Eklablog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Hiérarchie sociale dans le monde paysan sous l'Ancien Régime

29 Janvier 2017 , Rédigé par srose

 

Le monde paysan de l’Ancien Régime est un monde assez complexe tant dans sa hiérarchie que dans son monde de fonctionnement interne ; complexité accrue du fait de la multitude de nuances locales qui viennent parfois jusqu’à contredire ce que l’on pensait être un principe de base (la définition de laboureur par exemple).

Hiérarchie sociale dans le monde paysan sous l'Ancien Régime

Pour le moment nous nous en tiendrons à la hiérarchie sociale du monde paysan.

Avant toute chose il est nécessaire de recenser les différentes appellations qui pouvaient exister : tâche difficile au regard d’une part du nombre important de métiers gravitant dans le giron paysan et d’autre part des différentes significations données à un même nom en fonction des localités et des régions.

Reprenons les termes les plus courants :

  • le laboureur :
    • en Picardie le laboureur est le plus souvent un gros paysan, tout en haut de l'échelle
    • En Flandres maritime (Dunkerque, Bergue, Cassel) et en Flandres wallonne, le laboureur est un petit propriétaire indépendant avec quelques employés
    • On va parler aussi en Touraine ou en Bourbonnais de laboureur à bras : un homme à gage, simple domestique qui tient la charrue chez un propriétaire
    • En Savoie le laboureur est un journalier ; le rôle des pauvres et misérables de la paroisse de Veyrier près d’Annecy le Vieux en Haute Savoie montre que de nombreux laboureurs figuraient parmi les indigents
    • Dans la vallée de l’Adour (dans les Pyrénées) on était laboureur quand on avait au moins 5ha sinon on était juste un ménager - En Albigeois c’est l’inverse : le ménager possède davantage que le laboureur
    • En Lorraine le laboureur est en haut de l’échelle sociale : en 1775 le Parlement de Nancy précise que « chaque village contient presque toujours dix manœuvres pour un laboureur »
    • A noter que le terme laboureur va progressivement disparaitre au cours des 18 et 19ème siècle au profit du terme de cultivateur.

Hiérarchie sociale dans le monde paysan sous l'Ancien Régime

Labours et semences en Auvergne

  • le censier : Dans le nord de la France et en Belgique, ce terme désigne celui qui tient une cense à ferme ainsi qu’une métaierie (la cense signifiait fermage à l’origine puis est devenue le nom de la ferme) 

Hiérarchie sociale dans le monde paysan sous l'Ancien Régime

Cense abbatiale de Mons en Pévèle (59)

 

Hiérarchie sociale dans le monde paysan sous l'Ancien Régime

Cense au pigeonnier près d'Orchies (59)

 

  • le bordier : paysan qui tient une petite ou moyenne exploitation de 2 à 15ha : la borderie ou la borde ; on rencontre ce terme dans l’ouest et le sud ouest
  • le closier est un vigneron qui occupe une petite exploitation de 6 ou 7 ha, la closerie dans l’ouest : il dispose d’une maison louée ou gratuite, d’un jardin, de bâtiments d’exploitation, d’une ou deux vaches ; il est salarié de son propriétaire et travaille au forfait : environ 20 livres par arpent de vigne travaillé ; il ne dispose pas de la récolte qui revient en totalité au propriétaire
  • le haricotier du Beauvaisis est un petit laboureur propriétaire de sa maison et d’un petit jardin, et qui possède en propre 3 à 4ha tout en louant la même surface en fermage
  • le journalier ou manouvrier ou brassier : personne pauvre qui vit du travail de ses bras et qui n’a aucun bien, qui est payée à la journée ou à la tâche ; parfois il s’agit de petits ou moyens propriétaires victimes d’une régression sociale brutale suite à une crise économique

Hiérarchie sociale dans le monde paysan sous l'Ancien Régime

  • le ménager : petit paysan propriétaire du nord de la France à peine mieux loti qu’un manouvrier alors que dans le sud il est un laboureur souvent aisé mais pas toujours (cela dépend des localités)
  • le jardinier : employé par un grand propriétaire ; le rang social de ce dernier influera sur la condition du premier ; on trouve également des jardiniers maraichers qui sont de très petits paysans qui se livrent à des cultures délicates demandant beaucoup de travail sur une toute petite surface et qui travaillent dans les faubourgs des ville
  • le coquetier ou cocognier est un éleveur de poules et de pigeons qui écoule sa production d’œufs sur les marchés urbains locaux 
  • le régisseur ou intendant : paysan salarié recruté par un grand propriétaire pour gérer l’exploitation 
  • le laboureur receveur organise la levée de droits seigneuriaux (redevances ; dimes inféodées, amendes …) 
  • le laboureur fermier exploite la terre en fermage 
  • le rentier vit des redevances prélevées sur les produits de la terre

 

Il faut avoir en tête que ces « catégories » ne sont pas hermétiques – on peut avoir le meunier souvent riche qui exploite la ferme du moulin  ou le ménager qui est aussi marchand …

 

La classification qu’il est possible de proposer va finalement opposer ceux qui ont des attelages de labour (chevaux, ânes, bœufs) et ceux qui n’ont que leurs bras : les  laboureurs contre les brassiers.

A noter toutefois que parmi les laboureurs tous ne sont pas égaux : on a des paysans qui ont « charrue entière » d’autres une « demi charrue » seulement ; mais ce n’est pas là l’essentiel car l’opposition principale reste laboureur contre brassier.

La question de la propriété importe peu ici car un brassier a souvent quelques lopins de terre et quelques bêtes et le laboureur n’est pas nécessairement propriétaire car  il se peut fort bien qu’il ne tienne son exploitation, au moins en grande partie, qu’à titre de fermage temporaire et c’est d’ailleurs souvent le cas. N’oublions pas à ce propos que si sous l’Ancien Régime 80% de la population vit et travaille dans les champs rares sont les exploitants qui sont réellement propriétaires de la terre.

Hiérarchie sociale dans le monde paysan sous l'Ancien Régime

Ferme de Lucien Deswarte à Zuydcoote (59)

Il faut en fait retenir comme critères :

  • la surface de l’exploitation (à ce titre le seuil de l’indépendance économique est en moyenne de 5 à 10ha : selon Pierre Goubert le paysan indépendant est « celui qui quelle que soit la conjecture va assurer grâce à ses terres, la subsistance des siens, le paiement des impôts et faire des ventes parfois fructueuses»
  • le capital d’exploitation : plusieurs charrues, l’outillage, le cheptel (une charrue vaut en moyenne 30ha quand elle est mise en valeur par un attelage de 3 chevaux donc le nombre de charrue donne ainsi une idée de la surface exploitée) 

Hiérarchie sociale dans le monde paysan sous l'Ancien Régime

 

De façon générale on peut dégager le schéma pyramidal suivant en tenant compte bien sûr des spécificités locales.

Les paysans dominants, minoritaires dans la population; ce sont les gros laboureurs, les fermiers, les censiers, les laboureurs marchands. Ils ont des exploitations de 30 à 100 ha, plusieurs train de charrue (charrue + bœufs ou chevaux) et emploie une main d’œuvre importante. Ne nous y trompons pas : même eux ne sont pas nécessairement propriétaires de l’ensemble des terres qu’ils exploitent : souvent elles sont louées à un grand propriétaire non résident (seigneur, noble, bourgeois ou religieux) qu‘ils représentent aux yeux des villageois

Hiérarchie sociale dans le monde paysan sous l'Ancien Régime

Ferme de Ponceaux en Picardie

Les paysans indépendants ou paysans moyens sont les ménagers du Midi et du Languedoc les métayers de l’Ouest et du Centre,  les laboureurs du bassin parisien et du Centre. Ils exploitent de 10 à 30ha et ont une main d’œuvre essentiellement familiale plus des saisonniers ; au moins un train de labour (2 chevaux de trait et une charrue dans le Nord par exemple) ;  souvent un revenu supplémentaire venant d’un métier artisanal ou d’un petit commerce local

Hiérarchie sociale dans le monde paysan sous l'Ancien Régime

Ferme réhabilitée près de Toulouse

Les petits laboureurs sont les ménagers du Nord, des paysans semi indépendants qui exploitent entre 5 et 10 ha parfois un peu plus. Ils ont souvent un train de culture incomplet et doivent s’associer avec d’autres pour le compléter. Ce sont aussi les closiers de l’Ouest, les haricotiers du Beauvaisis et les bordiers de l’Ouest et du Centre et du Sud Ouest qui eux, exploitent de 3 à 10 ha, sans train de labour, et sans réelle indépendance économique.

Hiérarchie sociale dans le monde paysan sous l'Ancien Régime

Ferme à Sotteville sur mer en Normandie

Les paysans dépendants regroupent quant à eux de 35 à 50% des paysans : ce sont sont les manouvriers, brassiers, journaliers, charretiers, domestiques agricoles qui ne possèdent pas de terres  ou qui exploitent un jardin ou une micro exploitation de 2 ou 3ha.

Hiérarchie sociale dans le monde paysan sous l'Ancien Régime

Ferme près de Lille

 

Sources

Paul Leuilliot : Au 18ème siècle : histoire agraire, histoire sociale

Marc Bloch : Les caractères originaux de l’histoire rurale française

Thierry sabot : hiérarchie et ascension sociale de nos ancêtres paysans du 16 au 18ème siècle

Nos Ancêtres, Vie et Métiers n°5

 

 

Lire la suite

Lutter contre l'indigence à Lille : la table des pauvres et la bourse commune des pauvres

1 Janvier 2017 , Rédigé par srose

 

Au 16ème siècle le visage de la charité va changer dans toute l’europe occidentale. Pourquoi ? Est-ce dû à une aggravation de la situation économique (hausse importante du prix du blé notamment), aux déplacements en augmentation de familles entières du fait des guerres ou des difficultés économiques, aux réformes humanistes tant catholiques que protestantes … ? En tous les cas on assiste, à la même époque et dans plusieurs pays, à une centralisation des aides par le pouvoir laïc et une organisation optimisée, en principe, des distributions.

Perception des mendiants

Ce qui est certain c'est que les mendiants ont toujours eu mauvaise presse de par les siècles. Ainsi un édit de 1515 promulgué par le futur Charles Quint est très clair sur ce point : les mendiants sont des parasite et dénonce en terme véhément leur comportement : « pareillement les blîtres, truans et gens dessusdits, avec leurs filles de légère vie et leur secte se retirent aussi bien souvent vers le soir, les aucuns ès hospitaulx et aultres ès tavernes, cabaretz et lieux deshonnestes, où ilz font grosse chère, jouent, s’estrivent et combattent, menans vie dissolute et deshonneste ; à cause de quoy advient chascun jour que plusieurs compaignons de mestiers, conséderans la vie desdits blîtres, truans et vagabonds, se mettent à ladite blîtrerie, habandonnans et délaissans leurdit mestier, en manière que les censiers et aultres ne sçaivent recouvrer verletz, meschines, ne ouvriers pour labourer leurs terres, ny en temps d’esté aider à mettre leurs foings, bledz, avoines et aultres grains en granges ».

Lutter contre l'indigence à Lille : la table des pauvres et la bourse commune des pauvres

Ils sont également dangereux pour la santé d’autrui. « Comment empêcher, demande Juan Luis Vivès (théologien et  philosophe espagnol et juif converti au catholicisme ; 1492-1540), qu’en un temple quelconque quand s’y célèbre quelque cérémonie solennelle, il ne soit possible d’entrer sinon entre deux files et escadrons de maladies : tumeurs putrides, plaies et autres maux, que l’on a même dégoût à nommer et que ce soit le seul chemin par où doivent passer les enfants, les jeunes filles, les viellards et les femmes enceintes ? »

Déjà, à la fin de 1525, la foule des mendiants pullulante autour des églises et à l'intérieur était devenue tellement importune que la mendicité fut interdite et beaucoup de pauvres furent chassés de la ville.

Charles Quint avait d’ailleurs trouvé une occupation pour les « oiseux » et autres vagabonds de Dunkerque, lesquels furent réquisitionnés pour l’expédition organisée contre les barbaresques en 1535 …

Il est à noter que si la mendicité est mal vue, on tolérait toutefois les mendiants pensionnaires des institutions décrites entre autre dans l’article précédent : lutter contre l’indigence à Lille, les hôpitaux, hospices et maisons charitables.

Pour éviter d'être chassé hors de la ville, les « pensionnaires » de ces institutions devaient porter sur eux l’insigne de leur établissement, insigne que l’on appelait « plommet ». Le registre des ordonnances de Lille précise en effet en 1531 qu’il était interdit « aux concierges des hôpitaux » de loger les « brimbeurs » (mendiants) s’ils ne portent pas « un plommet de ceux à ce commis qui sera marqué assavoir pour l’hôpital des Grimaretz de l’image de la benoite vierge Marie, ceux de Saint Julien de l’image dudit saint, ceux de l’hôpital Saint Jacques de l’image dudit saint ». 

Lutter contre l'indigence à Lille : la table des pauvres et la bourse commune des pauvres

  

La carité

Ceci étant, venir en aide aux pauvres est un acte chrétien, une condition du Salut qui est mis en avant depuis les débuts du christianisme.. Déjà sous Clovis nous retrouvons cette attention pour les indigents avec le concile d’Orléans qui, en 511, prescrit aux évêques d’assigner le quart de leur revenu aux besoins des pauvres. Principe qui fut rappelé tout au long des siècles par divers conciles.

Lutter contre l'indigence à Lille : la table des pauvres et la bourse commune des pauvres

Par ailleurs, les prédicateurs, écrivains, confesseurs et théologiens de tout bord dénoncent l’amour excessif de d’argent. Le père Bridoul (écrivain ascétique français 1595 – 1672) rappelle que le Christ a déclaré « qu’il serait plus aisé à un chameau de percer trou d’une éguille qu’à un homme riche d’entrer au Paradis. »

Le père de Bonnyers au début du 17ème siècle  interpelle lui aussi les riches : « je vois dans vos coffres de vieux escus, par trop d’habits, la table si chargée de viandes qu’elle vous peuvent suffir pour trois jours et là-dessus je m’escrie : une partie aux pauvres, aux hospitaux, à la prison : on y meurt de faim. Vous croyez que je suis fort en peine pour eux ; il y a du subject. Je le suis encore davantage pour vous : car ce que vous retenez ou prodiguez sans en faire du bien, selon st jacques est capable de vous faire condamner au jugement de Dieu ».

Le père Saint Antoine de Balinghem tempère en précisant que « il ne faut pas penser que l’aumosne délivrera d’enfer celuy qui persévère et meurt en un seul péché mortel »

Lutter contre l'indigence à Lille : la table des pauvres et la bourse commune des pauvres

 

La table des pauvres

Cette aide charitable va ainsi se développer par de multiples moyens : aumônes, quêtes, dons, table des pauvres, œuvre du bouillon …

La table des pauvres ou « pauvreté » ou « charité » : dans les anciens Pays Bas et l’empire, l’expression  table ou taule des pauvres désignait le meuble placé près de la porte de l’Eglise à l’usage des distributions.

On trouvait une table des pauvres dans chaque paroisse, géré par des paroissiens que l’on appelait les gardes de la charité, pauvriseurs ou pourveurs des povres, caritables ou encore ministres des pauvres. On remonte la trace de ces associations caritatives dès 1236. Leur mission était de distribuer des secours aux pauvres « honteus et disiteus » dans les limites du territoire de la paroisse.

Lutter contre l'indigence à Lille : la table des pauvres et la bourse commune des pauvres

L'aumône

Les ressources de cette table des pauvres et ensuite on le verra plus loin de la Bourse commune des pauvres, provenaient des dons et legs, du produit des quêtes, du secours ordinaire alloué par le Magistrat de Lille mais également d’amendes diverses, des taxes sur les récoltes, du denier à Dieu accompagnant tout acte de vente ou location de propriété et laissé à la générosité de chacun, des taxes sur les spectacles, la guède, la bière et le vin.

Ainsi par exemple la Bourse perçut en 1585, 9 livres 6 sols pour quart de la recette d’un forain qui montrait au peuple un mouton d’une excessive grandeur. En 1587, la Bourse reçut 16 livres d’un homme sans bras faisant « plusieurs industries de ses pieds ».

Les « pourchats » ou quêtes à domicile et à l’église alimentaient également la table des pauvres (les Lillois étaient invités à chaque semaine à donner anonymement une aumône au « caritable » qui les sollicitait à domicile « avec la boite »  ou les dimanche et fêtes à l’église avec le « platelet ».

Malheureusement la multiplicité des moyens ne permet pas, paradoxalement, d’atteindre l’objectif final : à savoir que le maximum d’indigents ait accès à ces générosités. En effet ces aides sont ponctuelles, les distributions désorganisées, éparpillées , voire dévoyées …

 

La bourse commune des pauvres

Aussi la ville d’ypres fait figure de modèle en 1525 en prescrivant une nouvelle organisation qui va bientôt être reprise par d’autres villes de l’empire , Lille notamment, en 1527.

Le règlement de la ville d’Ypres précise en effet : « l’histoire a été écrite à plusieurs reprises. Qu’il suffise de dire ici que le règlement en question a concentré en une unique institution autonome toutes les institutions charitables qui existaient dans la ville. L’autorité municipale devait désigner quatre représentants par paroisse, chargés d’administrer la caisse commune, de pourvoir aux besoins des assistés d’après les renseignements reçus de personnes choisies par les administrateurs pour mener ces enquêtes, de passer au crible chaque cas afin que nul ne refusât de travailler ni ne restat oisif . des prescriptions détaillées fixaient la distribution des secours, les moyens d’écarter les ivrognes et ceux qui menaient une vie dissolue (ces gens-là pouvaient recevoir uniquement des secours en nature, jamais en argent), d’éviter l’afflux de mendiants étrangers à la ville ; elle fixait aussi la contrepartie des subsides distribués et qui consistait en une formation professionnelle, en une vie plus honnête, et en une plus scrupuleuse obéissance au devoir du culte catholique ».

Désormais l’assistance aux pauvres est prise en charge par le pouvoir civil, les ressources sont centralisées et le travail va devenir le remède à la mendicité. Du fait de l’existence de cette nouvelle organisation il devient interdit de donner directement aux pauvres ou aux ordres mendiants sous peine d’une amende de 1 écu.

Lille emboite donc le pas d’Ypres en 1527 essentiellement pour remédier à un défaut important des tables des pauvres : les paroisses qui avaient le moins de ressources avaient naturellement le plus grand nombre de pauvres. Ainsi la paroisse de St Etienne donnait à elle seule 73% des subsides et la paroisse pauvre de St Sauveur absorbait au contraire 45% des distributions.

Lutter contre l'indigence à Lille : la table des pauvres et la bourse commune des pauvres

Eglise St Sauveur

Dès 1526 il est prévu que désormais « les clairs deniers des charités des pauvres existant dans chaque paroisse (c’est-à-dire l’excédent des ressources de ces charités) se bailleront aux ministres des pauvres honnêtes ménages » : première étape dans la centralisation de la charité mais rien d’obligatoire encore.

Ce sera réellement l’ordonnance du 30 avril 1527 qui rendra obligatoire le versement dans une caisse centrale de ces excédents des charités ou tables des pauvres paroissiales.

Lutter contre l'indigence à Lille : la table des pauvres et la bourse commune des pauvres

Sceau de Lille

Dans le préambule de cette ordonnance, les échevins énoncent les raisons qui les avaient amenés à transformer l'assistance aux pauvres, et expriment également de façon indirecte leur avis sur les causes de la pauvreté et ses effets sur toute la société aussi bien que sur les pauvres. L'un des buts principaux du gouvernement était de mettre fin à la pratique en cours qui permettait à chacun "indifferement de brimber et demander l'aumosne journellement". La mendicité, affirmaient les autorités, n'avait aucune valeur ni pour l'individu ni pour la société. D'une part, elle incitait les mendiants en bonne santé mais paresseux à l'oisiveté — "mère de tous maux" — et au crime. Résolus, donc, de vaincre les mauvais effets que ce choix avait eus sur les pauvres eux-mêmes et sur tous les Lillois, et convaincu que l'on pouvait facilement faire la distinction entre les pauvres dignes ou non de recevoir de l'assistance, les échevins décident qu'il est urgent d'établir un programme qui aurait deux objectifs. La pauvreté méritante allait être "nourrie et substené", tandis que d'une façon ou d'une autre, les autres formes de mendicité allaient être réprimées.

 

Organisation de la Bourse des pauvres de Lille : on a désormais un organe central avec cinq commis, cinq « gens de bien », qui seront appelés ministres généraux « ayant superintendance de tous les pauvres dans la ville ».

Ces derniers seront aidés dans chaque paroisse (St Etienne, St Maurice, St Sauveur, St Pierre et Ste Catherine, ainsi qu'à St André et à La Madeleine, qui étaient à l'extérieur des murs de la ville) par « quattre personnes, gens de bien, dont l’un d’iceulx sera ministre de la carité des povres de sa paroisse » .

L’idée est d’établir une liaison avec les différentes « carités » paroissiales qui vont désormais reverser leur « boni » à la Bourse après avoir exécuté uniquement les charges auxquelles elles sont expressément tenues par les fondations (voir ci après). De même le produit des « pourchas » (quête) faits dans l’église ou dans la paroisse celui des « troncs et blocqs » seront versés à la Bourse.

Lutter contre l'indigence à Lille : la table des pauvres et la bourse commune des pauvres

Tronc d'église

Les ministres des pauvres seront quant à eux aidés par une bureaucratie élémentaire de « clerq », de sergents et de « varlet » et devront réunir et maintenir une liste des personnes éligibles à la carité de la Bourse, écouter les plaintes qui concernent le fonctionnement de ce système et les résoudre, surveiller la collecte et le paiement des fonds, et "faire statuts et ordonnances telles que bien leur semblera".

Ils recherchent les bénéficiaires récemment retenus ou ceux qui devaient être rayés des listes, et ils reçoivent et distribuent l'assistance en argent ou en nature. Ils veillent aussi à ce que les enfants des pauvres pussent fréquenter les écoles, apprendre un métier, ou se mettre en service.

Il fut demandé aux curés et aux prédicateurs d'encourager les contributions, de canaliser les plaintes et de faire connaître aux officiels les besoins de ceux qui ne s'étaient pas présentés à cause de "honte ou simplesse".

 

Concrètement,

  • les ministres des pauvres de chaque paroisse ramassaient et distribuaient chaque semaine les fonds nécessaires : Ils vont quêter et relever les donc faits dans les « troncs et blocqs » : ils font cela deux par deux chaque dimanche et jour de fêtes Le semainier quant à lui s’occupe des dons de la semaine à l’église e matin ; il est chargé également de d’assurer la quête « avec la boite » dans les maisons de la paroisse les jeudis, vendredis et samedis.

 Lutter contre l'indigence à Lille : la table des pauvres et la bourse commune des pauvres

Tronc d'église

  • tandis que les ministres généraux rassemblaient toutes les collectes en une somme commune qu'ils redistribuaient ensuite, ceci pour éviter les inégalités traditionnelles dues à la variation des richesses dans chaque paroisse

 

En résumé : Ils administrent la carité c’est-à-dire les terres, maisons, droits détenus par elle, et toutes les rentes en nature ou en argent perçus par elle et ils gèrent les dépenses à faire.

Ainsi en 1572 on peut estimer que la carité de St Etienne a un revenu annuel d’environ 5 000 livres parisis, celle de St Sauveur 3 000 et celle de Ste Catherine 4 000.

 

Les listes de ministres des pauvres ou « pauvrieurs » que l’on a sur Lille indiquent que ceux-ci sont assez aisés : homme de loi, médecins, marchands, maître artisan. Ainsi Guillaume le Veau, pauvrieur et receveur de la carité de st Etienne vers 1600, est un marchand de garance (poudre rouge extrait d'une plante appelée la garance des teinturiers) ; Jacques Waresquiel, receveur de celle de St Sauveur est notaire.

Lutter contre l'indigence à Lille : la table des pauvres et la bourse commune des pauvres

A Saint Sauveur en 1624 il y a six pauvrieurs , certainement des maîtres sayetteurs ou bourgeteurs:

  • Paul Becque
  • Charles Bonnier
  • Gilles Mannier
  • Jacques le Roy
  • Crespin Poutrain
  • Pierre du Saultoir

 

Ces hommes sont les intermédiaires entre les pauvres de la paroisse et les ministres généraux de la Bourse commune.

 

Lutter contre l'indigence à Lille : la table des pauvres et la bourse commune des pauvres

Marchand drapier

Justement qui sont les ministres généraux chargés de gérer la Bourse commune ? Ils sont majoritairement liés au Magistrat de Lille (le conseil municipal en quelque sorte  constitué par un mayeur, son adjoint, le cottereau, et 10 échevins) et sont donc issus des grandes familles de marchands ou de rentiers.

Ainsi en 1612, six d’entre eux sont échevins ou conseillers :

  • Jean Le Vasseur, mayeur
  • Jacques Castellain, marchand de sayetterie et seigneur d’Ascq
  • Michel Cardon, marchand de draps de soie
  • Jean Mahieu, mrchand et auparavant rewart
  • Hugues de Lobel, marchand de drap en gros
  • André de Fourmestraux, marchand « puissant et riche »

Six autres ont appartenu ou appartiendront au Magistrat :

  • Pierre Desbuissons, marchand
  • Jacques Fasse, marchand
  • Jean Castellain, marchand
  • François Muette, mrchand, minsitre général de 1581 à 1627
  • Auguste Petitpas, écuyer, seigneur de warcoing
  • Martin du Rivaige, licencié en droit et beau frère du Mayeur, ministre général de 1591 à 1625

 

Les fondations

Les Lillois aisés utilisent souvent une autre voie charitable : les fondations ; ils vont donner un capital (terres, maisons, titre de rente) qui va garantir un revenu avec en contrepartie des obligations à respecter. C’est ce que l’on appelle une fondation. Si la bourse commune des pauvres est le destinataire de ces fondations, ce seront les ministres généraux qui en seront les gestionnaires directs ; elles peuvent aussi être placées sous la tutelle des ces ministres en conservant ainsi une cetaine autonomie. ; ces fondations pouvaient également aboutir à la création d’hôpitaux, de monts de piété … dont la gestion est alors confié au Magistrat.

Ainsi par exemple en 1624 le marchand Adrien Desquien donne 26 000 livres parisis pour assurer 2 livres parisis par semaine à « 12 pauvres et anchiens hommes, francques tondeurs, ayant estées maistres audict still ».

Wallerand Hangouart, doyen du chapitre, donne à sa mort en 1565 ,39 808 livres parisis dont le revenu devait servir à payer chaque samedi 18 prébendes de 36 sols à 18 « gens anchiens, nullement suspects d’hérésie ne ayant esté reprins de justice » et qui devaient chaque jour entendre « la messe de prime » à st Pierre afin de prier Dieu pour son âme et celle de sa famille.

André de Fourmestraux, marchand, donne en 1604, 12 000 livres parisis pour fournir 200 livres parisis par an à 3 pauvres personnes déchues de leurs biens.

En 1607 Madeleine Dumortier cède 22 252 livres parisis dont le revenu permettra de donner 24 sols par semaine à 13 pauvres veuves « afin de prier Dieu pour mon âme ».

Lutter contre l'indigence à Lille : la table des pauvres et la bourse commune des pauvres

En 1644 les époux Frémault-Leroy lèguent 30 petites maisons pour y loger gratuitement des pauvres et fondent 30 prébendes de 6 livres parisis par an pour 30 ménages différents des premiers.

D’autres vont léguer tout ou partie de leur fortune pour créer un établissement chargé de recueillir ceux qui ne peuvent plus vivre dans leur milieu habituel.

Comme nous l’avons vu dans l’article sur la lutte contre l’indigence à Lille , il existe fin 16ème siècle deux grands hôpitaux (Comtesse et St Sauveur) avec une capacité qui varie selon les époques mais qui tourne autour de 60 lits chacun ; à côté de ces grosses strutures,  de nombreux petits établissements existent, plus spécialisés et tous créés par le biais de fondations (accueil des pèlerins de St Jacques avec les Grimarets, accueil des vieillettes avec Ste Catherine de Sienne, accueil des orphelines chez les Bonnes Filles , accueil des chartrières (impotentes) à la Charité , accueil des femmes en gésine à St Jacques, accueil des vieilles à Ganthois).

Lutter contre l'indigence à Lille : la table des pauvres et la bourse commune des pauvres

Sans vouloir reprendre la liste des établissements cités dans cet article, il est intéressant de voir les conditions dans lesquelles certains d’entre eux ont été fondés :

Ainsi en 1650 Jérôme Segon, seigneur de Wionval et sa sœur Françoise cèdent tous leurs biens évalués à 200 000 livres parisis pour fonder l’hôpital du Saint Esprit destiné à accueillir 14 malades, 10 religieuses et un chapelain. Pendant 10 ans le Magistrat lutte pour obtenir que cette fondation soit exécutée car en effet des héritiers dépités de voir cette fortune leur glisser entre les doigts, font valoir que Jérôme Segon n’avait pas toutes ses facultés quand il a fait ce testament.

En 1633 le marchand François Heddebaut donne les fonds nécessaires pour la construction de l’hôpital de la Charité rue Notre Dame où l’on accueillera des femmes « chartrières les plus débiles et abandonnées de secours humain que l’on pourra trouver » qui seront soignées par des religieuses augustines issues de l’hôpital ganthois. De 1635 à 1663 des personnes charitables, essentiellement des femmes, fondent 12 lits qui s’ajoutent aux 2 premiers créés par François Heddebaut .

L’hospice de la Conception Notre Dame dit des Bleuettes fut fondé en 1648 par le chanoine Jean Dubus, « meu en considération que nostre Sauveur at tant estimé les œuvres de charité allendroit des pauvres malades qu’il les at tesmoingnez estre faictes à sa propre personne », lequel donne « une maison et héritage rue Saint Sauveur … qui servira de commencement à un nouveau hospital jugé … totalement nécessaire pour y recevoir charitablement toutte sorte de pauvres femmes et filles malades, affin qu’ayant une maison de refuge en leurs infirmitez, Jésus Christ ne soit abandonné en ses pauvres, lesquels se trouvans en leurs maladies réduits aux malheurs d’une dernière nécessité, sans aucune assistance humaine, directement contre les ordonnances divines, sont obligées de finir misérablement leur vie par le désolé trespas d’une mort cruelle et douloureuse ».

En 1622 le marchand François Van Hoyqueslot, seigneur de la Hallerie, ennuyé que rien ne soit prévu pour les « vieux hommes » lègue 6 400 livres parisis pour fonder chez les Bapaumes 3 places réservées à 3 « hommes anciens devant aller ouyr la messe en la chapelle Sainte Barbe en l’église Saint Etienne le mardi et le vendredi », messes qu’il avait également fondées. Mais les Bapaumes sont réservés initialement à des jeunes donc la solution trouvée ne peut être que provisoire. Les ministres généraux de la Bourse vont donc encourager les bourgeois de Lille à créer une « maison des vieux hommes », le futur hôpital Saint Charles Borromée. En 1623 Marguerite du Hot, veuve de Jean Mahieu, membre du Magistrat et ministre général des pauvres, donne 22 550 livres parisis pour faire construire cet établissement. Les ministres des pauvres organiseront un « pourchas » exceptionnel qui rapportera 3 549 livres parisis pour mener à terme la construction.

Lutter contre l'indigence à Lille : la table des pauvres et la bourse commune des pauvres

Une fois achevé, les fondations « d’un lit » se succèdent : ainsi le sayetteur Mathias Deleporte et son épouse Catherine Leplat en fondent un pour un vieux sayetteur « qui soit bon et fidel catholique, apostolique et romain et nullement suspecté d’hérésie ». Jean Lequien, boulanger rue des Cabochus, lègue à l’établissement tous ses biens évalués à 32 000 livres parisis à condition de faire dire 3 obits par an à St Etienne « pour le repos de son âme ». Au final en 1640 il y a 15 lits fondés par des particuliers ; 5 autres lits s’y ajouteront en 1679.

 

Evolution de la carité

Jusqu’en 1630 à peu près, « pourchas » et offrandes dans les troncs rapportent de 6 000 à 6 500 livres parisis par an. A partir de 1630 le produit des quêtes diminuent jusqu’à atteindre moins de 3 000 livres parisis en 1661. Depuis 1647 on ne quête plus avec la boite à domicile que dans les paroisses St Etienne et St Maurice où le milieu social est assez aisé.

En revanche la charité publique va se manifester plus généreusement lors de calamités comme la peste de 1597 et de 1598 où les « pourchas » ont rapporté respectivement 8 996 livres parisis et 7 326 livres parisis au lieu de 6 000 livres parisis de l’année précédente.

De même de 1590 à 1629, chaque année 15 à 20 Lillois faisaient un legs par voie testamentaire à la Bourse ; de 1630 à 1649 il ne sont plus que 11 , 8 de 1650 à 1659 et 5 de 1660 à 1670.

Pourquoi cette diminution importante de la carité ? Peut-être le conflit franco espagnol y est pour quelque chose : Jean de le Barre nous dit en 1656 en parlant de Lille, sa ville natale : « les rentiers étoient puissans en revenus annuels, qui maintenant sont presque réduits sans aulcuns moiens et revenus ».

Notons tout de même qu’en 80 ans ces généreux donateurs ont fourni près de 265 000 livres parisis à la Bourse qui a pu placer une partie de ce capital en rentes.

 

Nature des secours

La table des pauvres et la bourse commune des pauvres venaient au secours des personnes sans ressources, du placement des vieillards et des orphelins que l’on mettait en pension chez des particuliers, du placement des filles « débiles » chez les Repenties, de l’achat de draps et souliers, de l’instruction des enfants pauvres et des soins médicaux gratuits. Il ne fallait pas en oublier car des indigents ont quand même intenté des actions en justice contre des « pauvretés » qui les avaient écartés de leurs secours…

Lutter contre l'indigence à Lille : la table des pauvres et la bourse commune des pauvres

Distribution de nourriture

 

Lutter contre l'indigence à Lille : la table des pauvres et la bourse commune des pauvres

Ecole sous l'Ancien Régime

Les médecins ou mires qui s’occupaient des indigents étaient rémunérés par la ville ; par exemple à Roubaix ils étaient rémunérés 6 livres et 5 sols l’année pour « remuer et visiter les pauvres » ; en 1579, 60 livres et 70 livres en 1669.

A Armentières en 1598/1599, Jéhenne Soutil (ou Subtil) « malade de maladie estrange », fut trois fois exorcisée par le curé de Nieppe. A chaque venue, ce dernier mangeait avec les ministres de la table des pauvres à l’auberge « du bel imaige » ou celle de l’« escu de Bourgogne », (toutes deux sur la place). Il en coûta 60 livres dont 6 livres et 6 sols audit ecclésiastique, 17 livres 16 sols échurent à Jacques Subtil (frère de la malade) pour garde de celle-ci et 6 livres et 2 sols à Maître Ernoult Bartier et sa femme qui s’en étaient chargés également.

 

A certains moments des aides spéciales sont nécessaires :

En 1558, 1572-73, entre 1575 et 1584, et de nouveau en 1587, la Bourse accorda des paiements spéciaux aux victimes de la peste, riches et pauvres, qui durent cesser leur travail et rester chez eux, ou bien s'installer dans un lieu de refuge pour les victimes de la peste situé dans la banlieue de Lille, appelé le "Riez de Canteleu".

Lutter contre l'indigence à Lille : la table des pauvres et la bourse commune des pauvres

Ce qui reste de la maladrerie du Canteleu dans l'ancienne commune de Lomme :

la chapelle, au 253 avenue de Dunkerque à Lille

 

Chaque pestiféré qui devait rester isolé chez lui recevait cinq sols parisis par semaine, ou un peu plus d'une livre parisis par mois. Pour ceux qui s'étaient réfugiés au "Riez de Canteleu" l'indemnité s'élevait à 6 sols par semaine, soit 1,3 livres par mois.

 

De même, le nombre des orphelins augmentait de façon importante quand la peste se déclarait. Alors que la Bourse commune était venue en aide à 71 enfants trouvés au début de 1554 par exemple, elle en avait 381 à sa charge à la fin de 1558.

 

La Bourse commune dirigea à partir de 1584 les écoles du dimanche de la ville. Ce système scolaire municipal, établi grâce aux donations d'un montant de 12.800 livres parisis de Hubert Déliot et de son père Guillaume, fut destiné, dès 1554, à apprendre à cent enfants de pauvres à lire, à écrire, à calculer et à avoir de bonnes moeurs. Par la suite, il s'adressa à tous les jeunes de 8 à 18 ans.

 

Quant aux secours par le travail, il ne semble pas que ce fut un moyen très utilisé : en deux occasions seulement, et de façon temporaire, Lille employa directement de grands nombres de pauvres. A la fin de décembre 1565, pour aider "la grand foulle des povres" à survivre, les échevins appelèrent tous les chômeurs "d'aige competent" à s'inscrire chez le greffier municipal qui devait ensuite leur assigner un emploi dans les projets municipaux. En retour, les pauvres devraient renoncer à la mendicité.

De même, le Magistrat, en juillet et août 1586, employa environ 1 800 hommes par jour pour nettoyer les rivières, les canaux et les fossés.

 

Il est à noter que lors de circonstances malheureuses (des batailles par exemple) le pape tout comme le roi accordent des libéralités au peuple : ainsi en 1340 le pape Benoit XII demanda à l’un de ses chapelains de se rendre dans le nord de la France et plus précisément dans le Cambrésis, le Vermandois, le Thiérache pour répartir entre les sinistrés les plus pauvres des premières batailles de la guerre de Cent ans 6 000 florins d’or soit 8 900 livres tournois, aumône qui fut complétée par le roi de France Philippe VI et l’évêque de Laon.

Lutter contre l'indigence à Lille : la table des pauvres et la bourse commune des pauvres

Louis XVI distribuant l'aumône aux pauvres de Versailles durant l'hiver 1788

De même Mahaut de Bourgogne princesse d’Artois distribua en 1306 à Calais des secours après enquête aux plus nécessiteux, victimes de l’hiver rude. 

Lutter contre l'indigence à Lille : la table des pauvres et la bourse commune des pauvres

 

Sources

Les pauvres au Moyen Age de Michel Mollat

Les premiers budgets municipaux d’assistance : la taxe des pauvres au 16ème siècle de Marcel Fosseveux (revue d’histoire de l’église de France – 1934, volume 20 n° 88 p 407)

Histoire de Llle depuis les origines jusque 1830 de Lucien de Rosny

Au cloître et dans le monde : femmes, hommes et sociétés (9è-15ème siècle) de Patrick Henriet et Anne Marie Legras

La campagne dans la chatellenie de Cassel

Nord généalogie n°199 – 2007/2 p 104

La bourse des pauvres d’Aire sur la Lys à la fin de l’Ancien Régime de Jean Imbert

Les origines de la Bourse commune des pauvres à Lille au 16ème siècle de Scrive-Bertin

Charité municipale et autorité publique au 16ème siècle : l’exemple de Lille de Robert Saint Cyr Duplessis

La vie à Lille de 1667 à 1789 d’après le cours de Monsieur de Saint Léger de Aristote Crapet

 

Lire la suite

Lutter contre l’indigence à Lille sous l’Ancien Régime – les hôpitaux, hospices et autres maisons charitables

23 Décembre 2016 , Rédigé par srose

Plusieurs œuvres et établissements prodiguaient soins, secours et hébergement aux nécessiteux de Lille sous l’Ancien Régime. Parmi ceux-ci les hôpitaux, hospices et maisons charitables que l’on retrouve un peu partout dans Lille et qui pour certains ont traversé les siècles jusqu’à nous.

A noter que déjà à la fin du 15ème siècle on dénombrait 14 hôpitaux et autres maisons de charité à Lille (qui comptait à cette époque 24 à 26 000 habitants).

 

En voici quelques uns :

 

1/Le plus ancien hôpital lillois est celui de St Jean l’Evangéliste ou Saint Sauveur fondé vers 1216 par la comtesse Jeanne de Flandres, entre l’église Saint Sauveur et la porte Saint Sauveur dont il pris le nom. Il fut inauguré par Jean Martin, chanoine de la Collégiale de St Pierre (édifice située le long de la Basse Deûle à l’emplacement de l’actuel Palais de Justice) et était destiné à accueillir les malades pauvres. Au 18e siècle, c’est le principal hôpital actif de Lille. En 1720 il y avait 60 lits dont la moitié réservé aux soldats malades ou blessés.

Il fermera ses portes en 1958 et fut détruit en 1960. Seul demeure aujourd’hui le pavillon Saint Sauveur, siège actuel de la Fondation de Lille.

 Lutter contre l’indigence à Lille sous l’Ancien Régime – les hôpitaux, hospices et autres maisons charitables

1920 - Hôpital St Sauveur face ancien square Ruault (actuel hôtel de ville)

Lutter contre l’indigence à Lille sous l’Ancien Régime – les hôpitaux, hospices et autres maisons charitables

Ce qui reste de l'hôpital St Sauveur : le pavillon St Sauveur

 

2/L’Hospice Gantois ou hospice St Jean Baptiste à Lille, dit aussi des « Vertus républicaines » sous la Révolution, fut créé en 1462 par un riche bourgeois du nom de Jean de la Gambe dit le « Ganthois » car originaire de Gand. Son testament rédigé en 1466 précise qu’il s’agit d’«un hôpital et Maison-Dieu sous le titre de monseigneur Saint Jehan Baptiste, nommé autremans hospital des cartriers».

Destinée à recevoir « treize anciennes gens décrépités et débiles, hommes ou femmes », originaires de Lille. L’œuvre sera tenue par six Augustines « vêtues simplement d’une cotte de drap griset » ou d’un « affuloir (linge)nommé faille de drap noir ».

Les religieuses furent chassées en 1789 puis rappelées en 1815, et poursuivirent leur tâche jusqu’en 1995. Lorsqu’elles revinrent en 1815, une nouvelle réglementation sélectionne les malades éligibles aux soins apportés dans l'établissement. Il faut désormais avoir moins de 70 ans, être né à Lille et y avoir résidé au moins 5 ans, avoir payé une patente et être dans un état de santé interdisant « une activité permettant de subvenir à ses besoins ».

L'édifice est aujourd'hui devenu un hôtel de luxe.

 

Lutter contre l’indigence à Lille sous l’Ancien Régime – les hôpitaux, hospices et autres maisons charitables

Lutter contre l’indigence à Lille sous l’Ancien Régime – les hôpitaux, hospices et autres maisons charitables

Salle des malades

Lutter contre l’indigence à Lille sous l’Ancien Régime – les hôpitaux, hospices et autres maisons charitables

 

3/Il y avait également l’hôpital Notre Dame ou Comtesse qui date de 1236 avec 62 lits en 1788.  Situé rue de la Monnaie dans le Vieux Lille, désaffecté en 1939,  il abrite aujourd’hui un musée.

C’est Jeanne de Constantinople, comtesse de Flandre, qui fonde en 1236 dans l'enceinte de son propre palais cet hôpital qu'elle dote richement. En 1243, elle fait don des moulins de Lille et de Wazemmes à son Hôpital ainsi que du droit de banalité des moulins qu'elle possède sur toute la banlieue de Lille et que l'on appelait la Mannée de Lille. Cette mannée comprenait les villages qui s'inscrivaient à l'intérieur d'un territoire autour de Lille, de circonférence à égale distance de Seclin, Anstaing et Tressin.

De l'établissement primitif réservé aux malades pauvres, aux pèlerins et aux passants, il ne reste rien, suite à un incendie survenu dans la nuit du 11 avril 1468 l'ayant entièrement détruit ; un autre incendie détruisit le 17 mars 1649, la chapelle et des bâtiments conventuels, de sorte que la majeure partie de l’établissement actuel date du 17ème siècle.

 Lutter contre l’indigence à Lille sous l’Ancien Régime – les hôpitaux, hospices et autres maisons charitables

Cour hospice Comtesse

 

Lutter contre l’indigence à Lille sous l’Ancien Régime – les hôpitaux, hospices et autres maisons charitables

Hospice Comtesse côté rue de la Monnaie

4/L’hospice de la Conception Notre Dame dit des Bleuettes au 23 de la rue St Sauveur date de 1648 et fut fondé grâce au legs du chanoine de la Collégiale de St Pierre, Jean Dubus, pour accueillir des femmes frappées de maladies chroniques.

Le nom de « Bleuette » vient de leur habit de dessus bleu. Faute de revenus il disparaît en 1769.

 

5/ L’hôpital du St Esprit, rue de l’Abiette (rue de Tournai) puis rue du Pont Neuf, date de 1650 et fut fondé par Jérôme Ségon, écuyer et sa sœur Françoise pour héberger une quinzaine de pauvres invalides qui seront soignés par des religieuses du Saint Esprit. Le bâtiment de la rue de Tournai sera en 1668 cédé aux Bons Fils pour loger les aliénés. Il fermera en 1797.

 Lutter contre l’indigence à Lille sous l’Ancien Régime – les hôpitaux, hospices et autres maisons charitables

Religieuses su Saint Esprit

 

6/ L’hôpital St Joseph ou des Incurables (rue de Courtrai puis 56 rue royale) fondé en 1656 par les prêtres Philippe Descleps et Jacques Tesson, est destiné à héberger des soldats invalides abandonnés.  Il accueille une vingtaine de  pensionnaires en 1675. Il accueillera les « pauvres hommes affligés de maladies incurables». Il deviendra pendant la Révolution l’Hôpital des Sans Culottes incurables. Il fermera en 1797.

 

7/ L’hôpital St Jacques (16 ou 18 rue St Jacques) fut créé en 1431 par la Duchesse Isabelle du Portugal, épouse du Duc de Bourgogne, Philippe le Bon, pour les pèlerins de St Jacques de Compostelle puis pour les "femmes en gésine" (en couche) afin "de les relever, visiter servir et seconder" ; au 18ème siècle il n’y avait que 2 lits : les femmes n’y entraient que 9 jours après l’accouchement et y restaient une quinzaine de jours.

 

8/ L’hospice Ste Catherine de Sienne dit des Vieillettes fut fondé en 1541 par Jean Barge, bourgeois de Lille et sa femme Marguerite Leroux : ils firent don d’une maison rue de Sailly (rue des Trois Molettes – il se trouvait à l’emplacement du parvis de la cathédrale de la Treille) pour loger, nourrir et entretenir treize pauvres chartrières (impotentes) de Lille jusqu’à la mort de la dernière vivante. En 1576 il fut décidé qu’on continuerait à y admettre de « pauvres et honnêtes personnes âgées d’au moins 60 ans, pauvres et sans aide ». Cette fondation fut supprimée en 1797.

 

8/ L’hôpital St Charles Borromée dit des Vieux Hommes au coin de la rue des canonniers et de la rue de Roubaix fut fondé en 1622 par François Van Hoyqueslot, seigneur de la Hallerie,  pour abriter « trois hommes anciens nés à lille ayant au moins 55 ans et ne pouvant travailler ». Il comptera jusqu’à 68 lits en 1631. En 1674 les malades sont renvoyés chez eux ou sont transférés aux Bonnes Filles pour permettre d’y loger les soldats. Il fermera en 1797.

 

9/ L’hôpital Ste Elisabeth ou Béguinage rue du béguinage fut fondé en 1234 par la Comtesse Jeanne de Flandre et sa sœur Marguerite pour abriter 14 femmes de condition modeste, ne pouvant se marier faute de dot ou ne souhaitant pas devenir de religieuses faute de vocation ou de place dans un couvent. Il est précisé qu’il doit s’agit d’ « enfants de bonnes gens, vivant en chasteté ». Ces demoiselles passent leur temps à travailler, prier et faire œuvre de charité. Le Béguinage occupe un terrain compris entre les rues de Metz, Saint Sébastien et rue Princesse et comprend une rangée de 16 maisons , une chapelle et un jardin.  En 1401 une odonnance de Philippe le Hardi précise que les béguines doivent payer 12 livres parisis pour y être admise et ceci au vu du train de vie des Béguines qui vivaient au dessus de leur moyen ; elles n’auraient dorénavant qu’une seule « méchine » (servante) à leur disposition .

A la Révolution le béguinage recueille les femmes pauvres, malades, infirmes, veuves et les jeunes filles sans protection ; il sera en 1796 considéré comme un hospice pour femmes ayant une situation financière précaire.

En 1841 Louis Philippe met fin au Béguinage en précisant que celui-ci disparaitra avec la mort de la dernière Béguine. Le Béguinage fut démoli en 1855.

 

10/ L’hôpital Notre Dame de la Charité , rue de l’Arc, fondé par François Heddebaut , bourgeois de Lille, pour abriter des « pauvres femmes veuves ou filles chartrières (impotentes) débiles et abandonnées de secours humains » que l’on pourra trouver en ville et dans la chatellenie de Lille. Il fut transféré rue notre Dame (rue de Béthune) en 1643 et possède 25 lits à cette époque. Il fermera en 1797.

 

11/ L’orphelinat de la Conception ou des Bonnes Filles rue royale a été créé vers la fin du 15è et était destinés à hospitaliser les orphelins. En 1752 l’intendant des Séchelles mit les orphelins dehors pour faire de la place aux soldats malades ou blessés. En 1765 ils trouvèrent asile à l’orphelinat des Bapaumes. 

 

12/ La Maison d’Orphelines dite de la Présentation Notre Dame , 20 rue de l’hôpital militaire, fut fondé par Martine de Grave en 1630 ; à l’époque elle fonde une école située rue des Buisses à Lille pour les filles ; en 1646 elle donnera trois maisons dont deux rue des Jésuites et la 3ème aboutissant à cette rue et à celle de Notre Dame pour y établir l’école sous le nom de la présentation Notre dame pour les pauvres orphelines ou abandonnées. Elle cessera son activité en 1730 faute de ressources.

 

13/ La Maison des Bons Enfants, rue des Sept Sauts (angle de la rue Trulin et d’Anatole France), a été fondée avant 1124 par Jean de Pardieu et hébergeait des indigents autorisés à mendier en ville. Cet établissement donna son nom à la cour des bons enfants qui sera démoli pour laisser place au théatre (opéra).

 

14/ Maison de Bapaumes, rue des Jésuites (rue de l’hôpital militaire), date de 1605 ; elle fut fondée par Guillaume de Boileux dit Bapaumes qui institue une école pour 80 garçons et 20 filles orphelins pauvres de Lille. La Maison fusionnera avec les Bleuets à la Révolution ; en 1797, les orphelins seront transférés à l’hospice Comtesse.

 

15/ L’hôpital Notre Dame des Sept-Douleurs dit Stappaert fondé en 1656 par Jean Stappaert, bourgeois de Lille était un orphelinat de filles natives de Lille âgée de 5 à 15 ans. IL fit en effet don d’une maison située à l’angle de la rue du Plat et de la rue de la Vignette, vis à vis des Hibernois.

La maison des orphelines de la Présentation Notre Dame et la maison des Bonnes filles lui furent rattachées. L’hopital fut transféré en 1884 au 78 rue de la Barre dans l’ancienne Maison Noble Famille. En 1912 les orphelines doivent être âgées de 6 à 12 ans . Huit sœurs de St Vincent de Paul s’occupent de 60 à 80 filles qui suivent les cours à l’école et qui travaillent à l’ouvroir. Un incendie en 1954 les oblige à aller aux Bleuets rue Boileux ; l’établissement fermera en 1964.

Lutter contre l’indigence à Lille sous l’Ancien Régime – les hôpitaux, hospices et autres maisons charitables

Sœurs de St Vincent de Paul

 

16/ Le refuge des Sœurs de la Madeleine ou Madelonnettes ou filles repenties fondé en 1481 par Jean de la Cambe, le Gantois, au 39/41 rue de la Barre, pour offrir aux filles de légère vie un lieu « où elles se puissent retraire pour amender leur vie au salut de leur âme ». En 1532, le Magistrat délègue la gestion de l'établissement aux sœurs de la Madeleine (ou Madelonnettes, ou repenties) de Saint-Omer et les autorise à soigner les malades en ville. Au 18ème siècle, le refuge recevra également les femmes ou filles de bonne famille « que le dérangeemnt de leur conduite oblige à séquestrer par lettre de cachet ou autrement ». Le refuge sera fermé à la Révolution et transféré aux Bons Fils.

 Lutter contre l’indigence à Lille sous l’Ancien Régime – les hôpitaux, hospices et autres maisons charitables

17/ L'hôpital des Bons Fils du Tiers Ordre de St François était une maison de réclusion, place de la gare, qui fut créée en 1668 : il accueillait les aliénés pensionnaires ou placés d’office et des libertins séquestrés à la demande des familles ; le bâtiment sera détruit en 1867 pour l’ouverture de la place de la gare et de la rue Faidherbe.

 

18/ Existe aussi le bouillon des pauvres et la Noble Famille : cette dernière fut fondée par Marie Anne de Sepmeries en 1683 pour élever gratuitement « des jeunes filles nobles de parents déchus » de Flandre wallonne et de Hainaut et âgées de 7 à 18 ans. Le nombre de pensionnaires variera de 15 à 25. Elle fermera à la Révolution, ses pensionnaires étant conduits à l’hôpital général.

 Lutter contre l’indigence à Lille sous l’Ancien Régime – les hôpitaux, hospices et autres maisons charitables

19/ L'hôpital des Grimaretz était situé rue Basse, à Lille: les maisons actuelles de cette rue portant les numéros pairs de 8 à 24 et celles de la rue du Cirque, numéros 2, 4 et 6.ont été construites sur l'emplacement jadis occupé par cet asile, institué en 1345 par Lotart Canart et sa femme Marie de Pont Rohart(ou Pontrewart) , pour y loger et nourrir douze pauvres passageurs ( voyageurs )" qui ne pouvaient y séjourner plus d’une nuit. L’établissement était administré par des Dominicains. Marie de Pont Rohart changea l’affectation de l’hôpital en 1376 et y fonda des lits pour malades et deux pour les femmes en couche.

 

20/ L'hôpital St Julien, situé rue Basse a été créé vers 1291 ; il comportait 16 lits ne pouvant être occupés qu’une seule nuit dans un premier temps puis il fut admis que les pensionnaires puissent rester 3 jours et 3 nuits. Il fut supprimé en 1701 en raison des troubles occasionnés par les gens hébergés et ses biens furent transférés à l’hôpital des Invalides

Il sera supprimé en 1701 en même temps que l’hôpital des Grimaretz, ses biens étant transférés à l’hôpital des Invalides.

 

21/ L’hospice des Invalides : en 1686 une déclaration du roi ordonna aux mendiants de se retirer dans leur lieu de naissance pour y travailler dans les hôpitaux généraux créé pour eux ; à défaut ils seront condamnés aux galères pour 5 ans). En 1687 une déclaration royale aggrava les peines prévues et le Magistrat de Lille demanda aux ministres des pauvres de déterminer ceux qui méritaient l’assistance et de leur distribuer une autorisation de mendier consistant en « fleur de lys en fer blanc de couleurs différentes selon les paroisses". En 1699 un règlement prescrit pour les hommes de porter la fleur de lys au chapeau et sur le corps de jupe pour les femmes ; tous les autres seront obligés de sortir de la ville.

En 1700 l’interdiction de mendier devient absolue ; les mendiants sont alors enfermés dans les hôpitaux généraux ; il n’en existait pas à Lille à l’époque. Le Magistrat décida alors d’hospitaliser les mendiants invalides dans les casernes d’Anjou d’où le nom d’hospice des invalides, situé 6 rue du lieutenant Colpin. En 1701 fut réunis à l’hospice des Invalides les revenus des hôpitaux St Julien et des Grimarets et la Bourse commune des pauvres dut fournir annuellement 6000 florins.

L’hôpital des Invalides sera réuni à l’hôpital général en 1738.

  

22/ Hôpital général : En juin 1738, Louis XV autorisa par lettres patentes les magistrats de Lille à fonder un hôpital général destiné à l'accueil et à l'enfermement des enfants abandonnés, des invalides et des mendiants. Il fut choisi un lieu à l’écart du centre-ville bordé par le canal de la Basse Deûle. Il ouvrit en 1744 mais les  travaux durèrent de 1739 à 1846. Appelé le " Bleu Tot " en raison de sa couverture d'ardoises, l'hôpital fonctionna jusqu'en 1988. Le bâtiment en façade est occupé depuis 1997 par l'Institut d’Administration des Entreprises. 

Lutter contre l’indigence à Lille sous l’Ancien Régime – les hôpitaux, hospices et autres maisons charitables

après 1870

En 1744 il reçut 500 adultes et 681 enfants qui se trouvaient à la ferme du Riez de Canteleu : on apprenait aux filles à faire de la dentelle et de la broderie et aux garçons des souliers et des tissus.  Le produit de la vente était pour les 2/3 versé à l’administration et pour 1/3 aux ouvriers.

 Lutter contre l’indigence à Lille sous l’Ancien Régime – les hôpitaux, hospices et autres maisons charitables

1870 - l'hôpital général avec la basse Deûle encore visible

Lutter contre l’indigence à Lille sous l’Ancien Régime – les hôpitaux, hospices et autres maisons charitables

L'hôpital général aujourd'hui

 

L’hôpital ne régla toutefois pas le problème de la mendicité, les mendiants étant de plus en plus nombreux ; on créa donc des dépôts de mendicité ; le dépôt de Lille fut établi en 1769 près de la porte des malades sur l’emplacement de l’ancien hôpital militaire St Louis ; y furent envoyé aussi les fous et les filles publiques.

 

Au final au 18ème siècle il y avait deux organismes principaux : l’hôpital général et les ministres généraux de la bourse commune des pauvres. En 1750 ces deux organismes furent réunis en bureau de la charité générale . Les pauvrisseurs des charités paroissiales deumeurèrent et des conflits persistèrent entre eux

Les Lillois nécessiteux ont donc à leur service un grand nombre de secours à leur disposition mais la qualité de ces soins et accueil diffèrent d’un établissement à l’autre. En 1788 l’inspecteur général des hôpitaux Jean Colombier, également médecin militaire et hygiéniste (1736 – 1789) s’aperçut ainsi que les religieuses de l’hôpital Comtesse mangeait l’excédent des recettes en repas et réceptions pour leurs amis et proches. Idem pour St Sauveur. Montlinot, écclésiastique et journaliste français (1732-1801) précise quant à lui que  l’hôpital général dégageait « une odeur insupportable ». L’intendant de Flandres et d’Artois Esmangart (1736 – 1793) dit qu’ un grand nombre de ces établissements faisait grand tort à la charité publique…

 

 

Après la Révolution Française, la commission administrative des hospices civils de Lille réalisa une réduction du nombre des établissements charitables, laissant subsister l'Hospice Gantois et cinq autres lieux (Comtesse, Saint – Sauveur, l’Hôpital général, les Madelonnettes et Stappaert).

 

Sources

http://www.patrimoinehospitalierdunord.fr

Au cloître et dans le monde: femmes, hommes et sociétés (IXe-XVe siècle ...) de Patrick Henriet et Ann Marie Leg

La vie à Lille de 1667 à 1789 d’après le cours de M de St Léger d’Aristote Crapet

http://www.biusante.parisdescartes.fr/sfhm/hsm/HSMx1983x017x003/HSMx1983x017x003x0223.pdf : le béguinage de lille 1245 - 1841

 

 

Lire la suite

L'aide aux nécessiteux sous l'Ancien Régime

18 Décembre 2016 , Rédigé par srose

Nous avons vu qu'à partir de 1893 se met en place au profit des malades sans ressources une assistance obligatoire pour les communes, les départements et l'Etat. Mais qu'existait il avant?

 

Des SYSTEMES DE MUTUELLE basées sur le volontariat, mais qui n’ont finalement bénéficié qu’à une frange limitée de la population  (voir article sur la domesticité n°3)

Avant la période révolutionnaire en effet il existait des guildes et confréries qui organisaient une sorte de solidarité entre les membres d’une même profession. La loi le chapelier de 1791 mettant fin à la liberté d’association, ces sociétés disparaissent. Ce n’est que sous l’égide de la Société Philanthropique dont le but est de "d'engager les ouvriers à se réunir pour s'assurer mutuellement des ressources en cas de maladie, ou lorsque les infirmités de la vieillesse les mettraient dans l'impossibilité de continuer leurs travaux" que ces associations vont renaitre. Elles seront légalisées par le décret du 22 mars 1852, qui octroie de nombreux avantages aux sociétés qui reçoivent l'approbation de l'Etat et acceptent son contrôle. Mais ce dispositif fonctionne sur le volontariat et sur une problématique future (maladie, vieillesse) or l’ouvrier vivant dans la misère et peinant à gagner 3 sous ne va pas vouloir mettre une partie de son labeur dans une cotisation destinée à couvrir un aléa futur …

 

A l’époque révolutionnaire, une loi du 27 novembre 1796 organise la bienfaisance pour les pauvres des communes par la création de BUREAUX DE BIENFAISANCE qui ne sont en fait que les héritiers des bureaux de charité de l’ancien régime : la mise en place de ces bureaux de bienfaisance est difficile toutefois : encore 58 % des communes françaises ne possèdent pas de bureau en 1880 !

L'aide aux nécessiteux sous l'Ancien Régime

Avant la loi de 1893, l’aide provenant de ces bureaux résidait essentiellement dans des secours en nature (70 % encore au début de la IIIe République) : il peut s’agir de nourriture, de vêtements, de matière première nécessaire au chauffage (charbon), de lait pour les enfants. Sauf exception, seuls les pauvres locaux sont éligibles à l’aide : la condition de résidence est fondamentale pour bénéficier des secours.

La loi de 1893 et celles qui vont suivre vont confier aux bureaux de bienfaisance une partie de l’assistance nouvelle qu’elles ont créée.

 

Il existait également sous l’Ancien Régime les BUREAUX DE CHARITE avec à leur tête le curé aidé de toutes les personnes qui le souhaitent ainsi que par les sœurs de la charité.

La charité de François Bonvin

 

A côté de ces bureaux de charité, il y avait les coutumes charitables selon les localités, les fondations destinées aux pauvres et dues à des testateurs généreux, les dames des pauvres, les quêtes et les aumônes, les ateliers de charité qui emploie les brassiers et journaliers quand les travaux de la campagne sont terminés, l’ŒUVRE DU BOUILLON : (cette dernière forme de secours est créée grâce à l’initiative d’un donateur alors que les bureaux de charité sont fondés le plus souvent suite à une ordonnance royale ou un arrêt du Parlement (en 1752 le Parlement de Toulouse impose un bureau de charité dans chaque paroisse de la ville) : ce seront des secours en nature distribuées par l’intermédiaire des filles de la charité ou sœurs de St Vincent de Paul ou encore sœurs grises (du fait de la couleur de leur robe) – ces deux formes (bureau de charité et œuvre du bouillon) coexistent souvent au sein d’une même paroisse comme ce fut le cas à Toulouse.

 Chocarne-Moreau. Charité

Quelques exemples sur Toulouse sous l’Ancien Régime

Ainsi Gérard Géraud, ouvrier batteur d'or à Toulouse, laisse en 1714 dans son testament, aux pauvres une rente perpétuelle de 100 livres pour l’entretien de deux sœurs placées sous la direction du curé de la paroisse de la Dalbade et chargées du soin des malades ;

En 1748 Jean Boredon lègue 600 livres aux déshérités de la Dalbade pour aider la fondation du bouillon des pauvres.

L'aide aux nécessiteux sous l'Ancien Régime

la Dalbade et son clocher

La maison de charité de St Etienne et de St Michel, son annexe, a pour but de distribuer bouillon et médicament aux pauvres malades et d’enseigner à lire et écrire aux filles de ces deux paroisses ; la maison de charité de la Daurade donne du bouillon aux véritables pauvres et entretien une apothicairerie afin de leur distribuer à domicile les remèdes dont il ont besoin. Cet établissement entretient un médecin et un chirurgien et procure du linge et du pain aux malades et de la viande aux convalescents ; enfin l’oeuvre du bouillon de St Pierre et du Taur fondée en 1754 fournit bouillon et remèdes aux pauvres malades et assiste les pauvres honteux de ces paroisses.

En 1718 Luc Saget dote la maison de la charité de la Daurade d’un médecin qui doit être capable et expérimenté et d’un chirurgien dont le rôle est d’effectuer les opérations. Le médecin est nommé en assemblée et reçoit un honoraire de 40 livres par an payable tous les 6 mois.

L'aide aux nécessiteux sous l'Ancien Régime

quai de la Daurade

Exemple sur Lille

La bourse commune des pauvres a été instituée au 16ème siècle pour venir en aide aux nécessiteux de la ville. Elle dirigea à partir de 1584 les écoles du dimanche de Lille. Ce dispositif scolaire fut financé par des donations d’un montant de 1280 livres parisis provenant de Hubert Deliot et de son père Guillaume. L’idée était de pouvoir apprendre à cent enfants pauvres à lire, écrire et calculer et avoir de bonnes mœurs. On leur apprend aussi un métier ; treize ministres des pauvres (voir article sur la table des pauvres) régissaient la bourse des pauvres.

 

Les HÔPITAUX quant à eux étaient au départ des institutions chaperonnées par l’Eglise sans vocation médicale particulière mais juste destinée à l’hébergement des pauvres ; ce n’est qu’au 17ème siècle que l’Etat prend le problème de la misère à bras le corps et se sert des hôpitaux pour enfermer les sans-logis, les mendiants, les exclus, les fous … Ainsi l’hôpital général St Joseph de la Grave à Toulouse fut créé en 1647, soit 9 ans avant celui de Paris ; l’hôtel-dieu St Jacques à Toulouse quant à lui se spécialise dans les soins médicaux et chirurgicaux. Mais les 2 établissements disposent d’un quartier de force réservé aux filles publiques, enceintes ou vénériennes appelées aussi « filles gâtées", et aux nourrices contaminées par les nourrissons.

L'aide aux nécessiteux sous l'Ancien Régime

la Grave

C’est seulement au 19ème siècle que la mission médicale de l’hôpital va se renforcer notamment avec la loi du 7 août 1851 dite « d’assistance publique » qui va poser les prémices du service public hospitalier actuel en énonçant le principe suivant : « lorsqu’un individu privé de ressources tombe malade dans une commune, aucune condition de domicile ne peut être exigée pour son admission à l’hôpital existant dans la commune ».

 

Ainsi à Toulouse à la fin de l’Ancien Régime, nous retrouvons 4 formes de secours :

1/L’assistance hospitalière dispensée par l’hôtel-dieu S Jacques et l’hôpital général St Joseph

2/La charité à la maison des orphelines qui date de 1621 et qui accueille jusqu’à leur mariage une cinquantaine de pauvres filles

3/Les ateliers de charité

4/L’assistance à domicile au sein des bureaux de charité et de l’œuvre des bouillons des pauvres

 

Zoom sur Lille (voir également article sur lutter contre l’indigence à Lille sous l’Ancien Régime : hôpitaux, hospices et maisons charitables)

Lille compte en 1900, hormis le bureau central, six dispensaires publics secourant entre 4 000 et 6 000 personnes chacun (en tout plus de 35 000 personnes) : dispensaires rue de la Barre, Esquermes, Moulins, St Gabriel, Werquin et Wazemmes (dédoublé en 1883).

Lille présente au 19ème siècle et au début du 20ème des conditions de vie dramatiques pour les ouvriers qui y vivent (voir articles sur l'habitat prolétaire à Lille 1 et 2).

 

L'aide aux nécessiteux sous l'Ancien Régime

Les statistiques sanitaires analysées dans les ouvrages de Pierre Pierrard et Félix-Paul Codaccioni permettent de se rendre compte de la situation de détresse dans laquelle vivaient, en particulier, les habitants du quartier Saint-Sauveur.

En 1849, près de la moitié (42%) de la population du quartier Saint-Sauveur est inscrite sur les registres d’indigents, ce qui représente le tiers de la population indigente de Lille.

Dans certaines rues de ce quartier, la quasi-totalité des décès concerne des individus âgés de moins de 40 ans (la plupart sont des enfants de moins de cinq ans).

Les logements sont minuscules, mal aérés, d’une extrême insalubrité. A Saint-Sauveur, chaque personne dispose d’à peine 10 m3 par habitation.

La mortinatalité est effrayante : un mort-né pour 10 naissances. La mortalité est nettement supérieure à la mortalité nationale : plus de 30 pour 1000 vers 1860, contre 25 pour 1000 en France. En 1900, le taux de mortalité infantile à Lille est le plus important des villes françaises : 29,5%... .

C’est aussi à Lille, que le nombre de décès dû à la tuberculose est le plus inquiétant, après Paris. 13% des décès sont dus uniquement à la tuberculose en décembre 1901. En y ajoutant, les cas de bronchite, de pneumonie et autres maladies respiratoires, le pourcentage est de 38%.

Cette situation va s’aggraver avec l’arrivée massive d’immigrants, souvent belges, attirés par l’emploi industriel en pleine effervescence.

 

Sources

La III° République et la solidarité : la socialisation de l'infirmité

La médecine gratuite au XIXe siècle : de la charité à l'assistance d’Olivier Faure

La médecine de bienfaisance et d'assistance dans le Pas-de-Calais, 1856-1914 de Jean Pierre Beyt

Bureau et maisons de charité : l'assistance à domicile aux « pauvres malades » dans le cade des paroisses toulousaines (1687-1797) de Josseline Guyader

La vie ouvrière à Lille sous le second Empire de Pierre Pierrard

De l’inégalité sociale dans une grande ville industrielle, le drame de Lille 1850-1914 de Félix-Paul Codaccioni

Charité municipale et autorité publique au XVIe siècle : l'exemple de Lille de Robert Saint Cyr Duplessis

La vie à Lille, de 1667 à 1789, d'après le cours de M. de Saint-Léger d’Aristote Crapet

Lire la suite

L'assistance aux nécessiteux au 19ème siècle et au début du 20ème siècle

18 Décembre 2016 , Rédigé par srose

 

En compulsant les archives de la mairie de Frouzins, petite ville située près de Toulouse, j’ai remarqué qu’un grand nombre de ses habitants au début du 20ème siècle était inscrit sur la liste des personnes admises au secours médical gratuit en raison de maladie ou d’une infirmité ou encore sur la liste des vieillards indigents.

J’ai donc essayé d’en savoir plus sur cette question, ignorant alors totalement qu’avant la naissance de la sécurité sociale, il existait de tels services sociaux.

Il s’avère qu’en effet la III° République a mis en place tout un dispositif de protection sociale en institutionnalisant la "solidarité" par diverses lois sociales, imposant par là même une obligation d’assistance aux communes, aux département et à l’Etat.

Ne nous y trompons pas toutefois ; les débats parlementaires qui ont précédé l’adoption de la plupart de ces lois sociales évoquent surtout des préoccupations d’ordre public : la mendicité et le vagabondage devaient être contrôlés voire éliminés ; y sont évoquée la « misère criminogène des cités ouvrières », le contrôle administratif des individus à potentiel criminogène, …

L'assistance aux nécessiteux au 19ème siècle et au début du 20ème siècle

L’humanisme certes réel de ces lois cache donc malgré tout une volonté d’une part de contrôle des cités populeuses et d’autre part d’exclusion encadrée 

 

 

Le Marchand de violettes Fernand Pelez (1848-1913)

 

ASSISTANCE MEDICALE GRATUITE

La loi du 15 juillet 1893 instaure un devoir d’assistance médicale gratuite, à l’hôpital comme à domicile, qui permet aux personnes privées de ressources (malades, vieillards, infirmes) d’être soignés gratuitement. Les femmes en couche sont assimilées à des malades. Les étrangers malades privés de ressources seront assimilés aux Français toutes les fois que le gouvernement aura passé un traité d’assistance réciproque avec leur nation d’origine.

L'assistance aux nécessiteux au 19ème siècle et au début du 20ème siècle

Un domicile de secours est fixé pour ces personnes et s’acquiert

- par une résidence habituelle d’un an dans la commune postérieurement à la majorité,

- par la filiation (l’enfant a le domicile de secours de son père ou le cas échéant de sa mère) ;

- par le mariage (la femme acquiert le domicile de secours de son mari, les veuves conservent le domicile de secours antérieur).

C’est une loi qui vise surtout la campagne : « le paysan est toujours en avance de ses sueurs et de son sang vis-à-vis de l’état qui ne lui fournit aucun secours pour la santé de son corps qui pourtant rapporte tant de substance à la patrie ».

L’exode rural, amplifiée par la révolution industrielle, n’est d’ailleurs pas étranger à cette décision de mettre en place un service public d’assistanat : « il faut retenir le travailleur dans les campagnes par l’attrait de l’assistance publique et mettre fin à l’émigration des campagnes ». Il devient évident également que « la santé des travailleurs qui intéresse d’une manière si intime le développement normal de la production exige que l’on mette à la portée de tous les secours médicaux ».

L'assistance aux nécessiteux au 19ème siècle et au début du 20ème siècle

Henri Monod (homme politique – 1753/1833) résume dans cette phrase l’objectif de cette loi  : "Le malade n'est pas un faible à éliminer, c'est une force accidentellement improductive, et que la collectivité a l'intérêt le plus évident à rendre le plus rapidement possible à La production et au travail"

Cet exode rural entraînera une augmentation de la misère urbaine (voir article sur l'habitat prolétaire lillois 1 et 2): on va en effet concentrer un nombre important de personnes sur une zone géographique réduite proche des industries sans tenir compte des effets de cette promiscuité sur l’hygiène et la santé des personnes. Or là aussi on ne peut plus abandonner « cette armée de réserve industrielle »  à la misère médicale.

Alors que la loi de 1893 se préoccupe avant tout des indigents et nécessiteux de la campagne incapables de subvenir à leurs soins médicaux en cas de maladie, la loi du 9 avril 1898 va répondre à un problème plus urbain : l’utilisation de la machine pour développer la production entraîne une augmentation des accidents du travail : elle reconnaît la responsabilité sans faute de l’employeur qui peut s’assurer pour y faire face.

 

D’AUTRES LOIS SOCIALES

La loi du 27 juin 1904 institue le service départemental d’aide sociale à l’enfance et la loi du 14 juillet 1905 institue l’assistance aux vieillards infirmes et incurables. Cette loi donne à tout français privé de ressources, incapable de subvenir par son travail aux nécessités d’existence, âgé de plus de 70 ans ou ayant une maladie incurable, d’être accueilli gratuitement dans les hôpitaux ou les hospices.

L'assistance aux nécessiteux au 19ème siècle et au début du 20ème siècle

En matière d’assurance vieillesse, la loi du 5 avril 1910, dont l’application a été limitée, institue un régime d’assurance obligatoire pour les salariés du commerce et de l’industrie.

Deux autres lois en 1913 viennent parachever cet ensemble : celle du 17 juin sur les femmes en couche et celle du 14 juillet sur les familles nombreuses. En effet la taille des familles se réduisant de plus en plus (les familles de quatre enfants et plus représentent 19.8 % des familles en 1901 en France ;Elles sont encore 18.6 % en 1911, seulement 11.5 % en 1926) il devient nécessaire de soutenir les familles françaises et de les inciter à avoir une nombreuse progéniture.

 

L'assistance aux nécessiteux au 19ème siècle et au début du 20ème siècle

L’article 1 de la loi du 14 juillet 1913 stipule que « l’assistance aux familles nombreuses constitue un service obligatoire pour les départements, avec la participation des communes et de l’Etat ».

L’article 2 précise que « tout chef de famille, de nationalité française, ayant à sa charge plus de 3 enfants légitimes ou reconnus, et dont les ressources sont insuffisantes pour les élever, reçoit une allocation annuelle par enfant de moins de 13 ans, au-delà du troisième enfant de moins de 13 ans. » S’y ajoutent les enfants de 13 à 16 ans en apprentissage.

Les lois du 5 avril 1928 et du 30 avril 1930 instituent pour les salariés titulaires d’un contrat de travail une assurance pour les risques maladie, maternité, invalidité, vieillesse et décès et la loi du 30 avril 1928 un régime spécial pour les agriculteurs

 

EN PRATIQUE

Revenons à la loi de 1893 : elle donne préférence à l’assistance (ou secours) à domicile pour des raisons d’économie, de morale (éviter la perte du lien avec la famille, éviter le contact avec la lie de la société – l’hôpital est encore à cette époque un lieu d’enfermement - ) et d’hygiène mais ouvre dans le même temps l’accès à l’hôpital aux ressortissants de 30 000 communes qui en étaient privés jusque-là.

L’hôpital reste encore un endroit dont on se méfie et que l’on évite si cela est possible.

Les subventions sont calculées d’après des barèmes fixes.

En 1895, seuls 47 départements ont organisé les services d’assistance ; en 1903, 3 départements sont encore réfractaires.

Cette assistance varie également en fonction des départements : au début du 20ème siècle une dizaine de département inscrivait plus de 8% de leur population et jusqu’au 20% tandis que d’autres moins de 2.5%.

Malgré cela, en moins de 20 ans le nombre de soignés augmentent considérablement sr l’ensemble de la France :

 L'assistance aux nécessiteux au 19ème siècle et au début du 20ème siècle

Quels pathologies sont soignés principalement ?

Des statistiques allant de mars 1903 à mars 1904 dressées pour l’hôpital St Pothin à Lyon donnent un aperçu des pathologies les plus courantes soignées par ce dispositif : sur 521 personnes venues et diagnostiqués comme malade : 44% souffrent de tuberculose, 14% de pathologie du système nerveux, 11% du tube digestif, 10% de rhumatisme et de maladie cardiaque, 2% de chlorose (grande pâleur).

 

Critiques de la loi du 14 juillet 1905 sur l’assistance aux vieillards infirmes et incurables

L'assistance aux nécessiteux au 19ème siècle et au début du 20ème siècle

Cette loi est décriée par certaines personnes comme Lucien Descaves, écrivain naturaliste et libertaire, journaliste et romancier, l’un des fondateurs de l’Académie Goncourt (1861-1949). IL écrit l’article suivant dans Le Journal du 26 juillet 1905 :

« Une loi débile », article de Lucien Descaves paru dans Le Journal du 26 juillet 1905

Je suis sûr que l’on étonnerait beaucoup de personnes, en France, en leur apprenant que, depuis le 13 juillet dernier, une loi nouvelle organise l’assistance obligatoire aux vieillards, aux infirmes et aux incurables indigents, par la contribution de la commune, du département et de l’État. Mais je suis également certain que, parmi les personnes renseignées, un plus grand nombre encore ignore les dispositions de détail relatives à cette loi de laquelle M. Mirman a eu raison de dire qu’elle est, après la loi sur la séparation et la loi sur le service de deux ans, la plus considérable de cette législature. Elle consacre, en effet, le principe du droit à l’assistance, c’est-à-dire à la vie, droit sacré proclamé par la Convention nationale qui fut impuissante à résoudre le problème pour avoir méconnu ce principe, savoir : que l’assistance publique est d’essence communale, et aussi la sagesse du précepte : qui trop embrasse, mal étreint.

Ce n’est point au Sénat ni à la Chambre que l’on peut adresser ce dernier reproche : ils ont limité le plus possible l’assistance qu’ils accordaient, et semblé remplir, j’ose le dire, moins un devoir social qu’un devoir électoral.

Que la loi modifiée par le Sénat et votée telle quelle par la Chambre en seconde délibération, que cette loi soit susceptible de développement et de retouches, à qui le dit-on ! Les conditions dans lesquelles elle est revenue devant nos députés ou plutôt quelques-uns de nos députés, ne pouvait guère laisser de doute sur le résultat final.

Ah ! ce fut une aimable séance que la séance du 12 juillet, où fut réglé le sort des vieillards, des infirmes et des incurables privés de ressources !

Le gouvernement n’était représenté que par le ministre de l’intérieur et par deux commissaires, M. Henri Monod, pour l’intérieur, M. Charles Laurent, pour les finances. Encore, l’un des deux était-il de trop, nous verrons pourquoi tout à l’heure.

Quant à la Chambre, c’est l’un des premiers orateurs inscrits, M. Aynard, qui va nous édifier sur son zèle et son assiduité.

« Mon intervention sera brève ; nous sommes si peu nombreux ce matin, que nous nous sentons en douce intimité ; nous sommes presque dans un salon et vous savez, Messieurs, combien il est peu civil, dans un salon, de prolonger les conversations. » (Sourires)

Ce n’est pas moi qui note les sourires, c’est le compte rendu officiel.

On causa donc, entre intimes, de choses et d’autres, par exemple des modifications apportées à l’article 1er du projet, par le Sénat, qui s’était tout de suite efforcé d’introduire un peu de gaieté dans une discussion aride.

En effet, examinant le texte de l’article en question, qui dispensait les vieillards âgés de soixante-dix ans de faire la preuve de leur invalidité, le rapporteur avait dit en s’élevant contre cette rédaction :

« Il suffit de regarder autour de nous pour être convaincu que l’âge de soixante-dix ans est, au contraire, une excitation, un rajeunissement pour un certain nombre de nos collègues. La vieillesse ne siège pas sur nos bancs, nous n’y connaissons par la sénilité ! » (Hilarité)

Et l’honorable M. Bérenger avait ajouté : « Le travail conserve ; c’est l’alcool qui tue. » Il m’a été agréable d’entendre, à la Chambre, M. Mirman protester, en pure perte, d’ailleurs, contre cette allégation. Il est fort possible que le travail, quand travail il y a, conserve MM. les sénateurs ; mais il est indubitable, en revanche, que l’alcoolisme n’est nullement indispensable pour user le corps des travailleurs qui atteignent soixante-dix ans en dépit d’un labeur acharné. Ce n’est pas seulement l’industrie textile qui permet de vérifier cette observation, elle s’étend à tous les corps de métiers. En outre, on eût pu répondre à M. Bérenger que l’alcool, quand il tue les gens, les tue bien avant qu’ils deviennent septuagénaires, ce qui suffirait, à la rigueur, pour infirmer l’argument.

  1. Jaurès a bien promis qu’on interpréterait la loi dans le sens le plus large et que de ses bénéfices ne seraient exclus que les vieillards, en nombre infime, il le reconnaît, qui ont gardé « une valeur de travail pour ainsi dire intacte ».

J’en accepte l’augure, mais tout de même un article proclamant le droit au repos pour les vieillards indigents qui ont peiné pendant cinquante-cinq ans et davantage, aurait fait bien mieux leur affaire, si ce n’est la mienne.

Sur un autre point, M. Mirman a été battu, et ne méritait pas de l’être. La Chambre avait admis le principe d’un avantage spécial en faveur des mères de famille, des femmes qui avaient eu, nourri et élevé un certain nombre d’enfants.

Peut-être, en effet, aux raisons que les sénateurs ont d’être merveilleusement conservés –travail, existence confortable, tout ce que vous voudrez,- convient-il d’ajouter l’exemption de la maternité, qui est particulièrement douloureuse pour les femmes du peuple. MM. les sénateurs ont des vacances. L’ouvrière n’en a pas, ni avant, ni après ses couches, un peu plus laborieuses, je présume, que l’enfantement des lois. Il semblait donc qu’une femme fatiguée par le travail et la maternité, double devoir social, eût droit à quelques égards, et la Chambre avait sagement proposé qu’on abaissât pour cette créature, proportionnellement au nombre des enfants élevés par elle, l’âge de soixante-dix ans, point de départ provisoire de la pension pour les vieillards.

Les sénateurs bien conservés n’ont pas partagé cette manière de voir. La situation de la mère de famille âgée et indigente ne les a pas touchés ; elle n’a pas eu de part dans leur sollicitude.

Le deuxième paragraphe de l’article premier spécifiant : « Tout enfant légitime ou non, ayant vécu plus de trois ans, donne droit à une réduction de six mois sur l’âge normal de la pension de vieillesse, au bénéfice de la mère, etc... », ce paragraphe a été effacé de la loi par le Sénat.

Vous me direz que six mois dans la vie d’une femme, et d’une femme du peuple, ça ne vaut pas la peine d’en parler. Au Sénat, peut-être... ; mais nous n’avons pas, ici, les mêmes raisons de nous abstenir. Au regard de nos législateurs, la femme a une infirmité bien plus fâcheuse pour elle que toutes celles qui résultent du travail, de la maternité et d’une vieillesse prématurée : elle ne vote pas.

Sur un troisième point, la séance du 6 juillet, à la Chambre, avait appelé mon attention.

Il s’agissait, cette fois, de l’article 20, fixant le taux de l’allocation mensuelle accordée aux ayants droit. J’avais écouté les explications très claires de M. Henri Monod évaluant à 8 francs par mois, pour chaque commune, le coût d’une existence de vieillard, soit 96 francs par an et 27 centimes par jour.

C’était là un chiffre minimum, théorique, susceptible de réduction si le bénéficiaire dispose de quelques ressources, mais qui ne saurait être augmenté puisque, lorsqu’on accordera la somme entière, on sera censé donner à l’indigent ce qui lui est nécessaire pour vivre.

Et je me disais : « C’est égal, avec 27 centimes par jour, on ne va pas loin... même à soixante-dix ans !»

Je savais bien que M. Monod avait naguère proposé un chiffre légèrement supérieur (10 francs par mois), abaissé à 8 francs par la Commission de la Chambre, sur l’intervention de M. Sarrien, et accepté par le gouvernement, puis par le Sénat en première délibération. Et je croyais qu’on s’en tiendrait là.

Je comptais sans M. Labiche, président de la Commission, qui amena le Sénat à revenir sur son vote et à substituer au minimum de 8 francs celui de 5 francs, soit 16 centimes par jour !

Seize centimes pour se nourrir, s’abriter, s’habiller, subvenir à tous les besoins, c’est maigre, même à soixante-dix ans, et je voudrais bien que M. Labiche fût réduit, pendant seulement un mois, à cette ressource plus que modique ! Elle est, paraît-il, suffisante pour les vieillards de son département.

Heureux vieillards ! Heureux département ! Je ne veux pas dire lequel : il serait envahi.

Vous vous imaginez sans doute que le gouvernement résista à M. Labiche ? Oui, par l’organe de M. Monod ; mais aussitôt après, le commissaire représentant les finances et adversaire déterminé de la loi, se déclarait contre le relèvement du minimum que l’autre commissaire avait réclamé ! Admirable exemple d’anarchie gouvernementale, n’est-il pas vrai ?

Mon espérance me restait. La Chambre maintiendrait probablement la première disposition inscrite dans le projet de loi... Hélas ! C’est au Sénat qu’elle a donné gain de cause ! Le vieillard indigent, quand il aura acheté deux sous de pain, aura encore à sa disposition six centimes pour quelques (sic) chose dessus, se vêtir et se loger...

« Abolissez la mendicité qui déshonore un État libre », disait Saint-Just.

Avons-nous fait tant de chemin depuis 1792, qu’elle soit, je ne dis pas abolie, mais inexcusable ?

En réalité, oui, et ce chemin parcouru, on peut l’apprécier en lisant successivement, comme je viens de le faire, l’intéressante brochure de M. Ferdinand Dreyfus : l’Assistance sous la Législative et la Convention et deux autres brochures datées de 1889 et de 1900, dans lesquelles M. Henri Monod exposait le plan méthodique d’une organisation de l’assistance publique en France.

Grâce à ses efforts, dans une bonne mesure, son programme est à peu près réalisé.

Les enfants, les malades, les vieillards et les incurables, sont respectivement secourus par les lois du 24 juillet 1889, prononçant la déchéance des parents indignes ; des 27 et 28 juin 1904, sur les enfants assistés ; du 15 juillet 1893, sur l’assistance médicale gratuite, et du 14 juillet 1905, enfin, qui donne le strict (oh ! oui !) nécessaire aux vieillards, infirmes et incurables, dénués de ressources.

Cette dernière loi est, de toutes, la plus débile. Si encore nous étions sûrs qu’elle se fortifiera dans la pratique et que les 70 millions environ qu’elle coûtera ne seront pas détournés de leur objet !...

 

Sources

La III° République et la solidarité : la socialisation de l'infirmité

La médecine gratuite au XIXe siècle : de la charité à l'assistance d’Olivier Faure

La médecine de bienfaisance et d'assistance dans le Pas-de-Calais, 1856-1914 de Jean Pierre Beyt

Bureau et maisons de charité : l'assistance à domicile aux « pauvres malades » dans le cade des paroisses toulousaines (1687-1797) de Josseline Guyader

La vie ouvrière à Lille sous le second Empire de Pierre Pierrard

De l’inégalité sociale dans une grande ville industrielle, le drame de Lille 1850-1914 de Félix-Paul Codaccioni

Charité municipale et autorité publique au XVIe siècle : l'exemple de Lille de Robert Saint Cyr Duplessis

La vie à Lille, de 1667 à 1789, d'après le cours de M. de Saint-Léger d’Aristote Crapet

 

 

Lire la suite

Se soigner autrefois (2)

1 Novembre 2016 , Rédigé par srose

 

Qu’en est-il des épidémies ?

La peste : on ne connait pas à l’époque le bacille de Yersin, on se sait pas ce qu’est exactement la peste ni comment la soigner ; On sait en revanche qu’elle est très contagieuse et qu’il faut pour la contenir isoler les malades.

La peste bubonique, qui est consécutive à une piqûre de puce, entraine la mort dans 60 à 80% des cas, le plus souvent dans la première semaine.

Sous sa forme pulmonaire la mortalité est de 100% des cas dans les 2/3 jours après le début des troubles.

La France connait plusieurs épisodes de peste :

  • De 1628 à 1631 aucune province n’est épargnée
  • En 1636/37 tout le quart nord-est est atteint
  • En novembre 1667 Lille et Cambrai sont atteint puis l’épidémie descend pour ne disparaître qu’en 1670
  • 1720/21 Marseille est atteint et une partie de la Provence

 

Se soigner (2)

La dysenterie semble être le mal le plus fréquent et le plus meurtrier : la dysenterie bacillaire touche surtout les enfants et les adolescents et sévit en périodes chaudes.

Le paludisme sévit à l’état endémique partout mais plus fréquemment dans les bas quartiers et dans les régions mal drainées et infestées de moustiques comme la Sologne, la Saintonge, le Bas Languedoc, la Camargue, les Landes.

La variole ou petite vérole est redoutable pour les enfants et adolescents et ceux qui survivent en gardent les stigmates toutes leur vie. Cette maladie tue tout de même entre  15 à 20 % des malades.

 

La grippe dont le terme est inventé lors de l’épidémie de 1742/43 nous est décrite ainsi par l’avocat parisien Barbier justement en 1742 : « il règne cet hiver une maladie générale dans le royaume que l’on appelle la grippe, qui commence par un rhume et mal de tête ; cela provient des brouillards et d’un mauvais air. Depuis 15 jours même un mois il n’y a point de maisons dans Paris où il n’y ait eu des malades ; on saigne et on boit beaucoup, d’autant que cela est ordinairement accompagné de fièvre ; on fait prendre aussi beaucoup de lavements ; on guérit généralement après quelques jours».

 

Quels sont les médicaments dont on dispose à cette époque ?

Je complète ici l’article que j’avais rédigé sur la médecine de nos aïeux. La pharmacopée des 17 et 18ème siècles  est essentiellement basée sur les plantes (indigènes et exotiques) que l’on appelle les « simples » auxquels s’ajoutent des produits d’origine animale et quelques remèdes chimiques.

Se soigner (2)

Les plantes que l’on retrouve le plus fréquemment dans les recettes sont les suivantes mais cette liste n’est pas exhaustive :

La gousse d’ail est vermifuge antispasmodique et fortifiante

La racine et les graines d’angélique stimulent la digestion, sont diurétiques et sudorifique

Le fruit de l’anis vert est expectorant et carminatif

La plante et la racine d’aristoloche sont antinflammatoires

La plante et la racine d’armoise commune sont apéritives

La feuille d’artichaut stimule les fonctions hépatiques et biliaires

La racine de bardane cicatrise les plaies

La fleur de lavande est calmante

La fleur de pavot est somnifère

Des plantes exotiques se trouvent également dans la pharmacopée de l’époque

L’opium est somnifère est analgésique

La feuille et le fruit du séné est purgative

La noix de muscade est tonique et digestive

Le clou de girofle est antiseptique

etc...

 

Le chocolat est recommandé car il rafraichit les estomacs trop chauds et réchauffe les estomacs trop froids.

Se soigner (2) 

La Tasse de Chocolat, de Jean Baptiste Charpentier le Vieux, 1768

 

Le café fortifie les membres, et guérit l’obstruction des viscères, la corruption du sang

 

L’écrevisse est souveraine contre les fièvres putrides, le poumon de renard contre les maladies pulmonaires, le cerveau de moineau contre l’épilepsie, le ver de terre contre les ulcères …

Le plomb fournit le céruse et la litharge qui sont utilisées en emplâtre

Se soigner (2)

Le mercure soigne la grande vérole

L’antimoine rentre dans la composition de l’émétique, vomitif souverain

 

Dès la fin du 17ème siècle, apparaissent la quinquina contre les fièvres  et l’ipécacuanha contre la dysenterie.

Ces deux remèdes sont efficaces mais du fait d’une préparation et d’une utilisation mal codifiées ils ne révèleront leur pleine efficacité qu’à partir du 19ème siècle.

 

Lire aussi : manuel de vulgarisation thérapeutique

 

Quid de la chirurgie ?

Les opérations les plus classiques sont en vrac l’incision des abcès, la réduction des fractures, la pose de cautères et ventouses, le pansement des plaies, l’extraction des dents…

Se soigner (2)

David Teniers le Jeune, Le Chirugien-barbier, milieu du XVIIe s., Norfolk, The Chrysler Museum of Art

 

Mais certains chirurgiens vont plus loin sans rien pour lutter contre la douleur, l’hémorragie, les infections.

Ils vont ainsi suturer les estomacs et les intestins perforés, enlever des hernies, extraire les calculs de la vessie, pratiquer des césariennes sur des femmes mortes puis vivantes, trépaner, extraire le cristallin …

Se soigner (2)

 

 

L’anesthésie générale à l’éther ou au chloroforme ne va apparaître qu’à partir de 1847, l’anesthésie locale avec la cocaïne est découverte vers 1860, la pince hémostatique voit le jour en 1868.

Se soigner (2)

L’infection post opératoire quant à elle reste le plus souvent fatale faute de connaître les règles d’asepsie et l’existence des microbes et autres virus. L’utilisation de vin aromatique ou de poudre de myrrhe fera office d’antiseptique sans le savoir en attendant les travaux de Pasteur.

 

Et les remèdes magiques ?

Bien sûr on va utiliser également d’autres types de remèdes et de « médecins » : des guérisseurs, des rebouteux, et autres sorcier et aussi les saints guérisseurs.

Toutefois rappelons qu’il est illicite de recourir aux sorciers même pour en obtenir un bien comme la guérison du corps car « jamais ils n’ôtent le mal d’un corps qu’ils ne le renvoient en un autre »

A partir du milieu du 17ème siècle l’attitude à l’égard des envouteurs, rebouteux et sorciers change : ils sont surtout traités en exploiteur de la crédulité humaine ne méritant ni la corde ni le bûcher tout au plus le bannissement.

Furetière exprime sa pensée ainsi : « encore que je sois persuadé que les véritables sorciers soient très rare, que le sabbat ne soit qu’un songe et que les parlements qui renvoient les accusations de sorcellerie soient les plus équitables, cependant je ne doute point qu’il ne puisse y avoir de sorciers , des charmes et des sortilèges »…

Un malade qu’aucun remède dit normal ne guérit va donc se croire possédé par un mauvais sort.

Que faire dans ce cas ? il faut lever le sort par exemple de la façon suivante : « faire tenir le malade à l’opposite du soleil avant qu’il soit levé, lui faire prononcer son nom et celui de sa mère ; nommer 3 fois le jour pendant 6 jours les anges de gloire qui sont dans le 6ème degré ; le faire tenir tout nu le 7è jour puis écrire sur une plaque les noms de ces anges dans la créance qu’il sera guéri le 20è jour du mois ».

Si cela ne marche pas il faut chercher un leveur de sort ou conjureur qui va entr’autre chose adresser des prières conjuratoires ; par exemple pour la colique : « Mère Marie, Mme Sainte Emerance, Mme Sainte Agathe, je te prie de retourner en ta place entre le nombril et la rate au nom du Père etc ».

Il est possible et plus licite d’invoquer les saints guérisseurs ; ainsi Sainte Appolline à qui le bourreau a arraché les dents guérit les maux de dents, Sainte Odile née aveugle guérit les maux d’yeux, Saint Vincent, éventré, guérit les maux de ventre …

Se soigner (2)

 

 

Notons que la spécialisation d’un saint peut tenir à un jeu de mot sur son nom : Saint Quentin est invoqué pour les quintes de coqueluche, Sainte Claire pour les maux d’yeux, Saint Aurélien pour les maux d’oreilles …

Des pèlerinages thérapeutiques sont pratiqués dans toute la France : voyage dangereux que l’on fait parfois à jeun et les pieds nus sur des routes où règnent l’insécurité la plus totale.

Une fois arrivé, diverses pratiques ritualisées sont appliquées notamment l’immersion ou l’ablution partielle dans une fontaine, le toucher d’une statue ou d’un reliquaire, réciter une neuvaine, …

Se soigner (2) 

Albert Hirtz Procession in brittany

 

Ainsi les habitants de Boissy Sans Avoir (78) firent le 8 décembre 1724 une procession à la chapelle de Sainte Julienne au Val St Germain à 30 km de là ; le curé raconte en 1760 cette journée:

«  une maladie contagieuse arrivée en notre paroisse de Boissy Sans Avoir en 1724 qui enleva en peu de temps plusieurs personnes par une mort prompte et violente, donna occasion à procession et nous porta à invoquer singulièrement le secours de Dieu par les mérites et intercessions de St Sébastien de St Roch et nommément de Ste Julienne invoquée dans pareilles circonstances ; on n’eut pas plus tôt recours à cette sainte que nous en ressentîmes de puissants secours et une protection singulière, que cette maladie contagieuse se dissipa et que plusieurs qui en était attaqué n’en moururent pas et conservèrent la santé ;et quelques un subsistent encore aujourd’hui parmi nous ».

Le recours à ces pratiques magiques est le dernier recours après avoir tout essayé ; ainsi en 1661 à l’âge de 13 ans Jean Dache, fils d’un forgeron d’Armentières est paralysé complètement.

Le père a cherché tous les remèdes auprès des médecins de Lille, Cambrai et Ypres.

En 1663 on lui conseille de faire exorciser son enfant ; le père a donc déposé l’enfant aux pères minimes ; aucun effet.

L’enfant demande à être porté devant une image de Jésus flagellé dite de Gembloux qui se trouve chez les soeurs grises d’Armentières ; il y commence une neuvaine et au neuvième jour il est retourné chez lui sans bâton ni assistance.

Les hommes d’Eglise sont bien sûrs totalement contre les guérisseurs et dénoncent ces superstitions mais sont plus embarrassés quand il s’agit de ces pèlerinages et autres invocations de saints. Est-ce encore de la superstition ? Doit-on inciter les gens à y recourir ? Les en dissuader ?

A côté de ces invocations magiques, la guérison peut être recherchée par le biais des plantes. Là aussi l’Eglise désapprouve et interdit ces utilisations. « On ne peut cueillir certains simples, certaines feuilles, certains fruits ou certaines branches d’arbre le jour de la Nativité de St Jean Baptiste avant le soleil levé dans la créance qu’elles ont plus de de vertu que si elles avaient été cueillies dans un autre temps ».  En effet les herbes de St Jean tiennent leur vertu curative du fait d’être cueillies la nuit du 24 juin : ce sont essentiellement l’armoise, le millepertuis et la  verveine.

On trouve également d’autres plantes « magiques » : la mandragore par exemple ; Hildegarde de Bingen préconise à celui qui souffre de « prendre une racine de mandragore, (de) la laver soigneusement, en mettre dans son lit et réciter la prière suivante : mon Dieu toi qui de l’argile a créé l’homme sans douleur considère que je place près de moi la même terre qui n’a pas encore pêché afin que ma chair criminelle obtienne cette paix qu’elle possédait tout d’abord »

Se soigner (2)

Les menthes soignent de nombreux troubles ; pour la rate Pline indique cette recette : « la menthe guérit aussi la rate si on la goute au jardin sans l’arracher et si en y mordant on déclare qu’on se guérit la rate et cela pendant 9 jours ».

Un recueil du 17ème siècle  intitulé « Recueil des remèdes faciles et domestiques recueillis par les ordres charitables d’une illustre et pieuse dame pour soulager le pauvres malades » donne lla recette suivante :  Pour le haut mal c’est-à-dire l’épilepsie : « il est bon que la personne affligée de ce mal porte un morceau de gui de chêne pendu à son col mais ce morceau doit êrte tout frais et sans avoir été mis au feu »

La racine de bryone ou navet du diable soigne la goutte en la portant là aussi autour du cou.

Dans les Côtes d’Armor on préservait les vaches de la maladie en mettant à leur cou un collier de branche de chêne et dans le Limousin un collier de pervenches.

Le gui servait aussi à guérir de la jaunisse au 17ème siècle : « faites tremper 9 boules de gui dans l’urine d’un enfant mâle et attachez les ensuite sur le sommet de la tête du malade ».

Hildegarde de Bingen recommande la bétoine pour les mauvais rêves : « on peut poser sur la peau nue chaque soir une ou deux petites feuilles de plantes fraîche ou faire un coussin en tissu fin que l’on bourre avec des tiges feuillues sèches de bétoine ».

Un marron sauvage dans la poche était « un remède magique tout puissant contre les hémorroïdes »

La fumée d’aristoloche brulée « sous le lit des enfants les ramènera à la santé car elle chasse toutes les diableries et supprime tout tourment et tout mal »

Les feuilles de bouleau chauffées dans un four mises dans le berceau d’un enfant doit lui donner de la force.

« Un enfant n’aura ni froid ni chaud pendant toute sa vie pourvu qu’on lui frotte les mains avec du jus d’absinthe avant que la 12ème semaine de sa vie ne s’écoule »

Pour faire tomber la fièvre : « on nouera une cordelette autour de la taille que l’on attachera par la suite à un arbre appelé tremble afin de lui communiquer son état fébrile. Ce faisant on récite la prière suivante : tremble, tremble au nom des 3 personnes de la trinité »

Pour les verrues on les frotte avec une pousse de chélidoine fraichement coupée que l’on jette derrière soi par-dessus l’épaule sans se retourner.

 

Quelle est la formation de ces praticiens ?

Commençons par les sages-femmes : si l’on s’en réfère à un règlement de 1730, pour être sage-femme il faut passer un examen de moralité devant le curé de la paroisse et être reçue par la communauté de chirurgiens la plus proche. Un apprentissage théorique et pratique de deux ans devra être dispensé, sanctionné par un examen.

Le problème est qu’en pratique l’apprentissage est lacunaire car les chirurgiens à cette époque ont la théorie mais très peu la pratique de l’obstétrique.

Le seul lieu de formation pratique existant dans le royaume est l’Office des accouché crée en 1630 à l’hôtel Dieu à Paris qui reçoit chaque trimestre 3 ou 4 élèves qui vont se former en accouchant les femmes pauvres de la ville. Mais il n’y a aucun enseignement théorique de dispensé et de toute façon le nombre d’élèves est ridiculement faible.

Donc au final les matrones accouchent les femmes sans formation préalable et donc sans moyen face à un accouchement difficile.

Se soigner (2)

 

 

Seule passage obligé, le curé qui vérifie si la dame est catholique, si elle est capable d’ondoyer dans les formes le nouveau-né en danger de mort,  et si elle jure ne jamais utiliser de pratiques abortives ou infanticides.

Il faut attendre les années 1760 pour que s’impose la nécessité d’une réelle formation des sages -femmes et notamment les cours d’Angélique Le Boursier Du Coudray, maîtresse sage-femme brevetée, nommée par le roi en 1767 pour enseigner « l’art des accouchements dans toute l’étendue du royaume ». Elle exercera de 1759 à 1783 et sillonnera l’ensemble des provinces à l’exception du Languedoc où elle se heurte à l’opposition de la faculté de médecine de Montpellier. On estime à plus de 10 000 le nombre de sage- femme qui sur cette période ont été ainsi formées par elle et les chirurgiens qu’elle va également former.

Mme du Coudray a mis au point une machine très pratique pour l’apprentissage puisqu’il s’agit d’un mannequin figurant le tronc d’une femme avec bassin et cuisses, le tout grandeur nature.

Se soigner (2)

Différentes pièces complètent ce mannequin pour expliquer l’anatomie et les différentes phases de l’accouchement : parties de la génération, jumeaux, tête de fœtus, matrice à différent moment de la grossesse, …

Les apothicaires  exercent cette partie de la médecine qui consiste en la préparation des remèdes.

Ce sont des marchands artisans regroupés souvent avec les épiciers et les droguistes au sein d’une même communauté de métier.

L’enseignement est complet à Paris : théorique et pratique ; mais en province l’enseignement théorique est inexistant sauf s’il existe pas loin une faculté de médecine pourvue d’une chaire de pharmacie.

 

Se soigner (2)

 

Le chirurgien ne va s’occuper que des maladies externes au contraire du médecin qui, lui, est un savant. Le chirurgien ne s’occupe au final que de ce qui est «mécanique ».

Initialement le terme adéquat est chirurgien barbier . Dès la fin du 13ème siècle déjà un certain nombre de chirurgiens à Paris abandonnent la barberie et se concentrent sut la partie chirurgicale de leur métier.

Ce ne sera qu’en 1691 que le métier de chirurgien va définitivement être séparé de l’activité de barbier perruquier

Se soigner (2)

David III Ryckaert, le Jeune - Le Chirurgien - 1638

Valenciennes, musée des Beaux arts

 

Au milieu du 18ème siècle un parcours d’apprentissage est règlementé mais il ne s’agit pas d’un savoir livresque, savant, comme peut l’être celui des médecins, l’apprentissage demeurant nécessaire à tout activité « mécanique ».

La durée et la nature de cet apprentissage va différer en fonction du lieu où la personne va exercer, du nombre de maître chirurgien présents sur place, de la qualité des apprentissages ; la partie théorique est enseignée par des médecins mais là aussi la qualité et la durée des enseignements va dépendre de l’endroit où le futur chirurgien va exercer.

A la veille de la Révolution seules 15 écoles publiques de chirurgie existent : Aix, Bordeaux, Besançon, Grenoble, Lille, Lyon, Marseille, Montpellier, Nancy, Nantes, Orléans, Paris , Rennes, Rouen, Toulouse, Tours + 3 écoles de chirurgie navale à Brest, Rochefort et Toulon.

Ces écoles sont toutefois toutes d’un niveau de qualité différent (locaux exiguës, matériel inadapté, peu d’enseignement théorique …).

 

Le médecin a la chance d’avoir au 17ème siècle le choix entre une vingtaine de facultés dispensant un enseignement de la médecine mais là aussi la qualité des enseignement varie grandement, que ce soit en terme de nature des épreuves, de durée des études, du nombre de professeurs , du contenu des enseignements …

La nature de l’enseignement est par ailleurs essentiellement théorique et abstrait ; il s’agit de savoir raisonner. Au 18ème siècle, quelques séances de dissections existent dans certaines facultés mais il est difficile de trouver des cadavres et ce jusqu’à la fin du 18ème siècle. Quant à l’enseignement au chevet des malades, il reste très exceptionnel.

Se soigner (2)

 

Notons pour la petite (et grande histoire) que la première femme médecin est Elisabeth Blackwell qui devint docteur en médecine aux USA en 1847.

Se soigner (2)

 

 

La vie de nos ancêtres était beaucoup plus dure que ce que l’on imagine. Il faut bien comprendre finalement « le tragique de leur existence » et il est important de « montrer l’omniprésence de la maladie et de la mort et l’impuissance à lutter efficacement contre elles ». Face à cette vie très dure, soulignons  « le courage de ces hommes et de ces femmes qui échappaient au fatalisme et à la peur en plaçant leur espoir au-delà des apparences ».

 

Sources

"Se soigner autrefois" de François Lebrun

"Enquête sur les plantes magiques" de Michèle Bilimoff

Revue "Nos ancêtres" n°18 sur les médecins et chirurgiens du 15 au 19ème siècle

 

 

Lire la suite

Se soigner autrefois (1)

1 Novembre 2016 , Rédigé par srose

 

 

Au 18ème siècle, un enfant sur 4 meurt avant 1 an contre 15%  en 1900, 5% en 1950 et 0.3% en 2012

L’espérance de vie n’est à cette époque que de 28 ans …

En 1810, l'espérance de vie atteint 37 ans en partie grâce à la vaccination contre la variole. La hausse se poursuit à un rythme lent pendant le XIXe siècle, pour atteindre 45 ans en 1900.

Pendant les guerres napoléoniennes et la guerre de 1870, l’espérance de vie décline brutalement et repasse sous les 30 ans.

Se soigner autrefois (1)

 

Comment était perçue la maladie au 18ème siècle ?

En 1677, Claude Joly, évêque d'Agen écrit que Dieu nous envoie les maladies « pour mortifier notre corps et le rendre obéissant à l'esprit, pour nous détacher de l'amour des créatures et pour nous convertir à lui, pour nous préparer à bien mourir ».

Au début du 18ème siècle, Antoine Blanchard, prêtre de Vendôme écrit dans son "Essai d'exhortations pour les états différents des malades" que la maladie "est un véritable remède. Elle afflige le corps mais contribue à la guérison de l’âme […] Les maladies ne sont pas seulement des remèdes mais elles sont des châtiments salutaires".

Quelques décennies plus tard, les mentalités n’ont guère changé puisqu’en 1770 Yves Michel Marchais, curé d'une petite paroisse de l'Anjou nous explique que "de quelque côté que nous les envisagions, les souffrances sont des traits de miséricorde à notre égard et des moyens efficaces de sanctification […] Elles nous purifient, perfectionnent notre vertu, nous font aimer Dieu pour lui seul…"

Les épidémies répondent au même besoin de châtiment de Dieu. Ainsi, lors d'une épidémie de dysenterie en Anjou en 1707, l'évêque d'Angers affirme dans un mandement du 30 septembre que Dieu ne fait que punir les coupables : "il ne nous livre à la corruption de notre corps que pour nous punir de celle de notre âme. Ce sont pour ainsi dire les vapeurs de nos crimes qui ont répandu dans l'air la malignité dont nous nous plaignions".

Louis Marie Grignion de Montfort écrit en 1703 à sa sœur tombée malade au cours de son noviciat : "ma chère sœur, je me réjouis d'apprendre la maladie que le bon Dieu vous a envoyé pour vous purifier comme l'or dans la fournaise".

Ces mentalités entraînent inéluctablement une indifférence voir une haine du corps et donc le refus d'intervenir par de moyens humains pour recouvrer la santé.

Le curé Marchais toutefois nous explique que "des malades et des infirmes peuvent et doivent chercher leur guérison dans des remèdes naturels et employer tout ce qu'ils croient pouvoir leur être utile pour se soulager"

Bien sûr il est hors de question de recourir à des moyens surnaturels relevant de la magie.

Cette intervention humaine implique aussi que tout ce qui relève de la médecine « de précaution » ne soit pas utilisé : d'où le débat sur la variolisation ouvert en 1735 par Voltaire qui préconise cette pratique tandis que nombreux ecclésiastiques sont contre car c'est tenter Dieu que de donner à une personne une maladie qui ne lui serait peut être pas venue naturellement. En 1775 les curés bretons y voient d’ailleurs un crime contre la loi divine.

La maladie relève donc clairement du médecin et du prêtre : le premier devoir du médecin n'est-il pas devant un malade gravement atteint de veiller à ce qu'il se confesse? Une déclaration royale de 1712 oblige d’ailleurs les médecins à agir de la sorte en leur interdisant après la 3ème visite de retourner chez un malade  gravement atteint si celui-ci ne leur présente pas un certificat du confesseur.

Se soigner autrefois (1)

Dieu est donc la cause première de la maladie ; qu'en est-il des causes secondes?

Comme je l’ai expliqué dans un précédent article, les phénomènes qui se produisent dans le microcosme qu'est le corps humain (donc la maladie) est en relation avec les phénomènes du macrocosme (l'univers, la terre les cieux) : c’est la théorie en vigueur à cette époque.

Se soigner autrefois (1)

Donc aux 4 éléments du macrocosme (la terre, l'air, le feu et l'eau) et leur qualités respectives (le sec, le froid, le chaud et l'humide) répondent les 4 humeurs (substances liquides sécrétées par le corps humain) :

  • le sang sécrété par le cœur, chaud et humide,
  • la pituite ou phlegme sécrétée par le cerveau, froide et humide,
  • la bile sécrétée par le foie, chaude et sèche,
  • l'atrabile ou mélancolie sécrétée par la rate froide et sèche

Selon qu'une humeur l'emporte sur l'autre, un individu sera de tempérament bilieux, sanguin, phlegmatique ou mélancolique

La maladie va intervenir quand ces humeurs vont se dérégler soit par surabondance soit par altération.

 

A partir du milieu du 18ème siècle, grâce aux Lumières notamment, le fatalisme ambiant devant la maladie et les épidémies est contesté par de nombreux médecins qui sont persuadées des possibilités infinies de la médecine; beaucoup notamment refusent de considérer comme inéluctable la mort de tous ces enfants au berceau d’où une profusion d’ouvrages les concernant vers cette époque.

Se soigner autrefois (1)

Reproduction of Luke Fildes' painting The Doctor, by Joseph Tomanek

 

N’oublions pas en effet qu’ «un quart du genre humain périt pour ainsi dire avant d’avoir vu la lumière puisqu’il en meurt près d’un quart dans les premiers mois de la vie » (Buffon 1777 – naturaliste et biologiste français 1708-1788).

Se soigner autrefois (1)

Jeune mère contemplant son enfant endormi dans la chandelle . 1875. Albert Anker (1831-1910)

 

Entre 1740 et 1789 une étude a montré que le taux de mortalité des enfants de moins d’un an était de 280/1000.

Les causes de ces décès de touts petits se divisent en 3 catégories :

  • Les malformations congénitales,
  • les lésions subies au cours de l’accouchement,
  • les maladies diverses.

Ainsi la diarrhée du nourrisson plus fréquente en été induit une mortalité saisonnière élevée (n’oublions pas qu’elle est encore aujourd’hui la 2ème cause de mortalité dans le monde des enfants de moins de 5 ans).

Au 18ème siècle un peu plus de 50 enfants sur cent atteignent 10 ans. Ils sont attaqués de toute part par la coqueluche, les oreillons ou oripeaux, la varicelle assimilée à une variole atténuée, la rougeole, la scarlatine, la rubéole ….

Et les soins se résument souvent à des enveloppements, des cataplasmes, des infusions de bourrache, de persil ou de coquelicot.

Et que dire de la diphtérie ou angine pestilentielle ou putride, ou croup ou mal de gorge gangréneux qui sévit tant chez les jeunes que chez les plus âgés.

Voir également l'article sur la naissance au cours des siècles.

 

Une maladie qui fait peut : la rage

En 1714 un loup enragé pénètre dans les faubourgs d’Angers et mord, avant d’être abattu, de nombreux chiens et bestiaux et une centaine de personnes. Une trentaine d’entre elles meurent dans des conditions épouvantables : elles sont parquées dans une tour désaffectée et « on les voyait se déchirer, et crier pitoyablement et enfin expirer » »

 

Quid des autres maladies

La gale, la gratelle et la dartre sont moins graves mais très fréquentes. Les malades se grattent furieusement faisant ainsi « rentrer l’humeur » provoquant des infections et aggravant le pronostic initial.

La plupart des affections pulmonaires sont confondues sous le nom de phtisie.

La tuberculose que l’on ne connait pas et qui n’est pas décrite existe bien avant le 19ème siècle.

Le cancer est défini par Antoine Furetière (homme d’église, poète et romancier – 1619-1688) comme « une maladie qui vient dans les chairs et qui les mange petit à petit comme une sorte de gangrène ».

Un cancer déjà fréquent : le cancer du sein ; par pudeur beaucoup de femmes hésite à se confier à un chirurgien.

Saint Simon (duc et pair de France, mémorialiste français – 1675-1755) ainsi nous dit que Mme de La Vieuville qui meurt en 1715 dans un âge peu avancé d’  « un cancer au sein dont jusqu’à deux jours avant la mort elle avait gardé le secret avec un courage égal à la folie de s’en cacher et de se priver par là des secours ».

Il nous signale le cas de Mme Bouchu qui cachait un cancer depuis longtemps ; « avec le même secret, elle mit ordre à ses affaires, soupa en compagnie, se fit abattre le sein le lendemain de grand matin et ne le laissa apprendre à sa famille ni à personne que quelques heures après l’opération : elle guérit parfaitement ».

Les maladies vénériennes : longtemps confondues entre elles sous le nom de vérole. Elles sont très fréquentes.

Se soigner autrefois (1)

Le compagnon vitrier Jacques Ménétra (18ème siècle) avoue une dizaine d’accident contracté à frayer ici ou là à Paris ou lors de son tour de France.

Il se guérit à chaque fois avec des remèdes à base de mercure manifestement. En effet « le mercure et les préparations mercurielles sont l’unique remède capable de détruire radicalement la vérole pourvu qu’on les emploie avec précaution ».

A Paris on soigne la vérole à Bicêtre, l’une des maisons de l’hôpital général.

Se soigner autrefois (1)

On enferme les malades mentaux, les hystériques, les mélancoliques, les déments auxquels on assimile les épileptiques.

Dès la création de l’hôpital général en 1656 il est prévu d’y enfermer « les fous et insensés », les mendiants valides ou non, les vieillards indigents, les vénériens et les enfants abandonnés.

Mirabeau (écrivain français - 1749/1791) est scandalisé de la façon dont sont traités les enfermés, laissés à croupir avec leurs chaines et dans leurs ordures.

Les conditions de vie font-elles la différence en terme de mortalité ?

Une étude réalisée dans le Thimerais entre Chartres et Dreux fait apparaitre une différence certaine : entre 1765 et 1791 il a été calculé que les probabilités de survie à 15 ans pour 1000 enfants de laboureurs (le « haut du panier » paysan) y sont de 587 alors que le chiffre tombe à 515 pour les journaliers agricoles.

Dans les villes sales et empuanties par les eaux usées, les ordures de toutes sortes, la situation ne fait qu’aggraver les épidémies voir même les déclencher.

L’entassement dans des maisons de bois ou de torchis mal entretenues et mal aérées aggravent nécessairement les conditions de vie des habitants.

A Angers en 1769 dans la petite rue Putiballe (aujourd’hui rue Tuliballe), 403 personnes s’entassent dans 39 maisons et 9 de ces maisons abritent 206 personnes (soit une moyenne de 23personnes par maison). Je vous invite à lire les articles sur l’habitat lillois au 19ème siècle qui explique bien l’indigence et l’insalubrité de ces habitions (voir mes articles sur l'habitation lilloise au 19ème siècle 1 et 2).

Se soigner autrefois (1)

Dans les campagnes ce n’est guère brillant : l’habitation se résume là aussi le plus souvent à une pièce où l’on dort, mange, vit. Les maisons sont souvent basses, mal aérées, humides : or « l’on sait qu’un air trop renfermé occasionne les fièvres malignes les plus fâcheuses ; et le paysan ne respire chez lui jamais qu’un air de cette espèce. Il y a de très petites chambres qui renferment jour et nuit le père, la mère, 7 ou 8 enfants et quelques animaux, qui ne s’ouvrent jamais pendant 6 mois de l’année et très rarement les autres 6 mois » (Simon André Tissot, médecin suisse 1728-1797 – Avis au peuple sur sa santé 1761).

Et que dire du tas de fumier à proximité du ruisseau ou du puit ?

L’alimentation concourt également à aggraver l’état général des individus. Les gens pauvres ont 70 à 80% de leurs calories provenant des céréales (surtout seigle, blé orge noir) sous forme de pain ou de bouillie (lire également l'article sur le repas sous l'Ancien Régime).

Peu de poisson ou de viande, peu de fruits (quand ils existent, ils sont surtout cuits), quelques légumes pour la soupe et un peu de graisse (beurre ou huile).

Au 17/18è on mange moins de viande qu’au 15ème siècle ou que les siècles plus tard.

Ce régime entraîne fatalement de nombreuses carences en vitamines. La mauvaise qualité des aliments est quant à lui responsable du pelagre, du scorbut, de l’ergortisme ou mal des ardents.

Parlons un peu de l’ergotisme qui est dû à l’absorption de farines contenant du seigle ergoté ce qui entraîne la gangrène des pieds et des mains.

En 1776, Tessier donne une description de l’ergotisme sévissant en Sologne : « les hommes malades surtout les mieux constitués éprouvaient les deux ou trois premiers jours des douleurs de tête et d’estomac ; la fièvre survenait, ils sentaient tous des lassitudes douloureuses dans les extrémités inférieures ;  ces parties se gonflaient sans inflammations apparentes ; elles devenaient engourdies, froides et livides et se gangrenaient… Les doigts tombaient les premiers et successivement toutes les articulations se détachaient. Les extrémités supérieures, quoique plus rarement, éprouvaient le même sort. On a vu des malheureux auxquels il ne restait que le tronc et qui ont vécu dans cet état encore quelques jours ».

Se soigner autrefois (1) 

Les Mendiants – P. Brueghel

 

Sources

"Se soigner autrefois" de François Lebrun

"Enquête sur les plantes magiques" de Michèle Bilimoff

Revue "Nos ancêtres" n°18 sur les médecins et chirurgiens du 15 au 19ème siècle

INED

 

Lire la suite

La domesticité au 19è et début du 20ème siècle (3)

5 Octobre 2016 , Rédigé par srose

Juridiquement

Le domestique est tenu d’avoir un livret qui retrace sa carrière (décret du 3/10/1810 et décret du 1/8/1853) mais il n’a jamais été réellement mis en application ni suivi d’effet ne serait-ce que parce qu’il y a une ambiguïté entre les définitions professionnelles : un ouvrier agricole est-il un domestique ?

 

Jusqu’en 1848, les domestiques n’eurent pas le droit de vote. Ils ne peuvent pas être jurés ni conseillers municipaux. Les domestiques agricoles sont exclus de l'assemblée des paroissiens.

 

Jusqu’en 1986, le maître était cru sur son affirmation pour la quotité des gages, le paiement des salaires. Le domestique n’avait aucun recours.

 

La loi de 1906 qui accorde une journée de repos hebdomadaire ne s’applique pas aux domestiques notamment parce que le domestique est « en quelque sorte le prolongement de la famille de son maître » et le législateur ne saurait s’immiscer dans la sphère privée…

 

Jusqu’en 1914 on pouvait renvoyer une domestique mariée du fait de son état de grossesse.

 

En 1909 une loi précise tout de même que l’accouchement est cause seulement de suspension du contrat et non de résiliation … maigre consolation.

 

La loi de 1910 sur les retraites ouvrières concerne aussi les domestiques mais n’a que bien peu d’effets car certains l’ignorent, d’autres refusent de donner leur âge de crainte de ne trouve de place, les maîtres n’insistent pas non plus pour économiser les cotisations ; par ailleurs Siméon Flaissières (1851-1931), médecin et sénateur de Marseille, socialiste dénonce une utopie à la séance du sénat le 11/3/1910 : « Je vous accuse d’instituer une retraite pour les morts » ; en effet sur 100 domestiques qui cotiseront de 18 à 65 ans aucun n’atteindra 65 ans…

 La domesticité au 19è et début du 20ème siècle (3)

Les causes de renvoi peuvent être l’âge, la maladie ou la grossesse : la Cour de cassation a elle-même dit en 1896 « qu’à aucun point de vue on ne saurait considérer un maitre comme tenu de garder à son service une fille enceinte soit que l’on envisage l’immoralité de sa conduite le mauvais exemple dans la maison ou les graves inconvénients de l’accouchement ».

 

La loi qui protège les ouvriers en cas d’accident du travail date de 1898 ; il faut attendre 1923 pour qu’elle s’applique aux domestiques.

 « 30 mai 1907 – justice de paix de Paris – Dame Michault contre Vilpelle. La dame Michault est laveuse de vaisselle, c’est-à-dire domestique chez Vilpelle. Le 3 mai 1904, elle a eu un accident du travail. Une écharde dans l’index de la main droite a provoqué un panaris : elle demande à son patron une indemnité temporaire de 25 francs. La justice statue ainsi : « Sans révoquer en doute l’accident dont elle se plaint, il est certain que cet accident ne rentre pas dans la catégorie des risques professionnels prévus par la loi du 9 avril 1888 …. ». La dame Michault devrait justifier qu’a été commise envers elle par son patron une faute ou une négligence. Vilpelle est renvoyé des fins de la demande, sans dépens ».

 

Le code pénal frappe plus lourdement le domestique quand il est rendu coupable de 3 délits facilités par sa situation : le vol, l’abus de confiance, l’attentat aux mœurs. Ainsi, quand le domestique commet un vol cela passe de délit à crime ; de même le domestique convaincu d’attentat à la pudeur sur un enfant de moins de 13 ans sera condamné aux travaux forcé voir à perpétuité en cas de viol.

 

Le maître peut fouiller sans problème les affaires de ses domestiques.

 

Aucune loi sur la protection ouvrière ne s’applique aux domestiques avant 1914 : ni sur le travail des enfants ou des femmes, ni sur le repos hebdomadaire, ni sur la limitation de la durée de travail ou le repos des femmes en couche. On peut ainsi employer des enfants de tout âge si on leur permet de fréquenter l’école obligatoire (ne pas oublier que la loi du 2/11/1892 fixe à 13 ans l’âge minimum d’embauche mais ne s’applique pas aux domestiques).

 

Quant aux bureaux de placement, tous les abus sont permis : les droits d’inscription sont abusifs les commissions tout autant (2à5% du salaire annuel payable sous huitaine après entrée en fonction) ; des gratifications sont nécessaires pour être placé vite et /ou bien. Et que dire des placements douteux …

 

Mauvais traitement       

Certains maitres faisaient payer 25ct chaque fois que le valet laissait choir quelques pièces d’argenterie.

 

En 1864 est jugé par le jury de la cour d’assise d’Aix, Armand, riche bourgeois de Montpellier : il est accusé d’avoir frappé sauvagement Maurice Roux, son domestique et il n’en serait pas à son coup d’essai. L’opinion aixoise prend le parti d’Armand. Celui-ci est acquitté mais doit payer 20 000 Fr de dommages et intérêts : pourquoi cet acquittement ? Car il se serait agi de relations homosexuelles (la presse laisse entendre que le domestique a des mœurs efféminés) et que les pratiques sado maso auraient dépassé la mesure.

 

En 1859 à Marzy près de Nevers : « Marie Doret, 25 ans, dont le mari se trouve en prison pour vol, a été traitée de manière odieuse par le sieur L. propriétaire à Marzy, chez lequel elle sert en qualité de domestique ; celui-ci la battit et lui fit une plaie de deux cm à la partie extérieure de l’arcade sourcilière gauche. La gendarmerie dressa PV ; Marie est élève à l’hospice de Nevers et a un enfant et est enceinte de 7 mois ».

 

Edmond et Jules Goncourt dans leur « Journal »  de 1860 écrivent : « Le service est dur, presque cruel en province. La servante n’est pas traitée en femme ni en être humain. Elle ne sait jamais ce qu’est la desserte d’une table. On la nourrit de fromage et de potée et on exige d’elle, même malade, un labeur animal. Je crois que si le luxe amollit l’âme, il amollit bien aussi le cœur ». 

La domesticité au 19è et début du 20ème siècle (3)

Maladie

Difficile de conserver un serviteur malade ou âgé. Si la servante n’a pas d’épargne elle est condamnée à terme à la misère. Et ce d’autant plus que les hospices ou asiles pour servantes n’existent pas au début du 19ème siècle.

 

Les maitres sont inconscients des règles d’hygiène et ne se soucient guère de la santé de leur domestique.

 

Et que dire des rhumatismes, varices, syphilis …

 

Le Dr Toulouse en 1921 écrivait : «  Crimes licites. En équité le petit bourgeois qui, buté dans son égoïsme étroit, accable d’un travail excessif une servante ignorante et l’expose ainsi à une tuberculose certaine, commet une action aussi répugnante à l’égard d’une conscience éclairée qu’un attentat sanglant ».

 

Au 19è on constate la naissance de tout un mouvement destiné à moraliser les servantes mais aussi à leur venir en aide : des congrégations pieuses de servantes sont ainsi organisées sous la Restauration.

 

En 1840 par exemple, le père Soulas (1808-1857), surnommé le « Saint Vincent de Paul de Montpellier », est chargé de l’œuvre des Domestiques créée à Montpellier à la suite de la grande mission de 1821 : il s’inquiète de la misère morale des servantes isolées à la ville, des dangers qui les guettent (la maladie, la peur de perdre leur place, le danger chez le maître lui-même : flatteries, occasions funestes, mauvais livres, paroles libres ….) ; il cherche à ouvrir une maison de retraite pour ces pauvres filles. 

La domesticité au 19è et début du 20ème siècle (3)

Des caisses de secours mutuels existent également mais peu de domestiques y adhèrent car les cotisations restent chères. Ces caisses assurent pour les personnes à jour de leur cotisation les soins du médecin les médicaments, et versent une indemnité journalière d’1 franc.

 

Maternité

Prenons l’exemple de Paris : en 1890, on recense dans les hôpitaux de la ville 4624 mères célibataires dont 2354 domestiques (à Baudelocque en 1900 sur 637 domestiques qui accouchent, 509 sont célibataires ; à la Pitié sur 105 domestiques qui accouchent, 86 sont célibataires).

 

Etre bonne, c’est s’exposer à être enceinte (souvent des œuvres du maître de maison voir de son fils). Ou alors ces enfants naissent de la promiscuité entre domestiques dans les fameux 6ème étages comme on les appelle … Et comme les maîtres ne veulent pas de domestiques mariées, celles si sont en plus quasi toujours célibataires.

 La domesticité au 19è et début du 20ème siècle (3)

D’où les nombreux infanticides, abandons, avortements qui semblent être l’apanage de ces bonnes et autres domestiques femmes. Et que dire de la misère et de la prostitution qui guettent celles qui gardent leur enfant mais qui sont inexorablement renvoyées du fait de leur « nouvelle situation » !

 

La domesticité au 19è et début du 20ème siècle (3)

A partir de 1850, des maternités furent créées pour recevoir des filles mères enceintes jusqu’à complet rétablissement : à Nevers, sur 70 filles admises à la maternité départementale, 40 sont des domestiques.

 

Furent créés également des Secours pour les filles mères : en 1886 sur 167 filles mères secourues, 75 sont là aussi des domestiques.

 

La problématique principale de la maternité chez les domestiques, indépendamment de savoir qui est le père, est que la maternité est tout simplement interdite par les maîtres de maison. Ils ne veulent ni de domestique qui puisse être enceinte ni de domestique avec déjà un enfant.

 

Louis Liévin écrit dans « La France » le 7 février 1892 qu’« une des causes de la dépopulation de la France est l’incroyable quantité de domestiques qui figure dans les recensements…la première et la meilleure des références pour un domestique est donc de ne pas avoir d’enfants ».

 

Paul Thimonnier, dans un article intitulé « La France se dépeuple » (Le Réveil des gens de maison – 1er décembre 1908), répond au sénateur Piot qui se lamente sur le dépeuplement de la France. Paul Thimonnier prouve que les domestiques ne peuvent se permettre d’avoir des enfants. Il rappelle les chiffres : « si 10% des ménages de domestiques ont un ou deux enfants, 90% en revanche n’en ont pas » …. « La bonne gagne 25 à 30 Fr par mois et ne peut payer les mois de nourrice. Elle doit donc pour subvenir aux besoins de son enfant se prostituer »… la prostitution pour éviter la misère et pouvoir payer la nourrice, n’est bien sûr pas propre aux domestiques mais la propension de domestiques y est forte (une étude de Parent-Duchâtelet en 1857 indique que sur 1000 domestiques à Paris, 81.69 se prostituent alors que sur 1000 ouvrières, « seules »  52.42 se prostituent).

 

Paul Chabot, fils d’un cocher et d’une cuisinière nous explique dans son livre « Jean et Yvonne, domestiques en 1900 », qu’ « il était hors de question que ma mère m’élève, elle n’avait pas le temps de s’occuper de moi et les patrons ne toléraient pas les enfants de domestiques ». Il passe donc son enfance dans une autre maison, pas très loin de sa mère mais il ne la voit quasiment jamais parce qu’elle n’a droit à aucun congé pour aller voir son fils.

 

 

Dépendance totale au maître

Pas de vie personnelle, pas de culture, pas d’instruction. Le corps est caché derrière un uniforme, le valet doit se raser (pas de moustache !), la femme cache ses cheveux sous une coiffe, à défaut elle les a peignés de façon irréprochable.

 

 

L’existence du domestique va se calquer sur celle du maître. George Sand raconte à ce propos l’histoire d’un ancien chef de cuisine de Napoléon 1er, dénommé Gallyot, chez qui elle louait un appartement en 1823. Gallyot était chargé de l’en-cas de l’empereur, un poulet toujours rôti à point, peu importe l’heure du jour et de la nuit. Cet homme dit George Sand occupé à surveiller le poulet, a dormi dix ans sur une chaise, tout habillé prêt à servir l’empereur. Le malheureux n’a jamais pu après ces 10 ans se coucher comme tout le monde.

 La domesticité au 19è et début du 20ème siècle (3)

Et que penser des propos de Mme Caro-Delvaille, fervente féministe, qui répond en juillet 1899 à un article du journal « La Fronde » qui proposait de loger les servantes dans les appartements des maîtres : elle déclare que pour l’instant c’est impossible car les bonnes sentent trop mauvais !

 

Le juriste Marcel Cusenier notait en 1912 : « Les maitres ravalent les domestiques à un rang intermédiaire entre les hommes et les choses. Devant eux point de pudeur. Ils s’efforcent de détruire leur personnalité au dehors comme au dedans….on ne regarde les domestiques comme des humains que pour les soupçonner. On met en doute leur probité leurs mœurs leur appétit. »

 

Un exemple entre tous : le maître va jusqu’à changer le prénom de son domestique si celui-ci porte celui d’un membre de la maisonnée ou si son prénom ne fait pas assez bien.

 

Le  « Manuel des pieuses domestiques » de 1847 demande de refréner ses sentiments et d’être charitable envers ses maitres : « la charité est une vertu chrétienne que vous êtes obligé de pratiquer bien plus envers vos maitres qu’envers tout autre quel que soient leur caractère ou leurs mauvaises habitudes. Dieu ne vous demandera pas compte des péchés de vos maitres mais des vôtres. La charité doit donc vous porter à excuser à supporter avec patience ceux que vous avez choisi pour les servir ». 

La domesticité au 19è et début du 20ème siècle (3)

Le chômage

Le chômage revient cher à une domestique : elle soit se loger, se nourrir, payer le droit d’inscription dans un bureau de placement. En 1912, Cusenier affirme que le coût d’un mois de chômage est supérieur à 200 Fr c’est-à-dire environ 6 mois de gages.

 

Si le domestique est syndiqué et qu’il (ou elle) est à jour de ses cotisations, il a droit aux secours dudit syndicat. Ainsi il a droit à une indemnité de 2 francs, due à partir du 8ème jour ; pendant les 15 premiers jours de chômage, il aura le droit de refuser ou prendre les places proposées mais au bout de ce laps de temps, toute place refusée entraînera la perte des droits à chômage.

 

Des refuges existent, tenus par les sociétés philanthropiques, mais le prix de pension est assez élevé ; tous n’acceptent pas les enfants (garçons) de plus de huit ans. Et surtout il n’y en a pas partout.

 

Que font celles qui n’ont aucune aide ? La prostitution reste malheureusement une solution trop souvent utilisée pour ne pas tomber dans la misère totale.

 

Fin de la domesticité

La guerre diminua notablement le nombre de domestique : certains furent tués d’autres congédiés du fait de la diminution des revenus des maitres, les femmes durent travailler dans les usines et les bureaux pour les plus instruites. Beaucoup préférèrent d’ailleurs travailler même dans les usines plutôt que retourner à l’état de bonne à tout faire !

 

En 1911 on compte 770 000 domestiques femmes et 672 000 en 1926

 

Il y avait 158 000 domestiques hommes en 1911 et 102 000 en 1926

 

La scolarisation massive des filles participa également à ce déclin et diminua ainsi l’écart qui existait entre les femmes de chambre et les maitresses de maison… 

La domesticité au 19è et début du 20ème siècle (3)

On va préférer un service réel et non plus un service personnel : il faut payer l’acte plutôt que l’homme. Le Dr Commenge déjà en 1897 préconisait de l’organisation suivante : les maitres loueraient pour quelques heures par l’intermédiaire d’une agence des employés pour telle ou telle tâche déterminée. La bonne serait remplacée par la femme de ménage. On va passer du service à gages au service à la tâche.

 

Et surtout la mode au début du 20ème siècle, et cela va durer pendant quelques décennies, va être à la valorisation de la femme au foyer qui est capable dorénavant de gérer toute sa maisonnée elle même sans l'aide d'une bonne à demeure. Les progrès de la technologie (lave linge, aspirateur ...) vont le lui permettre sans soucis ...

La domesticité au 19è et début du 20ème siècle (3) 

La domesticité au 19è et début du 20ème siècle (3)

 

 

Sources

Filles mères à Bordeaux  à la fin du 19ème

Pierre Guiral et Guy Thuillier, La vie quotidienne des domestiques en France au XIXe siècle, Hachette, Paris, 1978.

La domesticité à Cannes à la belle époque de Christine Cecconi

La place des bonnes – la domesticité féminine à Paris en 1900– Anne Martin Fugier

Cybergroupe Généalogique de Charente Poitevine » (C.G.C.P.)

 

Lire la suite

La domesticité au 19è et début du 20ème siècle (2)

5 Octobre 2016 , Rédigé par srose

 

Comment les loger ?

Les domestiques de façon générale sont logés au dernier étage des immeubles dans les mansardes sans eau, ni cheminée, et des fenêtres rares : « … Remontée tard de la cuisine, éreintée, la bonne ayant froid l’hiver, chaud l’été n’aère pas la pièce et se couche rapidement. Souvent lorsqu’on visite ces chambres de jour on est saisi dès l’entrée par l’odeur écœurante des pièces renfermées où se trouvent du linge douteux, un lit défait et des eaux sales non vidées ». 

La domesticité au 19è et début du 20ème siècle (2)

Les divers textes parlent en général du « sixième » pour désigner ces logements. Lieux où par ailleurs les domestiques des deux sexes vivent sinon dans la même pièce du moins au même étage. Il peut y avoir jusqu’à 80 chambres de bonnes pour un grand immeuble parisien. Le couloir étroit qui dessert les diverses chambres comporte en général un voir deux postes d’eau et un cabinet d’aisance sordide car jamais nettoyé. Il est à noter que les clés sont toutes les mêmes et que rentrer dans l’une ou l’autre chambre est très facile.

La domesticité au 19è et début du 20ème siècle (2)

Ces chambres mansardées n’ont bien sûr pas le chauffage ni l’eau, des fois même pas de fenêtres et quand il y en a une c’est du type lucarne. Pour se garantir du froid, les domestiques accumulent leurs jupons devant la fenêtre ou collent du papier sur les fissures.

 

Pourquoi ces endroits si hauts et si mal commodes ? Jules Simon (philosophe et homme d'état ; 1814-1896), indigné de cette situation, nous dit tout simplement que c’est parce qu’on ne peut vraiment rien en faire d’autre ! « Ces cellules sont évidemment et nécessairement inhabitables ; car si l’on pouvait s’y tenir debout, y respirer, y vivre, on les mettrait en location et on trouverait un peu plus haut ou s’il n’y avait pas de grenier, dans les caves, dans quelques recoins de la cage d’escalier, la place d’un matelas pour les domestiques ».

 La domesticité au 19è et début du 20ème siècle (2)

Gaston Jollivet (journaliste et écrivain – 1842/1927), l’Eclair, 23/7/1908 : « le sixième, c’est, appliqué au logement, le collectivisme dans toute son horreur ». 

La domesticité au 19è et début du 20ème siècle (2)

Vers 1905, un juge de paix du 6è arrondissement évoquait dans de curieux attendus les conséquences de cette misère matérielle et psychologique : « attendu qu’il est de notoriété publique qu’à Paris c’est au derner étage où les jeunes filles de la campagne couchent, qu’elles contractent parfois la tuberculose et parfois de pires maladies. Attendu que ces malheureuses amenées à se placer comme domestiques sont excusables ; que leurs compagnes qui les poussent à l’inconduite le sont également jusqu’à un certain point ; attendu que sont responsables moralement les maîtres qui abandonnent hors du domicile familial des jeunes filles sans défense, les propriétaires qui distribuent leurs immeubles sans souci de la morale uniquement par esprit de lucre ; attendu que si parfois les maladies contagieuses descendent de la mansarde de ces taudis où sont entassées les malheureuses par des proprietaires rapaces  qui tirent un plus grand revenu des bouges que des immeubles bien tenus et pénètrent dans l’appartement des maîtres , les propriétaires peuvent et doivent se dire que c’est souvent par suite de leur insouciance coupable et de leur égoisme … »

 

La baronne Staffe (auteur français – 1843/1911) écrit qu’ « il est odieux d’envoyer les jeunes filles se coucher sous les toits dans une espèce de promiscuité horrible ». 

La domesticité au 19è et début du 20ème siècle (2)

En 1927 Augusta Moll-Weiss (186/-1946 – fondatrice de l’école des mères) protestait contre la corruption à laquelle on expose encore les servantes :

« Quoi ! ces petites Bretonnes, ces Alsaciennes venues à Paris pour y apprendre la chère langue française, ces enfants de nos provinces qu’on nous confie pour gagner leur pauvre vie et acquérir une valeur professionnelle plus grande, nous avons le triste courage de les envoyer le soir coucher au sixième où l’on entend les conseils les plus pernicieux, où l’on subit les contacts les plus dissolvants et le matin venu nous nous plaindrions de leur indolence, de leur inattention, nous nous étonnerons de les trouver chaque jour plus experte plus rusées plus distantes de nous ! »

 

Il y a aussi des maîtres qui font loger leur domestique chez eux mais dans des conditions désolantes : un réduit obscur avec une lucarne donnant sur la cuisine, un débarras encombré avec un matelas posé à même le sol ; aucune intimité et une dépendance au maître encore plus importante puisqu’ils peuvent être réveillés n’importe quand dans la nuit.

 

Seule la nourrice a droit à d’avantages d’égards : une chambre pour elle, aérée, claire et confortable : la chambre de l’enfant. 

La domesticité au 19è et début du 20ème siècle (2)

Témoignage fourni par Jacques Valdour (1872-1938 – sociologue, observateur du monde ouvrier de son époque) en 1919 dans une ferme en Brie : « la petite pièce où nous dormons, cuisinons et mangeons est séparée de l’écurie qui la commande mais n’est pas mieux éclairée ni aérée ; la porte d’accès est dépourvue de de toute clôture ; une petite imposte aux carreaux gris de poussière ancienne laisse filtrer un peu de de jour. Presque tout le mur du fond est occupé par 4 couchettes disposées sur 2 étages, sorte de vaste caisse à 4 compartiments aussi crasseux que le plafond et les murs. Le patron fournit les paillasses ; elles sont sales, crevées, dégonflées. Il y joint une couverture et deux draps : un drap blanc et un drap fait d’une grossière toile d’emballage. Le reste du mobilier comprend : une table graisseuse et disjointe, un banc à demi brisé, deux caisses servant de siège, un poêle détérioré. Pour nous laver nous n’avons rien ; il faut par tous les temps traverser la cour et aller à cent pas de cette tanière se mettre sous la pompe, opération malaisée au moment où elle est le plus nécessaire c’est-à-dire au retour des champs car les chevaux sont alors conduits à l’abreuvoir que la pompe alimente ».

 

Salaires

Les gages sont réglés par l’usage : dans chaque localité il y a une sorte de prix courant dont il ne faut pas s’écarter.

 

Aux gages peuvent s’ajouter d’autres choses : les étrennes qui vers 1900 peuvent représenter de ½ à 1 mois de salaire selon les maisons, des cadeaux divers, des produits fermiers …

 

La hiérarchie des salaires est très marquée en fonction de la qualification de l’expérience.

 

Le montant des gages varie toutefois en fonction des revenus du maître : une bonne peut ne gagner que 15 à 20 francs par mois ainsi que le précise un rapport au Congrès féministe de 1900, « Le Travail des bonnes ». Cusenier affirme que des bonnes vraiment habiles obtiennent jusqu’à 55 ou 60 francs.

 

Marguerite Perrot, dans une étude sur les comptabilités privées (« Le mode de vie des familles bourgeoises 1873-1953 » - 1961) a montré que les gages étaient très variables et pouvait être un poste conséquent : dans 80% des cas ils représentent entre 3.5 et 9.4% des dépenses totales.

 

Il est à noter que les domestiques des institutions (type couvent, asile d’aliénés) sont moins bien lotis : en 1844 les infirmiers ne gagnent que 12.50f par mois ; en 1880 à Bicêtre une infirmière capable ne touche que 20 Fr par mois.

 

Si l’on regarde côté employeur, il faut compter pour un bourgeois modeste entre 400 et 500 francs par an de gages pour une bonne à tout faire, plus la nourriture et le logement.

 

Les différentes tâches

Dans les grandes maisons les activités sont divisées par thématique :

  • La bouche : chef cuisinier rôtisseur, saucier, filles de cuisine
  • L’hôtel : maitre d’hôtel, valets de pied chargé du nettoyage des appartements de réception et du service de table ; argentiers chargés de l’entretien des cristaux et de l’argenterie, femme de charge qui commande les femmes de chambre chargées du linge et des appartements privés, le piqueur qui assure le service de l’écurie et de la remise.

 

Le « Manuel complet des domestiques » de 1836 différencie ainsi les domestiques en fonction de leur principales tâches :

  • «Soins des aliments ou service de la nourriture : auxquels de rattachent les cuisinières, et cuisiniers, les maîtres d’hôtel, les aides de cuisine : ce service comprend le choix, la disposition, la conservation des substances alimentaires et tout ce qui concerne les repas et le service de la cave
  • Le service des étrangers c’est-à-dire tout ce qui concerne la conduite à tenir à l’égard des visites, des assemblées, des personnes qui reçoivent dans la maison une amicale hospitalité
  • Soins de la maison et service du mobilier : qui comprennent les occupations des femmes de ménage, femmes, valets de chambre, frotteurs, concierge, …. Tous les conseils relatifs à la propreté, à l’élégance, à la bonne tenue de l’intérieur trouveront place ici
  • Soins de la personne et des vêtements : s’adresse aux valets et femme de chambre chez les gens opulens, à la domestique chez les personnes à la fortune plus modeste ; cette partie contiendra tous les détails du nettoyage, blanchissage, repassage, enlevage des tâches, et tous les modes de réparation éprouvés
  • Soin des enfants qui concernera les bonnes d’enfants et le soin des maladies

 

  • Soins de l’écurie : il s’agira ici du pansement des chevaux, de l’entretien des voitures, et donc toutes les obligations imposées au domestique homme chargé du service général, aux cochers et aux valets d’écurie »

 

Dans les maisons bourgeoises le personnel étant moins qualifié, les tâches seront moins diversifiées et le personnel plus polyvalent.

La domesticité au 19è et début du 20ème siècle (2)

Les tâches ménagères, quelles sont-elles ?  Bien différentes que celles que l’on connait aujourd’hui.

La domesticité au 19è et début du 20ème siècle (2)

Pendant longtemps il a fallu monter l’eau aux appartements par des porteurs d’eau ou aller chercher l’eau au robinet commun. Il fallait monter le bois et le charbon, descendre les ordures, la lessive était faite à l’extérieur (par une blanchisseuse à Paris ou au lavoir en province), il fallait frotter les planchers cirer le parquet.

« Beaucoup de bonnes le faisant malgré elle au détriment de leur santé et de leurs maternité futures, le déhanchement que provoquent le vas et vient du pied qui frotte est absolument funeste … des femmes … obligent leur bonne à frotter à genoux. C’est un travail épuisant. La servante ne se relève que fourbue, les reins fauchés, les jambes molles, les bras anéantis, la tête congestionnée. Beaucoup d’entre elles se refusent avec raison à remplir ce travail ».

 

Par ailleurs, l’abondance des tentures, double rideaux, bibelots, draperies multiplient les nids à poussière.

 

Vider les pots de chambre, rincer les cuvettes

 

Dans la cuisine, minuscule, la bonne fait bouillir sur la cuisinière la lessiveuse pendant des heures ; elle étend le linge, toujours dans la cuisine sur des cordes ; l’humidité, il va sans dire n’est pas évacuée et reste dans la pièce rendant l’air malsain ; le repassage se fait aussi dans la cuisine sur une planche de fortune à côté du dîner qui cuit. La cuisine pièce que l’on cache, que l’on remise au bout du logement (dans certaines provinces on appelle ces réduits où la bonne lave la vaisselle des souillardes). 

La domesticité au 19è et début du 20ème siècle (2)

Les servantes connaissent très mal les règles d’hygiène et n’hésitent pas par exemple à faire les chambres fenêtres fermées ou à secouer le torchon au-dessus du tapis.

 La domesticité au 19è et début du 20ème siècle (2)

Servante plumant le gibier

« Les maitresses de maison qui commande un ouvrage qu’elles n’ont jamais fait elle-même ne savent pas le travail et le soin qu’ils réclament. La bonne va à l’aveuglette, s’éternise, se fatigue et fait mal ».

 

L’idée que l’on puisse expliquer à une servante, leur enseigner les rudiments de leur travail n’est pas une idée acceptée encore dans les années 1900-1910

 

Jacques Boucher de Perthes, préhistorien du 19è déclarait dès 1859 qu’il fallait créer des écoles pour servantes pour les femmes de journée dite à tout faire ainsi qu’une école pour domestiques de luxe, pour femme de chambre de bonne maison : celles-ci doivent savoir broder coiffer réparer et faire une robe et aussi une école de bonnes d’enfants car « de ces servantes trop souvent dédaignées dépend souvent l’avenir ou les habitudes bonnes ou mauvaises de l’être faible qu’on leur confie » et une école normale de cuisinière.

 

Autre témoignage, celui de Paul Chabot dans son ouvrage « Jean et Yvonne, domestiques en 1900 », sur ce que les patronnes de sa mère, deux douairières de Saint Pol, imposaient à celle-ci quand elle avait 13 ans (vers 1880) : « Entretenir le manoir (de 10 pièces), faire la cuisine, assurer le service de ces dames, le lavage, le repassage, il y avait toujours une tâche qui débordait sur l’autre. … Depuis 6h le matin, elle se démenait pour allumer les feux. Elle attaquait la journée par les corvées de bois … à quatre pattes, courbées sur sa paille de fer, elle décapait le parquet, l’encaustiquait et, au chiffon de laine le faisait reluire … il lui fallait sortir les tapis dans la cour, les jeter à cheval sur un fil et les battre avec une tapette. Yvonne qui était toute petite avait un mal fou à les hisser … ». 

La domesticité au 19è et début du 20ème siècle (2)

 

Qu’en est-il du travail masculin ? Le « Manuel du valet de chambre » en 1903 donne un certain nombre de directives à suivre pour exercer la profession de valet.

 

La domesticité au 19è et début du 20ème siècle (2)

Ainsi sur la propreté : « on ne saurait trop insister sur ce point ; un domestique qui approche ses maîtres, qui vit dans leur intimité, ne doit pas se rendre désagréable à la vue ni à l’odorat ; il doit donc avoir un soin tout particulier de sa personne ; se laver souvent à fond ; changer fréquemment de linge et de chaussettes ; avoir toujours les cheveux en ordre, le visage bien rasé, les mains et les ongles aussi propres que le permet le travail. Ne pas se servir de cosmétique, ni de pommade ni d’aucun parfum. »

 

Sur le service : « le service d’un valet de chambre comporte ordinairement le soin des appartements ; le service de table ; l’entretien de l’argenterie, des couteaux, des lampes  ;cuivres, carreaux ; le bois, les feux ; le balayage de la rue ; répondre à la porte. … aussitôt levé, ouvrir les persiennes, faire le service de Monsieur ; en hiver, dresser les feux, monter le bois et le charbon ; balayage de la rue ; premier déjeuner pris rapidement, ce n’est pas le moment de perdre du temps ; faire les appartements ; s’habiller, mettre le couvert, servir le déjeuner ; déjeuner soi même ; après, ôter le couvert et remettre la salle à manger en état ; service d’office ; argenterie, couteaux, lampes cuivres, acrreaux, … à la nuit allumer les lampes, fermer les persiennes ; mettre le couvert du dîner, servir. Après le dîner des domestiques, ôter le couvert e remettre tout en ordre, sans rien laisser traîner, ce qui compliquerait le travail du lendemain ».

 

Durée de travail

Les journées sont forts longues : de 15 à 16h/jour. Le repos est strictement limité : rarement avant 10 h, parfois à 11h le domestique va se coucher et il doit être à son service à 7h du matin.

 

Et cela quel que soit l’âge ! Le Congrès diocésain de Nevers en 1913 nous explique que « plusieurs patrons exigent un travail disproportionné avec l’âge et les forces du domestique [les jeunes bonnes commencent dès 12 ans]. Ainsi à certaines époques, ce travail se prolonge jusqu’à treize, quatorze et même quinze heures par jour ».

 

Mme Gagnepain, 130 grande rue à Villemomble en Seine St Denis, se plaint auprès du ministère du Travail de ce que sa fille de 17 ans et demi en place depuis le 23 mars 1920 n’ai jamais eu un jour de repos ; elle travaille de 5h30 à 23h (lettre du 20/8/1920).

 

Césarine Marie, 10 rue Muller dans le 18ème à Paris est bonne chez une boulangère de 5h à 22h dans des locaux « où l’air et la lumière font souvent défaut » (lettre du 12/7/1921 adressée au ministère du Travail).

 

Le « Manuel des bons domestiques » de 1896 nous précise que : «  la bonne à tout faire doit être levée à 6h, se coiffer s’apprêter et ne descendre à sa cuisine que prêt à sortir pour le marché. De 6 à 9h elle a le temps de faire bien des choses. Elle allumera le fourneau et les feux ou chargera le poêle

Elle préparera les petits déjeuners, fera la salle à manger, brossera les habits et nettoiera les chaussures. Ici les maitres se lèvent de bonne heure ; elle fera les chambres, mettra de l’eau dans les cabinets de toilette, montera le bois ou le charbon et descendra les ordures. Pour tous ces ouvrages elle mettra de fausses manches et un tablier bleu. Elle fera le marché si madame ne le fait pas avec elle et ne s’attardera pas à causer. Son temps est précieux. Elle mettra le couvert, préparera le déjeuner, prendra un tablier blanc pour servir et aura soin de se laver les mains. Puis la salle à manger remise en ordre la vaisselle lavée et rentrée, les ustensiles de cuisine nettoyés elle pourra avant les préparatifs du diner faire un ouvrage spécial chaque jour de la semaine. Par exemple le samedi le nettoyage à fond de la cuisine et de ses accessoires, le lundi le salon et la salle à manger, le mardi les cuivres, le mercredi un savonnage, le jeudi un repassage ».

 

Le sort des hommes n’est guère plus intéressant : Jean Tollu nous parle de Jean Baptiste, cocher de son état : il était devenu surtout valet de chambre et un peu majordome de la maison : « je n’ai jamais su à quelle heure commençait pour lui la journée de travail ni à quelle heure elle s’achevait ».

 

La durée de travail s’est allongée entre 1850 et 1900 : avant 1850 on prenait le diner vers 6h mais à partir de 1850 on dine vers 8h, ce qui retarde l’heure du coucher des domestiques.

 

Absence de repos du dimanche : on donne parfois un dimanche par mois parfois 2 mais l’usage n’est pas général et ce peut être juste l’après-midi.

 

Les congés payés ne sont pas connus.

 

Conséquence de cette absence de réglementation du travail : surmenage, anémie, troubles mentaux propension à la tuberculose …

 

Un jugement du tribunal de la Seine condamne ainsi vigoureusement les patrons qui surmenaient leur bonne : « attendu qu’en novembre 1904 les époux L. ont engagé comme bonne d’enfant aux gages mensuels de 25f Amélie Cayrol âgée d’environ 16 ans ; attendu que cette dernière entrée au service le 12 décembre dans un état de santé satisfaisant dû le 21/3 1905 sur l’avis du médecin rentrer chez ses parents où elle mourut le 4/4 de la même année d’une méningite cérébro spinale ; attendu qu’il est constant qu’Amélie Cayrol a été à partir du 8 janvier, époque de la naissance de l’enfant des époux L soumise à des travaux excessifs ; qu’il résulte de sa correspondance avec ses parents qu’au mépris des engagements on l’astreignait à lessiver et à repasser tout le linge de maison et à se lever plusieurs fois par nuit pour les soins à donner à la mère et à l’enfant ; qu’elle ne cessa de s’y plaindre de la dureté de ses maitres qui ne lui laissent pas de repos ni le jour ni la nuit et de sa fatigue et de son épuisement qui vont grandissant ; qu’on l’y voit partagée entre le désir de partir pour rétablir sa santé qu’elle sent compromise et la crainte de se trouver sans place , à la charge de ses parents, … attendu que la faute des époux L. apparait encore dans leurs efforts pour empêcher le départ d’Amélie Cayrol ; … attendu qu’il résulte d’une lettre d’Amélie Cayrol que, alors qu’elle exprimait le besoin impérieux de se reposer, ils l’ont contrainte à rester en la menaçant en cas de départ de lui retirer le montant de son voyage à Paris ; … attendu qu’en raison de son épuisement Amélie Cayrol était particulièrement apte à contracter la maladie et sans force pour lui résister, qu’il existe dès lors un lien de droit entre le surmenage et la mort … »

 

Conditions de travail

Les cuisines au 19ème siècle  sont, on l’a vu, petites, encombrées, pas ou peu aérées. 

La domesticité au 19è et début du 20ème siècle (2)

La bonne doit y passer son existence sans pouvoir se retourner aisément, avec la chaleur du fourneau, les fumées, les odeurs qui la forcent à travailler fenêtre ouverte, été comme hiver.

 

La domesticité au 19è et début du 20ème siècle (2)

La fenêtre donne souvent sur une cour, petite (souvent de l’ordre de 4/5m2) et sans soleil et où s’accumulent toutes les poussières de la maison que les domestiques y déposent en secouant les tapis et autres plumeaux. Le garde-manger est d’ailleurs le réceptacle des toutes ces poussières.

 

Le docteur Oscar du Mesnil dans un article intitulé « La question des courettes de Paris » dénonce l’insalubrité que crée dans la capitale ces courettes : « de véritables puits de 15 à 17m de profondeur ne communiquant avec l’extérieur que par leur orifice supérieur et dont les parois emprisonnent une colonne d’air infectée par les émanations fétides qui s’échappent nuit et jour des cabinets d’aisance et des cuisines… ».

 

N’oublions pas que souvent les bonnes dorment dans leur cuisine ; les médecins protestent contre ce mode de couchage : coucher dans une cuisine est dangereux « car un jour ou deux par semaine le linge de la lessive sèche et répand une telle humidité que les domestiques qui couchent là contractent immanquablement des rhumatismes ».

La domesticité au 19è et début du 20ème siècle (2)

Un observateur en 1912, Marcel Cusenier, note à Paris que : «  dans le quartier de Grenelle et de Javel de nombreuses cuisines n’ont même pas de fenêtres ; elles prennent le jour sur l’escalier où se répandent toutes les odeurs …. Parfois au-dessus du fourneau la hotte manque ; l’oxyde de carbone qui se dégage inévitablement de tout fourneau ne trouve pour ainsi dire plus d’issue : c’est l’intoxication lente et fatale.

Dans certaines cuisines passent des trémies d’aération pour les WC voisins. Ces trémies ont jusqu’à deux mètres de long. L’étanchéité n’est jamais parfaite. Quelles émanations viennent se mélanger à celles des cuisines. Sur l’évier on place la boite à ordures ; le plus souvent elle n’est pas couverte. »

 

Et que dire des accidents : les noyades en rivière car la bonne a cherché à rattraper une pièce de linge, les chutes dans la cave ou en lavant les vitres, les blessures avec la paille de fer utilisé pour frotter les parquets …

 

Sources

Filles mères à Bordeaux  à la fin du 19ème

Pierre Guiral et Guy Thuillier, La vie quotidienne des domestiques en France au XIXe siècle, Hachette, Paris, 1978.

La domesticité à Cannes à la belle époque de Christine Cecconi

La place des bonnes – la domesticité féminine à Paris en 1900– Anne Martin Fugier

Cybergroupe Généalogique de Charente Poitevine » (C.G.C.P.)

Lire la suite

La domesticité au 19è et début du 20ème siècle (1)

5 Octobre 2016 , Rédigé par srose

 

Le monde de la domesticité est vaste, hétérogène et somme toute complexe

 

Il est difficile au vu des différentes études et documents sur la question de se faire une idée simple de cette activité à travers les siècles tant les sources sont finalement rares ; et quand elles existent, elles demeurent lacunaires voire ambiguës.

  

Ainsi il est difficile jusqu’au début du 20ème siècle de différencier l’ouvrier agricole (le journalier ou le manouvrier) du domestique tel qu’on l’imagine aujourd’hui c’est à dire attaché à une ou plusieurs personnes au sein d’une maison. En fait en y regardant de près, le monde de la domesticité englobe largement les différents métiers agricoles :

La domesticité au 19è et début du 20ème siècle (1) 

  • Le valet de chambre : partage l’intimité des maîtres de maison, prépare les vêtements, aide à la toilette et à l’habillage.

     

  • Le valet de pied est l’équivalent masculin de la servante : c’est l’homme à tout faire

     

  • Le valet de ferme : avant la guerre 14/18 c’est un employé dans une exploitation  agricole, viticole …  c’est souvent le synonyme de manœuvre, manouvrier ou journalier agricole si l’on regarde les recensements alors qu’en fait, les valets de ferme sont « plus permanents » que les journaliers.

     

    Xavier Walter écrit : « les valets, entre 3h30 et 4h tirent des râteliers le foin que n’ont pas mangé les chevaux et les regarnissent de bottes neuves, une demie par cheval. A 5h30 tout le monde se réunit dans la grande salle où la maîtresse de maison sert le premier repas qu’elle prépare depuis son lever à 3h30 : soupe, lard, galettes de sarrasin. Puis on sort travailler et l’on rentre à 11h pour le « dîner »  de midi ; on y mange la même chose que le matin plus des pommes de terre ; lorsque le premier  valet replie son couteau, tout le monde se lève, le patron aussi, et on repart travailler aux champs pour 4h de temps ; au retour, les chevaux requiert de longs soins des petits valets. On soupe de bonne heure vers 6h et chacun gagne son lit ».

     

    Pour tous ces valets, le travail quotidien est d’au moins 13h ; ils ont marché entre 35 et 40km, ont mené la charrue ou la herse. A noter qu’au début du 20ème siècle il faut compter 1 homme pour 8ha.

     

    La domesticité au 19è et début du 20ème siècle (1) 

  • La servante de ferme : « c’est sur celle-ci que retombait le travail le plus ingrat : travaux des champs, la « buge » ou lessive avec souvent le rinçage dans l’eau glacée en hiver, la participation à la traite, l’alimentation des porcs. Après le repas du soir le valet allait se coucher à l’écurie. La servante devait tout remettre en ordre avant d’aller se reposer. Elle était libre le dimanche mais devait rentrer pour participer à la traite du soir.

    La servante de ferme reçoit comme sobriquet au milieu du 19ème siècle le nom de boniche ; de façon générale, le travail était en effet dur : elle aidait à la tenue du ménage, balayait la maison, soignait les poules, allait chercher l’eau au puit, trayait les vaches avec la patronne, épluchait les légumes du repas, empotait le caillé dans la laiterie, conduisait les bestiaux à la pâture, reprisait les effets, repassait le linge, ...

 

  • Le charretier =  celui qui conduit des chariots et charrettes

     

  • Le journalier ou manouvrier = il est payé à la journée,  accomplit les basses besognes ne nécessitant pas de qualification : nettoyage des étables, travaux de terrassement, mise en fagot des bois, surveillance du bétail, transport des foins …

 

Gustave Lhomme dans  une étude sur notamment les journaliers de la région d’Orchies (entre Valenciennes et Douai dans le Nord)  - « Petites histoires d’Orchies » - nous explique que le journalier est au plus bas de l’échelle du monde rural, travaillant durement mais gagnant peu. Le manouvrier est « un véritable prolétaire totalement dépendant du salaire de ses journées. Il cherche à réduire au maximum ses dépenses, accepte de vivre dans une masure héritée prêtée ou louée à bas prix … ».

 

Au vu des documents (encore une fois lacunaires), on peut estimer à, à peu près, 900 000 le nombre de domestiques en France entre 1850 et 1870.

 

 

En 1881 (période qui semble être l’apogée de l’emploi domestique en France,) ce chiffre culmine à 1 156 000 domestiques soit 31 domestiques pour 1000 habitants.

 

En 1901 ce chiffre tombe à 956 000 ; c’est on le verra le début du déclin de cette profession ; déclin qui va s’accentuer avec la 1ère guerre mondiale.

 

Les hommes représentaient 31.7% des domestiques en 1851, ils ne sont plus que 17% en 1901 : la population domestique se féminise en même temps qu’elle diminue globalement.

 

On estime généralement à 14.2 millions, la population active en 1852 ; les domestiques représenteraient donc 1/14ème de cette population.

 

Si l’on regarde une ville comme Cannes, en 1852 la population domestique représente 21% de la population active et en 1906, 30%. Manifestement Cannes ne connait pas de crise de domesticité contrairement à ce qui se passe dans le reste de la France (mémoire de Christine Cecconi sur la domesticité à Cannes à la belle époque).

La domesticité au 19è et début du 20ème siècle (1)

gare de Cannes en 1880

Il faut dire que Cannes cumule un  nombre important de grandes maisons et une santé économique florissante : ce qui explique d’ailleurs le pourcentage de domestique femme à Cannes (60% en 1906 par rapport au reste de la France, Paris notamment et ses 83% à la même époque) : plus la maison est prospère, plus le personnel masculin est nombreux ; dès que l’on descend dans la hiérarchie sociale, l’élément féminin parmi les domestiques augmente.

  

Qui sont ces domestiques ?

Il est difficile d’avoir une vue précise de la situation car par exemple les journaliers sont déclarés soit ouvriers (agricoles ou non) soit domestiques de ferme soit valet de ferme dans les recensements, les servantes d’hôpital ou d’asiles sont quant à elles appelées infirmières.

 

Quoi qu’il en soit, tout en bas de l’échelle nous allons trouver les domestiques ruraux qui sont en fait des travailleurs au sens de productifs : ce sont nos manouvriers ou journaliers agricoles, les valets et servantes de ferme. 

La domesticité au 19è et début du 20ème siècle (1)

Tout en haut, nous trouvons les dames de compagnie, les précepteurs, les gouvernantes, les maîtres d’hôtels. Bref les domestiques de « la haute » : l’aristocratie et la grande bourgeoisie.

  La domesticité au 19è et début du 20ème siècle (1)

 

Entre ces deux catégories, nous retrouvons tous les autres  : la servante que l’on appellera « la bonne » (terme qui se répand vers 1830/50) et que l’on appelait auparavant « soubrette » (terme qui désigne en fait une petite servante), le valet, la cuisinière … Mais aussi les domestiques d’institution (asiles, hôpitaux, …). 

La domesticité au 19è et début du 20ème siècle (1)

  

Il faut bien comprendre qu’au 19ème siècle toute la bourgeoisie, de la plus modeste à la plus haute, a SA servante ; n’oublions pas en effet que dans la société bourgeoise du 19ème siècle la bonne est une nécessité sociale : «  sans bonne on ne serait pas bourgeois ». 

La domesticité au 19è et début du 20ème siècle (1)

L’employé de maison est donc le signe distinctif de la promotion sociale. « N'être pas servi vous rejette du côté des prolétaires ».

 

Ainsi, Marcel Cusenier en 1912 fait le constat suivant : « Certaines personnes prennent des domestiques alors que raisonnablement leurs minces revenus ne le leur permettent pas ». 

 

Si l’on reprend l’exemple de Cannes, certes une ville économiquement attractive et prospère, on s’aperçoit qu’en 1891, 35 % des employeurs de domestiques sont des propriétaires, des rentiers, des retraités ou des sans profession, 22,1 % sont des commerçants et 17,1 % sont des professions libérales et des cadres. Les employés et les ouvriers représentent tout de même 12,3%% des employeurs de domestiques. Enfin, 8,7 % sont des artisans.

 

Bien sûr le nombre de domestiques à son service va varier en fonction des revenus de la maison : dans les grandes maisons urbaines ou rurales, la domesticité reste abondante jusqu’à la 1ère guerre mondiale

 

Ainsi en 1906 les Murat ont par exemple une résidence à Paris, un château à Rocquencourt et un autre à Chambly : ils emploient entre 35 et 42 domestiques.

 

Le cas des domestiques agricoles : comment les recrute-t-on ?

2 fois l’an se tenaient des foires où les exploitants faisaient leur marché en quelque sorte. C’est que l’on appelait les louées de la St Jean (24 juin) et de la st Martin (11 novembre).

 La domesticité au 19è et début du 20ème siècle (1)

 

Selon l’emploi recherché, les candidats mettaient un insigne sur leur chapeau ou leur corsage  : l’épi désignait le moissonneur, le flocon de laine le berger, le charretier portait un fouet autour du cou, le valet de ferme arborait une feuille de chêne, la servante se parait d’une plume de volaille, la femme de chambre épinglait une rose à son corsage…  

 

André Guérin (1899 – 1988 ; journaliste et écrivain, rédacteur en chef de l’ « Aurore », explique dans  « La Vie quotidienne en Normandie au temps de Madame Bovary » à propos des femmes se présentant à la Louée de Montebourg en Normandie : « Elles sont venues dès l’aube s’asseoir sur les marches de l’église, sous la statue de Saint Jacques, couronnées de roses. Celles-ci ne sont point trop attifées, cela ne pourrait ne pas plaire, mais bien plus soucieuses de montrer qu’elles se portent bien et n’ont pas peur de l’ouvrage. Au besoin, on peut leur tâter le bras comme on tâte les flancs et les membres d’un bestiau, ceci pour s’assurer qu’elles seront aptes à porter des seaux de lait … ».

 La domesticité au 19è et début du 20ème siècle (1)

André Accart (1947-2008) décrit la louée des servantes d'Avroult dans le Pas De Calais – louées qui se sont tenues jusque 1914  (Etudes et Documents du Comité d'Histoire, n° 25) : « C'est là, sur la grand route, que, dès le matin, se rassemblent beaucoup de personnes de tous âges et des deux sexes, qui se placent sur deux lignes, les hommes d'un côté, les femmes de l'autre. Les fermiers et leurs ménagères se promènent gravement au milieu, jetant d'abord un coup d'œil sur l'ensemble de tous ces individus, singulier bazar qu'ils examinent avec le regard scrutateur d'un marchand turc ou d'un colonel d'infanterie.

Ces personnes revêtues modestement attendent impatiemment qu'on leur adresse la parole. Elles présentent leurs mains calleuses ; plutôt que d'y étaler une toilette hors de saison, le mantelet classique et le mouchoir sur la tête sont toute leur parure.

Les plus robustes, sur les certificats qu'ils présentent de leur moralité, de leurs services, sont souvent les premiers loués. Le prix convenu, les derniers adieux sont aussitôt donnés, maîtres et domestiques s'en retournent ensemble ».

 La domesticité au 19è et début du 20ème siècle (1)

  

Les qualités d’un bon domestique « urbain »

Le « Manuel complet des domestiques » de 1836 précise en préambule que « les domestiques sont regardés communément comme une fâcheuse nécessité. Pour quelques maîtres satisfaits, un grand nombre change continuellement de serviteurs ; un plus grand nombre tout en grondant s’abstient de changer de crainte d’en rencontrer de pires ».

  

Le « Manuel du valet de chambre » de 1903 explique sans détours quant à lui que « le métier de domestique est le seul où, sans aucun apprentissage, on trouve, du jour au lendemain, le vivre et le couvert, plus des gages qui sont tout profit. Il n’est donc pas étonnant de voir quantité de jeunes gens quitter les travaux des champs, pénibles et peu rétribués, pour aller servir dans les villes, comme domestiques ; ils s’en vont, sans idée aucune de ce qui leur sera demandé, croyant tout savoir et ayant tout à apprendre : maintien, langage, service».

  

Comment trouver LE bon domestique ?

Le « Manuel des bons domestiques » (1896) conseille d’avoir des domestiques soignés qui « se laveront les mains, seront peignés, et auront des vêtements en ordre  avant de prendre leur service ». N’oublions pas toutefois que l’époque est à la chasse aux microbes pour la première fois de l’humanité et qu’il est bien évident que ces consignes n’étaient pas ou peu demandées auparavant.  

La domesticité au 19è et début du 20ème siècle (1)

 

Le « Manuel complet des domestiques » de 1836 demande aux domestiques « une obéissance portée jusqu’à l’abnégation, une fidélité scrupuleuse, un zèle de tous instans, une discrétion à toute épreuve, l’ordre, le désintéressement ». Des qualités que « les maîtres ont le droit d’exiger de leurs domestiques et qu’ils exigent tous à moins que ce ne soit des gens faibles, insoucians, sans esprit et sans caractère, qui ne savent pas se faire servir ».

 

 

Sources

Filles mères à Bordeaux  à la fin du 19ème

Pierre Guiral et Guy Thuillier, La vie quotidienne des domestiques en France au XIXe siècle, Hachette, Paris, 1978.

La domesticité à Cannes à la belle époque de Christine Cecconi

La place des bonnes – la domesticité féminine à Paris en 1900– Anne Martin Fugier

Cybergroupe Généalogique de Charente Poitevine » (C.G.C.P.)

Lire la suite
<< < 10 11 12 13 14 > >>