• Qui sont ces gueux, mendiants et autres vagabonds que l'on enferme?

     

    Le mendiant est celui « qui mendie », le vagabond est celui qui « erre çà et là », qui est « sans aveu, sans état, sans domicile » : Grand Larousse universel du XIXe siècle.

    G comme qui sonr ces Gueux?

     

    Qu’en disent les autorités ? En 1534, le vagabond répond à la définition suivante : « tous vagabonds, oisifs, gens sans aveu et autres qui n’ont aucun bien pour les entretenir et qui ne travaillent ny labourent pour gagner leur vie » sera coupable du délit de vagabondage.

     

    2 critères définissent donc le vagabond :

    - le manque de travail, et donc de ressources pour vivre,

    - et l’absence d’appartenance à une communauté.

     

    En 1666 on ajoute l’absence de caution morale d’un tiers digne de foi :: « seront déclarez gens vagabonds et gens sans aveu, ceux qui n’auront aucune proffession ny mestier, ny aucuns biens pour subsister, qui ne pourront faire certifier de leurs bonnes vies et mœurs par personne de probité connues et dignes de foy et qui soient de condition honneste ».

     

    En 1701, « Déclarons vagabonds et gens sans aveu ceux qui n’ont ny profession, ny mestier, ny domicile certain, ny bien pour subsister, et qui ne sont avouéz, et ne peuvent certifier de leurs bonnes vies et mœurs, par personnes dignes de foy ».

    On ajoute l’absence de domicile.

     

    En 1720, on ne distingue plus le mendiant du vagabond : les critères définissant le vagabondage s’étendent à la mendicité : le mendiant domicilié entre dans la définition générique du délit de vagabondage.

    Une loi du 1er février - 28 mars 1792 considère comme vagabond toute personne trouvée hors de son canton et incapable de justifier dans les vingt jours de son inscription sur le tableau de sa commune de domicile.

     

    En fait soyons pragmatique : « les mendiants et les vagabonds appartiennent à ce monde de la grande pauvreté, incapables d’assurer leur minimum vital, et donc placés dans une situation de dépendance et d’exclusion ».

     

    G comme qui sonr ces Gueux?

    Dans les faits, nous retrouvons de petits paysans vivotant d’une maigre agriculture de subsistance, des marchands ruinés, des soldats et matelots démobilisés, de bohémiens, des pélerins, des prostituées …

    Pourquoi les pélerins ? il s’agit des en fait des faux pélerins profitent de la bienveillance des personnes qu’ils croisent ; mais en pratique la maréchaussée ne fait pas de réelle distinction entre les vrais et les faux pélerins :

    Jaquette Tisné 44 ans a « des yeux gris bien fendus, nez bien fait, montée en couleur » ; capturée, le procès verbal note qu’ « elle mendie depuis longtemps ayant été deux fois à St Jacques de Compostelle et une fois à Rome, un peu imbécile, elle a une grande liberté dans ses propos » mais « n’est point libertine ».

    G comme qui sonr ces Gueux?

     

    Les bohémiens, les égyptiens sont considérés comme des fauteurs de troubles et leurs femmes séduisent pat la divination des innocents allant même jusqu’à se faire épouser !

     

    Finalement, potentiellement, toute personne hors de chez elle peut être attrapée par les chasse coquin ; des procès verbaux notent que tel mendiant a été pris par exemple à plus d’une demi lieue de chez lui (2km)….

    Les colporteurs représentent un métier à risques (tout comme les journaliers et toute autre personne cherchant un emploi) … ainsi Jean Poulon d’Albi capturé le 24 septembre 1774 possédait 3 livres 6 sols une boite en bois « dans laquelle il s’est trouvé des jarretières, 6 miroirs, 50 autres miroirs, 30 tabatières à la bergamote, 12 tabatière de carton, 6 rasoirs, 12 étuis, 9 couteaux, 6 autres couteaux à manche d’argent, 3 flacons ».

    Antoine Roche natif de Lyon « a été arrêté nanty d’un livre de hazard avec des chiffres romains, un cornet de corne, un état portant explication d’une petite loterie, plus des tas de boîtes, tabatières, bijoux, flacons, petits couteaux, des couverts d’argent, une paire de courroies, une estampe de Noble Jeu de Hazard »

    Bernard Carrère un autre colporteur de 33 ans, manœuvre de profession est capturé : « nanty de deux chemises, une paire de bas de laine, deux paires de mauvais souliers, une cuillère d’étain, deux livres intitulés le parfait maréchal et l’imitation de Jésus Christ, 6 petits alphabets, trois paquets entiers de lie, un paquet de jarretière, 12 boutons de corne à bretelle ».

     

    G comme qui sonr ces Gueux?

     

    Le registre de l’hôpital général de Pau indique la profession des vagabonds capturés : des laboureurs, des tisserands, des tailleurs d’habits, des charrons …

     

    Est-ce à dire qu’ils étaient sur les chemins pour les besoins de leur métier et n’ont pas pu prouver la réalité des faits ou bien alors, sans emploi, mendiaient-ils bel et bien ?

     

    L’accident et la maladie font aussi tomber dans la mendicité : Pierre Ferran explique « qu’il y a 12 ans qu’il se donna un coup de hache sur la rotule du genou droit et qu’il se la fendit en deux et fut obligé de rester alité pendant 6 mois et a dépensé le comptant de presque tout le peu qu’il possédait sans pouvoir se procurer aucune guérison, étant obligé de marcher même avec beaucoup de peine sur deux béquilles et d’ailleurs affligé depuis de longues années d’une double hernie, ce qui l’a mis dans un état le plus triste et le plus misérable, incapable de pouvoir agir d’aucune façon pour gagner sa vie qu’en demandant la charité pour se procurer la subsistance ». 

    G comme qui sonr ces Gueux?

    Pierre Douabé est un mendiant à Rennes au 18ème siècle. C'est un ancien soldat de 50 ans qui travaillait comme terrassier, qu'une « espèce de lèpre aux jambes » a contraint à séjourner régulièrement à l'hôtel-Dieu de Rennes. À sa sortie, il commence à demander l'aumône car il a perdu son travail.

     

    G comme qui sonr ces Gueux?

     

    Enfin il y a les bandes affamées qui parcourent les chemins, et se pressent aux portes des villes : Les malheurs des temps dispersent les familles, chassent les paysans de leur terre, les artisans de leur ville et ils reconstituent ensemble une communauté qui leur est propre, devenant en quelque sorte des mendiants « professionnels ».

    Ainsi, en 1816 nous avons une année de très mauvaise récolte : le 31 octobre trois voitures chargées de grains sont pillées à Châteauneuf, par « une populace d’hommes et de femmes, dont l’opiniâtreté et les vociférations » viennent rapidement à bout des forces de l’ordre, présentes en nombre insuffisant. Les coupables sont  poursuivis et les propriétaires des voitures pillées devront être indemnisés.

    Le rapport montre que les 155 coupables, «ouvriers, maçons, tisserands et un petit nombre de couteliers», sont tous pauvres, sans moyens d’existence et dans l’impossibilité de rembourser les propriétaires des grains...

     

    Les femmes de mauvaise vie

    Marie de Lauseret , 18 ans, originaire de Laruns et réfugiée à Pau (à 40 km de son village) ; elle y apprend le métier de tireuse d’eau et loge dans un coin de chambre qu’elle loue mais elle est chassée parce que sa loueuse l’accuse de frayer avec une autre fille, dépravée, qui se laissait « cajoler par les garçons » ; sans toit, elle erre dans les rues et se cache dans les coins. Et « entretient des colloques suspects avec les jeunes hommes ». Elle est capturée et amenée au dépôt d’Auch.

    Un arrêt du parlement de Bretagne du 29 mars 1759 observe qu'à Rennes la prostitution est devenue un fléau : « Toutes les nuits, des bandes de ces malheureuses occupent dans les carrefours et dans les différentes rues de la ville des postes assignés où elles attirent et assemblent les passants de tous âges ; le scandale est si général que d'honnêtes personnes n'osent presque sortir de leur maison. On entend journellement des cris de force, des hurlements, des batteries et des querelles. »

    Les femmes qui se prostituent sont le plus souvent des mères célibataires, des veuves ou des filles séduites, âgées de 20 à 25 ans, qui exercent des petits métiers (fileuses le plus souvent, servantes, journalières, blanchisseuses).

     

    Comment les autorités tentent de remédier à cette engeance ?

    Outre la déportation dans les colonies, l’Hôpital général va devenir le principal mode de mise à l’écart des prostituées jusqu’à la fin du XVIIIe siècle. Les dépôts de mendicité ne seront pas en reste.

    Les filles de mauvaise vie se retrouvent dans les dépôts « au nom de la morale, de l’ordre et de l’honnêteté publique »

    A Paris, « les femmes d’une débauche et prostitution publique et scandaleuse, ou qui en prostituent d’autres, seront renfermées dans un lieu particulier destiné pour cet effet dans la maison de la Salpêtrière ». Les débauchées pourront y être enfermées sur décision de justice. Un inspecteur est chargé de la police des mœurs. Il est chargé, jour et nuit, de les arrêter et de les conduire au dépôt Saint-Martin, passage obligé des futures condamnées. Le lendemain, les femmes arrêtées comparaissent à l’audience du grand Châtelet. Les femmes condamnées, escortées par des archers, sont alors emmenées en charrette, dont les planches sont recouvertes de paille, à travers les rues de Paris, à la vue de tous, jusqu’à la Salpêtrière.

     

    F comme Femmes de mauvaise vie

     

    Un petit mot sur le dépôt de Saint Denis ou maison de détention de Franciade au début du 19ème siècle. On y envoya jusqu’en 1816 « ces filles dégoûtantes, autant ruinées sous le rapport physique que sous le rapport moral et qui sans ressources et mourant de faim, se font arrêter partout et peuvent être considérées comme des mendiantes et de véritables vagabondes. A une époque où l’on avait l’habitude de les faire reconduire dans leurs pays, on envoyait à Saint Denis celles qui par leur âge et leurs infirmités étaient hors d’état de faire la route »

    « Depuis 10 ou 12 ans, le nombre de prostituées envoyées à Saint Denis par ordre de l’administration s’élève tout au plus à 8 ou 10 dans le courant de l’année … le plus souvent ces envois se font à la demande des médecins pour des cas incurables tels que cancer, désorganisation, fistule recto-vaginales, idiotisme etc quelquefois aussi comme moyen de répression par exemple lorsqu’une de ces filles ne veut pas subir une opération reconnue indispensable ».

    F comme Femmes de mauvaise vie

     

    Sources

    Les dépôts de mendicité sous l’Ancien Régime et les débuts de l’assistance publique aux malades mentaux (1764-1790) de Christine Peny

    Les dépôts de mendicité sous l’Ancien Régime et les débuts de l’assistance publique aux malades mentaux (1764-1790) de Christine Peny

    Le dépôt de mendicité de Toulouse (1811-1818) de David Higgs

    L'Hôpital Général de Paris. Institution d'assistance, de police, ou de soins ? de Nicolas Sainte Fare Garnot

    Mendier sa vie au XVIIIe siècle : de la résignation à la révolte (Amiens, 1764-1789) de Charles Engrand

    Les travaux publics comme ressource : les ateliers de charité dans les dernières décennies du xviiie siècle de Anne Conchon

    Les secours aux indigents : un droit ou une faveur de Dominique Godineau,

    Quand la pauvreté était un crime de Françoise Froelhy

    Le délit de vagabondage au 18ème siècle de Catherine Grand

     

    « Enfermement des pauvresEnfermement (suite) : Hôpital général et dépôt de mendicité »

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