De la Maison commune au Capitole
Le Capitole de Toulouse se dresse à l’emplacement de ce que l’on appelait autrefois la Maison commune de Toulouse puis l’hostel de ville.
De cette première maison municipale ne reste aujourd’hui que le Donjon (l'ancienne tour des archives) datant du 16ème , les galeries de la cour Henri IV datant du 17ème , la façade du 18ème et la porte du petit consistoire datant de 1546
Donjon du Capitole, 1906
Revenons à notre maison commune.
Elle fut fondée en 1190 par les Capitouls mais on la mentionnera pour la 1ère fois sous cette appellation dans la chanson de la croisade des albigeois de 1216.
En 1190 donc les Capitouls achètent une bâtisse en bordure nord de l’ancien rempart romain appelé aussi mur sarrasin, à la jonction du bourg et de la cité, proche de la tour Charlemagne qui deviendra par la suite la prison communale. L’emplacement de cette tour est aujourd’hui matérialisé par un marquage au sol dans une allée qui va de la rue Lafayette au donjon du Capitole.
Le lieu retenu pour la maison commune est stratégique car loin du pouvoir comtal au sud (porte narbonnaise) et du pouvoir ecclésiastique à l’est (avec Saint Etienne) et en limite de la cité (la ville ancienne) et du nouveau bourg regroupant le quartier de st Sernin, le domaine des cuisines et le terroir de las crosses.
A noter que cette zone est tout proche de ce que l’on appellera plus tard le « quartier latin » toulousain.
Le plan de Toulouse ci dessous ainsi que le dessin un peu peu plus bas sont établis tel qu'on imagine Toulouse sous l'Antiquité : on peut y voir les 3 portes de la Cité et l'emplacement actuel de certains sites ce qui permet de visualiser mieux la ville au début du Moyen Age. La zone de la Porterie nous intéresse plus particulièrement ici.
Plan de Tolosa tiré de l'ouvrage de Jacques Frexinos
"Toulouse, histoire panoramique des origines à la révolution"
La Maison commune se situe juste en face de ce que l’on appelait au Moyen Age la Porterie. Il s’agit de l’une des 3 portes de la ville, celle au nord qui donnait accès à la route de Cahors, notre actuelle rue du Taur et la route d’Albi (actuelle route de Rémusat).
Aujourd’hui à l'emplacement de la Porterie nous avons notre place du Capitole.
Pourquoi ce nom de Porterie ? il s’agit de la déformation de Porta Arietis la porte du bélier; cette appellation nous vient peut être de l'antiquité si l'on en croit un morceau de bas relief avec un bélier trouvé lors des fouilles archéologiques de 1971 près de la tour ouest de la Porterie.
Ce n’est pas une simple porte, c’est en fait une forteresse avec deux tours de guet encadrant un bâtiment circulaire avec une petite cour centrale. Au début du Moyen Age cette forteresse existe toujours. Elle sera démolie avec le mur sarrasin au 13-ème siècle ou sera incorporée dans les maisons qui vont être construite à cet endroit, maisons qui seront à leur tour démolies au 18ème siècle lorsque l'on va dégager cet endroit pour en faire une place. Lors des travaux de 1729/1730 furent découverts en effet sous les maisons démolies les restes de la porterie :"c'est dans cette place et sous les maisons démolies en 1729 (...) qu'on découvrit la porte appelée porta Arietis (...) Dans le temps de cette démolition, on découvrit partie convexe d'une voûte environ trois pieds sous terre plus bas que le niveau de la place. On crut d'abord que c'en était une de cave ordinaire, parce qu'elle servait à cet usage. La pierre qui fut trouvée (...) excita les entrepreneurs de la démolition à pénétrer plus avant (...)Les deux côtés du passage étaient bâtis de gros quartiers de pierre (...) Le milieu de ce bâtiment, quoique presque entièrement dégradé de même que la voûte, était bâti de briques"; c'est ainsi que cette découverte fut racontée par Barnabé Farmian Durosoy, (1745-1792), journaliste et homme de lettres.
© Studio Différemment 2014 Illustrations : Jean-François Binet, Jean-François Péneau
Porte du bélier sous Auguste
4 = rempart
5 = passages latéraux
6= passage central
7 = cour
Vue des restes découverts au début du chantier du parking en 1970 : on voit bien comment était située la Porterie par rapport au Capitole à gauche
© Studio Différemment 2014 Illustrations : Jean-François Binet, Jean-François Péneau
2 et 3 = tour est et ouest
5 = cour circulaire centrale
4 = passages latéraux
Les fouilles de 1971 lors de la construction du parking sous la place du Capitole
Notre Maison commune va tout au long des siècles s’agrandir au grès des achats de bâtisses diverses et changer de nom ... En effet au 16ème siècle les Capitouls engagent des travaux pour agrandir ce qu'ils vont appeler désormais le Capitole : en 1522 jusque là l e nom de cette maison commune est Capitulum qui signifie Chapitre et qui est traduit en Capítol en occitan. En 1522, Pierre Salmon, greffier à l'hôtel de ville, latinise le nom en Capitolium, en référence au Capitole romain.
C’est à cette époque que vont être construits la tour des archives, (notre donjon du Capitole), le poids de l’huile (bureau municipal où les huiles, les jambons, les chairs salées étaient entreposées en entrant dans la ville pour y être pesées avant d’être livrées aux marchands, la tour de la poudre, et la prison des Carces , le logis de l’Agasse (agassa = pie en occitan) ou de l’écu (au 6 de la rue du poids de l’huile) et la chambre de l’artillerie, la bouille et le poids commun où sont conservés les poids municipaux qui permettent de peser et taxer les marchandises qui sont vendues en ville, et le grand consistoire qui sert aux cérémonies puis la chapelle et une nouvelle façade avec des tourelles d’angles de défense.
Au début du 17ème siècle, la cour Henri IV et ses galeries sont crées à leur tour.
Cour Henri IV - deparlemonde.com
C'est donc un ensemble de bâtiments très hétérogènes qui forment la maison commune ou Capitole, ensemble fortifié et percé de portes, le tout sur une superficie correspondant à l'actuel Capitole et le square Charles de Gaulle.
Les deux plans ci dessous nous donnent une image assez précise de ce que cela représentait au 18ème siècle.
Le Capitole, Wikipédia
Tiré de l'article de Messieurs PRIN et TOLLON : un projet inédit pour la façade du Capitole, Toulouse et Rome au 17ème siècle, 1997 dans la revue Mémoires de la société archéologique du Midi de la France
Le souci d’homogénéiser l’ensemble ne prendra véritablement corps qu’entre 1758 et 1768, avec la grande façade élaborée par l’architecte Guillaume Cammas. Mais avant de donner une façade digne de ce nom à la Maison commune, les Capitouls vont vouloir lui donner dès 1676 une place royale comme nous l'avons vu plus haut. Ils vont délibérer en ce sens :
« … que la démolition du moulon (pâté de maisons) qui est au devant de l’Hostel de Ville sera faicte pour y avoir une place carrée au milieu de laquelle sera mise l’effigie de nostre invincible monarque… »
Le Parlement de Toulouse s’y oppose ; les plans ne seront dressé qu’en 1730 par Antoine Rivalz (peintre toulousain, 1667-1735).
« resserré dès l’origine au milieu d’un dédale de ruelles sales et sombres, cet Hôtel (la maison commune) dominait cependant les lourdes et plates toitures de briques de la cité de toute la hauteur d’un donjon, flanqué de quatre tourelles élégantes qui indiquait et proclamait au loin la destination de la noblesse de la Maison commune »
Seront ainsi détruites notamment 11 maisons dans le moulon de Saint Quentin , opposé à l’hostel de ville, depuis la rue du collège Sainte Catherine jusqu'à la rue des Cordeliers, , le moulon où se trouvent les 7 maisons de mr de Puget, lieutenant des maréchaux de France, la maison du sieur Cassé et du sieur Pied pour continuer la façade jusque la rue du Petit Versailles, deux maisons attenant au collège Saint Martial, la maison qui fait le coin de la rue Sainte Catherine
Cette place nommée Royale, changera de nom au gré des régimes qui vont se succéder : c'est ainsi qu'en 1794 elle fut nommé place de la Liberté, en 1800, place d'Armes, en 1804, Place commune, en 1805, place de la Mairie, en 1812, place Impériale, en 1815, place Royale et en 1844 place du Capitole.
La façade de 135 mètres de long sera quant à elle construite de 1750 à 1760 en pierre calcaire et en briques.
L'article de Messiers Maurice Prin et Bruno Tollon, paru en 1997 dans la revue Mémoires de la société archéologique du Midi de la France, "Un projet inédit pour la façade du Capitole, Toulouse et Rome au 17ème siècle", nous donne un aperçu de ce que pouvait être le Capitole, du moins sa façade, avant d'être complètement refaite par Guillaume Cammas (peintre et architecte français, 1698-1777) au 18ème siècle.
Ce relevé daterait d'après 1671 si l'on se réfère au portail que l'on voit sur le dessin. C'est donc cette façade qu'a dû voir Guillaume Cammas, une façade de 68 mètres de long, aux allures de maison forte (à but défensif), avec un rez de chaussée aveugle et la présence d'échauguettes aux angles et à l'étage des ouvertures réduites.
La façade va donc être construite en pierre calcaire et en briques mais en 1771 les briques seront cachées par de la peinture blanche selon la coutume de l'époque; en 1883 on peignit les briques en rouge et la pierre en blanc et ce n'est qu'en 1988 que le la façade retrouva ses briques et ses pierres dans leur couleur originelle.
Pierre Barthès, toulousain né en 1704 dans une famille de foulonneurs de draps, est témoin de la construction de la façade dès 1750 et écrit ceci dans son livre "les Heures perdues" :
"le 26 de ce mois (août), à midi, les fondements de la façade de la Maison de Ville ont commencé à l'angle, près du collège Saint Martial, jusqu'à la porte de la Commutation. La première pierre fut posée en cérémonie par M. Lassère, Capitoul, avocat et chef du Consistoire, assisté par MM. ses collègues. On posa tout d'abord une tuile neuve, au milieu de laquelle on avait pratiqué un vide en rond, dans lequel on plaça une petite couronne de paille, sur laquelle on posa une pièce d'or de la grandeur d'un double louis, représentant d'un côté la figure du roi, et de l'autre une inscription relative au sujet. On la montra à tous les assistants puis l'ayant mise dans le vide, on la couvrit d'une couronne de pareille paille sur laquelle on renversa la première pierre, sur laquelle était gravée l'année et l'époque de ce nouvel ouvrage qu'on éleva sous la direction de M Cammas, peintre de la ville qui en a donné le plan :"Ceci arriva sous le Pontificat de Benoit XVIII, Louis XV, roi de France, étant Capitouls M. Lassère, avocat, chef du Consistoire, M. Filhol, M. Laulanié de Rigaud, M. Simorre de Lourdes, M. David de Baudrigues et M. Robert Cammas, dirigeant des travaux; les nommés Azéma dit Tatore et Quercy maçons, étant les entrepreneursla paix étant générale en 1750"".
Reproduction d'un daguerréotype de Bianchi de 1839 avec la façade du Capitole en blanc - Archives municipales de Toulouse
Sources
https://www.toulouse-brique.com/hoteldeville.html
http://www.studiodifferemment.com/telechargement/PDF/toulouseb32-porterie.pdf : une porte romaine sous la place du Capitole
https://www.urban-hist.toulouse.fr/uhplus/?context=adxg
https://www.inrap.fr/la-maison-commune-de-toulouse-ancetre-de-l-hotel-de-ville-11891
« L'ancienne place royale (Place du Capitole) », Revue de Toulouse et du Midi de la France, t. 23, 1866, p. 247-269
https://pop.culture.gouv.fr/notice/merimee/IA31133207 : site du ministère de la culture
https://books.openedition.org/psorbonne/3296?lang=fr : Toulouse au Moyen Age, les pouvoirs dans la ville de Quitterie Cazes
https://societearcheologiquedumidi.fr/_samf/memoires/T_57/07_Prin_Tollon.pdf : article de Messieurs Prin et Tollon sur la façade du Capitole
https://shs.cairn.info/revue-historique-2014-4-page-833?lang=fr : Les Heures perdues de Pierre Barthès, une chronique privée au xviiie siècle de Mathieu Soula
Le pont du Bazacle
Le pont du Bazacle
Le nom « bazacle » vient de vadaculum (petit gué) ; il désigne un site sur la Garonne constitué de bancs de marne dure traversant obliquement le fleuve. La faible hauteur des eaux à cet endroit en fait un passage pratique pour les hommes. Ce devait être d’ailleurs le seul point de passage du fleuve avant la construction du pont antique (le 1er pont vieux).
Il faut bien avoir en tête quand on étudie les ponts de Toulouse, les berges, le guet ou la Garonne elle même que la configuration topographique actuelle n'est pas tout à fait la même que celle des siècles passées et que les aménagements effectués par les hommes ont modifié l'ensemble de façon plus ou moins importante (voir à ce sujet l'article de Henri Molet).
bloc de marne blanche
Des fouilles archéologiques ont ainsi permis de prouver l’utilisation du gué comme passage depuis l’âge du bronze.
Manifestement les hommes ont eu à un moment besoin de pérenniser ce passage par la construction d’un pont : Georges Fouet, et Georges Savès, archéologues, ont effectué trois campagnes de recherches dans les années 70 sur ce site et ont découvert, sur ce gué, à 40 mètres en aval du barrage actuel (reconstruit en 1719 par l’ingénieur Joseph Abeille à l'origine de la reconstruction du pont de Pigasse) et à 250 mètres en amont du pont des Catalans, des vestiges prouvant l’existence d’un pont sans doute entièrement en bois dans les 1ers temps puis en maçonnerie.
Ils ont étudié un fragment de pile avec éperon, en briques et galets, située à une vingtaine de mètres à l’est de la tour d’angle de l’hospice de la Grave ; la pile mesurait 5 mètres de long et 3 mètres de large, et était haute de 1,80m.
Ils ont trouvé lors de leurs fouilles sur le gué plusieurs milliers de pièces diverses des 13 et 14ème siècles (monnaies, épingles, etc.) qui prouvent l'importance de la circulation sur ce pont.
Toulouse au 12ème siècle par Pierre Gérard -
Plan de Toulouse 1080-1208 soit avant la construction du pont du Bazacle qui a eu lieu quelques années après mais on peut voir en bas de la carte la chaussée et le gué du Bazacle, l'emplacement du chateau et des moulins et la porte Vital Carbonnel
Le pont du Bazacle a vraisemblablement été construit au début du 13ème siècle, à la suite de la croisade contre les Albigeois. Il était protégé par un château (le château du Bazacle) qui surveillait le gué et les moulins du même nom ainsi que la porte dite « de Vital Carbonnel ». Il ne s’agissait pas d’un point de passage important car assez excentré. Il servait essentiellement à l’usage des moulins d’après Georges Fouet et Georges Savès (L'emplacement réel du pont du Bazacle, dans L'Auta, n° 399, novembre 1973).
Toulouse, le patrimoine en images - éditions Privat
Le 13 septembre 1217, il était non achevé lorsque Raimond VI entra dans Toulouse. En 1218, on enregistre une donation pour son entretien. La Chanson de la croisade albigeoise, traitant des événements de 1219, spécifie d'ailleurs que ce pont était « nouvellement construit » ; le texte énumère en effet les chevaliers qui « an la charga del ponh nau del Bazacle, lo qual asta fact novelaman » (les ponts de Toulouse de Jean Coppolani, p.23).
En 1222, un texte cite « illo loco in quo pons Badaclei est constructus ».
Le pont est mentionné en 1271 et en 1350 ; en 1337 il est réparé de même qu’en 1391. On ne retrouve plus de mention du pont ensuite.
Il est à noter qu’en 1613 lors d’une crue de la Garonne qui provoqua la rupture de la chaussée du Bazacle, les vestiges d’un édifice romain apparurent, vraisemblablement un temple.
Deux témoins oculaires de ces vestiges surgis des eaux :
Bertrand de Laroche-Flavin « Recherches sur les antiquités et curiosités de la ville de Thoulouse », 1627, Toulouse. Exemplaire conservé à la B.M. Toulouse, cote res D XVII 499, daté de 1627, mais écrit vers 1618-21. « En cet endroit du moulin du Bazacle, il y a eu au temps passé quelque grand et superbe bâtiment car il se trouve encore dans l’eau de grandes et épaisses murailles et de grandes pièces de marbre et autre pièces élaborées à l’Antique ; y ayant esté trouvée une statue qu’on jugeait être de Pallas ».
Catel, Mémoires de l’Histoire du Languedoc, 1629, paru en 1633, Toulouse, Colomiez. Pages 123-124: « Temple au Bazacle : …mais je pese qu’il y a plus de raison de dire qu’il estoit tout contre le moulin du Bazacle, et entre l’hospital de la Grave et ledict moulin. Car il y a quelques années que la chaussée du moulin du Bazacle estant quasi du tout rompüe, et par ce moyen la rivière de Garonne estant fort basse du costé du bazacle, on descouvrit dans ladite rivière devers le moulin, des ruines d’un édifice très somptueux, lesquelles ayant esté veües par Souffron, et Bachelier, gens forts ingenieux et sçavans en l’architecture, ils trouvèrent que c’estoient des masures et ruines d’un grand temple, lequel estoit de marbre blanc basty avec telle solidité que les quartiers de marbre estoient liés ensemble avec des lames de fer cramponnées avec du plomb. Dequoy ayant esté adverty je fus aussi tost sur le lieu, et vis partie de ces ruines, entre lesquelles plusieurs batteliers s’occupoient à tirer le plomb qui avoit servy à faire tenir les crampons de fer. Je vis aussi plusieurs grandes pierres de marbre, où estoient entaillés a demy relief de grands personnages vestus à la romaine. Les masures de cet édifice estoient fort grandes, et commme en quarré, tesmoignant que ce temple ou édifice estoit enrichy de colonnes de marbre noir si grandes, quelles avoient trois pieds et demy de diamètre… L’ay appris dudit sieur Souffron que aux corniches desdites colonnes estoient entaillées des hiboux, ce qui donne sujet de croire que c’estoit le temple de Pallas. Ce temple semble avoir esté grandement fréquenté ; car l’on recognoit encores dans la rivière de Garonne des fondements, et vieilles masures de piliers qui estoient sans doute d’un pont pour aller du costé de Sainct Cyprien au susdit temple»
Toulouse renferne quantité de vestiges romains en son sein depuis des siècles et les divers vestiges de cette Toulouse romaine furent utilisées depuis le 13ème siècle pour créer notamment la chaussée du Bazacle.
Chaussée du Bazacle - collection Trudat (1840-1910)
Sources
https://societearcheologiquedumidi.fr/_samf/memoires/t_61/015-034-MOL.pdf
Chanson de la croisade albigeoise : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k103147b.image
Les ponts de Toulouse de Jean Coppolani
le pont du bazacle de Henri Paum Eydoux
Autour du Bazacle, la Garonne et les vestiges antiques de Henri Molet
FOUET et G. SAVÈS, « Le gué du ramier du Bazacle », dans L’Auta, août 1971, n° 381, p. 138-145 ; Idem, « Le gué du Bazacle, catalogue sommaire des trouvailles faites avant 1971 », dans L’Auta, janvier 1972, n° 384, p. 8-20 ; Idem, « L’emplacement réel du pont du Bazacle », dans L’Auta, novembre 1972, n° 399, p. 202-207 ; Idem, « Le gué du Bazacle, ses ponts et ses richesses archéologiques », dans L’Auta, mars 1977, n° 426, p. 73-81 ; Idem, « Les premières fouilles du Bazacle au XIXe siècle », dans L’Auta, octobre 1983, n° 489, p. 227-236
Le pont de Pigasse et l'arche de Tounis
Le pont de Pigasse et l'arche de Tounis
Le Pont de Tounis (qui n'a rien à voir avec l'arche de Tounis), reliant l’ancienne île de Tounis à la ville, enjambe la "Garonnette", ancien bras maintenant asséché de la Garonne, et est le plus ancien pont de Toulouse.
Plan de Toulouse - Rochefort 1670 - on peut voir comment se situe l'île de Tounis
Mais il a existé un autre pont plus ancien encore, traversant la Garonnette plus en aval, à l'endroit où la Garonnette débouchait dans la Garonne sous l’actuel quai de Tounis. Plus précisément il partait de la halle aux poissons (aujourd'hui rue de la Descente de la Halle aux Poissons) et arrivait à la pointe nord de l’ile. Il s'agit du pont qui se trouve au n°12 ci dessous :
Ile de Tounis avec le Pont Neuf tout à droite
Le n°12 correspond au pont de Pigasse ou pont en fil de fer qui est l'emplacement aujourd'hui de l'arche de Tounis (voir plus bas)
Le pont de Tounis est au n°8
La Garonnette figure au n° 7 (aujourd'hui il s'agit de l'avenue de la Garonnette)
La rue des abattoirs au n°11
La rue des Teinturiers au n°6
Jules Chalande (historien né en 1854 à Marseille et mort en 1930 à Toulouse) a retrouvé un texte dans les archives de Toulouse qui atteste de l’existence du pont de Pigasse en 1597.
Il semblerait qu’une crue l’ait détruit en 1608 et qu’il fut reconstruit en bois de chêne en 1612.
Il reprenait le tracé du Pont-Vieux, 1er du nom et fut dénommé Pont de la Halle (la Halle aux poissons était toute proche) ou plus simplement Pont de Bois avant de s'appeler pont de Pigasse pour une raison inconnue.
Hypothèse de restitution cadastrale en 1680
Plusieurs fois réparé, voire entièrement refait (il s’écroule en 1690 et fut reconstruit totalement en 1693 pour 1800 livres), il fut emporté par l’inondation de 1709. Malgré un appel d’offres lancé par les capitouls en 1711 puis en 1720, aucun artisan ne souhaite s’emparer du chantier.
En 1731 l’ingénieur Joseph Abeille (né en 1671 à Vannes et mort en 1756 à Rennes) se lance et reconstruit le pont de bois qui s’effondrera en 1764. (Joseph Abeille a apporté son expertise technique ainsi que des capitaux dans la réparation du moulin du Bazacle et la digue qu’il a construite est toujours celle actuellement utilisée pour produire de l'électricité).
Pont de Bois, dit pont de Pigasse. Plan de construction dressé par l'architecte Souffron, 1612, Ville de Toulouse, Archives municipales, DD213/1 (détail)
Pierre Barthès auteur des Heures perdues, ouvrage rédigé à partir de 1737 écrit à ce sujet :
« Le dimanche 8ème de ce mois (juillet), jour de la dizaine de l’île de Tounis où l’affluence du monde qui passe et qui se rend dans l’île après vêpres pour se divertir est très grande, entre 9h et 10h du soir, le pont qu’on appelle de Pigasse et qui va de la Halle aux poissons dans l’île, tomba dans l’eau, rongé de vétusté. La 3ème partie de l’édifice qui aboutit à Tounis vis-à-vis la maison de Dubarry, s’étant affaissée sur les piliers qui n’étaient plus que de bois pourri, n’ayant jamais été réparée, fut entrainé dans la chute. Personne ne se trouvait à passer dans ce moment funeste, ce qui a été regardé comme un bienfait du ciel, après la grande quantité de monde qui avait passé dessus pendant cette journée. »
il fut définitivement démoli en 1767.
Par la suite un bac sera utilisé pour que les Tounisiens puissent traverser la Garonnette depuis la pointe nord de l’île.
Pierre Barthès précise dans ses Heures perdues que « pour la commodité des bouchers, des habitants, des blanchers, des pêcheurs qui habitent Tounis, ont établi sans doute avec permission, un passage dans une barque pour la traversée où chacun pour le prix d’un liard, peut se faire passer sans pour remonter au pont de la Dalbade, ce qui allongeait beaucoup ».
Ce bac sera utilisé jusque vers 1829 date à laquelle on construisit au même endroit, un pont suspendu (réservé aux piétons) appelé par les toulousains le pont de fil de fer, long de 24m et large de 2m ; il a couté 4 295 frs et 99 cts.
Toutefois entre la décision de construire le pont et l’achèvement de celui-ci, les habitants de Tounis ont décidé d’écrire au maire de Toulouse, Joseph Viguerie, le 6 septembre 1830 :
« les habitants de l’île de Tounis ont l’honneur de vous exposer que depuis longtemps un bac placé sur le canal de fuite (la Garonnette) du moulin du Château leur facilitait le passage de l’île au pont, lorsque la construction du pont en fil de fer est venu interrompre le service de ce bac. Par la démolition de l’escalier de la halle (aux poissons) voilà plusieurs mois qu’ils se trouvent privés de ce passage qui leur est si utile, notamment aux bouchers qui sont obligés, chargés d’un lourd fardeau, de faire un long contour. C’est pourquoi Monsieur le maire, ils viennent solliciter de vos bontés, vu l’escalier provisoire établi à la halle, ordonner au fermier dudit bac de continuer son service, jusqu’à ce que le pont soit totalement achevé, et à défaut autoriser momentanément tout autre individu à faire ce service ».
Mais ce pont ne dura guère car il fut détruit vers 1854 pour faire place à un nouveau quai construit d’après le projet de l’architecte Urbain Vitry, né en 1802 à Toulouse, mort dans cette ville en 1863.
A la place du pont de Pigasse fut construit dans la maçonnerie du quai de Tounis, l’arche de Tounis pour laisser le passage à la Garonnette dont les eaux permettaient encore le fonctionnement du moulin du Château.
1ère photo : l'arche de Tounis et les quais avant 1950 (époque où la Garonnette existait encore) - à noter au loin le clocher de la Dalbade qui s'est effondré en 1926
Seconde photo : l'arche et les quais après 1950 (la Garonnette n'existe plus) et avant 2019, date à laquelle les berges furent rénovées - à noter la buse qui permet l'écoulement de ce qui reste de la Garonnette
Photos tirées du blog : Le Soulier Voyageur http://souliervoyageur.canalblog.com/
L'arche de Tounis et le quai de Tounis après les rénovations de 2018/2019
Photo tirée du blog : Le Soulier Voyageur http://souliervoyageur.canalblog.com/
L'arche de Tounis et sa voûte composée de 9 arcs et au loin le Pont Neuf
La largeur de l’arche est de 12 mètres et est composée de 9 arcs en pierres et en briques
Cette arche est aujourd’hui sèche à l’instar du pont de Tounis puisque la Garonnette a été comblée et asséchée dans les années 1950
1ère photo : la garonnette et le pont de Tounis avant 1950
2nde photo : la Garonnette est le ruisseau au milieu de la photo entre les deux espaces de gazon, le pont de Tounis au second plan
Photos tirées du blog : Le Soulier Voyageur http://souliervoyageur.canalblog.com/
Ce qui reste de la Garonnette aujourd'hui : un ruisseau ; au loin le pont de Tounis
Sources
Les heures perdues sur https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k132172x.image
L'île de Tounis de Jean-Marie Arrouy
Les ponts de Toulouse de Jean Coppolani
L’îlot de la rue de la Descente-de-la-Halle-au-Poisson à Toulouse de Yoan Mattalia
Le 1er pont vieux de Toulouse
Le 1er pont vieux de Toulouse
Le premier pont de Toulouse est le Pont Vieux, 1er du nom (il y en aura un autre plus tard). Le Pont Vièlh est à l'origine un ancien pont aqueduc construit au 1er siècle pour franchir le fleuve et pour alimenter Toulouse en eau. La légende attribue sa construction à la reine wisigoth Pédauque d'où son nom au Moyen âge de Pont de la reine Pédauque ou Pont de la Régine. Il ne s'appellera Pont Vieux que lorsque le Pont de la Daurade sera construit au 12ème siècle mais pour plus de commodité ici nous l'appellerons d'ores et déjà Pont Vieux.
il est à noter toutefois que les historiens ont longtemps contesté le fait que l'ancien pont aqueduc corresponde à ce que les textes médiévaux appellent le pont vieux (le 1er du nom). Les avis sont partagés mais il semblerait toutefois au vu des découvertes archéologiques qui ont été faites que l'on puisse imaginer qu'il s'agisse bien du même ouvrage... Affaire à suivre.
Reconstitution de la Tolosa antique vers le 5ème siècle où l’on voit l’aqueduc à droite et l’emplacement des sites actuels de Saint Sernin , Saint Etienne et le Capitole ainsi que le Pont Neuf qui bien sûr à l’époque n’existaient pas
Voyons un peu comment se présentait le pont aqueduc antique long de près de 9 km : il comprenait deux sections :
- La première est souterraine et va de Monlong à la Cépière en passant sous les immeubles de Bellefontaine (notamment sous l'immeuble Camus), de la Reynerie et du grand Mirail; cette section captait les sources proches et amenait les eaux par un canal souterrain jusqu’à la Cépière où devait se trouver un château d'eau. L'abbé Georges Baccrabère, archéologue et historien toulousain né en 1920, énumère une vingtaine de sources sur ce parcours (dont sept dans le parc du Mirail, cinq dans celui du château de la Réynerie).
- La seconde section, aérienne avec ses 517 arches commençait donc à la Cépière pour virer à 90° plein ouest empruntant le tracé actuel des routes de Saint Simon, de la rue de Cugnaux, où une quinzaine d'arches ont été exhumées au XIXe siècle, et de la rue des Teinturiers, et culminant à 5 mètres au-dessus de l’actuel quartier Saint Cyprien pour rejoindre la Garonne. Le nom de la rue des Arcs Saint Cyprien (Cami dels Arcs) est le souvenir de la présence de l'aqueduc à proximité.
Dessins de Christian Darles d’après les travaux de Pierre Pisani et de Badie et Gassend
Le pont aqueduc traversait ensuite le fleuve environ 200 mètres en amont de l'actuel Pont Neuf, et atteignait la rive droite au niveau de la rue de la Descente de la Halle au Poisson où l'eau était stockée dans un premier réservoir. Puis l'aqueduc, descendant jusqu’au niveau de la chaussée, poursuivait jusqu'à l'actuelle place Rouaix où devait se trouver là aussi un château d'eau.
Tracé du pont aqueduc en fonction des traces et vestiges archéologiques retrouvés
Illustration de Philippe Biard donnant une idée de ce qu'était le pont aqueduc en fonction
de sa situation sur le tracé
On retrouve les vestiges d'un réservoir à l'emplacement de l'actuelle école Lespinasse près de la place Olivier à Saint -Cyprien (article de la Dépêche du 25/08/2017 ).
Autre vestige de ce pont : une arche de pont est enfouie à 3 mètres de profondeur sous le tronçon nord de la rue de la Descente de la Halle aux Poissons et n'est accessible que par les caves des immeubles voisins. Il semblerait que ce soit aussi les vestiges du premier « pont Vieux » de Toulouse qui aboutissait vraisemblablement dans ce secteur après avoir traversé la pointe de l’ile de Tounis.
On peut supposer que le pont adueduc de Toulouse ressemblait à l'aqueduc du Gier près de Lyon, encore debout :
Bertrand du Puy des Grais, avocat né en 1639, donne déjà à l'époque une description (spartiate) du tracé de l’aqueduc de Monlong à la Garonne :
Plan reconstitué de Toulouse antique, dans Bernard Dupuy des Grais, "Tolosae antiquae chorographia", 1713, Bibliothèque municipale de Toulouse, Ms. 1254.
Ce pont est encore utilisé au 12ème siècle mais sans sa fonction d’aqueduc ; plus précisément il apparaît pour la première fois dans les textes en 1152 ; il est le seul pont à cette époque permettant de franchir la Garonne. Il permet le passage des marchandises et des voyageurs notamment les pèlerins qui vont à Compostelle.
Mais il subit les vicissitudes du temps... En 1258 il est emporté par la Garonne en crue ; en 1281 il s’effondra sous le poids de 200 personnes qui regardaient passer une procession de bateaux : « L’an 1281 et la veille du jour de l’Ascension, une partie du Pont-Vieux s’écroula pendant que la Confrérie des Bateliers de la Dalbade faisait sur la Garonne sa procession accoutumée. Les spectateurs qui s’étaient portés en grand nombre sur ce pont furent entraînés dans sa chute et 200 personnes périrent dans les eaux du fleuve ».
Le 30 mai 1485 le pont est entouré par un "soudain débordement de la Garonne". En 1508 il "croula quasi d'un bout à l'autre". En 1508 et en 1523 des crues emportent une partie de l'ouvrage. En 1524, le tablier en bois est refait.
Il sera remplacé progressivement par le pont de la Daurade construit plus en avant à partir de 1153 et sera abandonné totalement à partir de 1556. Il n'apparaitra plus entier sur les plans de la ville à partir du 17ème siècle.
Extrait du plan de Toulouse par Albert Jouvin de Rochefort en 1680 montrant en jaune les restes du pont vieil de pédauque
Extrait du plan de Toulouse de 1663 par Nicolas Berey (Musée Paul-Dupuy, inv. 20.6.1) montrant les ruines de l'aqueduc antique. Tirage photographique couleur, 13 x 18 cm. Ville de Toulouse, Archives municipales, 2 Fi 1305 détail.
Au 17ème siècle, l’historien toulousain Guillaume Catel donne une description des vestiges du pont vieux (Guillaume Catel, Mémoires de l'histoire du Languedoc, 1633, p. 127-128 et 194-195) :
« L'aqueduc [...] estoit continué jusques dans la ville, passant à travers la riviere de Garone, dans laquelle se treuvent encore les fondemens des piliers de brique qui portoient ledit aqeuduc. Et peut estre estoit il continué dans la riviere par piliers & arceaux à la façon d’un pont, d’où vient qu’il est appellé par le peuple, le Pont de la Regine Pedauque, c’est-à-dire pied d’oye, d’autant qu’il estoit si estroit qu’un homme, ou autre animal n’y pouvoit si commodement passer, qu’une oye. [...] Ce Pont est appellé le Pont Vieil depuis longues années, pour le distinguer de celuy de la Daurade [...]. Ce Pont Vieil estoit de structure romaine ou plustost Gotthique ; car il est fait grossierement, comme l’on peut recognoistre à l’arcade, qui reste encores dans la maison du Sieur Raché, laquelle est bastie de brique, & de pierre fort grossierement. »
Vestiges du pont de la reine Pédauque à droite du Pont Neuf et vestiges du pont de la Daurade à gauche -
Gravure de 1730
Il restait encore fin 19ème siècle deux piles visibles aux basses eaux et qui furent emportées lors de la crue de 1875.
En 1949, la dernière pile, qui émergeait à une trentaine de mètres de la rive actuelle de la Prairie des Filtres connue comme le « rocher de Carnaval » ou rocher de Callebe, est démoli. Le terme de Callèbe semble désigner le dispositif de bascule en bois qui y était implanté.
Il est possible que l’on y suspendait une cage en fer, la « gabio » (en occitan gàbia qui veut dire cage), utilisée du XVIe au XVIIIe siècle pour le supplice qui consistait à plonger à plusieurs reprises dans le fleuve une personne condamnée pour prostitution ou proxénétisme ou pour blasphème : ceux qui survivaient à la noyade étaient reconnus innocents... Le terme de gabio va donner son nom au port de la Gabio sur l'ile de Tounis, à proximité de la pile en question.
A noter que la rue du Pont-Vieux dans le quartier Saint Cyprien – nom qu'on lui donne dès le 13ème siècle – rappelle la présence de ce pont qui franchissait la Garonne dans l'axe de cette rue et atteignait la pointe nord de l’île de Tounis pour arriver dans la rue de la Descente de la Halle aux Poissons.
Représentation du Pont Vieux en miniature sur la couverture d’un livre des tailles de 1480.
Ville de Toulouse, Archives municipales, CC 164
Sources
Toulouse au 12ème siècle par Pierre Girard
Les ponts de Toulouse de Jean Coppolani
Evocation du vieux Toulouse de Robert Mesuret
https://aqueduc.jeb-project.net/
https://www.bazarurbain.com/2087/laffaire-de-laqueduc-dit-de-la-reine-pedauque-episode-2/
focus sur l'aqueduc gallo romain : https://www.calameo.com/books/006765105182e1cecfb69
Documents des Archives de Toulouse sur le sort réservé aux maquerelles : https://archives.mairie-toulouse.fr/documents/10184/311548/FRAC31555_Bas-Fonds-2016-10.pdf/96cc1376-1603-4ae4-a80d-fc5bfc6b4fca
Comment survivre quand on est pauvre aux 18 et 19ème siècles ?
Comment survivre quand on est pauvre ?
La pauvreté ne doit pas se résumer à la situation d’une personne à un instant T. La catégorie des personnes pauvres est en effet très hétérogène : elles n’ont pas toutes le même statut social ni la même capacité à survivre en temps de crise. Il est donc nécessaire à mon sens de prendre en considération le fait que les individus ne vivent pas uniquement dans le présent mais qu’ils essayent aussi de se prémunir contre un avenir encore plus sombre (maladie, accident, décès du conjoint, perte de son emploi etc). Ce qui est intéressant donc d'analyser c'est la façon dont les individus vont tenter de se prémunir contre les accidents de la vie (quand ils y pensent et s'ils ont la capacité d'anticiper cela) et une fois catapulté malheureusement dans une telle situation, de voir quels sont les comportements qui vont leur permettre de survivre.
La jeune mendiante - Léon Jean Basile Perrault (1832-1908)
Car pour tous ceux qui n’ont que leur travail pour vivre voire survivre, cet aléa qu'est l'accident de parcours quel qu'il soit (professionnel, familial, physique, financier) est fondamental à une époque où il n'existe aucune aide étatique. D’autant plus pour la gente féminine qui de facto part avec un handicap de taille : être une femme dans un contexte politique, social, économique encore plus compliqué pour elle que ne l’est notre vingt et unième siècle.
Qui est pauvre ? qu’est ce que c’est être pauvre ? Depuis le Moyen Age, les textes décrivent le pauvre comme celui qui n’a que son travail pour vivre et qui est susceptible d’être une charge pour la communauté.
Condorcet, philosophe des Lumières, le définit comme « celui qui ne possède ni bien ni mobilier [et qui ] est destiné à tomber dans la misère au moindre accident »
Laurence Fontaine, directrice de recherche à l’EHESS (école des hautes études en sciences sociales) distingue dans son livre "Vivre pauvre" :
- les pauvres « structurels » : c’est-à-dire ceux qui ne peuvent plus travailler notamment les personnes âgées, les infirmes, les veuves soit à peu près 4 à 8% de la population des grandes villes européennes entre le 15 et le 18ème siècle.
- Les pauvres "conjoncturels" : ceux qui vivent d’emplois instables et donc de maigres salaires et qui sont à la merci de la moindre fluctuation du prix du pain soit 20% des habitants des villes.
- Les ouvriers, les artisans, les détaillants pour lesquels la moindre crise économique ou difficulté familiale les fait basculer dans la misère c’est-à-dire 50 à 70% des citadins
- Les victimes de guerre et d’épidémie
De quels moyens peuvent-ils user pour éviter de tomber dans l’indigence ? Certes la réponse va dépendre de l’époque, du pays et bien entendu des individus eux-mêmes mais il est possible de dégager une réponse plus globale en s’appuyant sur la documentation liée à ce sujet.
Il s’avère que la pluriactivité est la 1ère des stratégies : ainsi Antoine Latour, colporteur lyonnais habitant à Lyon chez un voiturier au 18ème siècle : « l’hyver il vend quelques almanachs et l’été des couteaux, des cizeaux, et des lunettes qu’il achète par demi douzaines » et lorsqu’ « il manque d’ouvrage, il fait des neuvaines et des pèlerinages pour ceux qui le payent ». il ne mendie pas mais « va quelques fois manger la soupe à la porte des couvents ».
La pluri activité va entraîner dans de nombreux cas un phénomène de migrations. En effet cette pluriactivité peut se décliner de multiples façons : exercer plusieurs métiers dans une même journée ou partir loin de son domicile et n’y revenir que le soir, la fin de la semaine ou la fin du mois voire au bout de plusieurs mois. Voir un article ICI.
Avec la construction des chemins de fer, on voit apparaître ces migrations quotidiennes ou hebdomadaires. Mais bien avant le rail, ce type de migration existait. Par exemple dans la région lyonnaise, on a les jeunes filles des campagnes qui allaient travailler dans les soieries de Lyon et des alentours ; elles ne pouvaient pas se déplacer tous les jours au vu de leurs longues et pénibles journées de travail aussi elles gagnaient la fabrique en début de semaine à pied (ou en train quand il est arrivé) en emportant la nourriture de la semaine (pain de seigle, fromage, pommes de terre, légumes secs) et en couchant dans des dortoirs de fortune pour ne revenir chez elles qu’en fin de semaine.
Mais ce peut être également avoir plusieurs activités successives qui vont se décliner sur un périmètre géographique plus étendu cette fois ci. Et c’est ce que l’on va retrouver le plus souvent : les journaliers vont louer leurs bras là où il y a du travail (moissons, vendanges, chantiers). Les colporteurs vont aller là où ils auront le plus de chance de vendre leur camelote. Et individus sans domicile réellement fixe vont être assimilés aux vagabonds au sens pénal du terme et être passible d’une condamnation pour cela !
Ce peut être aussi exercer différents métiers tout au long d'une vie : on va trouver ainsi un Auvergnat du Puy de Dôme qui de 1800 à 1860 va être successivement ramoneur rural, chiffonnier, ramoneur à Paris, brocanteur ambulant. Un autre sera porteur d’eau à Paris, puis vendeur de charbon, et enfin tenancier de café.
Voir pour approfondissement sur les vagabonds et les migrations liées au travail les articles suivants :
- qui sont ces gueux et autres vagabonds que l'on enferme?
- conditions de vie des ouvriers / niveau de vie 1
- conditions de vie des ouvriers : les filatures au 19ème siècle 2
Les travailleurs de force du Velay, du Brivadois, du Livradois vont jusqu'en Sologne pour défricher, curer les fossés, créer des étangs. Les travailleurs du Forez vont louer leurs bras en Piémont ou en Milanais. Les peigneurs de chanvre du Dauphiné descendent dans la plaine du Pô chaque automne etc. Tous vont chercher du travail loin de chez eux chaque année.
Lors d'une enquête agricole réalisée en 1852, on constate que le bassin parisien et la région du Nord attirent 374 000 travailleurs saisonniers agricoles, le midi méditerranéen 103 700. Ces travailleurs partent du Puy de Dôme (21 000) de la Haute Loire (15 200), de l’Aveyron (11 800) de la creuse 11 000, de l’Aisne (104 00), de la Sarthe (8 300).
Hors du secteur agricole, 23 000 travailleurs partent de la Creuse en 1825 pour travailler dans le bâtiment, ils sont 45 000 en 1885.
Déjà sous Napoléon, des chaudronniers cantaliens sont signalés en Espagne et jusqu'en Belgique, des scieurs de long aveyronnais et des marchands auvergnats se retrouvent en Catalogne et en Castille, des gouvernantes de l'Est de la France vont jusqu'en en Bohême, des vitriers du Piémont sont mentionnés dans de nombreux départements de l'Empire.
Migrations saisonnières des morvandiaux au 19ème siècle
Exemple de Saint Maurice la Souterraine dans la Creuse (en 1831 la commune compte 1903 personnes) : du 27/02 au 29/05/1832, 136 migrants à destination sont recensés via les livrets ouvriers dont 63 maçons, 26 aide maçons, 1 tailleur de pierre à destination de Paris. 10 paveurs et 3 aide paveurs vont en Charente inférieure ; 4 paveurs vont en Charente ; 3 paveurs et un aide vont en Dordogne ; 3 paveurs vont en Corrèze, 1 maçon, 7 paveurs et 2 aides vont en Gironde ; 1 paveur se rend en Aveyron ; 9 paveurs iront dans le Puy de Dôme et 2 couvreurs de paille sont en Seine et Oise.
Cette migration saisonnière est également "une économie de l'absence". C'est à dire qu'en migrant les hommes, les familles vont permettre à la communauté d'économiser le pain qu'ils ne mangeront pas. Ainsi chaque année au moins vingt mille partent du Dauphiné "ce qui épargne à la province 40 000 quintaux de consommation pendant 6 mois" écrit l'intendant dauphinois Fontanieu au 18ème siècle.
La revente de produits (obtenus légalement ou non) est aussi le métier secondaire par excellence de tous ceux qui ont du mal à survivre. Colportage de denrées alimentaires, vente de plats que les femmes ont préparés, colportage de menus objets du quotidien (rubans, mouchoirs, aiguilles, fil, épingles, crochets, boucles de souliers, boutons, miroirs, gants, peignes, jarretières, bas, plumes à écrire, couteaux, fourchettes, lacet etc). Ces colporteurs et autres vendeurs ambulants parcourent également tout le pays pour acheter et revendre. Dans une enquête réalisée sous le 1er Empire, on note déjà que les colporteurs des Basses-Alpes, du Cantal, du Puy-de-Dôme, de la Meuse ou des Pyrénées sont signalés partout dans l'Empire et que les marchands de peaux de lapin et de lièvre auvergnats fréquentent le Bassin Parisien et jusqu'à la Bretagne.
Gérolamo, le vendeur ambulant - 1872
Mais ces ventes se font sans l’autorisation des autorités le plus souvent ce qui entraîne des arrestations qui peuvent tourner à la révolte : en février 1751, à Paris, « plus de cinq cents personnes de différents sexes » empêchent les maîtres pelletiers fourreurs d’arrêter un colporteur de peaux de lapin ; en juin 1769, du côté de la Bastille, « une grande multitude d’auvergnats et porteurs d’eau » tentent en vain d’empêcher les jurés de la corporation des fabricants de bourses à cheveux et autres petits articles de mode d’arrêter un marchand de parasols et parapluies.
Louis Sébastien Mercier dénonce dans son Tableau de Paris toutes ces actions destinées à exclure les petits vendeurs : « rien de plus fréquent et et rien qui déshonore plus notre législation. On voit souvent un commissaire avec des huissiers courant après un vendeur de hardes ou après un petit quincaillier qui promène une boutique portative. … on dépouille publiquement une femme qui porte sur son dos et sur sa tête une quarantaine de paires de culottes. On saisit ses nippes au nom de la majestueuse communauté des fripiers […] on arrête un homme en veste qui porte quelque chose enveloppé sous son manteau. Que saisit on ? des souliers neufs que le malheureux avait cachés dans un torchon. Les souliers sont enlevés par ordonnance, cette vente devenant attentatoire à la cordonnerie parisienne ».
Gérard Portielje (1856-1929), le vendeur itinérant
Sans patente, point de vente ! En 1796, Marie Denise Toutain, femme d’un charpentier et sa soeur Antoinette sont arrêtées pour avoir vendu sans patente des vêtements à la foire de Meaux. Elles confectionnent des vêtements d’enfants dans de vieux habits et elles vendent des marchandises que leur a confiées une marchande fripière. Leur avocat au procès déclare « les femmes Moreau et fille Toutain sont comme beaucoup de citoyennes de toutes les communes de la République qui, comme elles fabriquent des hardes d’enfants avec de vieux linges qu’elles se procurent , hors d’état de payer la moindre patente, le fond de commerce de la plupart d’entre elles n’équivalent pas au prix de la plus petite patente ».
Un autre marché qui fonctionne bien est la location d’un logement ou d’un lit à plus pauvre que soi. A noter que ce sont souvent des femmes qui tiennent ce genre de commerce. A Paris la moitié des femmes enregistrées comme logeuses en 1767 sont des veuves.
Ces logements même insalubres et d’une taille ridiculement petite sont une nécessité pour tous ces colporteurs et journaliers qui sont régulièrement sur les routes ou tout simplement loin de chez eux et n’ont que peu de moyens à consacrer à un lit.
Cependant dès le 18ème siècle les autorités vont là aussi mettre en place des contrôles : à Bordeaux le 8 octobre 1768 la police trouve chez Clément Marselou qui loue avec sa femme et trois de ses enfants une chambre et une « rochelle » à l’étage à trois femmes établies depuis un mois et demi et à 35 vendangeurs des deux sexes. Aucune déclaration n’a été faite par sieur Marselou depuis 1767. Il est condamné à une amende de 25 livres.
Une activité supplémentaire, moins visible mais tout autant essentielle, contraignante, physique pour la personne dite pauvre, consiste dans l’utilisation des biens communaux : ceux-ci sont essentiels pour la survie : lande, forêt, zones marécageuses ou pâturages, tous ces endroits vont permettre à ceux qui peuvent y accéder de trouver du bois pour se chauffer, des herbes, des noix, des baies, du gibier. Mais ces biens ne sont pas accessibles à tous et l’administration a toujours essayé pour des raisons légitimes ou non d’en restreindre l’accès au grand désarroi des populations.
Pierre Edouard Frère - Enfants ramassant des brindilles dans la forêt
En 1727 au Pont de Beauvoisin, le jeudi de l’ascension, les femmes se jettent sur le sergent qui s’apprêtait à donner lecture devant la porte de l’église et en présence de deux hommes de la maréchaussée, d’une ordonnance interdisant aux troupeaux l’accès des secteurs protégés. Elles crient « qu’on ne les empêcherait pas d’aller dans leur bois, qu’elles tueraient plutôt tous ceux qui voudraient les en empêcher ».
Au 18ème siècle, de nombreuses interdictions voient le jour empêchant les gens de s’adonner à des activités leur permettant de joindre les deux bouts : interdiction de glaner dans les champs tant que les gerbes sont à terre, tant que la dîme ou les droits du seigneur ne sont pas levés ; interdiction de chaumer ou d’arracher le chaume à la main ou au râteau pour la nourriture des bêtes, la litière des étables, la réparation des toits avant fin septembre.
C’est ainsi qu’en 1775 à Etrépagny en Normandie, les femmes accueillent à coup de pierres les cavaliers venus les arrêter car elles glanaient alors que les gerbes étaient à terre et que la dîme n’était pas encore prélevée.
Sources
https://www.ariege.com/decouvrir-ariege/autrefois-en-ariege/colportage-haut-couserans
Vivre pauvre, quelques enseignements tirés de l’Europe des Lumières - Laurence Fontaine
Histoire du colportage en Europe (15-19ème siècle) - Laurence Fontaine
Les migrations des pauvres en France à la fin du 19ème siècle : le vagabondage ou la solitude des voyages incertains – Jean François Wagniart
Les migrations temporaires françaises au XIXe siècle. Problèmes. Méthodes - Abel Chatelain
Les migrations saisonnières en France sous le Premier Empire - Roger Béteille
Mobilité du travail, migrations de travailleurs, Europe 1830-1940
Prise en charge des enfants trouvés
Prise en charges des enfants
Sous l’ancien régime l’assistance envers les enfants abandonnés s’est exercée de 3 manières différentes :
Par les seigneurs justiciers en vertu d’un droit d’épave qui fait d’eux les héritiers des bâtards nés dans leur seigneurie ; un arrêt du Parlement de Paris du 13 août 1552 renouvelle cette obligation et l’étend aux enfants trouvés et non aux seuls orphelins. Les seigneurs laïcs ou ecclésiastiques prennent en charge l’entretien de l’enfant et se dédommagent sur les biens que celui-ci pourrait détenir.
Le Parlement de Paris en 1530 enjoignait par ailleurs les seigneurs justiciers à participer proportionnellement à la dépense nécessitée par ces enfants dans la limite de 960 livres parisis.
Il est à noter qu’encore en 1777 l’hôpital de Calais se cache derrière cette règle pour ne pas prendre en charge les enfants abandonnés et les envoyer à Paris : « le roi étant seul seigneur foncier, gros décimateur et haut justicier de tout le Calaisis, et jouissant des droits d’aubaine, de bâtardise, etc, devait être chargé des enfants trouvés ».
Dans les faits force est de constater que les seigneurs justiciers vont s’efforcer de placer l’enfant trouvé ou orphelin au sein des institutions charitables de leur fief.
Par les administrations hospitalières et institutions charitables : comme on l’a vu dans un précédent article il existe peu d’institutions spécialement dédiées aux enfants trouvés au Moyen Age hormis l’ordre du Saint Esprit (ordre hospitalier du Saint Esprit fondé à la fin du 12ème siècle par Guy de Montpellier). Mais surtout ces institutions ne gèrent que les enfants nés « en loyal mariage », ce qui exclut de facto les bâtards, les enfants nés de viol, les enfants nés de la misère…
Par Anonyme, religieuse du St Esprit
Une lettre patente de Charles VII du 4 août 1445 donne une explication de cette exclusion : « si les revenus dudit hôpital étaient employés à nourrir et gouverner lesdits bastards, illégitimes … pourroit advenir que moult de gens s’abandonneroient et feroient moins de difficultéz de eulx abandonner à pescher quand ils verroient que de tels bastards seroeint nourris davantage et qu’ils n’en auroient pas de charge première ni sollicitude ».
Toutefois rareté ne veut pas dire absence et des institutions sont mises en place, liées à des initiatives privées. A Saint Omer et à Béthune les Bleuets et les Bleuettes (noms donnés aux orphelins à cause de la couleur de leur costume) sont recueillis dans des asiles spécialement fondés par de généreux donateurs.
Marguerite de Valois Angoulême, soeur de François 1er , fonda en 1536 sous le titre d’Enfants Dieu (qui devint ensuite les Enfants rouges du fait de la couleur de leur vêtement) un hospice pour les enfants dont les parents sont morts mais maintint la même exclusion pour les enfants trouvés. Il se situait au 90 rue des Archives à Paris.
Ceci étant comme on l’a déjà noté précédemment, face à l’afflux grandissant d’enfants trouvés, les hôpitaux et autres institutions durent les prendre en charge malgré tout.
L’œuvre de saint Vincent de Paul changea les mentalités à leur égard comme on l'a vu précédemment.
Par les villes et villages par l’intermédiaire de la table ou bourse des pauvres notamment mais pas que ; en effet selon les territoires, les enfants étaient pris en charge par des moyens divers. Ainsi à Lille des officiers appelés gard’orphènes, bourgeois de la ville de par leur statut, étaient nommés par les échevins pour veiller aux intérêts des enfants orphelins. Dans les registres de la ville d’Amiens, se trouve un chapitre intitulé Deniers mis en warde : il s’agit d’une caisse ouverte par les magistrats de la ville destinée à recevoir les capitaux recueillis pour les orphelins. Certes il s’agit là encore d’enfants dont on connait les parents et non d’enfants trouvés…
L'ordonnance de Moulins de 1566 dans son article 73 énonce de façon claire que les enfants abandonnés sont à la charge des habitants des villes, bourgs et villages dont « ils sont natifs et habitants ». Il n’y a pas de distinction entre les orphelins d’un côté et les enfants trouvés de l’autre mais force est de constater que ce sont les 1ers qui vont être pris en charge de prime abord pour essentiellement éviter que cela n'incite à l'abandon d'enfants.
Coût de la prise en charge
Par souci d'éthique, de morale, de charité mais aussi de coût financier, la recherche des parents est donc prioritaire dès qu’un enfant abandonné est trouvé, pour éviter qu’il ne soit une charge pour la paroisse, le seigneur ou les institutions charitables.
On va procéder par des criées dans les rues en promenant le bébé. On encourage les dénonciations par des récompenses : ainsi en 1527 à Lille on donne 34 sous à un homme chargé de reconduire à Tournai un enfant dont il a dénoncé l’origine.
La mère peut dénoncer le « père » sous la foi du serment mais est ce bien le père… en fait tout est mis en place pour trouver finalement non pas le père géniteur mais un père nourricier. Ainsi en février 1676 à Paris un homme marié fut condamné à se charger de l’entretien d’un enfant alors qu’il a pu être prouvé que la mère entretenait des rapports intimes avec le vicaire …
L'Enfant recueilli, tableau de Michel Philibert Genod
Malgré le nombre d’institutions charitables existantes dans les villes, le nombre d’enfants abandonnés reste énorme et les ressources faibles. Les nourrices manquent en ville et il faut se résigner à envoyer les nourrissons à la campagne. Les hôpitaux vont donc mettre en place tout un réseau d’informateurs pour trouver des nourrices : curés, accoucheuses, anciennes nourrices …
Sans compter le fait que la majorité des enfants nés en province ont été rapatriés, faute de moyen sur place, sur l'hôpital de la Couche à Paris mais que celui ci ne peut tous les prendre en charge. Il faut donc les renvoyer en province vers des nourrices en principe dignes de ce nom ...
Et il faut faire appel à nouveau aux meneurs. Ce sont eux en effet qui vont amener les enfants aux nourrices puis assurer la liaison entre celle-ci et l’hôpital.
Ils vont servir ainsi d’agent payeur des gages et des vêtures destinés aux enfants. Ils se chargeront de ramener également les effets de l’enfant trouvé décédé chez sa nourrice campagnarde ainsi que l'acte de décès. Bref, ils sont chargés du recrutement des nourrices, de la surveillance de celles ci, du paiement des pensions et surtout du transport des enfants entre Paris et la province.
Le meneur peut transporter les bébés dans une hotte et faire le chemin à pied. Ainsi, en 1751, à raison de quarante à cinquante kilomètres par jour, il atteint les villages les plus éloignés de la capitale en trois ou quatre jours. Par le coche d'eau, sur la Seine par exemple, ou en voiture, le périple peut être abrégé. L’aire de nourrissage pour Paris s’étend tout de même jusqu’à la Normandie et la Picardie.
La mission étant d’importance, ne devient pas meneur qui veut. A Paris la personne qui postule doit verser une caution variant entre 3 000 et 12 000 livres ; ses biens personnels sont répertoriés et cautionnés. Le curé de la paroisse doit remettre un certificat de bonne conduite authentifié par un juge royal. S’ils sont acceptés, ils perçoivent le vingtième de toutes les sommes versées à la nourrice soit à peu près 5 à 6 sous par mois (d’après les règlements de Paris de 1713).
S’y ajoutent diverses gratifications en fonction des services rendus : frais de recherche, vêture, retour de l’enfant après le sevrage …
Cette organisation se prêtent à de nombreux abus : la nourrice ne reçoit jamais l’argent de l’hôpital car le meneur le garde par devers lui, les vêtements alloués aux enfants font l’objet de trafic, les enfants décédés ne sont pas déclarés comme tel pour pouvoir continuer à percevoir les sous de son entretien, ou alors l’enfant décède en route et le meneur ne dit rien, empochant l’argent de la nourrice. Les familles nourricières prennent plus d’enfants qu’elles ne peuvent entretenir, mettant à mal la survie des enfants. Et que dire des parents qui abandonnent leurs enfants et réussissent à les récupérer en nourrice, empochant ainsi les sous de leur entretien !
La nourrice, Le Camus Pierre Duval, 1ère moitié du 19è, Musée du Louvre
Comment endiguer la mortalité des nouveaux nés abandonnés ?
En réponse à la mortalité effrayante de ces enfants, on va déjà tâcher d’éviter les transports mortifères.
Il ne faut pas oublier que beaucoup d’hôpitaux de province refusent d’accepter les enfants abandonnés dans leur ressort et les font systématiquement envoyer sur Paris ou bien pratiquent des envois groupés d’enfants abandonnés qu’ils avaient recueillis pendant un certain temps et dont ils se débarrassent par la suite car trop coûteux à entretenir.
En 1772 par exemple on enregistre des envois massifs d’enfants par les hôpitaux de Troyes ,Thiers, Auxerre, Caen et Metz.
En 1778 les hôpitaux de Troyes, Auxerre ,Vendôme, Orléans ,Rouen et Sens sont les principaux points de départ de ces convois enfants souvent assez âgés de 1 à 10 ans (parfois davantage).
Les survivants de ces premiers voyages vont ensuite comme on l'a vu plus haut devoir subit un second voyage vers des nourrices de campagne !
En octobre 1777, Jacques Necker adresse un courrier aux intendants du royaume dans le cadre d’une enquête nationale sur le problème des enfants abandonnés : « Le sort des enfans trouvés, Monsieur, est de tous les objets que le Roy a eu en vue, en établissant une commission pour subvenir aux besoins des hopitaux, un des plus intéressans pour l’humanité et pour l’ordre public. Il a été reconnu que le transport qu’on fait chaque jour d’un très grand nombre d’enfans à Paris où ils affluent des provinces les plus éloignées, est la cause principale de l’état fâcheux où se trouve l’hopital des enfans trouvés : ses facultés, ni même ses emplacemens ne suffisent plus pour cette multitude ; mais ce qui est encore plus touchant, ces enfans conduits sans précaution et exténués par une longue route, ne peuvent y arriver que languissants et périssent bientôt après. »
C’est ainsi qu’un arrêt du Conseil du Roi du 10 janvier 1779 interdit leur transport vers Paris et prescrit leur dépôt dans l’hôpital le plus proche de leur découverte. Cet arrêt ne fut que médiocrement suivi d'effet ...
Frédéric Henri Schopin (1804-81) : Grand Prix de Rome 1831.
Religieuse recueillant un enfant abandonné (1854)
Sources
Géographie des enfants trouvés de Paris aux XVIIe et XVIIIe siècles Isabelle Robin de Agnès Walch
Vivre pauvre, quelques enseignements tirés de l’Europe des Lumières de Laurence Fontaine
Enfants trouvés, enfants ouvriers 17/19ème siècle de Jean Sandrin
De l’enfant trouvé à l’enfant assisté de Anne Cadoret
Les enfants assistés dans le Pas de Calais avant et pendant le 19ème siècle de Eugène Carlier
Les enfants abandonnés à Paris au 18ème siècle de Claude Delasselle
L’assistance hospitalière au secours des orphelins. L’exemple des hôpitaux généraux du Nord de la France de Olivier Ryckebusch
Histoire des enfants abandonnés et délaissés : étude sur la protection de l'enfance aux différentes époques de la civilisation de Léon Lallemand
Enfants trouvés
Tableau du XIXème siècle représentant un bébé abandonné. Artiste inconnu.
Comme on l’a déjà vu dans un précédent article (l'enfant au fil des siècles) les nouveaux nés sont malheureusement à la merci de nombreux risques. Ainsi en est il surtout des enfants abandonnés.
Des meneurs les convoyaient sur des km jusqu’à un hôpital dans des conditions tellement déplorables que le Parlement de Paris interdit en 1663 le déplacement des nouveaux nés de la province à la capitale sous peine de 1000 livres d’amende au profit de l’Hôpital général et de sanction corporelle. En 1779 un arrêt du Conseil du Roi réaffirme cette règle mais rien n’y fait.
C’est ainsi que le 27 mai 1789 le voiturier Pierron, d’Oisemont dans l’Eure, conduit à la maison de la Couche de Paris 12 enfants. Le 12 juin rebelotte avec 15 nourrissons dans une voiture cahotante où les bébés risquent à tout moment de se briser la tête ou de tomber.
Ou encore sur la route de Reims à Paris, dans le village de Fismes, 1ère étape du meneur, est inscrit sur le registre de 1778 : "décédée en passant par Fismes, âgée de 4 jours, fille de Nicole Drumelle de la paroisse de Vrizy, suivant son extrait de baptême, délivré par le prêtre habitué de l'Hôtel Dieu de Reims".
Ces enfants abandonnés sont très jeunes : à Lyon, en 1716-1717 les nourrissons de moins d’un mois représentent 60% des effectifs (dont40% de un à deux jours !).
A Béziers au 18ème siècle, les 2/3 des enfants abandonnés n’ont pas trois mois.
A noter qu’entre 1640 et 1789 la maison de la Couche à Paris reçoit près de 390000 enfants.
Pourquoi ces abandons ?
Les raisons sont bien sûr multiples et il est difficile de toutes les appréhender. Mais parmi celles-ci, la plus évidente reste l’illégitimité. Nés hors mariage, les enfants sont frappés d’indignité et d’incapacité totale de succession. Ils n’ont donc aucun moyen de subsistance. Ceci étant cette crainte ne va tourmenter que la bourgeoisie ou l’aristocratie.
L’illégitimité vient aussi du concubinage, plus développé dans les classes populaires urbaines qui n’ont rien d’important à léguer du moins pour la majorité. Mais là le souci va résider dans le fait de ne pas avoir d’attache pour pouvoir survivre c’est-à-dire pour pouvoir trouver du travail. Une fille mère, ne l’oublions pas, est mal vue dans la société et réduite à la misère si elle garde son enfant.
Richard Redgrave, 1851, fille mère chassée de sa famille, Royal Académy of Arts
A Reims à la veille de la Révolution, plus des quatre cinquième des mères abandonnant leurs enfants sont célibataires : elles sont fileuses de laine, servantes, domestiques …
Et que dire des jeunes filles séduites par le fils de famille quand ce n’est pas le père de famille lui-même ! Voir article sur la domesticité
La misère explique également le nombre des abandons. Louis Sébastien Mercier dans Tableau de Paris écrit : « comment songer à la subsistance de ces enfants quand celle qui accouche est elle-même dans la misère et ne voit de son lit que des murailles dépouillées ? Le quart de Paris ne sait pas la veille si ses travaux lui fourniront de quoi vivre le lendemain ». Jean Jacques Rousseau lui-même justifie auprès de Mme de Francueil l’abandon de ses 5 enfants ainsi : « je gagne au jour la journée mon pain avec assez de peine comment nourrirai-je une famille ? »
Le nombre d’enfants abandonnés va donc tout naturellement augmenter avec les crises alimentaires : En 1709 lors du terrible hyver, les abandons à Paris sont passés de 1759 en 1708 à 2525 en 1709 et 1698 en 1710. Idem à Lyon : en 1708, on recensait 454 abandons d’enfants contre 1884 en 1709 et 589 l’année suivante.
Parmi tous ces enfants abandonnés, il y en a malheureusement qui n’étaient pas destinés à l’abandon … ainsi le 8 janvier 1703, Jean Mondon, propriétaire, loue une chambre à une femme avec 2 enfants en bas âge. Elle doit mendier pour trouver de quoi subsiter. Arrêtée pour mendicité, elle est conduite avec son plus jeune enfant à l’Hôpital général. Le plus grand, resté dans la chambre sera remis à la Maison de la Couche.
Idem pour Charles Hochaut dont la mère, malade, est entrée à l’hôtel Dieu de Paris le 28 avril 1658. Les administrateurs de l’hôpital ne pouvant s’occuper de l’enfant l’amènent à la Maison de la Couche.
D'autres encore sont abandonnés par leurs parents pour éviter qu'ils ne meurent de faim : le 1er février 1703, Jacques Bénardier, limeur, se présente à la Charité car il vient de perdre sa femme; il a 5 enfants dont l'ainé a 9 ans et demande qu'on recueille la plus jeune, âgée d'un an et "encore à la mamelle". Elle sera placée en nourrice aux frais de la charité.
La Maison de la Couche
Cette Maison créée par Saint Vincent de Paul en 1638 devient en 1670 l’hôpital des Enfants Trouvés ou Maison de la Couche.
En effet, révolté par l'exposition des enfants dehors quel que soit le temps et par l'horreur de savoir "qu'on les vendait dans la rue Saint Landry 20 sols par tête à des femmes viciées qui se faisaient sucer un lait corrompu par ces infortunées créatures", saint Vincent de Paul arrive à convaincre Louis XIII de lui céder son château de Bicêtre avec une rente de 20 000 livres.
Saint Vincent de Paul réussit également à convaincre des dames fortunées et influentes d’apporter leur patronage à cet établissement spécialement destiné aux enfants trouvés. Le succès est réel mais la situation financière de cette institution reste difficile. C’est pourquoi elle sera rattachée en 1670 à l’Hôpital Général sans que cela ne résolve complètement la problématique financière.
extérieur de l'hôpital des Enfants Trouvés, 18ème, Musée Carnavalet
L’enfant qui rentre à la Maison de la Couche reçoit un collier numéroté et scellé plus un sachet dans lequel se trouve le procès verbal du commissaire ou du personnel ayant réceptionné l’enfant. L’enfant est enregistré dans un registre avec son nom ; soit ce nom était mentionné dans les affaires qu’il portait soit on lui en attribue un.s’il a été trouvé près d’une porte il pourra s’appeler Delaporte, si ses parrain et marraine (souvent du personnel ou des pensionnaires de l’hôpital) s’appellent Sennequin et Duval et le petit s’appellera Senneval.
Puis un médecin l’examinera pour vérifier surtout s’il n’est pas porteur de maladie contagieuse.
Enfin il sera remis à une nourrice résidant à l’hôpital. En 1672, il y en a 2, 5 en 1708 et 8 en 1756. Celle cii est chargée de les allaiter avant de les faire partir à la campagne. Le problème est qu’elles sont vite débordées et il faut trouver une alimentation autre : lait de vache, de chèvre, d’anesse, lait coupé avec de l’eau douteuse, soupe avec du pain bien cuit et du lait, …
A l’hôpital de Rouen on expérimenta le lait de vache coupé d’eau bouillie, d’eau de riz ou de décoction de rhubarbe, « cet essai de nourriture, avec le lait de vache, fut fait sur cent trente deux enfants depuis le 15 septembre 1763 jusqu’au 15 mars 1765 ; il n’en resta au bout de ce temps que treize vivants. Dans ce petit nombre, plusieurs étaient mourants […] d'autres qui ne digéraient pas le lait furent mis au bouillon gras, à la panade, quelques-uns à la bouillie préparée avec la farine et le lait.» RAULIN (J.). De la conservation des enfants. Paris, 1768.
Comment faire manger les bébés ? biberons d’étain, de terre avec comme tétine des bandelettes ou des tétins de vache, cuillère….
biberon en étain
Bref il est évident que les ustensiles utilisés sont des foyers d’infection microbienne et le lait non bouilli ne vaut guère mieux.
Quant aux locaux, ils sont vites trop petits : en 1784, la salle des pouparts de la Maion de la Couche était « une grande pièce contenant environ 80 berceaux contigus les uns aux autres, à la suite de laquelle est une infirmerie pour les enfants moribonds ».
Les nourrissons sont changés au mieux une fois par jour tant le langeage est serré. L’enfant a le temps de macérer dans ses excréments et son urine, faisant ainsi le lit des épidémies les plus variées.
L’état alarmant des bébés ceci étant vient aussi du fait qu’ils sont à leur arrivée le plus souvent syphilitiques, ou abimés par des manœuvres abortives infructueuses ou par le manque de savoir faire de l’accoucheuse ou encore par la malnutrition de la maman pendant la grossesse.
Tout cela donne au final des chiffres catastrophiques : en 1781 l’hôpital de Paris reçoit 11 bébés ; 10 meurent dans le mois qui suit. Le dernier survivra jusqu’en 1784. En 1670, la Maison de la Couche accueille 423 enfants : 118 meurent avant leur mise en nourrice.
l'orphelinat, anonyme, 19ème, Musée Carnavalet
Sources
Enfants trouvés, enfants ouvriers 17/19ème siècle de Jean Sandrin
la Maison de la Couche à Paris de Léon Lallemand
le site suivant https://www.tombes-sepultures.com/crbst_2170.html
le site suivant sur les biberons au cours des siècles : http://dona-rodrigue.eklablog.com/histoire-du-biberon-a3971890
De la pomme de terre à la frite
La petite éplucheuse de pommes de terre - 1886 - Albert Anker - collection privée suisse
La pomme de terre nous vient d'Amérique du sud, plus précisément des Andes du Chili et du Pérou. Elle débarque en Espagne en changeant de nom : "patata" u lieu de "papa" dans sa version amérindienne (en espagnol, papa veut dire Pape, ce qui fait mauvais effet ...).
Gaspard Bauhin, botaniste suisse et recteur de l'université de Bâle (1550-1624) est le premier à donner une description botanique de la pomme de terre en 1596 dans un livre publié à Bâle, Pinax Theatri Botanici, seu Index in Theophrasti, Dioscoridis, Plinii et Botanicorum qui a seculo scripserunt opera dans lequel il décrit 2700 espèces. il classe la pomme de terre dans la famille des solanacées et lui attribue son nom scientifique actuel : solanum tuberosum "en raison de la ressemblance de ses feuilles et de ses fruits avec la tomate et de ses fleurs avec l'aubergine ainsi que pour sa semence qui est celle des solanum et pour son odeur forte qu'elle a de commun avec ces derniers".
Mais dès le départ la pomme de terre est plus considérée pour ses vertus thérapeutiques que culinaires
En effet, il ne faut pas oublier qu’à l’époque tout ce qui pousse sous la terre est mal considéré et impropre à la consommation humaine (on préfère les parties aériennes) et de toute façon la Bible n’en parle pas donc ce ne peut être que mauvais. L'historien Anthony Rowley rappelle les superstitions qui entouraient cet aliment à la Renaissance :
"Une des raisons pour laquelle la pomme de terre est très mal accueillie en Europe, comme la tomate, c'est qu'on lui attribue tout un stock d'inconvénients majeurs. d'abord sa ressemblance avec la truffe. le gascon utilise le même mot, truaut, pour la pomme de terre et la truffe. Or la truffe est un champignon terrifiant. Il pousse sous terre, il est sensible aux variations et aux cycles lunaires : c'est à dire que c'est un champignon du diable, lié à la mort. Et la pomme de terre, on l'accuse de répandre la peste. Comme ce légume est mal considéré, on le donne à un animal transformateur par excellence, dévalorisé socialement : le cochon".
Mal considérée au point que le Parlement de Paris en 1748 va interdire sa culture dans le nord de la France.
Cette réputation diabolique a duré suffisamment longtemps pour que cela reste dans les mémoires : dans L'Homme qui rit, dont l'intrigue se déroule à la fin du XVIIe siècle, Victor Hugo écrit ainsi : "Son acceptation de la destinée humaine était telle, qu’il mangeait [...] des pommes de terre, immondices dont on nourrissait alors les pourceaux et des forçats".
En revanche la pomme de terre va être employée pour soigner l’eczéma, les brûlures et les calculs rénaux, l’université de Séville lui trouvant en effet un certain nombre de vertus médicinales. Le roi Philippe II d'Espagne ira jusqu'à envoyer en 1565 des plants de pomme de terre au pape Pie IV pour l'aider à combattre la malaria... il en mourut malgré tout.
Il faudra attendre Antoine Parmentier pour que la patate acquiert enfin ses lettres de noblesse. Mais cela ne veut pas dire que la pomme de terre est inconnue en France en tant qu’aliment : dès 1602, Olivier de Serres, agronome français (1539-1619) la cultive sous le nom de « cartoufle » ou « truffe » dans le Vivarais. Elle arrive en Franche Comté sous le nom mexicain de « camote » (à cette époque, la région est encore sous domination espagnole). En 1620 elle est cultivée en Bourgogne et arrive en Flandres à la même époque
Mais c’est vrai qu’elle est encore âcre et amère. Et pour ne rien arranger, elle est souvent récoltée verte et conservée à la lumière du jour, et donc sa teneur en solanine peut être élevée et provoquer des troubles digestifs d’où certainement sa réputation sulfureuse … et le peu d’intérêt qu’elle donne pour la cuisine
Les mentalités vont peu à peu changer toutefois : le 24 mars 1756 le roi de Prusse Frédéric II le Grand introduit l’édit des pommes de terre (Kartoffelbefehl). « Là où se trouve une place vide, la pomme de terre devra être cultivée » écrivait-il. C’est ainsi que le tubercule s’est répandu en Prusse
Le roi Frédéric II en tournée d'inspection dans les champs de pommes de terre - 1886 - Robert Müller
En 1757, on la trouve cultivée en Bretagne, alors en période de disette, dans la région de Rennes. Jean François Mustel, (1719-1803), agronome rouennais (auteur d’un Mémoire sur les pommes de terre et sur le pain économique), encourage sa culture en Normandie, et en 1766 on cultive la pomme de terre à Alençon, à Lisieux et dans la baie du Mont Saint Michel. On comprend en effet enfin l’intérêt de la pomme de terre en cas de famine
Arrive enfin Antoine Parmentier, pharmacien militaire, agronome et philanthrope français (1737-1813) ; fait prisonnier au cours de la Guerre de Sept Ans, il est contraint de se nourrir de pommes de terre au cours de sa captivité et découvre qu'il n'en est pas incommodé, comme il l'écrit en 1773 dans Examen chymique de la pomme de terre :
« Nos soldats ont considérablement mangé de pommes de terre dans la dernière guerre ; ils en ont même fait excès, sans avoir été incommodés ; elles ont été ma seule ressource pendant plus de quinze jours et je n’en fus ni fatigué, ni indisposé."
Antoine Auguste Parmentier - François Dumont l'Ainé
Comment la pomme de terre devint officiellement un aliment digne d’être consommé en France ? Tout simplement suite à un concours. En effet, à la suite des famines survenues en France en1769 et 1770, l’Académie des sciences, belles-lettres et arts de Besançon et de Franche-Comté lance en 1771 un concours sur le thème suivant : « Indiquez les végétaux qui pourraient suppléer en cas de disette à ceux que l’on emploie communément à la nourriture des hommes et quelle en devrait être la préparation ? » Parmentier remporte le premier prix avec ses travaux sur la pomme de terre.
Et c’est ainsi qu’en 1772, la faculté de médecine de Paris déclare, la consommation de la pomme de terre sans danger.
Mais la pomme de terre n’est pas un aliment miracle. En effet en 1845, elle montre sa faiblesse avec le phytophtora infestans, autrement dit le mildiou. Ce champignon s’abat en effet sur l’ensemble de l’Europe, anéantissant les récoltes de pommes de terre tandis que les intempéries détruisent les céréales. En Belgique, plusieurs centaines de milliers de Flamands subissent la famine et le typhus à cause du mildiou.
Mais, et la frite dans tout ça ?
En effet, maintenant que la pomme de terre est adoptée un peu partout en Europe, comment la mange-t-on ?
Il faut avoir à l’esprit qu’au XVIIIe siècle, la graisse était un luxe pour les petites gens. Le beurre coutait cher, la graisse animale était rare et les graisses végétales meilleures marché se consommaient avec parcimonie. C'est pourquoi les paysans mangeaient la graisse directement, sans la gaspiller, sur du pain ou dans un potage. Et c'est pourquoi la cuisson en friture était rarissime dans la paysannerie.
Mais cela ne veut pas dire qu’on ne la consommait pas comme ça...
En effet la cuisinière anglaise Hannah Glasse (1708-1770) nous donne en 1747 pour la première fois une recette de pomme de terre frite sous forme de rondelles crues rissolées. Les tranches ont la dimension d’une couronne de 4 cm de diamètre et très mince. Elles sont dressées dans un plat et aspergée de beurre fondu, de vin des canaries et de sucre. Cette recette se trouve dans son livre The Art of Cookery made Plain and Easy.
Deux ans plus tard, l’agronome français De Combles (mort vers 1770) avec son Ecole du jardin potager (1749), donne pour la première fois en France une recette de pommes de terre crue découpée en rondelles, saupoudrée de farine et frite au beurre ou à l’huile :
« ce fruit est susceptible de toute sorte d’assaisonnemens, on les coupe crud par tranches minces, et on le fait frire au beurre ou à l’huile, après l’avoir saupoudré légèrement de farine ».
En 1794, mme Mérigot (semble t-il car l'identité de l'auteur du livre n'est pas certain), cuisinière française, explique dans son livre de recettes, La cuisine républicaine, comment préparer « en friture » des patates coupées en tranches et cuites au saindoux ou au beurre :
« Faites une pâte avec de la farine de Pommes de terre, deux œufs délayés avec de l'eau, mettez une cuillerée d'huile, une cuillerée d'eau-de-vie, sel & poivre ; battez-bien votre pâte pour qu'il n'y ait pas de grumeaux ; pelez-les Pommes de terre crues & coupez-les par tranches, trempez-les dans cette pâte et faites-les frire de belle couleur".
L’historienne Madeleine Ferrière écrit en effet que la « pomme frite Pont Neuf » aurait été inventée par des marchands ambulants sur le plus vieux pont de Paris après la révolution de 1789. « Ils proposaient de la friture, des marrons chauds et des tranches de patate rissolées".
Louis Sébastien Mercier, écrivain français (1740-1814) écrit dans son Tableau de Paris en 1783 :
« (…) je dirai encore ce qui se passe au bout du Pont Neuf. C’est une faiseuse de beignets qui, plaçant sa poêle à frire sur un réchaud exposé en plein air et dont en passant vous recevez la fumée au nez, emploie au lieu de beurre, d’huile ou de sain-doux un cambouis, un vieux-oing, qu’elle semble avoir dérobé aux cochers qui graissent les roues des carrosses. Des polissons déguenillés attendent que le beignet gluant et visqueux soit sorti de la poêle et le dévorent encore chaud et brûlant à la face du public. Le passant étonné s’arrête et dit : il a le gozier pavé".
Au début du XIXe siècle, la pomme de terre frite entre dans la cuisine gastronomique. Ainsi la recette des « Pommes de terre sautées au beurre » chez Viard, auteur du Cuisinier impérial
Pierre Leclercq, historien belge de l’alimentation nous explique que la frite « est née dans la rue parisienne, elle est née entre les mains des vendeuses de fritures de la rue parisienne. Et ce sont elles qui ont fait de la pomme de terre frite le plat emblématique populaire parisien du 19e siècle avant que cette frite ne soit exportée en Belgique ».
Et en effet le paysage parisien tel que nous décrit A. De Bornsttedt dans Fragmens des silhouettes de Paris en 1837 nous montre que les pommes de terre frites constituent l'aliment principal des miséreux qui peuplent Paris :
« Le gamin de Paris est en général de petite taille, pâle, fluet, peu musclé, mais d’autant plus agile. Quand il ne mange pas chez ses parens ou chez ses maîtres, il se prive de ses repas ordinaires pour entrer au théâtre des Funambules, à celui de madame Saqui, ou au paradis de la Porte-Saint-Martin ; alors son dîner se compose d’un peu de pain, de pommes de terre frites, ou de quelques autres comestibles des restaurateurs en plein vent. »
Idem avec Le Gastronome (Le gastronome, Journal universel du goût, rédigé par une société d’hommes de bouche et d’hommes de lettre, n°72, 1re année, jeudi 25 novembre 1830, p. 4.)
« C’est admirable ! à voir le peuple de Paris et ses pommes de terre frites au soleil, et ses marchandes de harengs tous chauds, et ses poires cuites au four, on croirait qu’il vit pour manger, et cependant c’est tout au plus s’il mange pour vivre".
Comme on dine à Paris - 1845 - Charles Joseph Travies de Villers - Musée Carnavalet
Il semble bien en effet que l’adoption de la forme en bâtonnets soit le fait des marchandes de pommes de terre frites au cours des années 1830 :
« Nobles pommes de terre frites, chères au comité de salut public, j’admire vos diverses métamorphoses ! D’abord, c’est l’enveloppe terreuse que râcle un couteau ébrêché, et qui découvre une substance ferme et appétissante aux yeux, mais indigeste et peu flatteuse au palais ; ce ne sont pas des beignets : on coupe les longues dans leur longueur, les rondes dans leur rondeur, puis dans cet état de crudité elle vont pêle-mêle au fond de la tôle noircie changer de goût et de couleur. La friture est puissante magicienne" - (Le gastronome Le gastronome, Journal universel du goût, rédigé par une société d’hommes de bouche et d’hommes de lettres, n° 116, deuxième année, jeudi 28 avril 1831, p. 3-5).
Marchande de pommes de terre frites dans Paris - Les Français peints par eux mêmes, Encyclopédie morale du 19ème siècle, tome 5 -Curmer - 1842
Pendant ce temps, la pomme de terre devient un entremets très prisé pour accompagner les viandes grillées. En 1807 le gastronome parisien Grimod de la Reynière (1758-1837) la sert avec le beefsteak grillé. En 1809 le gastronome Charles Yves Cousin d’Avalon (1769-1840) écrit la recette suivante :
« Pommes de terre frites. Vous les pelez toutes crues et les coupez en tranches ; farinez les et jetez les dans une friture extraordinairement chaude ; quand elles sont frites, saupoudrez les de sel".
En 1852, Le trésor de la cuisinière propose de découper les pommes de terre en « petits quartiers".
En 1856, Antoine Gogué cuisinier du comte de Cayla et de Lord Melville, conseille de les découper en « morceaux longs et carrés » tout en précisant que « c’est ainsi qu’on les coupe habituellement quand elles doivent être employées comme garniture de biftecks ou de côtelettes".
L’acteur des Funambules » - Le Charivari, 19 février 1842 - Honoré Daumier
Pendant que Paris découvre avec délices les saveurs de la frite, un immigré bavarois du nom de Frédéric Krieger apprend à confectionner les frites dans une rôtisserie, chez Pèlerin, rue Montmartre à Paris . Nous sommes en 1842.
Deux ans plus tard il part en Belgique et s’installe comme forain. Il ouvre la première baraque à frites du pays.
A noter que le terme « baraque » vient du wallon « barak » et désigne une construction précaire ou une roulotte
Pour faire sa publicité, il annonce des « pommes de terre frites à l’instar de Paris » et insiste sur le fait qu’il a fait son apprentissage à Paris. C’est à partir de cette date que les Belges découvrent la frite. Krieger, qui s’est fait surnommer « Monsieur Fritz, le roi de la pomme de terre frite".
En 1848, la première réclame pour Monsieur Fritz apparaissait dans le Journal de Liège :
« Les pommes de terre frites sont arrivées à la Foire de Liège avec leur infatigable Rôtisseur [.] M. FRITZ, propriétaire de l'établissement des tubercules rôtis, prévient ses consommateurs qu'il a redoublé de zèle, afin de prévenir toute observation. Il continuera de faire rouler ses Omnibus et ses Vigilantes à 10 et 5 centimes. On est prié de s'adresser quelque temps à l'avance pour les grosses commandes" - Journal de Liège, samedi et dimanche 28 et 29 octobre 1848, p. 2, col. 4
Monsieur Fritz troqua par la suite sa baraque en toile pour un luxueux salon de dégustation en bois avec plafonds décorés, d'une capacité de dix tables. Des pommes de terres frites, des beignets aux pommes et des gaufres étaient servis dans des assiettes en faïence.
En 1856, en pleine guerre de Crimée, Monsieur Fritz profita de la vogue médiatique provoquée par ce conflit pour baptiser ses grands paquets de frites des « russes » et les petits paquets des « cosaques ». Ce fut un succès.
Il mourut d’une maladie des poumons le 13 novembre 1862 à Liège ; il avait 46 ans.
A noter que dans le Nord, la plus ancienne mention d’une baraque à frites a été retrouvée à Roubaix en 1862.
Georges Barral, le guide de Charles Baudelaire lors de son passage à Bruxelles en septembre 1864, en plein pèlerinage sur les traces de Victor Hugo à Waterloo, emmena Baudelaire dans le restaurant habituel de son mentor et donne une description pour le moins savoureuse des pommes de terres frites qu’ils dégustèrent en Belgique
« À peine avons-nous terminé, qu'on met au centre de la table une large écuelle de faïence, toute débordante de pommes de terre frites, blondes, croustillantes et tendres à la fois. Un chef-d'œuvre de friture, rare en Belgique. Elles sont exquises, dit Baudelaire, en les croquant lentement, après les avoir prises une à une, délicatement, avec les doigts : méthode classique indiquée par Brillat-Savarin. D'ailleurs c'est un geste essentiellement parisien, comme les pommes de terre en friture sont d'invention parisienne. C'est une hérésie que de les piquer avec la fourchette. M. Joseph Dehaze que nous appelons pour lui transmettre nos félicitations, nous assure que M. Victor Hugo les mangeait aussi avec les doigts. Il nous apprend en outre que ce sont les proscrits français de 1851 qui les ont introduites à Bruxelles. Auparavant elles étaient ignorées des Belges. Ce sont les deux fils de M. Victor qui nous ont montré la façon de les tailler et de les frire à l'huile d'olive ou au saindoux et non point à l'infâme graisse de boeuf ou au suint de mouton, comme font beaucoup de mes compatriotes par ignorance ou parcimonie. Nous en préparons beaucoup ici, surtout le dimanche, à la française, et non point à la belge. Et comme conclusion à ses explications, M. Joseph Dehaze nous demande si nous voulons « récidiver ». Nous acceptons avec empressement, et bientôt un second plat de « frites » dorées apparaît sur la table. À côté est une boîte à sel pour les saupoudrer comme il convient. Cette haute salière percée de trous nombreux fut une exigence de M. Hugo. »
(Maurice Kunel, Cinq journées avec Ch. Baudelaire, propos recueillis à Bruxelles par Georges Barral et publiés par Maurice Kunel, Éditions de "Vigie 30", 1932, p. 77 et 78 )
Les mangeurs de pommes de terre - 1895 - Van Gogh - Musée Van Gogh Amsterdam
A noter que dans le numéro du quotidien liégeois L'Express du 14 novembre 1900, un certain Bertholet (pseudonyme) lançait un débat sur l’origine de la pomme de terre frite … (l'Express, 14 novembre 1900, p. 1, col. 4 et 5)
En effet Pierre Leclercq nous indique qu’ "au cours du 20e siècle, la pomme de terre frite a déserté les rues de Paris en même temps qu’elle a gagné la Belgique. Et s’est imposée en Belgique comme le plat national".
Ce qui fit penser que les frites viennent de Belgique …. Ou pas ….
Mais peu importe la paternité de la frite, longue vie aux baraques à frites !
« el’baraque à frêtes, ch’est eun caravan’, qui fait des frêtes ! » Dany Boon, 2007
Marchande de frites à Paris
Marchande de frites à Lille
Sources
Bibliothèque et musée de la gourmandise
Petit tour d'horizon des pommes de terre cultivées en France jusqu'en 1950
Maguelonne Toussaint-Samat, Histoire de la cuisine bourgeoise du Moyen Âge à nos jours, 2001
LECLERQ, Pierre. Les frituristes de Bruxelles : La véritable histoire de la pomme de terre. Mars 2009-décembre 2010
Les papiers d'un laboureur - 2
Les notes de Pierre Bordier relatent le quotidien de son village et tout ce qui lui semble important de noter. On ne retrouve pas d’émotion, de réflexions particulières sur sa vie ou son époque. Ce sont essentiellement des faits qui vont nous donner une idée des moeurs du temps, des rigueurs de la vie et ses aléas.
Ci-dessous quelques exemples (avec l’orthographe de Pierre) de ses notes que j’ai rassemblées en thématiques :
Sur la météo et l’impact sur les cultures
- En février 1754 il note qu’en raison de la neige qui recouvre les champs « les alouettes viennent manger les choux du jardin »
- En septembre 1754 suite à la sécheresse « touttes les légumes des jardins sont tous perdus : les choux les pois chiches , éricots ou pois blancs ; les chénévriers sont sans chénevis »
- En décembre 1755 « il est arrivé une grande creux [crue] d’eau à la Loire de Blois qui a fait bien de la perte à ses voisins. Le mardi 2 de ce mois, elle a été si forte que il y a 32 ans qu’elle n’a été si haute. On a vu dans la rivière plusieurs bœufs vivants , du bois en quantité que l’on a tiré contre les ponts. Et a effrayé bien du monde ; elle a emporté deux ou trois maisons de Vienen [faubourg de Blois sur la rive sud du fleuve]. Elle a fait une furieuse peur aussi à Blois […] elle a emporté les ponts et plusieurs maisons qui étoient sur les ponts».
- En février 1756 : « le mercredi 18 il a fait un grand vent qui a bien fait du dégât à toutes les maisons partout, et jeté (à bas] une grange à Villemorain et a blessé un homme dans ladite grange ». Cette tempête « a jeté la croix du cimetière à bas ».
- Dernière semaine de juin 1757 : « cette semaine a été si chaude que l’on boillet comme le bœuf cuit entre deux plats en son jus »
- En janvier 1758, il y a eu une grosse tempête de neige : « la neige et la gelée a été si âpre et rude qu’il y a un nommé Suard de Villeporcher qu’on a trouvé gelé en un chemin et mort avec son âne ; cet homme revenait de l’huile des Roches ; il est mort entre le Grand Breuil et les Haies. »
- Au printemps 1760 « depuis le commencement (du mois) il a fait beau, un temps propre pour les chénévriers, un temps bas, nuageux et chaud, couvert. Les bleds sont bien préparés ; les vignes encore mieux ; les prés les menus grains, tout est bien et promet beaucoup »
- En décembre 1762 et janvier 1763 Pierre a noté que « la terre est gelée de 14 à 15 pouces avant le cimetière » (une quarantaine de cm)
- Le dimanche 13 mars 1763 « il a gelé jusque dans les maisons»
- En 1768 « il y avoit beaucoup de pomme, peut de poire, point de serize, un peu de guine »
Tableau anonyme du 18e siècle, exposé au Castello Sforzesco de Milan
Sur la religion
- En septembre 1758, « le peintre a commencé [dans l’église] le lundi 11 de ce mois, où il fait le grand tableau, deux autres de chaque côté du grand Autel et un devant l’autel, et peint toutes sortes de boiseries»
- En juin 1763 : « le 3 de ce mois on a exorcisé tous les bestiaux sur le pastis du prieuré : chevaux, vaches, moutons, brebis, agneaux, cochons, le lendemain de la feste su Saint Sacrement à 2heures après midi».
- Quelques exemples de cérémonie du Lazare, au cours de laquelle un condamné « pour un cas piteux et rémissible » ayant obtenu une grâce plénière doit porter en procession solennelle un cierge de 33 livres : en 1753, un garçon d’Epuisay âgé de 17 ans qui « avoit tué son camarade à la chasse par mégarde», en 1754, « celui qui a porté le cierge du Lazare est un chirurgien tout proche Le Mans, qui a tué un homme et après l’avoir tué, il a voulu le mettre au feu pour le brûler »
Eglise Saint Martin à Lancé
Sur l’école de Lancé
- Mars 1760 « le jeudy 2, M. Lattron est décédé et sa femme le vendredy 14, il estoit sacriste à l’église de Lancé »; « il est venu un appelé David pour être sonneux et enseigner l’école, le jour des Rameaux qui est le 30 mars » ; « on luy donne la jouissance de 12 boisselées de terre par an ; on lui donne 25 sols pour l’enterrement s’une grande personne, 10 sols pour chaque service, 5 pour assister le curé à aller chercher les corps, c’est-à-dire le convoy […] on lui donnera 7 sols pour l’enterrement des enfants »
- « le jeudy 21 (mai 1767) le sieur David , sacriste et maître d’école à Lancé, s’en est allé d’ol étoit venu, à Blois, pour être aussy maître d’école à En Vienne les Blois ; il y a été (ici) 7 ans » ; « le dimanche 12 (juillet 1767) on a reçu Tondereau pour être sacriste à Lancé aux conditions de David»
Sur les animaux et les menaces qu’ils pèsent sur le village
- 1742 « la Beste qui dévore les anfans a commencé cette année à faire son carnage» - est ce un loup dont il parle ?
- 1747 : « la Beste resgnes toujours actuellement , qui fait un grand désordre, on a beau y faire la chasse »
- 12 septembre 1751 : le curé écrit qu’à Saint Arnoult, « a été inhumé la tête et quelque os du corps de Marie Hult (…] duquel corps on n’a pu trouver que ladite tête et une petite poignée des côtes et de petits os, les habits à leur entier et une jambe attenante l’os de la cuisse »
- Mars 1754 : « on parle actuellement de la Beste qui dévore les enfants surtout en la paroisse de Villeporcher et Saunay. Elle en a haché et étranglé trois cette semaine, à Saunay»
- Février 1766 : « le Grand Maître des Eaux et forêts a ordonné une chasse aux loups ; on s’est rassemblé devant le château de Bouchet-Touteville ; il y avoit Crucheray, Nourray, Lancé, Gombergean, Pray et Lancômme, un homme de chaque feu. On a tué un renard au Clos Mouchard et tiré quelques loups près de Puterreau […] on n’a rientué ; il faisoit trop grand froid et grand vent»
Un loup en ville ! gravure XIXe - coll. cl. Ribouillault
Sur les évènements liés à l’actualité en France et ailleurs
- 1743 : « il c’es levé une grande gueres entre les François et la Reyne de Hongris »
- 1746 « les guerres sont si grandes que tout les peuples en sont épouvanté »
- En août 1754 « on a fait de grandes réjouissances dans Paris (lors) de la naissance de Monseigneur le Duc de Berry, petit fils du Roy, 15ème du nom » (le futur Louis XVI)
- 1756 : « on fait la guerre avec le roi d’Angleterre sur mer ; on a pris une ille que l’on nomme le Port-Mahon et encore une autre , je ne sais plus son nom»
- En décembre 1757 « le fils du sieur Challussez (le seigneur) a perdu la vie (à la bataille de Rosbach) par un boulet de canon ; il était capitaine dans la cavalerie, âgé de 30 ans »
- 1757 : « il est venu une nouvelle que c’est seur que Louis 15 a été poignardé, mais c’est à Versailles : il en reçu deux coups, l’un au coude et l’autre à la quatrième coste d’en bas ; il n’a pas été percé à jour mais la peau et un peu de chair. […] celui qui a donné les coups de couteau est de la ville d’Arras ; son métier étoient contre porteur de pierre à dégraisser les tâches sur les habits et de pierre à fusil, amadou et autres petites niaiseries comme on en voit dans les foires à trainer. Il avait une grande redingote par-dessus de vieux haillons».
Eau forte aquarellée - Anonyme. 1757 - Musée du barreau de Paris
- « le dimanche 6 (mars 1757) on a chanté le TE DEUM pour rendre grâces à Dieu de la guérison et du rétablissement du roi Louis XV» suite à l’attentat de Damiens
- Le samedi 23 juillet 1763 est annoncée la nouvelle du traité de Paris mettant fin à la guerre de Sept ans : « la paix a été publiée par le sieur Auriou, huissier à Vendôme, et accompagné de hallebardiers et environ 10 à 12 fusilliers, tous à pied».
- 1775 : « Louis XVI a été sacré à Reims le 11 juin, jours de la Trinité»
- Sur la guerre d’indépendance en 1779 : « nous avons de la guerre sur mer ; le comte d’Estin y prend les Englois prisonniers , même il y en a environ d’un cent à Vendôme ; il y a les Amoriquins, l’Espagne et la France qui leurs font la guerre et sont encore les maîtres bien souvent ; ils nous prennent souvent des vessaux et bien des munitions de guerre»
Sacre de Louis XVI - 11 juin 1775
Sur la vie de ses concitoyens
- Représentations : En 1749 « le mercredy 23 avril, il est arrivez à Vendôme plusieurs personnes qui ont un Tableau qui représente la mort et Pation de Nostre Seigneur dont tout le monde en est ravy de joie, et plusieurs oiseaux qui chantent au parfait»
- En juillet 1753 il rapporte qu « on a fait voir au peuple deux enfants collés l’un à l’autre et un poisson de mer nommé lion marin»
- « Le mardi 22 may (1754) il s’est nayé un enfant de 2 ans à Armand Rimbault à Chandelay dans un trou d’eau en sa cour » ; il s’agit de Jacques Rimbault frère de marie louise, sa servante et future femme
- En février 1755 un marchand de vaches tue sa femme à Montoire
- En octobre 1755 « on a dressé un théatre devant l’abbaye de l’Etoille, par un opérateur nommé Scipion ; ils sont 22 de leur troupe. Il est bien habile dans ses opérations. Il a fait son orviétan devant les magistrats et chirurgiens de la ville de Vendôme en la chambre de la ville » et le 20 décembre 1755, « le théatre aux opérateurs n’est pas encore à bas mais le harlequin en sautant dessus il a défoncé [le plancher] par le milieu et s’est fait grand mal aux jambes ; le sang a parti sur ses bas tout [de] suite»
- En décembre 1755 : lors des crues de la Loire, « on a trouvé à Amboise en la rivière un berceau avec deux enfants dedans tout vivants, sans aucun mal, avec chacun un grelot en leurs mains ; on regarde cela comme un miracle ; on ne sait pas d’où ils sont natifs»
Scène de sauvetage en val d'Orléans - crue 1846 - musée de la Marine de Loire
- « Le jeudy 25 (septembre 1755) le sieur Delauné , curé de Gombergean est décédé et enterré le 26 ; il est entré dans sa cure à la chandeleur 1744 en la place du sieur Leroux, qui s’en fut curé de Villexanton ; il a été curé environ 11 ans et demy » - deux mois plus tard, « le vendredi 21 (novembre), M. Quetin a pris possession de la cure de Gombergean a dit sa 1ère messe le jour de la trinité d’hiver »
- En janvier 1758, « la femme du sieur Derois, de St Amand, est revenue depuis 8 ou 10 jours. Elle a été absente environ 4 ans d’avec luy»
- En janvier 1760 décès de mme Souchay « agée d’environ 90 ou 91 ans»
- En 1760 « M Desnoyers, curé de Lancé a etrenné une chappe et une chasuble neuves qui est venue de paris le jour de Pasques qui est le 5 d’avril»
Enterrement d'un enfant, Albert Anker, 1863
Sur lui : Pierre a écrit très peu de choses sur lui
- Juin 1751 : vol avec effraction à la petite musse « pendant que la paroisse de Lancé était allé processionnellement dudit Lancé en station à l’église paroissiale de la paroisse de Saint Amand après les vespres de ladite paroisse de Lancé pour le Jubilé, il fut fait une fracture au cul de leur four de la maison du déposant appelée la petite musse dite paroisse de Lancé » ; le voleur trouve « dans le coffre du déposant qui était au pied du lit [..] un sac de toile où il y avait environ 416 livres en écu de six, trois livres et monnaie, de laquelle somme il prit environ 210 livres, laissa le surplus dans ledit sac » - cela correspond à peu près à une année de salaire de journalier c’est donc une somme importante
On retrouve ce témoignage par une procédure judiciaire en 1776 (soit plus de 20 ans après les faits) ( AD 41 série B, bailliage de Vendôme)
- En juillet 1754 Il achète « un cheval de ans, gris pour 100 livres»
Sur les exécutions et sanctions diverses
- Le 5 novembre 1757 un homme natif de la Chapelle Gauguin, coupable de vol est exécuté par pendaison ; le 3 mars 1759 ce sera une servante, Marie Lanoux, « âgée de 20 à 21 ans, native de Caen, en Normandie», qui sera pendue pour vol ; elle avait volé en novembre 1758 à l’hôtesse de l’auberge du Petit Paris « un drap de brin de 5 aulnes, un rideau d’indienne ayant ses boucles, un tablier, une paire de bas et une cornette de nuit »
- En juin 1752 « on a fouetté et flurdelisé un homme de Selommes pour avoir vollé environ 30 boisseaux de bled à son cousin»
- Le 29/04/1761 « Jallier est mis en prison à Montoire pour avoir été accusé d’avoir vollé 6 boisseaux d’avoine»
- En aout 1766, « le samedy 2, on a roué à Vendôme un homme de Mazangé, dans le marché de Vendôme. Il y avoit 4 bourreaux ; on l’a mené la nuit à l’arche du Mauvais Pas où il est exposé sur la roue».
Flétrissure - archives de Toulouse
Les papiers d'un laboureur - 1
Le livre de Jean Vassort (*), écrit en 1999, est basé sur les papiers qu'a écrit sur plusieurs décennies, Pierre Bordier, laboureur à Lancé au 18ème siècle : un Compendium (1741-1781) et un Journal (1748-1767). Ces notes nous donnent une idée du quotidien d’un petit village rural au 18ème siècle.
La famille de Pierre et son village
La vie de Pierre s’étale de la toute fin du règne de Louis XIV au tout début du règne de Louis XVI
En effet il nait le 17 janvier 1714 à Crucheray (41) donc dans les dernières années du règne de louis XIV
Le village se situe en Loir et Cher, dans la Beauce. Y vivent une centaine de familles (77 feux en 1713, 87 en 1768, 94 feux en 1790).
L’église Saint Martin ne ressemble alors pas à celle que l’on connait aujourd’hui puisque le clocher n’est en réalité qu’une petite flèche de bois placé sur le comble.
La production agricole concerne essentiellement le froment (bled), l’avoine, l’orge. Il y a également de l’élevage puisque l’on recense sur Lancé en 1790 80 chevaux, 3 juments, 2 poulains, 9 ânes, 3 bœufs, 153 vaches, 2 taureaux, 58 génisses, 15 veaux, 55 moutons, 19 béliers, 524 brebis, 373 agneaux, 8 chèvres et 31 porcs.
Son père, Jean est un laboureur demeurant, au moment de la naissance de Pierre, à Pinoche paroisse de Crucheray. Il est noté dans le registre de la paroisse qu’il est également fabricier (1730-1739) et syndic à Lancé (à 4 km de Crucheray).
Sa mère, Marie Lucquet est la fille de Pierre Lucquet, laboureur demeurant au Grand Fontenaille, paroisse de Nourray situé à 2km de Crucheray.
Pierre a plusieurs frères et sœurs tous nés à Crucheray
- Marie née le 22 janvier 1716 et décédée le 20 novembre 1723 à Crucheray, à l'âge de 7 ans
- Louise, née le 3 mars 1917 et décédée le 4 mai 1747 à Sainte Anne à l'âge de 30 ans
- Jean né le 8 avril 1719 et décédé le 26 décembre 1725, à l'âge de 6 ans
- Marguerite née le 23 décembre 1720 et décédée le 25 février 1722 à Crucheray à l'âge de 14 mois
La mère de Pierre meurt le 16 octobre 1721, moins d’un an après la naissance de son dernier enfant. Elle avait 30 ans.
Pierre bordier se mariera, mineur (la majorité à l’époque pour les garçons est fixée à 30 ans), le 1er mars 1734 à Anne Brethon (née le 25 janvier 1711 à St Amand Longpré – se situe à 5km de Lance). Elle est un petit plus âgée que lui.
Le couple habitera avec Jean Bordier dans la ferme située au Pont à Lancé mais en 1750 Jean abandonnera la ferme pour vivre à Sainte Anne chez Jean Gallois, gendre de sa défunte fille, Louise. Sainte Anne se trouve à 8km de Lance
Pierre et sa femme quitteront la ferme du Pont et iront vivre à la petite Musse à Lancé. Pas très loin de leur ancienne ferme puisque par un côté ls dépendances de la petite Musse jouxtent la terre labourable de la métairie du Pont.
Le couple n’aura pas d’enfant.
Anne meurt le 14 novembre 1770 à Lancé. Elle avait 59 ans.
Dix-huit mois plus tard, Pierre se retrouve papa d’une petite Marie Louise qu’il a eu avec Marie Louise Rimbault, 22 ans, servante chez Pierre et sa propre filleule. La parenté spirituelle va poser souci car elle constitue un cas d’empêchement au mariage
Pour pouvoir lever cet empêchement il faut un bref pontifical ; celui-ci sera donné le 5 juin 1772, ce qui permettra le mariage le 15 juin de cette même année.
Quatre autres enfants suivront :
- - Pierre né en 1773 et mort en 1778
- - Jean baptiste né à Lancé le 19 septembre 1775 et mort à Lancé, le 2 mai 1834, marchand laboureur
- - Anne Marie née en 1777 et morte en 1837
- - Pierre né en 1779 et mort en 1836, marchand laboureur
Milieu social
Pierre est issue d’une famille de laboureur relativement aisé : Jean est en effet pendant un quart de siècle fermier de la métairie du Pont, la plus grosse de la paroisse de Lancé d’après le rôle de taille de 1789. Son grand père Mathurin était déjà laboureur à Pinoche.
L’un de ses neveux, Mathurin Gallois, est quant à lui prêtre curé de la paroisse Saint Nicolas de Blois ; il sera le tuteur des enfants de Pierre à son décès
Le père de Pierre, Jean, exerce également d’importante fonction administrative : il est syndic de la paroisse en 1734 c’est à dire qu’il est en charge des intérêts de la communauté villageoise et également fabricier durant 9 ans. A ce titre, il gère les comptes de la paroisse et administre les biens et revenus de l’église de Lancé. C’est donc lui qui baille à ferme les biens de la paroisse (souvent des legs ) il gère les dépenses indispensables : achat de cierges, entretien du mobilier de l’église (dais, balustres, confessionnaux), remplacement de la corde de la cloche, réparation des murs du cimetière.
Le cumul des deux charges (syndic et fabricier) est peu courant et indique une position sociale importante au sein de la communauté.
Pierre sera lui aussi syndic mais pas fabricier.
Il est désigné par le prêtre de la paroisse comme étant tantôt marchand laboureur, tantôt que laboureur ou que marchand. A partir de 1770 il est indiqué plutôt dans les actes de la paroisse qu’il est « ancien fermier », ancien laboureur fermier » voire même « ancien marchand laboureur fermier ».
Sa fortune
La petite Musse où il habite comprend à sa mort en 1781 une maison composée d’une chambre à cheminée, un four, une petite chambre froide, une écurie, une petite grange, un hangar « le tout sous même toit et couvert de thuille, grenier sur lad. chambre et écurie » elle se complète à l’est d’ « un autre petit corps de bâtiment composé d’une petite buhanderie d’un cellier, grenier sur yceux couvert à thuille » et au sud du bâtiment principal « un autre petit corps […] composé d’une étable à vaches et têts à porc, couvert de chaumes »
Il y a aussi des « jardins devant et derrière et au bout desdits bâtiments clos de terre labourable et vigne, le tout en un tenant » ainsi qu’ « une pièce d’autre terre labourable de 12 boisselées et 2 boisselées de pré ».
En 1781 à son décès l’inventaire indique :
- 2 chevaux de 7 et 9 ans et leur équipement « colliers, brides, traits de charrue et charrette »
- « une charrue roulante en rouelles de bois »et les éléments de rechange (un versoir, 3 oreilles, un coutre et 4 socs »
- Une charrette, une brouette, divers outils : une faux avec ses battements, des fourches, 3 crocs, une marre, 3 pelles en bois, une pelle-bêche, une pelle-râteau, un pic, un râteau en fer, un fléau, un van, une « meule à émondre », un arrosoir, un entonnoir, un boisseau de Vendôme, un minot de bois
- Du blé, de l’avoine, du foin, du chanvre, du bois
- « 6 septiers de bled froment compris une petite partye de segle »
- « cinq poinçons et un quart de vin de l’année dont ¾ en blanc »
- 9 poinçons de futaille
- 5 vaches
- Une taure
- 5 vaisseaux de mouches abeille
- 3 vieilles ruches
- 30 livres de viande de porc conservées dans le saloir
- 25 boisseaux de glands
- Un baquet à égoutter le fromage
- Une pelle à four
- Une baratte
- 30 pots à couler le lait
Dans la maison et plus précisément la principale chambre, on trouve :
- Un coffre en bois de noyer sans la clé
- Une petite armoire de bois fruitier de mauvaise qualité
- Un lit complet
- Un buffet en forme d’armoire neuf et fait de différentes espèces de bois »
- Une table de bois de poirier
- 10 chaises de paille de mauvaise qualité
- Un petit vaisselier de faible valeur
- 2 petits lits de mauvaise qualité
- Une couchette d’enfant
Dans la petite chambre voisine
- Un petit lit
- Un coffre de médiocre qualité
Quant au linge, Pierre possédait :
- Six draps de grosse toile d’usure variée
- 8 nappes « au trois quart usées »
- 9 petites serviettes
- 9 petits essuye-mains
- 20 chemises dont 9 neuves et « les autres plus que my-usées »
- 9 petits mouchoirs
- 2 petits fichus
- 11 coiffes de bonnets de nuit
- Une douzaine d’habits, vestes et culottes de mauvaise qualité
- Un manteau de cavalier en drap de mauvaise qualité
La plupart des vêtements sont de couleur sombre à une époque où les couleurs vives sont à la mode
Dans la cuisine, on retrouve :
- un équipement de cheminée
- 3 poeles
- 2 poelons
- Une boite à sel
- 2 marmites avec leur couvercle
- 3 chaudrons de fonte
- Une cuillère à pot en cuivre
- Des plats en terre
- 11 assiettes de fer « mauvaises »
- 11 assiettes de faïence
- 16 autres d’étain dont 6 très petites
- 19 cuillères d’étain
- 7 gobelets d’étain
- Pas de verre ni de couteau
- 2 seilles (sceau) à eau
- Un « mauvais réchaud de cuisine »
- Une petite pendule
- Un fusil
- Une gibecière
- Un bassin à barbe
- Un « pezet » (balance)
- Une « plumée é
- Une lampe
- Un lampion
- 1500 livres dont 25 louis de 48 livres)
L’ensemble de l’inventaire n’atteint pas 400 livres. Si Pierre a été riche, cela n'apparait pas clairement au vu de cet inventaire.
Ceci étant, entre les divers loyers et fermages , les activités d’élevage et les prés, il tire chaque année à peu près 2000 livres ce qui reste correct mais sans plus ; ça le situe tout de même aux tout premiers rangs de la société villageoise.
A noter que le rôle de taille de 1789 contient 112 côtes dont 21 concernent les laboureurs imposés pour "exploitation de labour", "pour exploitation de sa ferme", "pour sa ferme" ; ces 21 côtes représentent les ¾ de l’imposition totale de la paroisse . On y retrouve la ferme du Pont, longtemps exploitée par la famille Bordier et qui en 1789 appartient à la veuve Jacques Gombault : elle est taxée 193 livres , la plus haute du rôle.
La suite : ICI
(*) Jean Vassort est agrégé d'histoire, docteur d'État, professeur honoraire de khâgne au lycée Descartes de Tours.
Il a écrit divers ouvrages très intéressants que je vous recommande : voir ICI et ICI