Le monde de la domesticité est vaste, hétérogène et somme toute complexe
Il est difficile au vu des différentes études et documents sur la question de se faire une idée simple de cette activité à travers les siècles tant les sources sont finalement rares ; et quand elles existent, elles demeurent lacunaires voire ambiguës.
Ainsi il est difficile jusqu’au début du 20ème siècle de différencier l’ouvrier agricole (le journalier ou le manouvrier) du domestique tel qu’on l’imagine aujourd’hui c’est à dire attaché à une ou plusieurs personnes au sein d’une maison. En fait en y regardant de près, le monde de la domesticité englobe largement les différents métiers agricoles :
Le valet de pied est l’équivalent masculin de la servante : c’est l’homme à tout faire
Le valet de ferme : avant la guerre 14/18 c’est un employé dans une exploitation agricole, viticole … c’est souvent le synonyme de manœuvre, manouvrier ou journalier agricole si l’on regarde les recensements alors qu’en fait, les valets de ferme sont « plus permanents » que les journaliers.
Xavier Walter écrit : « les valets, entre 3h30 et 4h tirent des râteliers le foin que n’ont pas mangé les chevaux et les regarnissent de bottes neuves, une demie par cheval. A 5h30 tout le monde se réunit dans la grande salle où la maîtresse de maison sert le premier repas qu’elle prépare depuis son lever à 3h30 : soupe, lard, galettes de sarrasin. Puis on sort travailler et l’on rentre à 11h pour le « dîner » de midi ; on y mange la même chose que le matin plus des pommes de terre ; lorsque le premier valet replie son couteau, tout le monde se lève, le patron aussi, et on repart travailler aux champs pour 4h de temps ; au retour, les chevaux requiert de longs soins des petits valets. On soupe de bonne heure vers 6h et chacun gagne son lit ».
Pour tous ces valets, le travail quotidien est d’au moins 13h ; ils ont marché entre 35 et 40km, ont mené la charrue ou la herse. A noter qu’au début du 20ème siècle il faut compter 1 homme pour 8ha.
La servante de ferme : « c’est sur celle-ci que retombait le travail le plus ingrat : travaux des champs, la « buge » ou lessive avec souvent le rinçage dans l’eau glacée en hiver, la participation à la traite, l’alimentation des porcs. Après le repas du soir le valet allait se coucher à l’écurie. La servante devait tout remettre en ordre avant d’aller se reposer. Elle était libre le dimanche mais devait rentrer pour participer à la traite du soir.
La servante de ferme reçoit comme sobriquet au milieu du 19ème siècle le nom de boniche ; de façon générale, le travail était en effet dur : elle aidait à la tenue du ménage, balayait la maison, soignait les poules, allait chercher l’eau au puit, trayait les vaches avec la patronne, épluchait les légumes du repas, empotait le caillé dans la laiterie, conduisait les bestiaux à la pâture, reprisait les effets, repassait le linge, ...
Le charretier = celui qui conduit des chariots et charrettes
Le journalier ou manouvrier = il est payé à la journée, accomplit les basses besognes ne nécessitant pas de qualification : nettoyage des étables, travaux de terrassement, mise en fagot des bois, surveillance du bétail, transport des foins …
Gustave Lhomme dans une étude sur notamment les journaliers de la région d’Orchies (entre Valenciennes et Douai dans le Nord) - « Petites histoires d’Orchies » - nous explique que le journalier est au plus bas de l’échelle du monde rural, travaillant durement mais gagnant peu. Le manouvrier est « un véritable prolétaire totalement dépendant du salaire de ses journées. Il cherche à réduire au maximum ses dépenses, accepte de vivre dans une masure héritée prêtée ou louée à bas prix … ».
Au vu des documents (encore une fois lacunaires), on peut estimer à, à peu près, 900 000 le nombre de domestiques en France entre 1850 et 1870.
En 1881 (période qui semble être l’apogée de l’emploi domestique en France,) ce chiffre culmine à 1 156 000 domestiques soit 31 domestiques pour 1000 habitants.
En 1901 ce chiffre tombe à 956 000 ; c’est on le verra le début du déclin de cette profession ; déclin qui va s’accentuer avec la 1ère guerre mondiale.
Les hommes représentaient 31.7% des domestiques en 1851, ils ne sont plus que 17% en 1901 : la population domestique se féminise en même temps qu’elle diminue globalement.
On estime généralement à 14.2 millions, la population active en 1852 ; les domestiques représenteraient donc 1/14ème de cette population.
Si l’on regarde une ville comme Cannes, en 1852 la population domestique représente 21% de la population active et en 1906, 30%. Manifestement Cannes ne connait pas de crise de domesticité contrairement à ce qui se passe dans le reste de la France (mémoire de Christine Cecconi sur la domesticité à Cannes à la belle époque).
gare de Cannes en 1880
Il faut dire que Cannes cumule un nombre important de grandes maisons et une santé économique florissante : ce qui explique d’ailleurs le pourcentage de domestique femme à Cannes (60% en 1906 par rapport au reste de la France, Paris notamment et ses 83% à la même époque) : plus la maison est prospère, plus le personnel masculin est nombreux ; dès que l’on descend dans la hiérarchie sociale, l’élément féminin parmi les domestiques augmente.
Qui sont ces domestiques ?
Il est difficile d’avoir une vue précise de la situation car par exemple les journaliers sont déclarés soit ouvriers (agricoles ou non) soit domestiques de ferme soit valet de ferme dans les recensements, les servantes d’hôpital ou d’asiles sont quant à elles appelées infirmières.
Quoi qu’il en soit, tout en bas de l’échelle nous allons trouver les domestiques ruraux qui sont en fait des travailleurs au sens de productifs : ce sont nos manouvriers ou journaliers agricoles, les valets et servantes de ferme.
Tout en haut, nous trouvons les dames de compagnie, les précepteurs, les gouvernantes, les maîtres d’hôtels. Bref les domestiques de « la haute » : l’aristocratie et la grande bourgeoisie.
Entre ces deux catégories, nous retrouvons tous les autres : la servante que l’on appellera « la bonne » (terme qui se répand vers 1830/50) et que l’on appelait auparavant « soubrette » (terme qui désigne en fait une petite servante), le valet, la cuisinière … Mais aussi les domestiques d’institution (asiles, hôpitaux, …).
Il faut bien comprendre qu’au 19ème siècle toute la bourgeoisie, de la plus modeste à la plus haute, a SA servante ; n’oublions pas en effet que dans la société bourgeoise du 19ème siècle la bonne est une nécessité sociale : « sans bonne on ne serait pas bourgeois ».
L’employé de maison est donc le signe distinctif de la promotion sociale. « N'être pas servi vous rejette du côté des prolétaires ».
Ainsi, Marcel Cusenier en 1912 fait le constat suivant : « Certaines personnes prennent des domestiques alors que raisonnablement leurs minces revenus ne le leur permettent pas ».
Si l’on reprend l’exemple de Cannes, certes une ville économiquement attractive et prospère, on s’aperçoit qu’en 1891, 35 % des employeurs de domestiques sont des propriétaires, des rentiers, des retraités ou des sans profession, 22,1 % sont des commerçants et 17,1 % sont des professions libérales et des cadres. Les employés et les ouvriers représentent tout de même 12,3%% des employeurs de domestiques. Enfin, 8,7 % sont des artisans.
Bien sûr le nombre de domestiques à son service va varier en fonction des revenus de la maison : dans les grandes maisons urbaines ou rurales, la domesticité reste abondante jusqu’à la 1ère guerre mondiale
Ainsi en 1906 les Murat ont par exemple une résidence à Paris, un château à Rocquencourt et un autre à Chambly : ils emploient entre 35 et 42 domestiques.
Le cas des domestiques agricoles : comment les recrute-t-on ?
2 fois l’an se tenaient des foires où les exploitants faisaient leur marché en quelque sorte. C’est que l’on appelait les louées de la St Jean (24 juin) et de la st Martin (11 novembre).
Selon l’emploi recherché, les candidats mettaient un insigne sur leur chapeau ou leur corsage : l’épi désignait le moissonneur, le flocon de laine le berger, le charretier portait un fouet autour du cou, le valet de ferme arborait une feuille de chêne, la servante se parait d’une plume de volaille, la femme de chambre épinglait une rose à son corsage…
André Guérin (1899 – 1988 ; journaliste et écrivain, rédacteur en chef de l’ « Aurore », explique dans « La Vie quotidienne en Normandie au temps de Madame Bovary » à propos des femmes se présentant à la Louée de Montebourg en Normandie : « Elles sont venues dès l’aube s’asseoir sur les marches de l’église, sous la statue de Saint Jacques, couronnées de roses. Celles-ci ne sont point trop attifées, cela ne pourrait ne pas plaire, mais bien plus soucieuses de montrer qu’elles se portent bien et n’ont pas peur de l’ouvrage. Au besoin, on peut leur tâter le bras comme on tâte les flancs et les membres d’un bestiau, ceci pour s’assurer qu’elles seront aptes à porter des seaux de lait … ».
André Accart (1947-2008) décrit la louée des servantes d'Avroult dans le Pas De Calais – louées qui se sont tenues jusque 1914 (Etudes et Documents du Comité d'Histoire, n° 25) : « C'est là, sur la grand route, que, dès le matin, se rassemblent beaucoup de personnes de tous âges et des deux sexes, qui se placent sur deux lignes, les hommes d'un côté, les femmes de l'autre. Les fermiers et leurs ménagères se promènent gravement au milieu, jetant d'abord un coup d'œil sur l'ensemble de tous ces individus, singulier bazar qu'ils examinent avec le regard scrutateur d'un marchand turc ou d'un colonel d'infanterie.
Ces personnes revêtues modestement attendent impatiemment qu'on leur adresse la parole. Elles présentent leurs mains calleuses ; plutôt que d'y étaler une toilette hors de saison, le mantelet classique et le mouchoir sur la tête sont toute leur parure.
Les plus robustes, sur les certificats qu'ils présentent de leur moralité, de leurs services, sont souvent les premiers loués. Le prix convenu, les derniers adieux sont aussitôt donnés, maîtres et domestiques s'en retournent ensemble ».
Les qualités d’un bon domestique « urbain »
Le « Manuel complet des domestiques » de 1836 précise en préambule que « les domestiques sont regardés communément comme une fâcheuse nécessité. Pour quelques maîtres satisfaits, un grand nombre change continuellement de serviteurs ; un plus grand nombre tout en grondant s’abstient de changer de crainte d’en rencontrer de pires ».
Le « Manuel du valet de chambre » de 1903 explique sans détours quant à lui que « le métier de domestique est le seul où, sans aucun apprentissage, on trouve, du jour au lendemain, le vivre et le couvert, plus des gages qui sont tout profit. Il n’est donc pas étonnant de voir quantité de jeunes gens quitter les travaux des champs, pénibles et peu rétribués, pour aller servir dans les villes, comme domestiques ; ils s’en vont, sans idée aucune de ce qui leur sera demandé, croyant tout savoir et ayant tout à apprendre : maintien, langage, service».
Comment trouver LE bon domestique ?
Le « Manuel des bons domestiques » (1896) conseille d’avoir des domestiques soignés qui « se laveront les mains, seront peignés, et auront des vêtements en ordre avant de prendre leur service ». N’oublions pas toutefois que l’époque est à la chasse aux microbes pour la première fois de l’humanité et qu’il est bien évident que ces consignes n’étaient pas ou peu demandées auparavant.
Le « Manuel complet des domestiques » de 1836 demande aux domestiques « une obéissance portée jusqu’à l’abnégation, une fidélité scrupuleuse, un zèle de tous instans, une discrétion à toute épreuve, l’ordre, le désintéressement ». Des qualités que « les maîtres ont le droit d’exiger de leurs domestiques et qu’ils exigent tous à moins que ce ne soit des gens faibles, insoucians, sans esprit et sans caractère, qui ne savent pas se faire servir ».
Sources
Filles mères à Bordeaux à la fin du 19ème
Pierre Guiral et Guy Thuillier, La vie quotidienne des domestiques en France au XIXe siècle, Hachette, Paris, 1978.
La domesticité à Cannes à la belle époque de Christine Cecconi
La place des bonnes – la domesticité féminine à Paris en 1900– Anne Martin Fugier