d'effet ...

     

    Enfants trouvés 2

    Frédéric Henri Schopin (1804-81) : Grand Prix de Rome 1831.
    Religieuse recueillant un enfant abandonné (1854)

     

     

    Sources

    https://www.histoire-genealogie.com/Un-village-nourricier-ou-le-destin-tragique-des-enfants-trouves-de-Paris#:~:text=Au%20XIX%20e%20si%C3%A8cle%2C%20les,des%20enfants%20trouv%C3%A9s%20soit%2050%25.

    https://www.archives-manche.fr/_depot_ad50/_depot_arko/basesdoc/2/17896/didac-doc-46-marques-de-reconnaissance-d-un-enfant-expose-coutances-11-juin-1763-.pdf

    Géographie des enfants trouvés de Paris aux XVIIe et XVIIIe siècles Isabelle Robin de Agnès Walch

    Vivre pauvre, quelques enseignements tirés de l’Europe des Lumières de Laurence Fontaine

    Enfants trouvés, enfants ouvriers 17/19ème siècle de Jean Sandrin

    De l’enfant trouvé à l’enfant assisté de Anne Cadoret

    Les enfants assistés dans le Pas de Calais avant et pendant le 19ème siècle de Eugène Carlier

    Les enfants abandonnés à Paris au 18ème siècle de Claude Delasselle

    L’assistance hospitalière au secours des orphelins. L’exemple des hôpitaux généraux du Nord de la France de Olivier Ryckebusch

    Histoire des enfants abandonnés et délaissés : étude sur la protection de l'enfance aux différentes époques de la civilisation de Léon Lallemand


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