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Les paysans face à la guerre

1 Octobre 2017 , Rédigé par srose

Tout est manifestement un problème de logistique ….

Théoriquement, le soldat de Louis XIV avait droit à une ration quotidienne de 2 livres de pain (734 g), ration qui était plus élevée pour la cavalerie et les officiers.

Si l’on considère que l’on a une armée de 60 000 combattants à l’époque de Louis XIV, on peut estimer avoir besoin de 90 000 rations de pain, car il faut ajouter aux combattants les hommes qui s’occupent du transport, les travailleurs qui suivent une armée et les rations supplémentaires pour les officiers qui sont mieux nourris). Ce chiffre est considérable si on considère 1/ l’absence de logistique de ravitaillement, 2/ les dévastations de la guerre n’aident pas aux travaux des champs et quand on sait 3/ que les capacités des moulins et des fours locaux sont insuffisantes.

Et que dire du fourrage ? Dans une armée théorique de 60 000 combattants, dont 20 000 cavaliers et 40 000 fantassins, plus les animaux de trait pour le transport de l’artillerie, du matériel de campement et du ravitaillement, il faudrait 40 000 rations de fourrage, une ration de fourrage correspondant à 25 kg de fourrage vert (un peu moins s’il s’agit de fourrage sec). Au total, on arrive donc au chiffre énorme de 1000 tonnes de fourrage à fournir chaque jour.

Impossible de tout faire venir de l’arrière par des magasins, car il aurait fallu un nombre considérable de chariots pour les transporter, lesquels chariots étaient tirés par des animaux de trait qui consommaient eux-mêmes du fourrage.

Bref, le déficit en logistique implique de se fournir sur les territoires conquis. D’où les réquisitions en nature ou en espèce. Auxquels s’ajoutent les pillages désordonnés de la soldatesque.

Les paysans face à la guerre

A noter que l’une des raisons du siège de Lille de 1708 était que la ville devait servir de magasin pour les troupes en route vers Paris.

 

Ce que subissent les villageois en temps de guerre

En temps de paix, les villages subissent une fiscalité ordinaire : la trilogie royale, paroissiale, seigneuriale : taille, dîme, cens/champart.

En temps de guerre, ce n’est plus la même chose.

- A court terme il faut prévoir un alourdissement de la fiscalité royale à laquelle s’ajoutent les réquisitions et contributions de guerre : les troupes exigent leur nourriture et le foin pour les montures et se servent sur les réserves du village et n’oublient pas à côté de piller et de massacrer … d’où une hausse de la mortalité.

- A moyen terme, le village s’appauvrit du fait des destructions et vols répétés ; les hommes s’endettent, les mariages se font rares, la natalité baisse.

- A plus long terme, les terres retournent en friche, plus de blé, plus de vignes plus de ressources. Disette, famine, malnutrition, épidémies.

Ainsi, pour ne donner que trois exemples en région wallonne : le village des Avins fut durant la guerre de Hollande (1671-1679) abandonné 3 ans par ses habitants ; la communauté de Hamoir perdit la presque totalité de ses biens communaux pour apurer les dettes contractes lors des guerres du 16 et 17ème siècle.

A Huy les guerres des 17 et 18ème siècle amènent la ruine d’une petite industrie sidérurgique ; la ville contracte suite aux guerres de Louis XIV une dette de près de 700 000 francs dont elle a à peine remboursé le 1/20ème lors du rattachement à la France.

Dans le Nord de la France, les Espagnols, en 1693, demandent 30 000 florins à Rumegies au titre des contributions de guerre !

 

Les paysans face à la guerre

 

Le principe des contributions

Les contributions étaient établies par des conventions passées entre les autorités locales et les représentants du roi : elles établissaient les obligations financières et promettaient la protection à ceux qui les payaient régulièrement. Les communautés et particuliers concernés recevaient un document dit de sauvegarde.

Les particuliers et communautés échangeaient des victuailles, des rafraîchissements, de l'argent, des terrassiers, des chevaux contre une lettre de sauvegarde qui les place sous la protection des gens de guerre. Dans la pratique, cela prend surtout la forme d'un chantage à l'incendie : pas de contributions = incendie du village..

 

Les paysans face à la guerre

pillage et incendie d'un village par Callot

Une sauvegarde : document délivré par les chefs de l’armée d’occupation attestant que telle personne avait payé sa part de contribution et devait être à l’abri des extorsions des gens de guerre

Un sauvegarde : soldat prêté à un particulier (souvent un chatelain, une abbaye, un couvent) pour servir de protecteur moyennant bien sûr finance.

 

Ceci étant même avec une sauvegarde, personne n'est à l'abri des exactions militaires.

Les autorités espagnoles vont tenter de réduire les nuisances que la soldatesque inflige à sa propre population. Ainsi, le 27 juin 1635, le cardinal infant ayant été informé que « aucun soldats tant de cavallerie que d'infanterie s'advancent à rançonner les maisons où ils sont logez sous prétexte d'empescher la ruine d'icelles, ou foule des autres (...) défendons aux soldats de ne prendre aucune chose es lieu ils passeront ou logeront, se contentant de la nourriture ordinaire de leur hostes (s 'il y en a) sans extorquer argent ou en recevoir soit de leur dicts hostes ou de ceux qu'ils rencontrent es chemins sous prétexte de rédemption de logis (...) à peine de trois traicts de cordes ou aultres plus griesve selon l 'exigence du cas".

 

Cependant ce principe des contributions ne peut fonctionner que si elles sont raisonnables ; trop importantes, les villages ne peuvent verser la totalité de ce qui est demandé; or en cas de non exécution, les représailles peuvent être disproportionnées : comme l'incendie du village en entier.

Les paysans face à la guerre

Dans les faits, ce principe dérapa très vite ; à tel point que lors des conférences de Deynze (au sud est de Gand) en janvier 1675, Français et Espagnols ont tenté de s’entendre pour limiter le niveau des contributions. Les négociateurs ont également condamner les incendies du moins tant que les populations n’ont pas déserté les villages et à la place il fut convenu que des otages pourront garantir le paiement.

Ce ne fut qu’un vœu pieux …

 

Les excès de guerre reprennent de plus belle : aux exécutions des uns répondent les représailles des autres. « S’instaure alors une arithmétique brutale : pour chaque maison ou village brulés situés sur un territoire placé sous la protection de Louis XIV, de 2 à 50 villages ou maisons ennemis sont condamnés à l’incendie. » Ainsi en 1684 Louvois ordonne au comte de Montal de brûler 20 villages près de Charleroi sous prétexte que les espagnols ont détruits deux granges placéess aux extrémités de deux villages français.

Ou encore Louvois à Chamilly le 6/10/1676 : « Je vois avec plaisir que vous avez commencé à brûler la vieille ville de Gand. Je vous prie de continuer … et de piller et brûler là jusqu’à ce que les populations aient rempli les engagements du traité .. et de ne cesser que lorsque vous serez informés qu’ils l’ont bien faits ».

Les paysans face à la guerre

pillage par Callot

 

Logement des troupes

Par ailleurs il ne faut pas oublier que les habitants doivent loger aussi les gens de guerre ; en principe le séjour des troupes est interdit dans les villages car les bourgs et les villes sont mieux armés économiquement parlant pour les géreer mais en fait les villes laissent le plus souvent tomber cette charge sur « les petits lieux de la campagne ».

En général les officiers vont loger chez les bourgeois, les sous officiers chez les plus gros cultivateurs et les simples soldats tant à la charge du reste de la population.

En 1747 à St Gilles dans le Gard, le maire se désole de voir un bataillon espagnol aux portes de son village et composé de 44 officiers, 663 soldats, 50 femmes et 100 chevaux. « Je vous avoue que ma situation est triste de nous voir dans la dure nécessité de mettre trois ou quatre soldats dans la maison d’un habitant qui n’a pas de pain à manger »

Un règlement de 1641 stipule pourtant de loger les soldats dans les halles granges et autres lieux couverts de façon à soulager les habitants. Mais encore une fois cette règle n’est pas observée il faudra attendre la construction de casernes qui débute au 18ème siècle pour avoir des endroits réellement spécifiques au logement des soldats, le logement chez l’habitant devenant l’exception regrettable ; ce sera le début des villes garnisons.

 

 

Les paysans face à la guerre

Caserne de Charras

En attendant les armées séjournent où elles peuvent, rançonnant, pillant, ravageant tout sur leur passage. Les hommes sont massacrés, les femmes violées puis massacrées, les enfants martyrisés, les villages sont pillés, tout ce qui ne peut être emporté est brulé, les troupeaux sont emportés, les puits empoisonnés, les arbres coupés, les terres dévastées, les récoltes volées, les loups en profitent pour rôder  autour des cadavres et  les taxations diverses finissent d’affamer les survivants en installant plus ou moins durablement la disette et la famine.

Les paysans face à la guerre

maraude de Callot

Les témoignages rapportent les mêmes faits, peu importe l’époque, les lieux ou les armées en présence.

Les survivants préfèrent alors fuir et abandonner leurs maisons ; ils affluent dans les villes avec pour seule conséquence de grossir la population d’indigents ; en attendant les labours ne se font pas, les semailles sont tardives, les vignes mal taillées. Bref l’économie d’un pays peut basculer très vite dans le rouge sans parler bien sûr de l’équilibre démographique très fragile déjà en temps de paix.

 

Voir ici et ici et encore ici pour des témoignages de pillages en temps de guerre

 

Sources

Prendre l'argent plutôt que le sang : la contribution de guerre au XVIIe siècle : Christian BAES

La pauvreté dans la région liégeoise à l’aube de la révolution industrielle de Nicole HAESENNE PEREMANS

Les villageois face à la guerre (14-18èm siècle) de Charles DESPLAT

Les occupations étrangères en Belgique sous l’Ancien Régime de VAN HOUTTE

De la guerre de siège à la guerre de mouvement : une révolution logistique à l’époque de la Révolution et de l’Empire de Jean Philippe CENAT

 

 

 

 

 

 

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