• La rue de l'Ancien Régime au 19ème siècle

     

    La rue de l'Ancien Régime au 19ème siècle

     

    La rue de l’Ancien Régime est bordée de maisons basses, mal alignées, de 1 à 3 étages, avec de grandes portes cochères donnant sur des cours intérieures. Elle est étroite, tortueuse, le jour n’y pénétrant pas à cause des avancées de toit. La rue est remplie d’obstacles mouvants : des hommes, des animaux de basse-cour et de boucherie, des animaux domestiques, les charrois, les nuisibles comme les rats ; elle est le réceptacle des eaux usées, des déjections animales, du sang des animaux abattus. S’y empilent les pailles et fourrages pour les chevaux, les fagots pour les boulangers, l’huile pour l’éclairage ou le chauffage…

    Un voyageur de la fin du 18ème siècle écrit à propos de Toulouse : "Toulouse n'a que quelques quartiers agréables, et ce sont les plus modernes Tout le reste n'est qu'un amas confus de vieilles maisons mal construites, sans goût, sans agrément , sans architecture,  et dont les communications ne sont assurées que par une foule de vilaine rues sales, tortueuses, et étroites".

    Les boutiques sont devant les portes, sur des tréteaux à même la rue ce qui accentue l’encombrement.

     

    La rue sous l'Ancien Régime jusqu'au 19ème siècle

     

    C’est ainsi que le registre de la prison du grand Chatelet indique que le 1er septembre 1775 le sergent de poste a été requis de se transporter à la descente du pont Notre Dame où une infinité de revendeuses de fruits étalent leurs marchandises au mépris des différentes ordonnances des magistrats de police rendues pour faire cesser les embarras qu’elles occasionnent à la voie publique et aux boutiques qu’elles masquent et y a été arrêtée l’une d’entre elles qui a maltraité d’un coup de maillet un perruquier qui l’a voulu renvoyée. Elle a dit se nommer Elisabeth Vallentin, 21 ans native de Paris marchande de fruits, demeurante rue st Victor ».

     

    La rue est un lieu de divertissement pour les grands et les petits. Les artistes de rue y jouent de leur instrument et amusent les bonnes gens. 32 fêtes sont données par an à Paris au 18ème siècle sans compter les dimanches. La foule est importante à ces occasions, réunissant les pauvres en haillons et les bourgeois dans leurs beaux habits. Mais les jeux divers et variés des petits et des grands peuvent finir mal. Ainsi « le 18 février 1746 une sentence de police condamne à 100 livres d’amende chacun les nommés Bosselot Jean et Mignot dont les enfants en jouant avec des charbons dans des pots avaient mis le feu sur la voie publique à une voiture de paille et renouvelle les défenses faites aux pères, mères, et maîtres de laisser jouer et vagabonder les enfants apprentis et domestiques dans les rues ou places publiques »

    A partir de 1822 à Paris ils sont interdits car « sous prétexte de jouer d’un instrument, tel que la vielle, la guitare, la harpe, etc., des individus pénètrent dans les cours, dans les cafés, les cabarets, et y donnent lieu à des plaintes, soit à raison des chansons licencieuses qu’ils chantent, soit à raison des embarras qu’ils causent dans les rues et places où ils stationnent ». 

     

    La rue est aussi le lieu des plaisirs : "on enlève tous les mois sans beaucoup de façons et sur simple ordre d'un commissaire 3 à 400 femmes publiques. On met les unes à Bicêtre pour les guérir, les autres à l'Hôpital pour les corriger" nous dit Mercier - Voir les articles sur l'enfermement des pauvres ICI et ICI.

    Le nombre de prostituées diffèrent selon les auteurs : Pour Mercier "on compte à ¨Paris 30 000 flles publiques c'est à dire vulgivagues et 10 000 environs moins indécents qui sont entretenues et passent d'année en année en différentes mains. On les appelait autrefois filles folles de leur corps". Et de rajouter : "si la prostitution venait à cesser tout à coup, 20 000 filles périraient de misère, les travaux de ce sexe malheureux ne pouvant pas suffire ici à son entretien ni à sa nourriture".

     

    Et que dire des chevaux ? ils y sont les rois : jusqu’à l’aube du XXe siècle, la rue est en effet le domaine du cheval : Paris, vers 1900, compte plus de quatre-vingt mille chevaux en activité, pour tirer les diligences, les fiacres et les camions, sans parler des chevaux de promenade et de la cavalerie militaire. Progressivement les chevaux vont céder la place aux vélocipèdes qui prennent une place de plus en plus importante tout en effrayant chevaux et piétons (on compte 60 000 vélos à Paris en 1893, 94 255 en 1898, 212 510 en 1900). Les 1ères voitures vont faire leur apparition ainsi que les transports en commun type tramway d’abord à traction animale dans les années 1850 puis à traction mécanique vers les années 1875.

     

    La circulation dans les grandes villes devient si intense que Louis Figuier (écrivain et vulgarisateur scientifique né en 1819 à Montpellier et mort à Paris en 1894) écrit dans les années 1880 que « la circulation devient chaque jour plus difficile dans les rues de la capitale » et reste stupéfait devant « le mouvement des véhicules au carrefour du boulevard Montmartre et de la rue Montmartre, vulgairement nommé le Carrefour des écrasés, [qui] est de plus de 100 000 par jour… ».

     

    Au 18ème siècle déjà la circulation à Paris est vivement critiquée : « quant aux carrosses il y en a ici un nombre infini qui sont délabrés et couverts de boue et qui ne sont faits que pour tuer les vivants. Les chevaux qui les tirent mangent en marchant (…) tant ils sont maigres et décharnés. Les cochers sont si brutaux , ils ont a voie si enrouée et efroïable, et le claquement continuel de leur fouet augmente le bruit d’une manière si horrible qu’il semble que toutes les Furies soient en mouvement pur faire de Paris un enfer. Cette voiture cruelle se paye par heure, coutume inventée pour abréger les jours dans un temps où la vie est si courte » JP Marana Lettre d’un sicilien à un de ses amis, fin du 17ème.

     

    La rue sous l'Ancien Régime jusqu'au 19ème siècle

     

    La rue est un lieu de violence et ce d’autant plus que l’éclairage est inexistant la nuit : « 10 juin 1785, midi, Marie Jeanne Quelin, 54 ans, femme de P. Grignon, cordonnier, dépose qu’elle a été attaquée dans la rue, qu’ils levèrent ses jupes et lui firent des attouchements malhonnêtes en lui portant les mains sur les cuisses, et autres parties de son corps ».

    17 août 1775. Xavier Billod compagnon menuisier dit qu'il y a une heure sa femme a été attaquée sous la porte cochère par la femme Mage qui lui a jetée une assiette de faïence qu'elle avait à la main et avec les morceaux lui a asséné des coup au visage, et elle est blessée au point d'être au lit et qu'elle est bien mal".

    9 avril 1783. 11h du soir, Bailley, huissier audiencier en la chambre des comptes du Roy demeurant à Paris rue St Antoine face la vieille rue du Temple, se plaint que passant de jour d'hui rue de Gèvres, en face la rue St Jérôme, à l'heure ci dessus indiquée, on lui a jeté d'une fenêtre à grand carreau du 2ème sur le devant des immondices dont le sieur Bailley s'est immédiatement récrié, desquels immondices il nous est apparu, tant sur son habit que sur son chapeau qui en étaient tout imbibés".

     

    La rue est d’autant plus violente qu’elle abrite une population ouvrière miséreuse prompte aux émeutes. Louis Sébastien Mercier (écrivain et philosophe né en 1740 et mort à Paris en 1814) écrit que « si l’on abandonnait le peuple de Paris à son premier transport, s’il ne sentait lus derrière lui le guet à cheval, le commissaire et l’exempt, il ne mettrait aucune mesure dans son désordre ; la populace délivrée du frein auquel elle est accoutumée, s’abandonnerait à des violences d’autant plus cruelles qu’elle ne saurait elle-même où s’arrêter ».

     

    "3 juin 1775. 8 h du soir, le caporal vient d'arrêter rue Neuve St Martin à la réquisition d'un officier de robe courte, un particulier prévenu de l'avoir insulté dans ses fonctions et a voulu exciter une émotion populaire".

     

    Cet encombrement permanent est un obstacle à la circulation tant des personnes que des biens et donc un obstacle au commerce. La promiscuité entre hommes, animaux et déchets en tout genre est également propice à la saleté, aux maladies et aux incendies.  Ainsi « une voiture est indispensable ici au moins pour les étrangers. Mais les français savent d’une façon merveilleuse marcher au milieu des saletés sans se salir. Ils sautent artistement de pavé en pavé (…). L’illustre Tournefort qui avait fait presque le tour du monde après être revenu à paris fut écrasé par un fiacre après être revenu à Paris parce que durant son voyage il avait désappris l’art de bondir comme un chamois dans les rues, talent indispensable pour tous ceux qui vivent ici. » N. Karamzine voyages en France 1789-90

     

    La rue sous l'Ancien Régime jusqu'au 19ème siècle

    L'embarras de Paris - Nicolas Guérard 1648-1719

     

    Louis Sébastien Mercier écrit dans son Tableau de Paris en 1783 qu’ « on vient d’établir dans tous les corps de garde des civières ou brancards garnis d’un matelas (…) de même on trouve chez le commissaire de quartier des bandes, des compresses, de la charpie (…) car marcher dans Paris toute la journée pour ses affaires c’est aller pour ainsi dire à l’assaut ».

     

    La rue sous l'Ancien Régime jusqu'au 19ème siècle

    BnF - Les couvreurs de Paris/Embarras de Paris

    « Le 8 octobre 1763 minuit et demi est trouvé Jean François Cassagne, juste âgé de 15 ans, sans asile, vendant des épingles depuis hier attendu que son père l’avait mis dehors, est envoyé au petit chatelet de police »

     A partir du 16ème siècle, de multiples règlements tentent avec plus ou moins de succès de s’attaquer à l’assainissement et la propreté de rues. Mais aussi à la sécurité.

    Mettre des trottoirs, paver les rues, mettre des rigoles, cartographier précisément la ville, codifier la voierie , relever les noms des rues, éclairer les rues, les agrandir, créer des espaces spécialisées comme les marchés aux fleurs, aux poissons, aux bestiaux va constituer le début de la transformation de la ville qui va conduire à la rue haussmannienne, régulière, large, aérée, bordée d’immeubles plus ou moins chargés de décorations, de six ou sept étages. Le modèle hausmannien va s'imposer peu à peu dans les grandes villes : Lyon en 1853, Marseille et Lille en 1858, Montpellier en 1861, Toulouse en 1864. L'hausmannisation va permettre enfin la mobilité et les échanges au sein des villes.

     

    La rue sous l'Ancien Régime jusqu'au 19ème siècle

    Louise Marie de Schryver - Rue Royale à Paris - 1898

     

    Lille détruit ses remparts et annexe Fives, Moulin et Wazemmes, perce de grandes artères comme la rue de la gare (actuelle rue Faidherbe) en 1869/1870 et la rue Impériale en 1862 (actuelle rue Nationale).

     

    La rue de l'Ancien Régime au 19ème siècle

    Percement de la rue de la Gare à Lille - 1869 - Le Blondel

     

    Les rues vont porter des noms officiels grâce à des plaques en fer blanc à partir de 1728 mais la pluie et le mauvais temps effacent les caractères. Donc le nom des rues fut gravé dans la pierre. Louis Sébastien Mercier précise que « les graveurs de noms de rue ont été obligés de  travailler de nuit tant ils étaient assaillis de quolibets, de coups et de menaces de séditions lorsqu’ils travaillaient en plein jour ».

     

    Progressivement les chemins et rues se vêtent de macadam, technique mise au point en Angleterre vers 1814 par John Loudon MacAdam, qui consiste à déposer sur un sol bien drainé, trois couches de cailloux tassés au rouleau. Ce procédé n’est pas parfait car il demande un entretien important des rues. Dès 1835, à Paris, l’asphalte revêt les trottoirs puis vient le tour du bitume et du goudron qui vont permettre une étanchéité plus importante des rues macadémisées. Un réseau d’égout est créé sous la ville de Paris dans la 2ème moitié du 19ème. Lire l'article sur les latrines ..ICI

     

    Sources

    Vivre dans la rue à Paris au 18ème siècle de Arlette Farge

    Histoire de la rue de Maurice Garden (Pouvoirs 2006/1 n° 116) 

    La rue parisienne au xixe siècle : standardisation et contrôle ? de Sabine Barles ( Romantisme 2016/1 n° 171) 

     

    « De quoi vivent les instituteurs au 19ème siècle?Vies oubliées - Au coeur du 18ème siècle - Arlette Farge »

  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :