Journal d'un curé de campagne au 17ème siècle - 8 - Montée de la violence au village
Montée de la violence au village
« il est arrivé dans notre paroisse cette année 1696 ce qui n’est point arrivé de connaissance d’homme : trois de nos pauvres paroissiens furent tués malheureusement en moins de six semaines tous de coup de fusil et tous pour rien s’il le faut dire ainsi.
Le premier nommé Antoine Dutrieu, jeune homme, avait une sœur qui était enceinte et qui voulait se marier avec un nommé Pierre Liette qui l’avait engrossée. Ledit Antoine Dutrieu et deux de ses frères ne voulant pas que leur sœur se fusse mariée avec ledit Pierre Liette étaient chaque jour en querelle jusqu’au 25 mai 1696 , que s’étant rencontrés à 10h le soir et s’étant querellés Pierre Liette lâcha un coup de fusil ou pistolet et perça le corps d’outre en outre d’Antoine Dutrieu ; il mourut la même nuit. On ne peut oublier ici une circonstance pour faire voir la rage que les filles ont quand elles aiment quelque garçon. La soeur enceinte voyant son frère dans un si pitoyable état n’en fut point touchée ; elle dit même des duretés en présence du curé à son frère moribond ; elle sort de la maison, dérobe 25 livres de gros (la livre de gros valait 12 livres de Flandres ou 6 florins ) et s’en va cette même nuit avec son galant qui était l’homicide de son propre frère. Il faut aussi remarquer qu’elle était en apparence la plus modeste fille de la paroisse. … cela fait voir le naturel de ce plumage et combien on s’en doit méfier. Quo sanctiores sunt eo magis cavendae – plus elles sont saintes plus il faut se méfier).
Le lendemain 26, à 10h du matin, le nommé Hugues Bouchar étant allé au bois il fut trouvé en défaut par un nommé Thomas Delfosse sergent des bois de Flines à Planar (lieu dit du village de Mouchin voisin de Rumegies). Apparemment ils se sont pris de querelle on ne sait comment, sinon que le sergent lâcha un coup de fusil et tua raide mort ledit Bouchar.
Le 27 donc on enterra à Rumegies deux personnes tuées en deux occasions de la même paroisse. Il semble que ces deux homicides auraient dû donner de l’horreur pour que personne ne souillerait davantage ses mains dans le sang humain ; mais cela n’a point empêché que Pierre Tavernier fils de François ne tuat Pierre Demory fils d’Arnauld mayeur de ce village. Ces deux jeu0nes hommes étaient de grands amis, n’allaient jamais se distraire depuis huit ans l’un sans l’autre. Ils s’auraient fait tuer mille fois pour défendre l’un l’autre ; quand l’un avait de l’argent il suffisait ; mais leur fin fut funeste. Le 9 juillet de cette année0 1696 ils furent ensemble promener à S0améon où selon toute apparence ils burent avec excès et où ils trouvèrent une femme qu’ils avaient autrefois tous deux caressés. Cette femme s’étant oubliée de son devoir a témoigné beaucoup plus d’amitié à Pierre Demory qu’à Pierre Tavernier. Ce dernier en conçut de la jalousie dans son cœur . Le soir étant arrivé Pierre Demory sort du cabaret ; il rencontre une personne à qui il n’a pu refuser un verre de brandevin (eau de vie de vin) qu’il voulait boire avec lui. Rentrant il dit à Pierre Tavernier de boire du brandevin mais celui-ci répond brusquement qu’il n’en voulait point. L’autre le prie par plusieurs fois ; il insiste toujours de ne point vouloir boire. Demory se lassant de le prier l’a appelé « chien je te fais plus d’honneur que tu ne mérites ». Tavernier prend le pot, pense lui jeter à la tête , il le manque ; ensuite prend un fusil ne le manque point, il lui perce le bras ventre à brûle pourpoint et il en mourut le lendemain à deux heures du matin.
Voilà la funeste destinée de ces trois pauvres malheureux qui furent tués dont le premier et le dernier reçurent les sacrements et le deuxième point. Et pour la funeste destinée des homicides : le premier s’étant mis au service du roi il a eu sa lettre de rémission ; le deuxième étant sergent il fut reçu en disant qu’on l’avait voulu tuer en faisant son devoir et reçu ainsi abolition de son crime. Mais pour le troisième il eut une plus forte partie à contenter : il avait tué le fils du mayeur du village ; aussi lui en a-t-il coûté plus cher car on eut toute la peine du monde pour faire paix à partie. Encore n’en est on point sorti la première année quoique on fasse tous les devoirs de justice et qu’on attende au premier jour qu’il fusse pendu en effigie comme il l’aurait été réellement s’il ne se fusse sauvé assez tôt. »
Le curé se plaint ainsi de cette montée de violence en précisant : « on ne saurait regarder sans un grand déplaisir toute la jeunesse de cette paroisse marcher toujours armée ou de fusil ou de marteau d’armes ou de pistolet de poche. Il n’y a si petit morveux qui ne porte son fusil sur l’espaul, même juqu’à l’église et cela sous prétexte que c’est la guerre ; ils deviennent querelleur et se font craindre et ils deviennent superbes. De là vient encore cet abus intolérable que lorsqu’ils occupent une terre d’un maitre personne ne serait assez hardi de les reprendre encore bien qu’ils ne paieraient ni maitres ny tailles. N’avons-nous point vu les meules de colza bruler en 1688 ? n’avons-nous point vu plusieurs personnes tomber dans des embûches le soir et n’en sortir qu’à demi mortes ?ne voyons nous point des terres achetées par des paysans d’icy et n’oser les labourer, payer eux mêmes les tailles et les terres demeurées en friche ? ».
Voir notes sur la violence sous l'Ancien Régime ici
Journal d'un curé de campagne au 17ème siècle - 8 - Montée de la violence au village
Montée de la violence au village
« il est arrivé dans notre paroisse cette année 1696 ce qui n’est point arrivé de connaissance d’homme : trois de nos pauvres paroissiens furent tués malheureusement en moins de six semaines tous de coup de fusil et tous pour rien s’il le faut dire ainsi.
Le premier nommé Antoine Dutrieu, jeune homme, avait une sœur qui était enceinte et qui voulait se marier avec un nommé Pierre Liette qui l’avait engrossée. Ledit Antoine Dutrieu et deux de ses frères ne voulant pas que leur sœur se fusse mariée avec ledit Pierre Liette étaient chaque jour en querelle jusqu’au 25 mai 1696 , que s’étant rencontrés à 10h le soir et s’étant querellés Pierre Liette lâcha un coup de fusil ou pistolet et perça le corps d’outre en outre d’Antoine Dutrieu ; il mourut la même nuit. On ne peut oublier ici une circonstance pour faire voir la rage que les filles ont quand elles aiment quelque garçon. La soeur enceinte voyant son frère dans un si pitoyable état n’en fut point touchée ; elle dit même des duretés en présence du curé à son frère moribond ; elle sort de la maison, dérobe 25 livres de gros (la livre de gros valait 12 livres de Flandres ou 6 florins ) et s’en va cette même nuit avec son galant qui était l’homicide de son propre frère. Il faut aussi remarquer qu’elle était en apparence la plus modeste fille de la paroisse. … cela fait voir le naturel de ce plumage et combien on s’en doit méfier. Quo sanctiores sunt eo magis cavendae – plus elles sont saintes plus il faut se méfier).
Le lendemain 26, à 10h du matin, le nommé Hugues Bouchar étant allé au bois il fut trouvé en défaut par un nommé Thomas Delfosse sergent des bois de Flines à Planar (lieu dit du village de Mouchin voisin de Rumegies). Apparemment ils se sont pris de querelle on ne sait comment, sinon que le sergent lâcha un coup de fusil et tua raide mort ledit Bouchar.
Le 27 donc on enterra à Rumegies deux personnes tuées en deux occasions de la même paroisse. Il semble que ces deux homicides auraient dû donner de l’horreur pour que personne ne souillerait davantage ses mains dans le sang humain ; mais cela n’a point empêché que Pierre Tavernier fils de François ne tuat Pierre Demory fils d’Arnauld mayeur de ce village. Ces deux jeu0nes hommes étaient de grands amis, n’allaient jamais se distraire depuis huit ans l’un sans l’autre. Ils s’auraient fait tuer mille fois pour défendre l’un l’autre ; quand l’un avait de l’argent il suffisait ; mais leur fin fut funeste. Le 9 juillet de cette année0 1696 ils furent ensemble promener à S0améon où selon toute apparence ils burent avec excès et où ils trouvèrent une femme qu’ils avaient autrefois tous deux caressés. Cette femme s’étant oubliée de son devoir a témoigné beaucoup plus d’amitié à Pierre Demory qu’à Pierre Tavernier. Ce dernier en conçut de la jalousie dans son cœur . Le soir étant arrivé Pierre Demory sort du cabaret ; il rencontre une personne à qui il n’a pu refuser un verre de brandevin (eau de vie de vin) qu’il voulait boire avec lui. Rentrant il dit à Pierre Tavernier de boire du brandevin mais celui-ci répond brusquement qu’il n’en voulait point. L’autre le prie par plusieurs fois ; il insiste toujours de ne point vouloir boire. Demory se lassant de le prier l’a appelé « chien je te fais plus d’honneur que tu ne mérites ». Tavernier prend le pot, pense lui jeter à la tête , il le manque ; ensuite prend un fusil ne le manque point, il lui perce le bras ventre à brûle pourpoint et il en mourut le lendemain à deux heures du matin.
Voilà la funeste destinée de ces trois pauvres malheureux qui furent tués dont le premier et le dernier reçurent les sacrements et le deuxième point. Et pour la funeste destinée des homicides : le premier s’étant mis au service du roi il a eu sa lettre de rémission ; le deuxième étant sergent il fut reçu en disant qu’on l’avait voulu tuer en faisant son devoir et reçu ainsi abolition de son crime. Mais pour le troisième il eut une plus forte partie à contenter : il avait tué le fils du mayeur du village ; aussi lui en a-t-il coûté plus cher car on eut toute la peine du monde pour faire paix à partie. Encore n’en est on point sorti la première année quoique on fasse tous les devoirs de justice et qu’on attende au premier jour qu’il fusse pendu en effigie comme il l’aurait été réellement s’il ne se fusse sauvé assez tôt. »
Le curé se plaint ainsi de cette montée de violence en précisant : « on ne saurait regarder sans un grand déplaisir toute la jeunesse de cette paroisse marcher toujours armée ou de fusil ou de marteau d’armes ou de pistolet de poche. Il n’y a si petit morveux qui ne porte son fusil sur l’espaul, même juqu’à l’église et cela sous prétexte que c’est la guerre ; ils deviennent querelleur et se font craindre et ils deviennent superbes. De là vient encore cet abus intolérable que lorsqu’ils occupent une terre d’un maitre personne ne serait assez hardi de les reprendre encore bien qu’ils ne paieraient ni maitres ny tailles. N’avons-nous point vu les meules de colza bruler en 1688 ? n’avons-nous point vu plusieurs personnes tomber dans des embûches le soir et n’en sortir qu’à demi mortes ?ne voyons nous point des terres achetées par des paysans d’icy et n’oser les labourer, payer eux mêmes les tailles et les terres demeurées en friche ? ».
Voir notes sur la violence sous l'Ancien Régime ici
1693/1694 - une famine sous Louis XIV
Cet article complète un autre article rédigé précédemment ainsi que le témoignage du curé Dubois du village de Rumegies dans le Nord.
Le siècle de Louis XIV et ses nombreuses guerres ont jeté la population de France dans la misère.
1693 et 1694 sont, pour ne citer qu’elles, deux années terribles pendant lesquelles plus d’un million de personnes vont mourir (pertes militaires, mauvaises récoltes, épidémies, misère ….)
En 1693 après plusieurs mauvaises années, la récolte s'avère en effet très médiocre : aux Halles de Paris, en juin, un pain d'une livre coûte à un ouvrier l'équivalent d'une journée de travail.
L'hiver qui suit est exceptionnellement rude et la conjonction de la malnutrition des mois précédents et du froid intense va provoquer des une augmentation considérable du taux de mortalité.
Le printemps 1694 ne va pas arranger les choses : il est sec, beaucoup trop sec.
Conséquences : le grain devient cher et rare et la misère s’installe. On chasse les mendiants des villes quand les paysans touchés eux aussi par la misère quittent les villages et se retrouvent à mendier sur les routes pensant trouver plus de nourriture dans les villes.
Une fois toutes les céréales épuisées, les pauvres se trouvent réduits à recueillir les glands ou les fougères pour en faire une sorte de pain. Ces «méchantes herbes» ainsi que les orties, les coquilles de noix, les troncs de chou, les pépins de raisin moulus achèvent de ruiner la santé des malheureux.
Les curés, qui nous renseignent sur ces tristes « repas », parlent aussi des bêtes, qu'on ne nourrit plus et qui meurent avant les hommes : les charognes de chiens, de chevaux et «autres animaux crevés» sont consommées en dépit de leur état de pourriture.
On retrouve des hommes morts dans les prairies, la bouche pleine d'herbe « comme les bêtes » ; on avale les palettes de sang que les barbiers viennent de tirer aux malades.
Personne ne se soucie des cadavres de plus en plus nombreux sur les chemins. Ce qui avec la chaleur va entraîner des épidémies à foison : la fièvre typhoïde, la variole, …
Le prêtre stéphanois Jean Chapelon, mort en 1694, a décrit en vers la nourriture de ses contemporains durant la famine :
« Croiriez-vous qu'il y en eut, à grands coups de couteau
Ont disséqué des chiens et des chevaux,
Les ont mangés tout crus et se sont fait une fête
De faire du bouillon avec les os de la tête
Les gens durant l'hiver n'ont mangé que des raves
Et des topinambours, qui pourrissaient en cave
De la soupe d'avoine, avec des trognons de chou
Et mille saletés qu'ils trouvaient dehors
Jusqu'à aller les chercher le long des Furettes [le marché aux bestiaux]
Et se battre leur soûl pour ronger des os
Les boyaux des poulets, des dindons, des lapins
Étaient pour la plupart d'agréables morceaux ».
Monsieur de Bernage, intendant de la généralité de Limoges, ne cessera de dénoncer la misère des classes rurales sous Louis XIV et nous donne un témoignage poignant de ce qu’il voit autour de lui, dépeignant ainsi dès 1692 des malheureux dépossédés de tout "vivant dès à présent d'un reste de châtaignes à demi pourries, qui seront consommées dès le mois prochain au plus tard. Je ne comprends point dans ce nombre de pauvres tous ceux qui habitent dans les villes et les paroisses circonvoisines, non plus que de toutes les paroisses, situées entre Limoges et Angoulême, parce qu'elles ont été moins maltraitées que les autres outre qu'on y porte aisément du blé de Poitou et que les villes et les paroisses pourront secourir leurs pauvres".
Vers le nord-est de la généralité de Limoges, pour 110 paroisses, il recense 26 000 mendiants et 500 "pauvres honteux", c’est à dire des gens qui ne peuvent se résoudre à mendier et meurent de misère dans leurs villages : « la plus grande partie des habitants sont contraints d'arracher les racines de fougères les fait sécher au four et piler pour leur nourriture ».
Dans un rapport du 2 octobre 1692. M. de Bernage parcourt de nouveau sa généralité en direction du Périgord, et écrit : "... J'avoue que je ne pouvais pas croire ce que je vois. Toutes les châtaignes sont perdues, et la plus grande partie des blés noirs. Les seigles ont beaucoup soufferts il y aura si peu de vin que le prix en augmente tous les jours. Il y a un peu plus de blé que l'année dernière mais en vérité, la châtaigne et le blé noir ayant manqué, il ne suffira pas jusqu'au Carême pour la nourriture des habitants. Et ce qu'il y a de plus fâcheux, c'est que les élections d'Angoulême et de Saint-Jean-d'Angély sont encore plus maltraitées à proportion que le Limousin. Le mal est si grand que, sans un grand remède la généralité tombera à n'en revenir de longtemps... La plus grande partie des bestiaux ayant été vendue ces deux dernières années, et la récolte étant aussi mauvaise qu'elle est, je ne sais pas de quoi on fera de l'argent pour payer les impositions".
Autre témoignage provenant de François Delaval, docteur en médecine et notaire royal à Pampelonne sur les hivers rigoureux des années 1693 et 1694 :
"Il est à remarquer à la postérité que l’année mil six cens nonante trois, nonante quatre, ont este des annés acablés de fléaux et de malheurs, la guerre estant extraordinairement eschauffée dans toute l’Europe, les maladies populaires si grandes dans notre royaume qu’il mourut une troisième partie du peuple, presque dans toutes les parroisses, et une disette aussi tellement grande que la plus grande partie mourut de faim, estant en obligation de brouter les herbes, manger les orties et aussi plantes des qu’elles commencèrent à sortir de terre dans le printemps. Le seigle se vendit en ce pais 24 livres le cestier Le fromant 28 livres le cestier Le millet gros et les grosses feves 50 livres la mesure. Et la pipe du vin du pais iusques à vint cinq escus. Les souches des vignes toutes mortes par la vigueur des deux hivers de 1694 et 1693. Et l’année 1693 point de chastaignes. Dans laquelle années les fléaux commencèrent."
Toute cette misère n’empêchera pas la monarchie de mettre en place dès 1695 un nouvel impôt, la capitation.
Sources
Lachiver, les Années de misère - Paris, Fayard, 1991.
http://archives.tarn.fr/fileadmin/templates/archives/img_arch81/anim_cult_pedag/education/fiches_documents/hiver_1694_1695.pdf
Journal d'un curé de campagne au 17ème siècle - 7 - On était vraiment las d'être au monde
"On était vraiment las d'être au monde"
Au fléau décrit précédemment (les 30 000 florins qu’a dû payer Rumegies aux armes ennemies est venu s’ajouter une moisson déplorable : toutes les terres n'ont pu être ensemencées à l'automne de 1692 notamment en raison de la guerre. Les pluies de printemps reprennent et l'herbe étouffe les blés. Des processions se font un peu partout en France pour obtenir du beau temps mais fin juillet, les blés sont toujours verts et en retard d'un mois.
Puis la chaleur éclate vers le 15 août et les blés prennent un « coup de chaud », le blé est perdu .La farine que l’on va en tirer n’est en fait qu’une poussière noirâtre et nauséabonde.
Le prix du grain augmente considérablement et la misère arrive avec son taux de mortalité qui s’élève d'une façon alarmante : en 1693 on compte 43 décès et l'année suivante encore 26.
La grande famine de 1693/1694 s'installe. Voir aussi ici.
Le paupérisme se développe, atteignant les deux tiers de la population. Voici le tableau désolant brossé par le curé :
« Quoy que les contributions eussent ruiné le païs, néanmoins on en avait encore sortie, quoy qu’avec bien de la peine ; mais le dernier des malheurs c’est que la moisson ensuivante fut entièrement manquée, et qui fut cause que le grain fut d’un grandissime prix. Et, comme le pauvre peuple était épuisé tant par les fréquentes demandes de Sa Majesté que par ces contributions exhorbitantes, ils devinrent dans une telle pauvreté qu’on la peut appeler famine. Heureux ceux qui pouvaient avoir un havot de seigle pour mesler avec de l’avoine, des poix, des fèves pour en faire du pain et en manger la moitié de leur soul. Je parle des deux tiers du village, s’il n’y en a pas davantage.
[…] On n’entendait parler pendant ce temps que de voleurs, que de meurtres, que de personnes mortes de faim (récit du paroissien mort d’inanition le 21 avril 1694). Il n’y a que celui-là qui est mort sitôt, faute de pain ; mais plusieurs autres et icy et aux autres villages en sont aussi morts un peu à la fois ; car on a vu cette année partout une grande mortalité (43 décès à Rumegies en 1693 et 26 l’année suivante). Dans notre paroisse seule, il est mort cette année plus de personnes qu’il n’en meurt en plusieurs années ; encore plus de personnes riches que de pauvres. On l’attribue et à la famine et à la peur qu’on a eu des ennemis lorsqu’ils ont forcés les lignes.
On était vraiment las d’être au monde.
Les gens de bien avait le cœur percé de voir la misère du pauvre peuple, un pauvre peuple sans argent et le havot de bled au prix de neuf à dix livres sur la fin de l’année, les pois, les fèves et l’avoine à proportion ; et encore que la récolte de mars (les grains semés au printemps : orge, avoine, escourgeon, riz, millet, panic, épeautre, sarrasin) fusse très abondante, l’avoine valait encore une pistole la rasière de Tournay.
Cette année fut le tombeau de presque tous les ménagers qui n’avaient point de grain à vendre. Mais ce fut l’enrichissement des grands censiers qui pour la plupart avaient encore de vieux grains et qui ont fait des sommes immenses de leurs grains, qui rapportaient des charges d’argent quand ils allaient en ville avec une charretée de grain. »
Journal d'un curé de campagne au 17ème siècle - 7 - On était vraiment las d'être au monde
"On était vraiment las d'être au monde"
Au fléau décrit précédemment (les 30 000 florins qu’a dû payer Rumegies aux armes ennemies est venu s’ajouter une moisson déplorable : toutes les terres n'ont pu être ensemencées à l'automne de 1692 notamment en raison de la guerre. Les pluies de printemps reprennent et l'herbe étouffe les blés. Des processions se font un peu partout en France pour obtenir du beau temps mais fin juillet, les blés sont toujours verts et en retard d'un mois.
Puis la chaleur éclate vers le 15 août et les blés prennent un « coup de chaud », le blé est perdu .La farine que l’on va en tirer n’est en fait qu’une poussière noirâtre et nauséabonde.
Le prix du grain augmente considérablement et la misère arrive avec son taux de mortalité qui s’élève d'une façon alarmante : en 1693 on compte 43 décès et l'année suivante encore 26.
La grande famine de 1693/1694 s'installe. Voir aussi ici.
Le paupérisme se développe, atteignant les deux tiers de la population. Voici le tableau désolant brossé par le curé :
« Quoy que les contributions eussent ruiné le païs, néanmoins on en avait encore sortie, quoy qu’avec bien de la peine ; mais le dernier des malheurs c’est que la moisson ensuivante fut entièrement manquée, et qui fut cause que le grain fut d’un grandissime prix. Et, comme le pauvre peuple était épuisé tant par les fréquentes demandes de Sa Majesté que par ces contributions exhorbitantes, ils devinrent dans une telle pauvreté qu’on la peut appeler famine. Heureux ceux qui pouvaient avoir un havot de seigle pour mesler avec de l’avoine, des poix, des fèves pour en faire du pain et en manger la moitié de leur soul. Je parle des deux tiers du village, s’il n’y en a pas davantage.
[…] On n’entendait parler pendant ce temps que de voleurs, que de meurtres, que de personnes mortes de faim (récit du paroissien mort d’inanition le 21 avril 1694). Il n’y a que celui-là qui est mort sitôt, faute de pain ; mais plusieurs autres et icy et aux autres villages en sont aussi morts un peu à la fois ; car on a vu cette année partout une grande mortalité (43 décès à Rumegies en 1693 et 26 l’année suivante). Dans notre paroisse seule, il est mort cette année plus de personnes qu’il n’en meurt en plusieurs années ; encore plus de personnes riches que de pauvres. On l’attribue et à la famine et à la peur qu’on a eu des ennemis lorsqu’ils ont forcés les lignes.
On était vraiment las d’être au monde.
Les gens de bien avait le cœur percé de voir la misère du pauvre peuple, un pauvre peuple sans argent et le havot de bled au prix de neuf à dix livres sur la fin de l’année, les pois, les fèves et l’avoine à proportion ; et encore que la récolte de mars (les grains semés au printemps : orge, avoine, escourgeon, riz, millet, panic, épeautre, sarrasin) fusse très abondante, l’avoine valait encore une pistole la rasière de Tournay.
Cette année fut le tombeau de presque tous les ménagers qui n’avaient point de grain à vendre. Mais ce fut l’enrichissement des grands censiers qui pour la plupart avaient encore de vieux grains et qui ont fait des sommes immenses de leurs grains, qui rapportaient des charges d’argent quand ils allaient en ville avec une charretée de grain. »
Journal d'un curé de campagne au 17ème siècle - 7 - On était vraiment las d'être au monde
"On était vraiment las d'être au monde"
Au fléau décrit précédemment (les 30 000 florins qu’a dû payer Rumegies aux armes ennemies est venu s’ajouter une moisson déplorable : toutes les terres n'ont pu être ensemencées à l'automne de 1692 notamment en raison de la guerre. Les pluies de printemps reprennent et l'herbe étouffe les blés. Des processions se font un peu partout en France pour obtenir du beau temps mais fin juillet, les blés sont toujours verts et en retard d'un mois.
Puis la chaleur éclate vers le 15 août et les blés prennent un « coup de chaud », le blé est perdu .La farine que l’on va en tirer n’est en fait qu’une poussière noirâtre et nauséabonde.
Le prix du grain augmente considérablement et la misère arrive avec son taux de mortalité qui s’élève d'une façon alarmante : en 1693 on compte 43 décès et l'année suivante encore 26.
La grande famine de 1693/1694 s'installe. Voir aussi ici.
Le paupérisme se développe, atteignant les deux tiers de la population. Voici le tableau désolant brossé par le curé :
« Quoy que les contributions eussent ruiné le païs, néanmoins on en avait encore sortie, quoy qu’avec bien de la peine ; mais le dernier des malheurs c’est que la moisson ensuivante fut entièrement manquée, et qui fut cause que le grain fut d’un grandissime prix. Et, comme le pauvre peuple était épuisé tant par les fréquentes demandes de Sa Majesté que par ces contributions exhorbitantes, ils devinrent dans une telle pauvreté qu’on la peut appeler famine. Heureux ceux qui pouvaient avoir un havot de seigle pour mesler avec de l’avoine, des poix, des fèves pour en faire du pain et en manger la moitié de leur soul. Je parle des deux tiers du village, s’il n’y en a pas davantage.
[…] On n’entendait parler pendant ce temps que de voleurs, que de meurtres, que de personnes mortes de faim (récit du paroissien mort d’inanition le 21 avril 1694). Il n’y a que celui-là qui est mort sitôt, faute de pain ; mais plusieurs autres et icy et aux autres villages en sont aussi morts un peu à la fois ; car on a vu cette année partout une grande mortalité (43 décès à Rumegies en 1693 et 26 l’année suivante). Dans notre paroisse seule, il est mort cette année plus de personnes qu’il n’en meurt en plusieurs années ; encore plus de personnes riches que de pauvres. On l’attribue et à la famine et à la peur qu’on a eu des ennemis lorsqu’ils ont forcés les lignes.
On était vraiment las d’être au monde.
Les gens de bien avait le cœur percé de voir la misère du pauvre peuple, un pauvre peuple sans argent et le havot de bled au prix de neuf à dix livres sur la fin de l’année, les pois, les fèves et l’avoine à proportion ; et encore que la récolte de mars (les grains semés au printemps : orge, avoine, escourgeon, riz, millet, panic, épeautre, sarrasin) fusse très abondante, l’avoine valait encore une pistole la rasière de Tournay.
Cette année fut le tombeau de presque tous les ménagers qui n’avaient point de grain à vendre. Mais ce fut l’enrichissement des grands censiers qui pour la plupart avaient encore de vieux grains et qui ont fait des sommes immenses de leurs grains, qui rapportaient des charges d’argent quand ils allaient en ville avec une charretée de grain. »
Journal d'un curé de campagne au 17ème siècle - 7 - On était vraiment las d'être au monde
"On était vraiment las d'être au monde"
Au fléau décrit précédemment (les 30 000 florins qu’a dû payer Rumegies aux armes ennemies est venu s’ajouter une moisson déplorable : toutes les terres n'ont pu être ensemencées à l'automne de 1692 notamment en raison de la guerre. Les pluies de printemps reprennent et l'herbe étouffe les blés. Des processions se font un peu partout en France pour obtenir du beau temps mais fin juillet, les blés sont toujours verts et en retard d'un mois.
Puis la chaleur éclate vers le 15 août et les blés prennent un « coup de chaud », le blé est perdu .La farine que l’on va en tirer n’est en fait qu’une poussière noirâtre et nauséabonde.
Le prix du grain augmente considérablement et la misère arrive avec son taux de mortalité qui s’élève d'une façon alarmante : en 1693 on compte 43 décès et l'année suivante encore 26.
La grande famine de 1693/1694 s'installe. Voir aussi ici.
Le paupérisme se développe, atteignant les deux tiers de la population. Voici le tableau désolant brossé par le curé :
« Quoy que les contributions eussent ruiné le païs, néanmoins on en avait encore sortie, quoy qu’avec bien de la peine ; mais le dernier des malheurs c’est que la moisson ensuivante fut entièrement manquée, et qui fut cause que le grain fut d’un grandissime prix. Et, comme le pauvre peuple était épuisé tant par les fréquentes demandes de Sa Majesté que par ces contributions exhorbitantes, ils devinrent dans une telle pauvreté qu’on la peut appeler famine. Heureux ceux qui pouvaient avoir un havot de seigle pour mesler avec de l’avoine, des poix, des fèves pour en faire du pain et en manger la moitié de leur soul. Je parle des deux tiers du village, s’il n’y en a pas davantage.
[…] On n’entendait parler pendant ce temps que de voleurs, que de meurtres, que de personnes mortes de faim (récit du paroissien mort d’inanition le 21 avril 1694). Il n’y a que celui-là qui est mort sitôt, faute de pain ; mais plusieurs autres et icy et aux autres villages en sont aussi morts un peu à la fois ; car on a vu cette année partout une grande mortalité (43 décès à Rumegies en 1693 et 26 l’année suivante). Dans notre paroisse seule, il est mort cette année plus de personnes qu’il n’en meurt en plusieurs années ; encore plus de personnes riches que de pauvres. On l’attribue et à la famine et à la peur qu’on a eu des ennemis lorsqu’ils ont forcés les lignes.
On était vraiment las d’être au monde.
Les gens de bien avait le cœur percé de voir la misère du pauvre peuple, un pauvre peuple sans argent et le havot de bled au prix de neuf à dix livres sur la fin de l’année, les pois, les fèves et l’avoine à proportion ; et encore que la récolte de mars (les grains semés au printemps : orge, avoine, escourgeon, riz, millet, panic, épeautre, sarrasin) fusse très abondante, l’avoine valait encore une pistole la rasière de Tournay.
Cette année fut le tombeau de presque tous les ménagers qui n’avaient point de grain à vendre. Mais ce fut l’enrichissement des grands censiers qui pour la plupart avaient encore de vieux grains et qui ont fait des sommes immenses de leurs grains, qui rapportaient des charges d’argent quand ils allaient en ville avec une charretée de grain. »
Journal d'un curé de campagne au 17ème siècle - 6 - Les conséquences de la guerre
Un homme meurt de faim dans le village - 1694
« Un nommé Pierre du Gauquier qui demeurait vis-à-vis de l’image de la Vierge vers La Howardries ; ce pauvre homme était veuf ; on ne le croyait point si pauvre qu’il était ; il était chargé de trois enfants. Il devint malade ou plutôt il devint exténué et faible sans pourtant qu’on eusse averti le curé sinon que par un dimanche au dernier coup de de la messe paroissiale une de ses sœurs est venue dire au curé que son frère mourrait de faim sans dire autre chose. Le pasteur donna un pain pour lui porter incessamment mais on ne sait si la sœur en avait besoin elle-même comme il y a bien de l’apparence ; elle ne lui a point porté et au deuxième coup de vespres le même jour le pauvre est mort de faim ».
La cause de cette mort est à chercher dans les nombreuses guerres que subit la région depuis des années et la mauvaise récolte de 1693 dont nous reparlerons prochainement.
L'époque pendant laquelle vécut Alexandre Dubois n'est en effet qu'une période guerres entrecoupées de moment fort réduit de paix : la grande guerre (1635-1659) qui se conclut par le traité des Pyrénées, la guerre de Dévolution (1667-1668) qui se termine par le traité d’Aix la Chapelle, la guerre de Hollande (1672-1678) qui s'achève avec le traité de Nimègue, la guerre de la Ligue d’Augsbourg (1688-1697) et la paix de Ryswick et la guerre de sucession d’Espagne (1702-1713) qui finit sur le traité d'Utrecht.
Or toutes ces guerres affaiblissent Rumegies et la région non point tant par l'obligation de livrer des soldats parmi les habitants (en 1702 par exemple "on a encore levé cinq garçons pour la milice. [...] Outre les cinq milices ci dessus , on a encore demandé le même an trois soldats à la communauté pour recruter") mais par les impositions qui s'alourdissent, destinées à financer les campagnes royales, par les diverses contributions à verser aux armées ennemies pour se protéger, par les pillages auxquels s'adonnent les armées en marche tant alliées qu'ennemies et la cherté des grains.
Par exemple, en 1689 Louis XIV commença par dévaluer d’un 10ème la monnaie puis il créa un nouvel impot en 1695 : la capitation payée par tête et par tout le monde en principe. "le pasteur de Rumegies paie pour la sienne chaque année quatre écus. Cela a un peu criaillé mais on laisse ce qu'on voudra à l'oreille; on ne laisse point de payer".
Annotation en 1696 : "le petit peuple souffre d'une manière extraordinaire car les grains pendant cette guerre sont toujours chers et les demandes que le roi fait chaque mois d'une taille et d'un quinzième ne manquent point d'un jour."
Mais si ces guerres sont désastreuses pour la majorité, elles profitent à d'autres :
"toutes ces impositions ruinent des personnes qui mangent tout le grains qu'ils dépouillent et qui n'en dépouillent point assez. mais pour les censiers qui ont quantité de grain à vendre ou des chevaux qui n'ont plus de prix, ces sortes de gens peuvent appeler cette guerre heureuse; de connaissance d'hommes jamais ils ne furent plus riches. On vendait à Rumegies l’an 1686, 1687et 1688 le seigle 5 patars le havot [le havot est une mesure de capacité équivalant à 17.454 litres et le patar valait 2 sols Flandres)] et depuis ce temps qu’il est en guerre il a valu 20, 30, 40, 50, 60, 70, 80, 90 patars […] La richesse des censiers provient de la cherté du grain mais encore de la cherté des avoisnes, des pois, des fèves, des bestiaux, des poulets, du beurre, des œufs qui se vendent tous d’un prix excessifs »
Bataille de Louis XIV
Il ajoute plus loin pour preuve des conséquences financières de la guerre et de l’émergence de nouveaux riches :
« Une autre marque de ce qu’on pose c’est de voir les enfans de ces personnes, qui ont des denrées à vendre, vestus d’une façon toute autre qu’il n’appartient aux paysans : les jeunes hommes avec des chapeaux galonnés d’or ou d’argent, et ensuite du reste ; les filles avec des coiffures d’un pied de hauteur et les autres habits à proportion. Et comme leur père et mère sont riches ils sont d’une insolence inoui à fréquenter les cabarets chaque dimanche malgré les statuts sinodaux et toutes les prédications qu’on leur fait assez souvent à ce sujet [depuis 1574 les synodes s’efforcèrent d’interdire aux jeunes filles de fréquenter les cabarets en compagnie des garçons ce sui était une occasion d’après eux de prostitution].
On peut pourtant dire que toutes leurs richessses ne leur servent qu’à se vêtir au delà de elur état ; car car pour ce qui est de s'en faire du bien, Dieu ne leur fait point cette grâce. Ils vivent presque tous misérablement chez eux.
On a vu les plus riches du village vendre un misérable cochon, et ainsi se passer de viande le reste de l'année. On les voit avoir plusieurs belles héritages, de belles grandes fermes, et n'oser brasser une ou deux fois chaque année. On les voit manger du mol fromage avec leur pain pour vendre leur beurre. Et pour ce qui est des autres commodités de la vie, ils n'en jouissent d'aucune. Ils sont chez eux d'une mal propreté insupportable. La plupart n'ont qu'une chemise sur le corps et l'aultre à la lessive. Et si on en excepte les dimanches quand ils sont ou à l'église ou au cabaret, ils sont d'une telle mal propreté que les filles deviennent un remède de concupiscence aux hommes, et les hommes aux filles. Ce qu'on dit ici n'est point si général qu'il n'admette quelque exception.
On en pourrait nommer quelque uns qui sont plus propres chez eux, qui ne sont point si durs à eux mêmes et qui savent se faire du bien de ce que Dieu leur a prêté en ce monde ».
Et que dire des contributions de guerre levées par l’ennemi ? En juillet 1693 les espagnols occupent la région et exigent 30 000 florins à Rumegies (arrérages de 5 années d'un accord conclu en 1688 pour la contribution de guerre et jamais honoré) avec prélèvement d’otages jusqu’à complet paiement. La région tout entière fut soumise à contribution de guerre.
"Mais le Roi qui est toujours le véritable père de ses peuples, y a eu égard. Il en a payé lui même deux années" .
Le village est ruiné. A ce malheur s'ajoutera une mauvaise moisson ... on en verra les conséquences pour le village dans un prochain article
Bataille de Tournai
Journal d'un curé de campagne au 17ème siècle - 5 - Description du presbytère
description du presbytère
Ancien presbytère de Rumegies converti en maison et situé 95 rue Alexandre dubois
« La maison est bâtie sur 600 de terre qu’on appelle le presbytère. […] Le puit est fort mal placé au milieu du jardin. Ce même puit a foncé et péri en 1692. Il est vrai qu’on dira qu’on a fort mal fait en le rebâtissant au même endroit. On s’en est aussi repenti, mais voici pourquoi on l’a laissé là : le puit étant foncé, en le refaisant à la même place on gagnait puisqu’on reprenait les mêmes matériaux, de même temps on faisait le trou. C’était où perdre les matériaux qui sont extrêmement de prix ici ou faire plusieurs trous pour un, ce qui aurait coûté encore beaucoup davantage, puisque personne n’en a voulu faire les frais, si ce n’est le curé.
[…] Pour ce qui est presbytère, il était pendant Monsieur le Grand bien planté ; mais comme il fut trois ans malade, obligé d’entretenir un desserviteur, on dit qu’il était pauvre et qu’il fut obligé de faire abattre les arbres du jardin pour chauffer. Cela est pardonnable quand il faut. Ensuite le successeur en a planté partout où il manquait. Quelques malveillants, quelques mécontents libertins les ont venu de nuit tous couper, en 1688, le 25 novembre. [….]
Il y avait une méchante haie de fuseau et de noir cerisier entre le labeur et le petit jardinet ; on en a planté une de charme avec deux cabinets aux deux debouts (extrémités) […]
Pour ce qui est de la boulangerie il y avait une cheminée de terre qui faisait chaque fois craindre pour le feu. Dans le temps qu’on rebâtissait le puit on a de même temps abattu la cheminée de terre pour en faire une de briques".
Journal d'un curé de campagne au 17ème siècle - 4 - Miracle à Tournai
Le journal du curé nous relate également un épisode des plus surprenants : un miracle !
En effet un certain jean Claude Nerré surnommé La Violette, français natif d’orléans, soldat de l’infanterie de l’armée du Dauphin, est mort le 1er novembre 1693 à l’hôpital royal de Marvis à Tournai. Il avait eu la jambre brisée à Leuze alors qu’il essayait de voler les légumes d’un paysan.
or, on oublia de l’enterrer et quand on y pensa 3 jours après son décès , on lui trouva un teint vif et coloré. IL fut également constaté que les toutes les parties du corps étaient souples. On crut derechef à un miracle et les Tournaisiens commes les gens des villes voisines vinrent voir ce prodige.
« ce jour là c’est-à-dire le trentième après sa mort, moi-même qui écris ces lignes, je l’ai vu le visage encore coloré et tout le corps souple et, ce qui vaut mieux, ne dégageant aucune mauvaise odeur (pas plus d’ailleurs que de bonne). Seule autour du nombril une tâche un peu noire de putréfaction apparaissait. Dès qu’on vit cela on l’enterra. Il repose dans le chœur de l’hôpital, inhumé dans un cerceuil de plomb donné par l’abbé de St Martin de Tournai. [...] Jusqu’à ce jour il n’a fait aucun miracle que je connaisse. »
A noter que l'on écrivit la vie de ce Nerré dès son enterrement dans un ouvrage intitulé "le soldat chrétien" (réimprimé encore en 1747 à Tournai).
Hôpital militaire de Marvis à Tournai