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Condition de vie des ouvriers : niveau de vie - 1

17 Mars 2019 , Rédigé par srose

Conditions de vie des ouvriers : niveau de vie

Il est difficile d’établir des statistiques sur le niveau de vie des ouvriers aux 18 et 19ème siècle ne serait-ce que parce que l’époque ignorait justement les statistiques. Les documents sur lesquels il serait possible de se baser de façon à avoir au moins une idée du niveau de vie avant le 20ème siècle sont trop incomplets pour permettre une analyse fine ou tout simplement cohérente (durée journalière de travail, durée globale de travail qui va dépendre des saisons, des régions et des activités, type de rémunération [le plus souvent à la tâche, ce qui complique les choses]).  

Par ailleurs il faut bien avoir à l’esprit que les ouvriers et artisans exercent généralement plusieurs métiers. Ainsi beaucoup de paysans des régions du Nord (Flandres, Artois, Hainaut, Picardie …) participent au printemps et en été au travail dans les briqueteries ou sur les chantiers du bâtiment.

Les artisans des vallées du massif central, du Jura, des Pyrénées,  ou des Alpes partent quant à eux loin de chez eux lors de leur migration saisonnière proposant leur bras pour travailler dès qu’un chantier se présente  en tant que scieur de long, maçon, peigneur de chanvre, chiffonnier 

Ainsi l’historien Abel Poitrineau (1924-2013) raconte que « à la Toussaint, les scieurs de long partent en troupe constituée (de leur village de l’Auvergne)  portant dans leur sac quelques vêtements de rechange et sur leur dos leur matériel. Nourris par leur maître, ils consomment surtout du pain de seigle dont ils absorbent des quantités étonnantes et de la soupe épaisse additionné de lard ».

 

Condition de vie des ouvriers : niveau de vie 1

Scieurs de long

La pluri activité est une nécessité liée soit à la saisonnalité marquée de certaines activités soit à la nécessité d’un complément de salaire.

Par ailleurs les documents que l’on peut trouver restent factuels et localisés ; les recoupements sont donc difficiles à faire voire impossible. Etablir sur ces données des généralités est mission impossible.  Mais il reste possible de dégager des tendances qui nous permettent d’avoir une idée approximative certes mais cohérente sur les conditions de vie des ouvriers au 19ème siècle au moins.

Enfin faire une comparaison des prix et salaires de l’époque avec nos euros n’a pas grand sens eu égard aux différences de mode de vie.

Les données qui vont aider à se faire une idée des conditions de vie, à dégager des tendances quant au niveau de vie de nos ancêtres seront notamment celles se rapportant aux gains et aux dépenses d’une catégorie professionnelle ainsi que les commentaires de contemporains sur leur époque.

 

Commentaires et études statistiques sur le niveau de vie des ouvriers

Vauban dans son « Projet de dîme royal » commencé en 1697 et achevé en 1706 décrit le budget et les conditions de vie de la famille d’un manouvrier rural « n’ayant que ses bras ou fort peu de choses au-delà travaillant à la journée ou par entreprise pour qui veut l’employer. Vauban considère qu’un manouvrier travaille 180 jours ouvrables par an, à 9 sols la journée. « C’est beaucoup car il est certain qu’excepté le temps de la moisson et des vendanges, la plupart ne gagnent pas plus de 8 sols par jour l’un portant l’autre. ». Vauban arrondit le salaire à 90 livres par an. De cette somme il faut déduire 6 livres de taille et de capitation, et 8 livres et 16 sols de gabelle soit 14 livres et 16 sols d’impôt.

 

Condition de vie des ouvriers : niveau de vie 1

Si la famille est composée de 4 personnes dont deux enfants, la consommation annuelle de blé est de 10 setiers  soit environ 800 grammes par jour et par tête. Ce blé étant estimé à 6 livres le setier, la dépense annuelle en céréales est de 60 livres tournois e période de prix modérés soit les 2/3 du revenu annuel.

Il ne reste que 15 livres et 4 sols « sur quoy il faut que ce manouvrier paye le louage ou les réparations de sa maison, l’achat de quelques meubles, quand ce ne serait que de quelques écuelles de terre ; des habits et du linge, et qu’il fournisse à tous les besoins de sa famille pendant une année ». Et de conclure : « ces 15 livres et 4 sols ne le mèneront pas fort loin à moins que son commerce ou quelque commerce particulier ne remplisse les vides du temps  qu’il ne travaillera pas et que sa femme ne contribue de quelque chose à la dépense par le travail de sa quenouille, par la couture, par le tricotage de quelque paire de bas ou par la façon d’un peu de dentelle selon le pays ; par la culture aussi d’un petit jardin ; par la nourriture de quelques volailles et peut être d’une vache, d’un cochon, ou d’une chèvre pour les plus accomodés qui donneront un peu de lait ; au moyen de quoi il puisse acheter quelque morceau de lard et un peu de beurre ou d’huile pour se faire du potage. Et si on n’y ajoute la culture de quelque petite pièce de terre il sera difficile qu’il puisse subsister ou du moins il sera réduit lui et sa famille à faire une très misérable chère. Et si au lieu de deux enfants il en a quatre ce sera encore pis jusqu’à ce qu’ils soient en âge de gagner leur vie. Ainsi de quelque façon qu’on prenne la chose, il est certain qu’il aura toujours bien de la peine à attraper le bout de son année ».

 

Lavoisier dans « De la richesse territoriale du royaume de France »  écrit en 1789 : « j’ai conclu après de longs calcul et d’après de longs renseignements qui m’ont été fournis par les curés de campagne que dans des familles les plus indigentes chaque individu n’avait que 60 à 70 livres à dépenser par an, homme femme et enfants de tous âge ; et que les familles ne vivent que de pain et de laitage qui sont propriétaires d’une vache que les enfants mènent paitre à la corde le long des chemins et des hairs dépensaient même encore moins »

 Noiret au début du 19ème siècle écrit : « Avec toute l’économie possible, un homme qui travaille ne peut vivre avec une dépense moindre d’un franc par jour, ce qui fait 7 francs par semaine. Il faut en outre qu’il pourvoie à tous les besoins de sa personne, de sa famille et de sa maison et qu’il s’acquitte des dettes qu’il a pu faire pendant la stagnation du commerce ».

Louis-René Villermé, né à Paris en 1782, chirurgien dans les armées napoléoniennes, se consacre à partir de 1818, à l’étude des questions soulevées par les inégalités sociales.  En tant que membre de l’académie des Sciences morales, il est chargé avec un collègue de réaliser une étude sur l’état physique et moral de la classe ouvrière. Son rapport, de plus de neuf-cent pages, intitulé Tableau de l’état physique et moral des ouvriers employés dans les manufactures de coton, de laine et de soie, date de 1840 et concerne les ouvriers de l’industrie textile.

Dans cet ouvrage, Villermé dénonce entre autre chose le travail des enfants mais reste très conservateur quand il s’agit d’expliquer les raisons de la paupérisation et des mauvais rendements des ouvriers adultes. Il les accuse en effet d’être portés sur l’alcool, de dilapider leurs salaires, de porter de trop beaux habits les dimanches et jours de fête, d’avoir des mœurs dépravées et de s’éloigner de l’ordre moral.

 

Condition de vie des ouvriers : niveau de vie 1

Villermé

 

Dans son étude, il a estimé une moyenne de dépenses pour une famille ouvrière :

Dépenses homme                                                      femme plus de 16 ans

nourriture = 339.45 f                                                 215.35 f

blanchissage 14.04 f                                                   18.20 f

vêtement 59.30 f                                                        49.70 f

loyer éclairage 47.90 f                                               32.60 f

divers soins savon tabac barbe 9.60 f                    7.25 f

total = 479.39 f                                                            323.10 f

ménage sans enfant = 760.89 f

ménage avec un enafnt à la mamelle = 878.89 f

ménage avec un enfant 6 ans = 925.54 f

ménage avec un enfant de 6 ans et un en bas âge = 1043.54 f

 

Les données qu’il a travaillées lui permettent de dégager un budget moyen pour une famille ouvrière ordinaire, gagnant un salaire ordinaire :

 « En supposant une famille dont le père, la mère et un enfant de 10 à 12 ans reçoivent des salaires ordinaires, cette famille pourra réunir dans l'année, si la maladie de quelqu'un de ses membres ou un manque d'ouvrage ne vient pas diminuer ses profits, savoir :

  •  le père, à raison de 30 sous par journée de travail : 450 francs ;
  • la mère, à raison de 20 sous par journée de travail : 300 francs ;
  • un enfant, à raison de 11 sous par journée de travail : 165 francs ;

En tout : 915 francs.

Voyons maintenant quelles sont les dépenses. Si elle occupe seule un cabinet, une sorte de grenier, une cave, une petite chambre, son loyer, qui s'exige par mois ou par semaine, lui coûte ordinairement dans la ville, depuis 40 francs jusqu'à 80. Prenons la moyenne : 60 francs. Sa nourriture environ :

14 sous par jour pour le mari : 255 ;

12 sous par jour pour la femme : 219 ;

9 sous par jour pour l'enfant : 164 ;

En tout : 638 francs.

Mais comme il y a très communément plusieurs enfants en bas âge, disons 738 francs. C'est donc pour la nourriture et le logement : 798 francs. Il reste par conséquent, pour l'entretien du mobilier, du linge, des habits, et pour le blanchissage, le feu, la lumière, les ustensiles de la profession, etc., une somme de 117 francs...."

 "En général un homme gagne assez pour faire des épargnes; mais c’est à peine si la femme est suffisamment rétribuée pour subsister et si l’enfant au-dessous de douze ans gagne sa nourriture.

Quant aux ouvriers en ménage dont l’unique ressource est également dans le prix de leur main d’œuvre, beaucoup d’entre eux sont dans l’impossibilité de faire des économies, même en recevant de bonnes journées. Il faut admettre au surplus que la famille dont la femme est peu rétribuée ne subsiste qu’avec ses seuls gains qu’autant que le mari et la femme se portent bien, sont employés pendant toute l’année, n’ont aucun vice et ne supportent d’autre charge que celle de deux enfants en bas âge.

Supposez un troisième enfant, un chômage, une maladie, le manque d’économie ou seulement une occasion fortuite d’intempérance [manque de sobriété, boisson] et cette famille se trouve dans la plus grande gêne, dans une misère affreuse, il faut venir à son secours…

La proportion d’ouvriers qui ne gagnent pas le strict nécessaire ou ce qu’on regarde comme tel, varie suivant les industries, leur état de prospérité et suivant les localités. Un filateur de Rouen… a trouvé en 1831, époque d’une crise marquée par l’abaissement des salaires, que le 61 % de ses ouvriers employés alors dans sa filature de coton ne gagnaient pas, chacun en particulier le strict nécessaire

 

Niveau des prix et pouvoir d'achat

L’économiste Jean Fourastié (1907-1990) va quant à lui mettre au point la méthode des prix réels pour « étudier l’évolution des prix dans le temps sans être gêné par la diversité des monnaies ni par les variations de leur valeur ».

Dans son livre, D’une France à une autre (1987) Jean Fourastié écrit : « En période traditionnelle, le quintal de blé revenait, en moyenne, à 200 salaires horaires de manœuvre : maintenant, il en vaut 3 à 4. […] Pour affirmer, comme nous venons de le faire, que le prix du blé a baissé, il faut s’affranchir des fluctuations de la monnaie. Que signifient en effet les prix de 30 F le quintal en 1830, 36,80 fr en 1959 et 127 F en 1985 ? […] À toutes les méthodes courantes de déflation, nous avons préféré, depuis près de quarante ans, la méthode des prix réels qui ont l’avantage d’être liés au prix de revient en heures de travail humain".

La formule de calcul est la suivante :

Le prix réel d’un bien =prix monétaire de ce bien/salaire horaire du manœuvre

Le prix réel est ainsi exprimé en temps de travail nécessaire pour acquérir ce bien. Cette méthode permet d’analyser le pouvoir d’achat d’un individu. Or jusque dans la seconde moitié du 19ème siècle c’est le pouvoir d’achat en blé qui est l’élément déterminant du niveau de vie des individus.

Exemple : 1 kilo de pain vaut en 1701 3 salaire horaire soit 3h pour l’acheter. Par comparaison, en 1913 il vaut 1,22 salaire horaire (un manoeuvre devait donc travailler une heure et quart pour acheter sa boule quotidienne) ; tandis que vingt-sept minutes suffisent en 1981. 

Revenons à notre manœuvre de 1701 : s’il a une famille à nourrir, et sachant qu’il ne peut pas acheter plus de 2 ou 3 kg de pain par jour (1kg = 3h de travail), cela veut dire qu’il était à la limite de la misère voire même totalement miséreux ; tout son salaire part dans le pain et manifestement il n’en aura pas assez s’il a trop de bouches à nourrir …

 

Pour Jean Fourastié à partir de 200 salaires horaires (pour le prix d’un quintal de blé) la situation alimentaire devient précaire et au-delà de 250, tout le salaire du manœuvre part dans le seul achat du pain ; c’est la famine.

or, en 1701, on est à 300 salaires horaires

en 1709, à 566.1 salaires horaires

en 1710 à 406.2  salaires horaires

en 1714 à 325.7 salaires horaires

 

Quelques idées de salaire au 19ème siècle (tiré de Nos ancêtres - Vie et métiers n°23)

un boulanger à Marcq en Baroeul (59) en 1829 = 1.25 f

un charretier à Marcq en Baroeul (59) en 1829 = 1.50 f

un maréchal ferrant à Marcq en Baroeul (59) en 1829 =  1.50 f

un cordonnier à Marcq en Baroeul (59) en 1829 = 1.25f

un domestique  agricole à Ennevelin (59) = 160 f en 1859

un tisserand à haubourdin 2 f en 1841

un forgeron entre 195 et 244f par an à Pont a Marcq (59) en 1859

Au Creusot un mineur gagne 2f en 1840

 

Sources

Les salaires et la condition ouvrière en France à l’aube du machinisme 1815-1830 de Paul Paillat

Où est l’erreur ? les budgets ouvriers au 19ème siècle selon Villermé de Gérard Jorland

http://www.histoirepassion.eu/?Evolution-des-prix-du-15eme-au-19eme-siecle-Panier-de-la-menagere-services

 

Productivité et richesse des nations de Fourastié

Convertisseur francs/euros 

Thema - Histoire et généalogie –la valeur des biens niveau de vie et de fortune de nos ancêtres de Thierry Sabot

La situation sociale de l'ouvrier lillois du textile autour de 1840 de Alphonse Marius Gossez 

 

 

 

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Lutter contre l’indigence à Lille sous l’Ancien Régime – les hôpitaux, hospices et autres maisons charitables

23 Décembre 2016 , Rédigé par srose

Plusieurs œuvres et établissements prodiguaient soins, secours et hébergement aux nécessiteux de Lille sous l’Ancien Régime. Parmi ceux-ci les hôpitaux, hospices et maisons charitables que l’on retrouve un peu partout dans Lille et qui pour certains ont traversé les siècles jusqu’à nous.

A noter que déjà à la fin du 15ème siècle on dénombrait 14 hôpitaux et autres maisons de charité à Lille (qui comptait à cette époque 24 à 26 000 habitants).

 

En voici quelques uns :

 

1/Le plus ancien hôpital lillois est celui de St Jean l’Evangéliste ou Saint Sauveur fondé vers 1216 par la comtesse Jeanne de Flandres, entre l’église Saint Sauveur et la porte Saint Sauveur dont il pris le nom. Il fut inauguré par Jean Martin, chanoine de la Collégiale de St Pierre (édifice située le long de la Basse Deûle à l’emplacement de l’actuel Palais de Justice) et était destiné à accueillir les malades pauvres. Au 18e siècle, c’est le principal hôpital actif de Lille. En 1720 il y avait 60 lits dont la moitié réservé aux soldats malades ou blessés.

Il fermera ses portes en 1958 et fut détruit en 1960. Seul demeure aujourd’hui le pavillon Saint Sauveur, siège actuel de la Fondation de Lille.

 Lutter contre l’indigence à Lille sous l’Ancien Régime – les hôpitaux, hospices et autres maisons charitables

1920 - Hôpital St Sauveur face ancien square Ruault (actuel hôtel de ville)

Lutter contre l’indigence à Lille sous l’Ancien Régime – les hôpitaux, hospices et autres maisons charitables

Ce qui reste de l'hôpital St Sauveur : le pavillon St Sauveur

 

2/L’Hospice Gantois ou hospice St Jean Baptiste à Lille, dit aussi des « Vertus républicaines » sous la Révolution, fut créé en 1462 par un riche bourgeois du nom de Jean de la Gambe dit le « Ganthois » car originaire de Gand. Son testament rédigé en 1466 précise qu’il s’agit d’«un hôpital et Maison-Dieu sous le titre de monseigneur Saint Jehan Baptiste, nommé autremans hospital des cartriers».

Destinée à recevoir « treize anciennes gens décrépités et débiles, hommes ou femmes », originaires de Lille. L’œuvre sera tenue par six Augustines « vêtues simplement d’une cotte de drap griset » ou d’un « affuloir (linge)nommé faille de drap noir ».

Les religieuses furent chassées en 1789 puis rappelées en 1815, et poursuivirent leur tâche jusqu’en 1995. Lorsqu’elles revinrent en 1815, une nouvelle réglementation sélectionne les malades éligibles aux soins apportés dans l'établissement. Il faut désormais avoir moins de 70 ans, être né à Lille et y avoir résidé au moins 5 ans, avoir payé une patente et être dans un état de santé interdisant « une activité permettant de subvenir à ses besoins ».

L'édifice est aujourd'hui devenu un hôtel de luxe.

 

Lutter contre l’indigence à Lille sous l’Ancien Régime – les hôpitaux, hospices et autres maisons charitables

Lutter contre l’indigence à Lille sous l’Ancien Régime – les hôpitaux, hospices et autres maisons charitables

Salle des malades

Lutter contre l’indigence à Lille sous l’Ancien Régime – les hôpitaux, hospices et autres maisons charitables

 

3/Il y avait également l’hôpital Notre Dame ou Comtesse qui date de 1236 avec 62 lits en 1788.  Situé rue de la Monnaie dans le Vieux Lille, désaffecté en 1939,  il abrite aujourd’hui un musée.

C’est Jeanne de Constantinople, comtesse de Flandre, qui fonde en 1236 dans l'enceinte de son propre palais cet hôpital qu'elle dote richement. En 1243, elle fait don des moulins de Lille et de Wazemmes à son Hôpital ainsi que du droit de banalité des moulins qu'elle possède sur toute la banlieue de Lille et que l'on appelait la Mannée de Lille. Cette mannée comprenait les villages qui s'inscrivaient à l'intérieur d'un territoire autour de Lille, de circonférence à égale distance de Seclin, Anstaing et Tressin.

De l'établissement primitif réservé aux malades pauvres, aux pèlerins et aux passants, il ne reste rien, suite à un incendie survenu dans la nuit du 11 avril 1468 l'ayant entièrement détruit ; un autre incendie détruisit le 17 mars 1649, la chapelle et des bâtiments conventuels, de sorte que la majeure partie de l’établissement actuel date du 17ème siècle.

 Lutter contre l’indigence à Lille sous l’Ancien Régime – les hôpitaux, hospices et autres maisons charitables

Cour hospice Comtesse

 

Lutter contre l’indigence à Lille sous l’Ancien Régime – les hôpitaux, hospices et autres maisons charitables

Hospice Comtesse côté rue de la Monnaie

4/L’hospice de la Conception Notre Dame dit des Bleuettes au 23 de la rue St Sauveur date de 1648 et fut fondé grâce au legs du chanoine de la Collégiale de St Pierre, Jean Dubus, pour accueillir des femmes frappées de maladies chroniques.

Le nom de « Bleuette » vient de leur habit de dessus bleu. Faute de revenus il disparaît en 1769.

 

5/ L’hôpital du St Esprit, rue de l’Abiette (rue de Tournai) puis rue du Pont Neuf, date de 1650 et fut fondé par Jérôme Ségon, écuyer et sa sœur Françoise pour héberger une quinzaine de pauvres invalides qui seront soignés par des religieuses du Saint Esprit. Le bâtiment de la rue de Tournai sera en 1668 cédé aux Bons Fils pour loger les aliénés. Il fermera en 1797.

 Lutter contre l’indigence à Lille sous l’Ancien Régime – les hôpitaux, hospices et autres maisons charitables

Religieuses su Saint Esprit

 

6/ L’hôpital St Joseph ou des Incurables (rue de Courtrai puis 56 rue royale) fondé en 1656 par les prêtres Philippe Descleps et Jacques Tesson, est destiné à héberger des soldats invalides abandonnés.  Il accueille une vingtaine de  pensionnaires en 1675. Il accueillera les « pauvres hommes affligés de maladies incurables». Il deviendra pendant la Révolution l’Hôpital des Sans Culottes incurables. Il fermera en 1797.

 

7/ L’hôpital St Jacques (16 ou 18 rue St Jacques) fut créé en 1431 par la Duchesse Isabelle du Portugal, épouse du Duc de Bourgogne, Philippe le Bon, pour les pèlerins de St Jacques de Compostelle puis pour les "femmes en gésine" (en couche) afin "de les relever, visiter servir et seconder" ; au 18ème siècle il n’y avait que 2 lits : les femmes n’y entraient que 9 jours après l’accouchement et y restaient une quinzaine de jours.

 

8/ L’hospice Ste Catherine de Sienne dit des Vieillettes fut fondé en 1541 par Jean Barge, bourgeois de Lille et sa femme Marguerite Leroux : ils firent don d’une maison rue de Sailly (rue des Trois Molettes – il se trouvait à l’emplacement du parvis de la cathédrale de la Treille) pour loger, nourrir et entretenir treize pauvres chartrières (impotentes) de Lille jusqu’à la mort de la dernière vivante. En 1576 il fut décidé qu’on continuerait à y admettre de « pauvres et honnêtes personnes âgées d’au moins 60 ans, pauvres et sans aide ». Cette fondation fut supprimée en 1797.

 

8/ L’hôpital St Charles Borromée dit des Vieux Hommes au coin de la rue des canonniers et de la rue de Roubaix fut fondé en 1622 par François Van Hoyqueslot, seigneur de la Hallerie,  pour abriter « trois hommes anciens nés à lille ayant au moins 55 ans et ne pouvant travailler ». Il comptera jusqu’à 68 lits en 1631. En 1674 les malades sont renvoyés chez eux ou sont transférés aux Bonnes Filles pour permettre d’y loger les soldats. Il fermera en 1797.

 

9/ L’hôpital Ste Elisabeth ou Béguinage rue du béguinage fut fondé en 1234 par la Comtesse Jeanne de Flandre et sa sœur Marguerite pour abriter 14 femmes de condition modeste, ne pouvant se marier faute de dot ou ne souhaitant pas devenir de religieuses faute de vocation ou de place dans un couvent. Il est précisé qu’il doit s’agit d’ « enfants de bonnes gens, vivant en chasteté ». Ces demoiselles passent leur temps à travailler, prier et faire œuvre de charité. Le Béguinage occupe un terrain compris entre les rues de Metz, Saint Sébastien et rue Princesse et comprend une rangée de 16 maisons , une chapelle et un jardin.  En 1401 une odonnance de Philippe le Hardi précise que les béguines doivent payer 12 livres parisis pour y être admise et ceci au vu du train de vie des Béguines qui vivaient au dessus de leur moyen ; elles n’auraient dorénavant qu’une seule « méchine » (servante) à leur disposition .

A la Révolution le béguinage recueille les femmes pauvres, malades, infirmes, veuves et les jeunes filles sans protection ; il sera en 1796 considéré comme un hospice pour femmes ayant une situation financière précaire.

En 1841 Louis Philippe met fin au Béguinage en précisant que celui-ci disparaitra avec la mort de la dernière Béguine. Le Béguinage fut démoli en 1855.

 

10/ L’hôpital Notre Dame de la Charité , rue de l’Arc, fondé par François Heddebaut , bourgeois de Lille, pour abriter des « pauvres femmes veuves ou filles chartrières (impotentes) débiles et abandonnées de secours humains » que l’on pourra trouver en ville et dans la chatellenie de Lille. Il fut transféré rue notre Dame (rue de Béthune) en 1643 et possède 25 lits à cette époque. Il fermera en 1797.

 

11/ L’orphelinat de la Conception ou des Bonnes Filles rue royale a été créé vers la fin du 15è et était destinés à hospitaliser les orphelins. En 1752 l’intendant des Séchelles mit les orphelins dehors pour faire de la place aux soldats malades ou blessés. En 1765 ils trouvèrent asile à l’orphelinat des Bapaumes. 

 

12/ La Maison d’Orphelines dite de la Présentation Notre Dame , 20 rue de l’hôpital militaire, fut fondé par Martine de Grave en 1630 ; à l’époque elle fonde une école située rue des Buisses à Lille pour les filles ; en 1646 elle donnera trois maisons dont deux rue des Jésuites et la 3ème aboutissant à cette rue et à celle de Notre Dame pour y établir l’école sous le nom de la présentation Notre dame pour les pauvres orphelines ou abandonnées. Elle cessera son activité en 1730 faute de ressources.

 

13/ La Maison des Bons Enfants, rue des Sept Sauts (angle de la rue Trulin et d’Anatole France), a été fondée avant 1124 par Jean de Pardieu et hébergeait des indigents autorisés à mendier en ville. Cet établissement donna son nom à la cour des bons enfants qui sera démoli pour laisser place au théatre (opéra).

 

14/ Maison de Bapaumes, rue des Jésuites (rue de l’hôpital militaire), date de 1605 ; elle fut fondée par Guillaume de Boileux dit Bapaumes qui institue une école pour 80 garçons et 20 filles orphelins pauvres de Lille. La Maison fusionnera avec les Bleuets à la Révolution ; en 1797, les orphelins seront transférés à l’hospice Comtesse.

 

15/ L’hôpital Notre Dame des Sept-Douleurs dit Stappaert fondé en 1656 par Jean Stappaert, bourgeois de Lille était un orphelinat de filles natives de Lille âgée de 5 à 15 ans. IL fit en effet don d’une maison située à l’angle de la rue du Plat et de la rue de la Vignette, vis à vis des Hibernois.

La maison des orphelines de la Présentation Notre Dame et la maison des Bonnes filles lui furent rattachées. L’hopital fut transféré en 1884 au 78 rue de la Barre dans l’ancienne Maison Noble Famille. En 1912 les orphelines doivent être âgées de 6 à 12 ans . Huit sœurs de St Vincent de Paul s’occupent de 60 à 80 filles qui suivent les cours à l’école et qui travaillent à l’ouvroir. Un incendie en 1954 les oblige à aller aux Bleuets rue Boileux ; l’établissement fermera en 1964.

Lutter contre l’indigence à Lille sous l’Ancien Régime – les hôpitaux, hospices et autres maisons charitables

Sœurs de St Vincent de Paul

 

16/ Le refuge des Sœurs de la Madeleine ou Madelonnettes ou filles repenties fondé en 1481 par Jean de la Cambe, le Gantois, au 39/41 rue de la Barre, pour offrir aux filles de légère vie un lieu « où elles se puissent retraire pour amender leur vie au salut de leur âme ». En 1532, le Magistrat délègue la gestion de l'établissement aux sœurs de la Madeleine (ou Madelonnettes, ou repenties) de Saint-Omer et les autorise à soigner les malades en ville. Au 18ème siècle, le refuge recevra également les femmes ou filles de bonne famille « que le dérangeemnt de leur conduite oblige à séquestrer par lettre de cachet ou autrement ». Le refuge sera fermé à la Révolution et transféré aux Bons Fils.

 Lutter contre l’indigence à Lille sous l’Ancien Régime – les hôpitaux, hospices et autres maisons charitables

17/ L'hôpital des Bons Fils du Tiers Ordre de St François était une maison de réclusion, place de la gare, qui fut créée en 1668 : il accueillait les aliénés pensionnaires ou placés d’office et des libertins séquestrés à la demande des familles ; le bâtiment sera détruit en 1867 pour l’ouverture de la place de la gare et de la rue Faidherbe.

 

18/ Existe aussi le bouillon des pauvres et la Noble Famille : cette dernière fut fondée par Marie Anne de Sepmeries en 1683 pour élever gratuitement « des jeunes filles nobles de parents déchus » de Flandre wallonne et de Hainaut et âgées de 7 à 18 ans. Le nombre de pensionnaires variera de 15 à 25. Elle fermera à la Révolution, ses pensionnaires étant conduits à l’hôpital général.

 Lutter contre l’indigence à Lille sous l’Ancien Régime – les hôpitaux, hospices et autres maisons charitables

19/ L'hôpital des Grimaretz était situé rue Basse, à Lille: les maisons actuelles de cette rue portant les numéros pairs de 8 à 24 et celles de la rue du Cirque, numéros 2, 4 et 6.ont été construites sur l'emplacement jadis occupé par cet asile, institué en 1345 par Lotart Canart et sa femme Marie de Pont Rohart(ou Pontrewart) , pour y loger et nourrir douze pauvres passageurs ( voyageurs )" qui ne pouvaient y séjourner plus d’une nuit. L’établissement était administré par des Dominicains. Marie de Pont Rohart changea l’affectation de l’hôpital en 1376 et y fonda des lits pour malades et deux pour les femmes en couche.

 

20/ L'hôpital St Julien, situé rue Basse a été créé vers 1291 ; il comportait 16 lits ne pouvant être occupés qu’une seule nuit dans un premier temps puis il fut admis que les pensionnaires puissent rester 3 jours et 3 nuits. Il fut supprimé en 1701 en raison des troubles occasionnés par les gens hébergés et ses biens furent transférés à l’hôpital des Invalides

Il sera supprimé en 1701 en même temps que l’hôpital des Grimaretz, ses biens étant transférés à l’hôpital des Invalides.

 

21/ L’hospice des Invalides : en 1686 une déclaration du roi ordonna aux mendiants de se retirer dans leur lieu de naissance pour y travailler dans les hôpitaux généraux créé pour eux ; à défaut ils seront condamnés aux galères pour 5 ans). En 1687 une déclaration royale aggrava les peines prévues et le Magistrat de Lille demanda aux ministres des pauvres de déterminer ceux qui méritaient l’assistance et de leur distribuer une autorisation de mendier consistant en « fleur de lys en fer blanc de couleurs différentes selon les paroisses". En 1699 un règlement prescrit pour les hommes de porter la fleur de lys au chapeau et sur le corps de jupe pour les femmes ; tous les autres seront obligés de sortir de la ville.

En 1700 l’interdiction de mendier devient absolue ; les mendiants sont alors enfermés dans les hôpitaux généraux ; il n’en existait pas à Lille à l’époque. Le Magistrat décida alors d’hospitaliser les mendiants invalides dans les casernes d’Anjou d’où le nom d’hospice des invalides, situé 6 rue du lieutenant Colpin. En 1701 fut réunis à l’hospice des Invalides les revenus des hôpitaux St Julien et des Grimarets et la Bourse commune des pauvres dut fournir annuellement 6000 florins.

L’hôpital des Invalides sera réuni à l’hôpital général en 1738.

  

22/ Hôpital général : En juin 1738, Louis XV autorisa par lettres patentes les magistrats de Lille à fonder un hôpital général destiné à l'accueil et à l'enfermement des enfants abandonnés, des invalides et des mendiants. Il fut choisi un lieu à l’écart du centre-ville bordé par le canal de la Basse Deûle. Il ouvrit en 1744 mais les  travaux durèrent de 1739 à 1846. Appelé le " Bleu Tot " en raison de sa couverture d'ardoises, l'hôpital fonctionna jusqu'en 1988. Le bâtiment en façade est occupé depuis 1997 par l'Institut d’Administration des Entreprises. 

Lutter contre l’indigence à Lille sous l’Ancien Régime – les hôpitaux, hospices et autres maisons charitables

après 1870

En 1744 il reçut 500 adultes et 681 enfants qui se trouvaient à la ferme du Riez de Canteleu : on apprenait aux filles à faire de la dentelle et de la broderie et aux garçons des souliers et des tissus.  Le produit de la vente était pour les 2/3 versé à l’administration et pour 1/3 aux ouvriers.

 Lutter contre l’indigence à Lille sous l’Ancien Régime – les hôpitaux, hospices et autres maisons charitables

1870 - l'hôpital général avec la basse Deûle encore visible

Lutter contre l’indigence à Lille sous l’Ancien Régime – les hôpitaux, hospices et autres maisons charitables

L'hôpital général aujourd'hui

 

L’hôpital ne régla toutefois pas le problème de la mendicité, les mendiants étant de plus en plus nombreux ; on créa donc des dépôts de mendicité ; le dépôt de Lille fut établi en 1769 près de la porte des malades sur l’emplacement de l’ancien hôpital militaire St Louis ; y furent envoyé aussi les fous et les filles publiques.

 

Au final au 18ème siècle il y avait deux organismes principaux : l’hôpital général et les ministres généraux de la bourse commune des pauvres. En 1750 ces deux organismes furent réunis en bureau de la charité générale . Les pauvrisseurs des charités paroissiales deumeurèrent et des conflits persistèrent entre eux

Les Lillois nécessiteux ont donc à leur service un grand nombre de secours à leur disposition mais la qualité de ces soins et accueil diffèrent d’un établissement à l’autre. En 1788 l’inspecteur général des hôpitaux Jean Colombier, également médecin militaire et hygiéniste (1736 – 1789) s’aperçut ainsi que les religieuses de l’hôpital Comtesse mangeait l’excédent des recettes en repas et réceptions pour leurs amis et proches. Idem pour St Sauveur. Montlinot, écclésiastique et journaliste français (1732-1801) précise quant à lui que  l’hôpital général dégageait « une odeur insupportable ». L’intendant de Flandres et d’Artois Esmangart (1736 – 1793) dit qu’ un grand nombre de ces établissements faisait grand tort à la charité publique…

 

 

Après la Révolution Française, la commission administrative des hospices civils de Lille réalisa une réduction du nombre des établissements charitables, laissant subsister l'Hospice Gantois et cinq autres lieux (Comtesse, Saint – Sauveur, l’Hôpital général, les Madelonnettes et Stappaert).

 

Sources

http://www.patrimoinehospitalierdunord.fr

Au cloître et dans le monde: femmes, hommes et sociétés (IXe-XVe siècle ...) de Patrick Henriet et Ann Marie Leg

La vie à Lille de 1667 à 1789 d’après le cours de M de St Léger d’Aristote Crapet

http://www.biusante.parisdescartes.fr/sfhm/hsm/HSMx1983x017x003/HSMx1983x017x003x0223.pdf : le béguinage de lille 1245 - 1841

 

 

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L'aide aux nécessiteux sous l'Ancien Régime

18 Décembre 2016 , Rédigé par srose

Nous avons vu qu'à partir de 1893 se met en place au profit des malades sans ressources une assistance obligatoire pour les communes, les départements et l'Etat. Mais qu'existait il avant?

 

Des SYSTEMES DE MUTUELLE basées sur le volontariat, mais qui n’ont finalement bénéficié qu’à une frange limitée de la population  (voir article sur la domesticité n°3)

Avant la période révolutionnaire en effet il existait des guildes et confréries qui organisaient une sorte de solidarité entre les membres d’une même profession. La loi le chapelier de 1791 mettant fin à la liberté d’association, ces sociétés disparaissent. Ce n’est que sous l’égide de la Société Philanthropique dont le but est de "d'engager les ouvriers à se réunir pour s'assurer mutuellement des ressources en cas de maladie, ou lorsque les infirmités de la vieillesse les mettraient dans l'impossibilité de continuer leurs travaux" que ces associations vont renaitre. Elles seront légalisées par le décret du 22 mars 1852, qui octroie de nombreux avantages aux sociétés qui reçoivent l'approbation de l'Etat et acceptent son contrôle. Mais ce dispositif fonctionne sur le volontariat et sur une problématique future (maladie, vieillesse) or l’ouvrier vivant dans la misère et peinant à gagner 3 sous ne va pas vouloir mettre une partie de son labeur dans une cotisation destinée à couvrir un aléa futur …

 

A l’époque révolutionnaire, une loi du 27 novembre 1796 organise la bienfaisance pour les pauvres des communes par la création de BUREAUX DE BIENFAISANCE qui ne sont en fait que les héritiers des bureaux de charité de l’ancien régime : la mise en place de ces bureaux de bienfaisance est difficile toutefois : encore 58 % des communes françaises ne possèdent pas de bureau en 1880 !

L'aide aux nécessiteux sous l'Ancien Régime

Avant la loi de 1893, l’aide provenant de ces bureaux résidait essentiellement dans des secours en nature (70 % encore au début de la IIIe République) : il peut s’agir de nourriture, de vêtements, de matière première nécessaire au chauffage (charbon), de lait pour les enfants. Sauf exception, seuls les pauvres locaux sont éligibles à l’aide : la condition de résidence est fondamentale pour bénéficier des secours.

La loi de 1893 et celles qui vont suivre vont confier aux bureaux de bienfaisance une partie de l’assistance nouvelle qu’elles ont créée.

 

Il existait également sous l’Ancien Régime les BUREAUX DE CHARITE avec à leur tête le curé aidé de toutes les personnes qui le souhaitent ainsi que par les sœurs de la charité.

La charité de François Bonvin

 

A côté de ces bureaux de charité, il y avait les coutumes charitables selon les localités, les fondations destinées aux pauvres et dues à des testateurs généreux, les dames des pauvres, les quêtes et les aumônes, les ateliers de charité qui emploie les brassiers et journaliers quand les travaux de la campagne sont terminés, l’ŒUVRE DU BOUILLON : (cette dernière forme de secours est créée grâce à l’initiative d’un donateur alors que les bureaux de charité sont fondés le plus souvent suite à une ordonnance royale ou un arrêt du Parlement (en 1752 le Parlement de Toulouse impose un bureau de charité dans chaque paroisse de la ville) : ce seront des secours en nature distribuées par l’intermédiaire des filles de la charité ou sœurs de St Vincent de Paul ou encore sœurs grises (du fait de la couleur de leur robe) – ces deux formes (bureau de charité et œuvre du bouillon) coexistent souvent au sein d’une même paroisse comme ce fut le cas à Toulouse.

 Chocarne-Moreau. Charité

Quelques exemples sur Toulouse sous l’Ancien Régime

Ainsi Gérard Géraud, ouvrier batteur d'or à Toulouse, laisse en 1714 dans son testament, aux pauvres une rente perpétuelle de 100 livres pour l’entretien de deux sœurs placées sous la direction du curé de la paroisse de la Dalbade et chargées du soin des malades ;

En 1748 Jean Boredon lègue 600 livres aux déshérités de la Dalbade pour aider la fondation du bouillon des pauvres.

L'aide aux nécessiteux sous l'Ancien Régime

la Dalbade et son clocher

La maison de charité de St Etienne et de St Michel, son annexe, a pour but de distribuer bouillon et médicament aux pauvres malades et d’enseigner à lire et écrire aux filles de ces deux paroisses ; la maison de charité de la Daurade donne du bouillon aux véritables pauvres et entretien une apothicairerie afin de leur distribuer à domicile les remèdes dont il ont besoin. Cet établissement entretient un médecin et un chirurgien et procure du linge et du pain aux malades et de la viande aux convalescents ; enfin l’oeuvre du bouillon de St Pierre et du Taur fondée en 1754 fournit bouillon et remèdes aux pauvres malades et assiste les pauvres honteux de ces paroisses.

En 1718 Luc Saget dote la maison de la charité de la Daurade d’un médecin qui doit être capable et expérimenté et d’un chirurgien dont le rôle est d’effectuer les opérations. Le médecin est nommé en assemblée et reçoit un honoraire de 40 livres par an payable tous les 6 mois.

L'aide aux nécessiteux sous l'Ancien Régime

quai de la Daurade

Exemple sur Lille

La bourse commune des pauvres a été instituée au 16ème siècle pour venir en aide aux nécessiteux de la ville. Elle dirigea à partir de 1584 les écoles du dimanche de Lille. Ce dispositif scolaire fut financé par des donations d’un montant de 1280 livres parisis provenant de Hubert Deliot et de son père Guillaume. L’idée était de pouvoir apprendre à cent enfants pauvres à lire, écrire et calculer et avoir de bonnes mœurs. On leur apprend aussi un métier ; treize ministres des pauvres (voir article sur la table des pauvres) régissaient la bourse des pauvres.

 

Les HÔPITAUX quant à eux étaient au départ des institutions chaperonnées par l’Eglise sans vocation médicale particulière mais juste destinée à l’hébergement des pauvres ; ce n’est qu’au 17ème siècle que l’Etat prend le problème de la misère à bras le corps et se sert des hôpitaux pour enfermer les sans-logis, les mendiants, les exclus, les fous … Ainsi l’hôpital général St Joseph de la Grave à Toulouse fut créé en 1647, soit 9 ans avant celui de Paris ; l’hôtel-dieu St Jacques à Toulouse quant à lui se spécialise dans les soins médicaux et chirurgicaux. Mais les 2 établissements disposent d’un quartier de force réservé aux filles publiques, enceintes ou vénériennes appelées aussi « filles gâtées", et aux nourrices contaminées par les nourrissons.

L'aide aux nécessiteux sous l'Ancien Régime

la Grave

C’est seulement au 19ème siècle que la mission médicale de l’hôpital va se renforcer notamment avec la loi du 7 août 1851 dite « d’assistance publique » qui va poser les prémices du service public hospitalier actuel en énonçant le principe suivant : « lorsqu’un individu privé de ressources tombe malade dans une commune, aucune condition de domicile ne peut être exigée pour son admission à l’hôpital existant dans la commune ».

 

Ainsi à Toulouse à la fin de l’Ancien Régime, nous retrouvons 4 formes de secours :

1/L’assistance hospitalière dispensée par l’hôtel-dieu S Jacques et l’hôpital général St Joseph

2/La charité à la maison des orphelines qui date de 1621 et qui accueille jusqu’à leur mariage une cinquantaine de pauvres filles

3/Les ateliers de charité

4/L’assistance à domicile au sein des bureaux de charité et de l’œuvre des bouillons des pauvres

 

Zoom sur Lille (voir également article sur lutter contre l’indigence à Lille sous l’Ancien Régime : hôpitaux, hospices et maisons charitables)

Lille compte en 1900, hormis le bureau central, six dispensaires publics secourant entre 4 000 et 6 000 personnes chacun (en tout plus de 35 000 personnes) : dispensaires rue de la Barre, Esquermes, Moulins, St Gabriel, Werquin et Wazemmes (dédoublé en 1883).

Lille présente au 19ème siècle et au début du 20ème des conditions de vie dramatiques pour les ouvriers qui y vivent (voir articles sur l'habitat prolétaire à Lille 1 et 2).

 

L'aide aux nécessiteux sous l'Ancien Régime

Les statistiques sanitaires analysées dans les ouvrages de Pierre Pierrard et Félix-Paul Codaccioni permettent de se rendre compte de la situation de détresse dans laquelle vivaient, en particulier, les habitants du quartier Saint-Sauveur.

En 1849, près de la moitié (42%) de la population du quartier Saint-Sauveur est inscrite sur les registres d’indigents, ce qui représente le tiers de la population indigente de Lille.

Dans certaines rues de ce quartier, la quasi-totalité des décès concerne des individus âgés de moins de 40 ans (la plupart sont des enfants de moins de cinq ans).

Les logements sont minuscules, mal aérés, d’une extrême insalubrité. A Saint-Sauveur, chaque personne dispose d’à peine 10 m3 par habitation.

La mortinatalité est effrayante : un mort-né pour 10 naissances. La mortalité est nettement supérieure à la mortalité nationale : plus de 30 pour 1000 vers 1860, contre 25 pour 1000 en France. En 1900, le taux de mortalité infantile à Lille est le plus important des villes françaises : 29,5%... .

C’est aussi à Lille, que le nombre de décès dû à la tuberculose est le plus inquiétant, après Paris. 13% des décès sont dus uniquement à la tuberculose en décembre 1901. En y ajoutant, les cas de bronchite, de pneumonie et autres maladies respiratoires, le pourcentage est de 38%.

Cette situation va s’aggraver avec l’arrivée massive d’immigrants, souvent belges, attirés par l’emploi industriel en pleine effervescence.

 

Sources

La III° République et la solidarité : la socialisation de l'infirmité

La médecine gratuite au XIXe siècle : de la charité à l'assistance d’Olivier Faure

La médecine de bienfaisance et d'assistance dans le Pas-de-Calais, 1856-1914 de Jean Pierre Beyt

Bureau et maisons de charité : l'assistance à domicile aux « pauvres malades » dans le cade des paroisses toulousaines (1687-1797) de Josseline Guyader

La vie ouvrière à Lille sous le second Empire de Pierre Pierrard

De l’inégalité sociale dans une grande ville industrielle, le drame de Lille 1850-1914 de Félix-Paul Codaccioni

Charité municipale et autorité publique au XVIe siècle : l'exemple de Lille de Robert Saint Cyr Duplessis

La vie à Lille, de 1667 à 1789, d'après le cours de M. de Saint-Léger d’Aristote Crapet

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L'assistance aux nécessiteux au 19ème siècle et au début du 20ème siècle

18 Décembre 2016 , Rédigé par srose

 

En compulsant les archives de la mairie de Frouzins, petite ville située près de Toulouse, j’ai remarqué qu’un grand nombre de ses habitants au début du 20ème siècle était inscrit sur la liste des personnes admises au secours médical gratuit en raison de maladie ou d’une infirmité ou encore sur la liste des vieillards indigents.

J’ai donc essayé d’en savoir plus sur cette question, ignorant alors totalement qu’avant la naissance de la sécurité sociale, il existait de tels services sociaux.

Il s’avère qu’en effet la III° République a mis en place tout un dispositif de protection sociale en institutionnalisant la "solidarité" par diverses lois sociales, imposant par là même une obligation d’assistance aux communes, aux département et à l’Etat.

Ne nous y trompons pas toutefois ; les débats parlementaires qui ont précédé l’adoption de la plupart de ces lois sociales évoquent surtout des préoccupations d’ordre public : la mendicité et le vagabondage devaient être contrôlés voire éliminés ; y sont évoquée la « misère criminogène des cités ouvrières », le contrôle administratif des individus à potentiel criminogène, …

L'assistance aux nécessiteux au 19ème siècle et au début du 20ème siècle

L’humanisme certes réel de ces lois cache donc malgré tout une volonté d’une part de contrôle des cités populeuses et d’autre part d’exclusion encadrée 

 

 

Le Marchand de violettes Fernand Pelez (1848-1913)

 

ASSISTANCE MEDICALE GRATUITE

La loi du 15 juillet 1893 instaure un devoir d’assistance médicale gratuite, à l’hôpital comme à domicile, qui permet aux personnes privées de ressources (malades, vieillards, infirmes) d’être soignés gratuitement. Les femmes en couche sont assimilées à des malades. Les étrangers malades privés de ressources seront assimilés aux Français toutes les fois que le gouvernement aura passé un traité d’assistance réciproque avec leur nation d’origine.

L'assistance aux nécessiteux au 19ème siècle et au début du 20ème siècle

Un domicile de secours est fixé pour ces personnes et s’acquiert

- par une résidence habituelle d’un an dans la commune postérieurement à la majorité,

- par la filiation (l’enfant a le domicile de secours de son père ou le cas échéant de sa mère) ;

- par le mariage (la femme acquiert le domicile de secours de son mari, les veuves conservent le domicile de secours antérieur).

C’est une loi qui vise surtout la campagne : « le paysan est toujours en avance de ses sueurs et de son sang vis-à-vis de l’état qui ne lui fournit aucun secours pour la santé de son corps qui pourtant rapporte tant de substance à la patrie ».

L’exode rural, amplifiée par la révolution industrielle, n’est d’ailleurs pas étranger à cette décision de mettre en place un service public d’assistanat : « il faut retenir le travailleur dans les campagnes par l’attrait de l’assistance publique et mettre fin à l’émigration des campagnes ». Il devient évident également que « la santé des travailleurs qui intéresse d’une manière si intime le développement normal de la production exige que l’on mette à la portée de tous les secours médicaux ».

L'assistance aux nécessiteux au 19ème siècle et au début du 20ème siècle

Henri Monod (homme politique – 1753/1833) résume dans cette phrase l’objectif de cette loi  : "Le malade n'est pas un faible à éliminer, c'est une force accidentellement improductive, et que la collectivité a l'intérêt le plus évident à rendre le plus rapidement possible à La production et au travail"

Cet exode rural entraînera une augmentation de la misère urbaine (voir article sur l'habitat prolétaire lillois 1 et 2): on va en effet concentrer un nombre important de personnes sur une zone géographique réduite proche des industries sans tenir compte des effets de cette promiscuité sur l’hygiène et la santé des personnes. Or là aussi on ne peut plus abandonner « cette armée de réserve industrielle »  à la misère médicale.

Alors que la loi de 1893 se préoccupe avant tout des indigents et nécessiteux de la campagne incapables de subvenir à leurs soins médicaux en cas de maladie, la loi du 9 avril 1898 va répondre à un problème plus urbain : l’utilisation de la machine pour développer la production entraîne une augmentation des accidents du travail : elle reconnaît la responsabilité sans faute de l’employeur qui peut s’assurer pour y faire face.

 

D’AUTRES LOIS SOCIALES

La loi du 27 juin 1904 institue le service départemental d’aide sociale à l’enfance et la loi du 14 juillet 1905 institue l’assistance aux vieillards infirmes et incurables. Cette loi donne à tout français privé de ressources, incapable de subvenir par son travail aux nécessités d’existence, âgé de plus de 70 ans ou ayant une maladie incurable, d’être accueilli gratuitement dans les hôpitaux ou les hospices.

L'assistance aux nécessiteux au 19ème siècle et au début du 20ème siècle

En matière d’assurance vieillesse, la loi du 5 avril 1910, dont l’application a été limitée, institue un régime d’assurance obligatoire pour les salariés du commerce et de l’industrie.

Deux autres lois en 1913 viennent parachever cet ensemble : celle du 17 juin sur les femmes en couche et celle du 14 juillet sur les familles nombreuses. En effet la taille des familles se réduisant de plus en plus (les familles de quatre enfants et plus représentent 19.8 % des familles en 1901 en France ;Elles sont encore 18.6 % en 1911, seulement 11.5 % en 1926) il devient nécessaire de soutenir les familles françaises et de les inciter à avoir une nombreuse progéniture.

 

L'assistance aux nécessiteux au 19ème siècle et au début du 20ème siècle

L’article 1 de la loi du 14 juillet 1913 stipule que « l’assistance aux familles nombreuses constitue un service obligatoire pour les départements, avec la participation des communes et de l’Etat ».

L’article 2 précise que « tout chef de famille, de nationalité française, ayant à sa charge plus de 3 enfants légitimes ou reconnus, et dont les ressources sont insuffisantes pour les élever, reçoit une allocation annuelle par enfant de moins de 13 ans, au-delà du troisième enfant de moins de 13 ans. » S’y ajoutent les enfants de 13 à 16 ans en apprentissage.

Les lois du 5 avril 1928 et du 30 avril 1930 instituent pour les salariés titulaires d’un contrat de travail une assurance pour les risques maladie, maternité, invalidité, vieillesse et décès et la loi du 30 avril 1928 un régime spécial pour les agriculteurs

 

EN PRATIQUE

Revenons à la loi de 1893 : elle donne préférence à l’assistance (ou secours) à domicile pour des raisons d’économie, de morale (éviter la perte du lien avec la famille, éviter le contact avec la lie de la société – l’hôpital est encore à cette époque un lieu d’enfermement - ) et d’hygiène mais ouvre dans le même temps l’accès à l’hôpital aux ressortissants de 30 000 communes qui en étaient privés jusque-là.

L’hôpital reste encore un endroit dont on se méfie et que l’on évite si cela est possible.

Les subventions sont calculées d’après des barèmes fixes.

En 1895, seuls 47 départements ont organisé les services d’assistance ; en 1903, 3 départements sont encore réfractaires.

Cette assistance varie également en fonction des départements : au début du 20ème siècle une dizaine de département inscrivait plus de 8% de leur population et jusqu’au 20% tandis que d’autres moins de 2.5%.

Malgré cela, en moins de 20 ans le nombre de soignés augmentent considérablement sr l’ensemble de la France :

 L'assistance aux nécessiteux au 19ème siècle et au début du 20ème siècle

Quels pathologies sont soignés principalement ?

Des statistiques allant de mars 1903 à mars 1904 dressées pour l’hôpital St Pothin à Lyon donnent un aperçu des pathologies les plus courantes soignées par ce dispositif : sur 521 personnes venues et diagnostiqués comme malade : 44% souffrent de tuberculose, 14% de pathologie du système nerveux, 11% du tube digestif, 10% de rhumatisme et de maladie cardiaque, 2% de chlorose (grande pâleur).

 

Critiques de la loi du 14 juillet 1905 sur l’assistance aux vieillards infirmes et incurables

L'assistance aux nécessiteux au 19ème siècle et au début du 20ème siècle

Cette loi est décriée par certaines personnes comme Lucien Descaves, écrivain naturaliste et libertaire, journaliste et romancier, l’un des fondateurs de l’Académie Goncourt (1861-1949). IL écrit l’article suivant dans Le Journal du 26 juillet 1905 :

« Une loi débile », article de Lucien Descaves paru dans Le Journal du 26 juillet 1905

Je suis sûr que l’on étonnerait beaucoup de personnes, en France, en leur apprenant que, depuis le 13 juillet dernier, une loi nouvelle organise l’assistance obligatoire aux vieillards, aux infirmes et aux incurables indigents, par la contribution de la commune, du département et de l’État. Mais je suis également certain que, parmi les personnes renseignées, un plus grand nombre encore ignore les dispositions de détail relatives à cette loi de laquelle M. Mirman a eu raison de dire qu’elle est, après la loi sur la séparation et la loi sur le service de deux ans, la plus considérable de cette législature. Elle consacre, en effet, le principe du droit à l’assistance, c’est-à-dire à la vie, droit sacré proclamé par la Convention nationale qui fut impuissante à résoudre le problème pour avoir méconnu ce principe, savoir : que l’assistance publique est d’essence communale, et aussi la sagesse du précepte : qui trop embrasse, mal étreint.

Ce n’est point au Sénat ni à la Chambre que l’on peut adresser ce dernier reproche : ils ont limité le plus possible l’assistance qu’ils accordaient, et semblé remplir, j’ose le dire, moins un devoir social qu’un devoir électoral.

Que la loi modifiée par le Sénat et votée telle quelle par la Chambre en seconde délibération, que cette loi soit susceptible de développement et de retouches, à qui le dit-on ! Les conditions dans lesquelles elle est revenue devant nos députés ou plutôt quelques-uns de nos députés, ne pouvait guère laisser de doute sur le résultat final.

Ah ! ce fut une aimable séance que la séance du 12 juillet, où fut réglé le sort des vieillards, des infirmes et des incurables privés de ressources !

Le gouvernement n’était représenté que par le ministre de l’intérieur et par deux commissaires, M. Henri Monod, pour l’intérieur, M. Charles Laurent, pour les finances. Encore, l’un des deux était-il de trop, nous verrons pourquoi tout à l’heure.

Quant à la Chambre, c’est l’un des premiers orateurs inscrits, M. Aynard, qui va nous édifier sur son zèle et son assiduité.

« Mon intervention sera brève ; nous sommes si peu nombreux ce matin, que nous nous sentons en douce intimité ; nous sommes presque dans un salon et vous savez, Messieurs, combien il est peu civil, dans un salon, de prolonger les conversations. » (Sourires)

Ce n’est pas moi qui note les sourires, c’est le compte rendu officiel.

On causa donc, entre intimes, de choses et d’autres, par exemple des modifications apportées à l’article 1er du projet, par le Sénat, qui s’était tout de suite efforcé d’introduire un peu de gaieté dans une discussion aride.

En effet, examinant le texte de l’article en question, qui dispensait les vieillards âgés de soixante-dix ans de faire la preuve de leur invalidité, le rapporteur avait dit en s’élevant contre cette rédaction :

« Il suffit de regarder autour de nous pour être convaincu que l’âge de soixante-dix ans est, au contraire, une excitation, un rajeunissement pour un certain nombre de nos collègues. La vieillesse ne siège pas sur nos bancs, nous n’y connaissons par la sénilité ! » (Hilarité)

Et l’honorable M. Bérenger avait ajouté : « Le travail conserve ; c’est l’alcool qui tue. » Il m’a été agréable d’entendre, à la Chambre, M. Mirman protester, en pure perte, d’ailleurs, contre cette allégation. Il est fort possible que le travail, quand travail il y a, conserve MM. les sénateurs ; mais il est indubitable, en revanche, que l’alcoolisme n’est nullement indispensable pour user le corps des travailleurs qui atteignent soixante-dix ans en dépit d’un labeur acharné. Ce n’est pas seulement l’industrie textile qui permet de vérifier cette observation, elle s’étend à tous les corps de métiers. En outre, on eût pu répondre à M. Bérenger que l’alcool, quand il tue les gens, les tue bien avant qu’ils deviennent septuagénaires, ce qui suffirait, à la rigueur, pour infirmer l’argument.

  1. Jaurès a bien promis qu’on interpréterait la loi dans le sens le plus large et que de ses bénéfices ne seraient exclus que les vieillards, en nombre infime, il le reconnaît, qui ont gardé « une valeur de travail pour ainsi dire intacte ».

J’en accepte l’augure, mais tout de même un article proclamant le droit au repos pour les vieillards indigents qui ont peiné pendant cinquante-cinq ans et davantage, aurait fait bien mieux leur affaire, si ce n’est la mienne.

Sur un autre point, M. Mirman a été battu, et ne méritait pas de l’être. La Chambre avait admis le principe d’un avantage spécial en faveur des mères de famille, des femmes qui avaient eu, nourri et élevé un certain nombre d’enfants.

Peut-être, en effet, aux raisons que les sénateurs ont d’être merveilleusement conservés –travail, existence confortable, tout ce que vous voudrez,- convient-il d’ajouter l’exemption de la maternité, qui est particulièrement douloureuse pour les femmes du peuple. MM. les sénateurs ont des vacances. L’ouvrière n’en a pas, ni avant, ni après ses couches, un peu plus laborieuses, je présume, que l’enfantement des lois. Il semblait donc qu’une femme fatiguée par le travail et la maternité, double devoir social, eût droit à quelques égards, et la Chambre avait sagement proposé qu’on abaissât pour cette créature, proportionnellement au nombre des enfants élevés par elle, l’âge de soixante-dix ans, point de départ provisoire de la pension pour les vieillards.

Les sénateurs bien conservés n’ont pas partagé cette manière de voir. La situation de la mère de famille âgée et indigente ne les a pas touchés ; elle n’a pas eu de part dans leur sollicitude.

Le deuxième paragraphe de l’article premier spécifiant : « Tout enfant légitime ou non, ayant vécu plus de trois ans, donne droit à une réduction de six mois sur l’âge normal de la pension de vieillesse, au bénéfice de la mère, etc... », ce paragraphe a été effacé de la loi par le Sénat.

Vous me direz que six mois dans la vie d’une femme, et d’une femme du peuple, ça ne vaut pas la peine d’en parler. Au Sénat, peut-être... ; mais nous n’avons pas, ici, les mêmes raisons de nous abstenir. Au regard de nos législateurs, la femme a une infirmité bien plus fâcheuse pour elle que toutes celles qui résultent du travail, de la maternité et d’une vieillesse prématurée : elle ne vote pas.

Sur un troisième point, la séance du 6 juillet, à la Chambre, avait appelé mon attention.

Il s’agissait, cette fois, de l’article 20, fixant le taux de l’allocation mensuelle accordée aux ayants droit. J’avais écouté les explications très claires de M. Henri Monod évaluant à 8 francs par mois, pour chaque commune, le coût d’une existence de vieillard, soit 96 francs par an et 27 centimes par jour.

C’était là un chiffre minimum, théorique, susceptible de réduction si le bénéficiaire dispose de quelques ressources, mais qui ne saurait être augmenté puisque, lorsqu’on accordera la somme entière, on sera censé donner à l’indigent ce qui lui est nécessaire pour vivre.

Et je me disais : « C’est égal, avec 27 centimes par jour, on ne va pas loin... même à soixante-dix ans !»

Je savais bien que M. Monod avait naguère proposé un chiffre légèrement supérieur (10 francs par mois), abaissé à 8 francs par la Commission de la Chambre, sur l’intervention de M. Sarrien, et accepté par le gouvernement, puis par le Sénat en première délibération. Et je croyais qu’on s’en tiendrait là.

Je comptais sans M. Labiche, président de la Commission, qui amena le Sénat à revenir sur son vote et à substituer au minimum de 8 francs celui de 5 francs, soit 16 centimes par jour !

Seize centimes pour se nourrir, s’abriter, s’habiller, subvenir à tous les besoins, c’est maigre, même à soixante-dix ans, et je voudrais bien que M. Labiche fût réduit, pendant seulement un mois, à cette ressource plus que modique ! Elle est, paraît-il, suffisante pour les vieillards de son département.

Heureux vieillards ! Heureux département ! Je ne veux pas dire lequel : il serait envahi.

Vous vous imaginez sans doute que le gouvernement résista à M. Labiche ? Oui, par l’organe de M. Monod ; mais aussitôt après, le commissaire représentant les finances et adversaire déterminé de la loi, se déclarait contre le relèvement du minimum que l’autre commissaire avait réclamé ! Admirable exemple d’anarchie gouvernementale, n’est-il pas vrai ?

Mon espérance me restait. La Chambre maintiendrait probablement la première disposition inscrite dans le projet de loi... Hélas ! C’est au Sénat qu’elle a donné gain de cause ! Le vieillard indigent, quand il aura acheté deux sous de pain, aura encore à sa disposition six centimes pour quelques (sic) chose dessus, se vêtir et se loger...

« Abolissez la mendicité qui déshonore un État libre », disait Saint-Just.

Avons-nous fait tant de chemin depuis 1792, qu’elle soit, je ne dis pas abolie, mais inexcusable ?

En réalité, oui, et ce chemin parcouru, on peut l’apprécier en lisant successivement, comme je viens de le faire, l’intéressante brochure de M. Ferdinand Dreyfus : l’Assistance sous la Législative et la Convention et deux autres brochures datées de 1889 et de 1900, dans lesquelles M. Henri Monod exposait le plan méthodique d’une organisation de l’assistance publique en France.

Grâce à ses efforts, dans une bonne mesure, son programme est à peu près réalisé.

Les enfants, les malades, les vieillards et les incurables, sont respectivement secourus par les lois du 24 juillet 1889, prononçant la déchéance des parents indignes ; des 27 et 28 juin 1904, sur les enfants assistés ; du 15 juillet 1893, sur l’assistance médicale gratuite, et du 14 juillet 1905, enfin, qui donne le strict (oh ! oui !) nécessaire aux vieillards, infirmes et incurables, dénués de ressources.

Cette dernière loi est, de toutes, la plus débile. Si encore nous étions sûrs qu’elle se fortifiera dans la pratique et que les 70 millions environ qu’elle coûtera ne seront pas détournés de leur objet !...

 

Sources

La III° République et la solidarité : la socialisation de l'infirmité

La médecine gratuite au XIXe siècle : de la charité à l'assistance d’Olivier Faure

La médecine de bienfaisance et d'assistance dans le Pas-de-Calais, 1856-1914 de Jean Pierre Beyt

Bureau et maisons de charité : l'assistance à domicile aux « pauvres malades » dans le cade des paroisses toulousaines (1687-1797) de Josseline Guyader

La vie ouvrière à Lille sous le second Empire de Pierre Pierrard

De l’inégalité sociale dans une grande ville industrielle, le drame de Lille 1850-1914 de Félix-Paul Codaccioni

Charité municipale et autorité publique au XVIe siècle : l'exemple de Lille de Robert Saint Cyr Duplessis

La vie à Lille, de 1667 à 1789, d'après le cours de M. de Saint-Léger d’Aristote Crapet

 

 

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L'habitat prolétaire lillois (2) : les caves

13 Août 2016 , Rédigé par srose

 

Cet article fait suite au précédent relatif aux courées, cours et courettes de Lille. Les ouvriers et leur famille parmi les plus indigents de la ville ne trouvaient pas toujours à se loger dans des logements 'classiques" dirons nous. Certains n'avaient que des caves pour se loger ...

 

L’habitation n’est bien sûr pas la vocation première des caves mais c’est devenu un palliatif durable et non exceptionnel à un manque de place récurrent ; ainsi en 1618, « Philippe le Bas, chargé de ferme et enffans, quil demeure a present au chelier au dessoubz de la maison Philippe Cherbault boullenghier » (A.M.L.,725,registre aux visitations de maisons 16118-1623, f°8 r°).

 

Déjà en 1677 les échevins sont obligés d'édicter une « deffense a toutes personnes d’habiter dans aucunes caves de cette ville et aussy dans les petites caves ».

 

Et pourtant … en 1740, 1267 caves sont habitées !

 

En 1743, 7077 chefs de famille indigentes habitent dans plus des 2/3 des cas dans des logements insalubres (38% dans des cours, 10% dans des caves et 24% dans une seule pièce).

 

Il a fallu faire quelques aménagements extérieurs pour pouvoir aller dans les caves directement par les rues : d’où la construction de burguets (escaliers qui s'ouvrent directement sur la chaussée, protégés par une porte).

 

L'habitat prolétaire lillois (2) : les caves

burguet rue d'Arras à Lille

L'habitat prolétaire lillois (2) : les caves

burguet à Lille

L'habitat prolétaire lillois (2) : les caves

burguet à Douai

 

Ces caves n’ont aucun élément de confort : aucun évier, aucun éclairage ou chauffage, pas de fenêtres ouvertes.

 

En 1785, un médecin est appelé au chevet d’une famille résidant dans la cave du 178 de la rue des chats bossus à Lille et y découvre un couple avec 6 enfants dans un état sanitaire effroyable qui ont failli périr étouffés par la fumée d’un feu en l’absence de cheminée.

 L'habitat prolétaire lillois (2) : les caves

rue des chats bossus à Lille

 

Victor Hugo en témoignera dans la Légende des Siècles après l'enquête parlementaire à laquelle il participa sur les conditions de logement de la classe ouvrière à Lille : « Caves de Lille, on meurt sous vos plafonds de pierre ».

 

L'habitat prolétaire lillois (2) : les caves

 

Quelques jours avant le passage de Victor Hugo et de la commission d’enquête, Alphonse Bianchi, homme politique et journaliste du 19ème siècle, décrit les caves qu’il a visitées :

« Les caves ont une ouverture qui sert de porte, donnant sur la rue : cette ouverture est étroite et il est difficile souvent que deux personnes y passent de front. Quelques-unes de ces habitations ont une lucarne placée à ras de terre, lucarne toujours étroite. Les caves sont souvent inondées. On y descend par un escalier de pierre d’une dizaine de marches. Le sol est pavé ou carrelé jamais planchéié. La voûte est en pierre complètement dépourvue de plafond. Ans la plupart des cas il y a une latrine qu’il faut vider de temps à autre et un chemin quand ce n’est pas un trou fait dans la voûte. De 6 à 8 personnes occupent ces réduits. Les familles qui y sont parquées sont étiolées, rachitiques, scrofuleuses. Souvent les habitants ont les jambes torses ou sont estropiées. La nuit, toutes les issues sont fermées de façon que l’air n’y pénètre plus. Qu’on ajoute à cela les couchettes où la paille pourrie joue le principal rôle les miasmes qui s’échappent des latrines et l’on aura une idée affaiblie encore des caves d’habitation de la ville de Lille »

 

Les notes de Victor Hugo prises le 10 février 1851 lors du passage d’une enquête parlementaire destinée à constater sur place les conditions de logement des ouvriers de l’industrie textile décrites par Blanqui confirment le rapport de ce dernier. Il est horrifié par ce qu’il découvre : chaque famille vit et travaille à domicile dans des conditions épouvantables, entassée dans des caves insalubres :

« cour à l’Eau, n°2 – cave – une vieille – un enfant près d’un poêle sur un révchaud – 4 petits enfants – la mère et la fille dentelière gaganent 10 sous par jour – 3 pains par quinzaine. Cave de 5 pieds à la partie la plus haute – au fond deux lits (quels lits !) : indescriptible – impossible de s’y tenir debout – dans un une petite fille de 6 ans preqque nue, malade de la rougeole – près de l’enafn un tas de cendre dans un coin (ramassent la cendre pour vendre) – odeur telle que NB (Napolépon Bonaparte, c’est-à-dire Pierre Bonaparte frère de Lucien, député montagnard de la corse il fait partie de la commission d’enquête) n’a pu descendre : est remonté asphixié ».

 

« cour Ghâ. Cave – 4 marches – 2 mètres et ½ de hauteur de plafond – étroit 4petits enfants – plus le père et la mère – les enfants suels – l’ainée berçant le plus petit qui pleure – elle a 7 ans on lui en donnerait 5 – sol humide – flaques d’eau entre les careeaux »

 

A son retour, Victor Hugo rédigera pour l’Assemblée un discours, relatant avec force détails sa visite. Ce discours, il ne le prononcera pas, mais il l’utilisera plus tard pour un poème de Châtiments, "Joyeuse vie".

Ci dessous ce discours :

 

L'habitat prolétaire lillois (2) : les caves

L'habitat prolétaire lillois (2) : les caves

L'habitat prolétaire lillois (2) : les caves

L'habitat prolétaire lillois (2) : les caves

L'habitat prolétaire lillois (2) : les caves

L'habitat prolétaire lillois (2) : les caves

L'habitat prolétaire lillois (2) : les caves

L'habitat prolétaire lillois (2) : les caves

L'habitat prolétaire lillois (2) : les caves

L'habitat prolétaire lillois (2) : les caves

L'habitat prolétaire lillois (2) : les caves

L'habitat prolétaire lillois (2) : les caves

 

Quel impact a le logement sur la mortalité ?

A Wazemmes au 19ème siècle, 70% des ouvriers des deux sexes meurent avant 40 ans.

Le taux de mortalité est plus important dans les cours ; en 1854 alors que la moyenne lilloise est de 34 décès pour 1000 habitants, la moyenne du 1er arrondissement est de 30 dans les rues, 42 dans les cours ; la moyenne du 3ème arrondissement (en gros St Sauveur) est de 36 dans les rues et 55 dans les cours...

 

 

Sources

http://ancovart.lille.free.fr/spip.php?article74

http://www.editionsquartmonde.org/rqm/document.php?id=4432

http://lillesaintsauveur.blogspot.fr/2014/11/saint-sauveur-mode-demploi.html

Habitat ouvrier et démographie à Lille au 19ème siècle sous le second empire de Pierre Pierrard

Cours, courées et corons de Philippe Guignet

Les caves médiévales de Lille de Jean Denis Clabaut

http://www.lilledantan.com/index.html

Les courées de Roubaix de Jacques Prouvost

http://www.nicolasbouleau.eu/wp-content/uploads/2015/03/Lenvers-de-la-ville.pdf

http://www.ina.fr/video/CAB97007131 = reportage de 2mn sur les courées

 

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Latrines scolaires

4 Août 2016 , Rédigé par srose

En lisant le livre de Roger Henri Guerrand, "Les lieux - histoire des commodités", j'ai appris pourquoi les toilettes des écoles et même au collège d'ailleurs avaient des portes ouvertes en haut et en bas ; c'est assez édifiant.

En fait les latrines avaient mauvaises réputations car les élèves croyant échapper à la surveillance des maîtres, s'abandonnaient dans ces lieux à des habitudes que la morale et l'hygiène réprouvent, aux dires des têtes bien pensantes de l'époque. Nous sommes en plein dans la période pudibonde à l'extrême dont l'objectif principal est de lutter contre les pratiques masturbatoires en tout genre.

L'idée donc de ces portes coupées en haut et en bas était de pouvoir voir la tête et les pieds de l'enfant pour le surveiller et lui faire comprendre que des pratiques "honteuses" seraient de suite visibles par le surveillant.

D'un autre côté il fallait du courage pour y rester ne serait ce qu'une minute tellement les wc des écoles étaient repoussantes. En 1867 le rapport du Dr Vernois qui a visité la presque totalité des lycées de France soit 77, concluait que dans 54 établissements les lieux d'aisance exhalaient des odeurs infectes.

En 1864 un rapport présenté par la Commission des logements insalubres au préfet de la Seine sur l'état des établissements scolaires libres et communaux précise que sur 1403 écoles visitées, 855,  soit 62% laissaient à désirer quant à l'hygiène. Dans certains externats privés, il n'y avait même pas de lieu d'aisance. Dans d'autres un sceau hygiénique en tenait lieu, souvent commun avec les locataires de la maison abritant l'école.

Le nombre de cabinets par rapport à celui des élèves est un problème aussi que le ministère de l'Instruction publique résoudra en 1882 : "toute école devra être munie de privés à raison de 2 cabinets par classe dans les écoles de garçons et de 3 dans les école de filles. Un cabinet sera réservé pour les maîtres."

Sources
Et les privés ? Les cabinets en milieu scolaire au XIXème siècle de Marie Ange Fougère
Les lieux - histoire des commodités de Roger Henri Guerrand

  

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Histoire de wc, latrines et autres lieux d'aisance

1 Août 2016 , Rédigé par srose

 

S’intéresser à nos aïeux implique nécessairement de se poser des questions assez triviales.

 

Nous vivons dans un confort dont nous n’avons pas du tout conscience. Les toilettes par exemple ; cela semble tellement évident d’aller aux toilettes quand on en a envie. Evident d’utiliser un endroit spécifiquement dédié à cela, à l’abri des regards, propre, avec tout le confort moderne.

Mais avant ? Comment ça se passait-il ? On imagine aisément que le confort que nous connaissons n’existait pas mais concrètement comment nos ancêtres s’y prenaient-ils pour satisfaire leurs besoins naturels ?

 

Il n’existe pas sous l’Ancien Régime de pièce réservé à cet usage et encore moins de système organisé de collecte et d’évacuation des excréments.

Concrètement, les personnes, chez elles, utilisaient souvent des pots de chambre (pour les moins riches, n’importe quel récipient en terre vernissée, en faïence ou en étain, ou dehors ou même la cheminée). Ces pots étaient parfois fermés et surmontés d'un siège percé plus confortable, vidés par les domestiques[ dans les rues avec les ordures ce qui n’est pas sans conséquences fâcheuses.

 

Histoire de wc, latrines et autres lieux d'aisance

La ville d’Angers par exemple connaît au 14ème siècle de « graves inconvénients de peste et de mortalité qui souvent ont affligé cette ville à l’occasion de ce que plusieurs manants et habitants en icelle n’ont nul retrait en leur maison et font mettre et jeter sur le pavé de soir et de nuit dégoûtantes et abominables immondices dont la ville est fort infestée ».

 

Histoire de wc, latrines et autres lieux d'aisance

A la fin du 17è siècle, un vase de nuit un peu spécial fait son apparition : le bourdaloue : il s’agit d’un vase de nuit de forme ovale pour s’adapter à la morphologie féminine, petit, sur le fond duquel est peint un œil entouré parfois de légendes grivoises ; ce pot se fabriquait en divers matériau en verre, en étain ou en cuivre, plus léger pour le voyage. Louis XIV en possédait en argent gravé aux armes de la France.

 

Histoire de wc, latrines et autres lieux d'aisance  1831, Versailles

Pourquoi bourdaloue ? A priori ce nom provient de Louis Bourdaloue (1632-1704), considéré comme étant de l'un des pères jésuites les plus illustres du règne de Louis XIV. Surnommé de son vivant « le roi des prédicateurs et le prédicateur des rois », Bourdaloue était un excellent orateur qui passionna la Cour et le tout Paris avec ses sermons éclairés. Et pour ne pas perdre une miette de ses prêches, les femmes venaient à la messe avec un pot de chambre qu'elles plaçaient sous leurs robes à panier. C'est ainsi qu'il se serait baptisé « bourdaloue ».

 

Revenons à nos chaises percées, plus pratiques donc et plus « conviviales » que les pots de chambres classiques. De nombreux euphémismes sont utilisés selon les époques (pudiques ou moins pudiques) pour désigner la chaise percée : « French courtesy » en Angleterre, « chaise d'affaires », « chayère de retrait », « commodité », « secret », « selle» («aller à la selle ») ou « chaise nécessaire » en France. La garde-robe étant l'endroit où l'on plaçait généralement la chaise percée, « aller à la garde-robe » a fini par signifier « aller à la chaise percée ».

 

Histoire de wc, latrines et autres lieux d'aisance  chaise percée rustique

Ce sont des meubles en bois brut pour le commun des mortels, beaucoup plus luxueux pour la noblesse ou la bourgeoisie aisée. Ils sont, pour eux, le plus souvent recouverts de velours, rembourrés de foin, de crin ou de duvet, avec un bassin en faïence ou en argent et parfois ce meuble possède un guéridon pour lire ou écrire. N’oublions pas qu’à cette époque recevoir sur sa chaise percée était à la mode même si cela pouvait rebuter certains. Le bouffon de Louis XIII aurait d’ailleurs dit à son maître un jour : « il y a deux choses à votre métier dont je ne me pourrais accommoder : de manger seul et de chier en compagnie » …

 

Histoire de wc, latrines et autres lieux d'aisance  1769, Versailles

 

A ce propos, d'après l'historien Hans Peter Duerr, le fait d'utiliser une chaise percée en public serait une marque de puissance : « Il s'agissait, en fait, d'une forme moderne d'affirmation de sa puissance, destinée à montrer à son hôte le peu de cas que l'on faisait de lui ». 

 

Isabeau de Bavière en 1389 avait une chaise percée garnie de velours bleu ; et comme la reine avait l’habitude de l’emporter avec elle quand elle se déplaçait, on l’enfermait dans une gaine de « cuir de vache, garnie et estoffée de courroies de cuir et de crocs de fer ».

 

Louis XI (15ème siècle), pudique, disposait d’une chaire de retrait entourée de rideaux. Il utilisait également de l’étoupe de lin en guise de papiers hygiénique.

 

La cheminée est également un endroit prisé pour se soulager, que l’on soit noble ou manant. Envie pressante oblige !

 

Une fois les besoins effectués, qu’en fait-on ?

Des systèmes de fosse existaient mais cela reste peu fréquent sous l’Ancien Régime et même après d’ailleurs. Le mot d’ordre reste en effet de jeter tout dans la rue. Les châteaux et monastères semblent plus en avance sur leur temps puisqu’il existait des endroits spécifiques pour se soulager, le tout tombant dans le vide ou si possible dans un ruisseau.

 

Histoire de wc, latrines et autres lieux d'aisance  latrine du château de Peyrepertuse

 

Il est à noter que cette promiscuité avec l’excrément en fait un sujet de littérature relativement fréquent. Pour preuve ce titre qui se suffit à lui-même : « La farce nouvelle et joyeuse du pet » (16è siècle) ; de même Rabelais et son Gargantua, Montaigne dans ses Essais et même Luther dans « Propos de table » ne se privent pas d’écrire sur le sujet.

 

Pire, les médecins croyaient aux vertus thérapeutiques des excréments. Même Luther nous rappelle que Dieu a mis dans la fiente de truie le pouvoir d’arrêter le sang, dans la fiente de cheval de guérir de la pleurésie et dans la fiente d’homme de soigner les blessures et les pustules noires.

 

Bref, de manière générale, pisser ou déféquer directement dans les rues, en public, dirons-nous car ils ne se cachaient pas nécessairement, est courant sous l’Ancien Régime qui n’est guère pudique, même si cela ne plaisait pas à tout le monde. Ainsi La Rochefoucauld au 17ème siècle se dit choqué par les mœurs anglaises, notamment par les pots de chambre près de la table que les gens utilisaient même pendant le repas, à la vue de tous…

 

Quid des latrines publiques ?

Elles existaient mais étaient très rudimentaires : ce sont des bancs percés de trous, au-dessus d'une large fosse, le tout dans une cabane.

On préfère se soulager dans la rue dès qu’on a envie car se retenir n’est pas bon pour la santé d’après la science médicale de l’époque.

 

Histoire de wc, latrines et autres lieux d'aisance

Ceci étant cette liberté de se soulager n’importe où et n’importe comment n’est quand même pas du goût de tout le monde et déjà au 16ème siècle des manuels recommandent de rester discret : Erasme le premier nous explique dans son de « Civilitate morum puerilium » qu’ « il est mauvais pour la santé de retenir son urine  et honnête de la rendre en secret. Certains recommandent aux jeunes gens de retenir un vent en serrant les fesses. Et bien il est mal d’attraper une maladie en voulant être poli. Si l’on peut sortir, il faut le faire à l’écart ; sinon il faut suivre un vieux précepte : cacher le bruit par une toux ».

 

De la discrétion en public comme en privé

Bref on recherche un peu plus de discrétion dans l’art de déféquer et d’uriner : chez soi, on va se soulager dans un lieu choisi : au dernier étage (les déchets s’écoulant dans un tuyau donnant directement dans la rue ou plus rarement dans une fosse sous la maison) ou au fond du jardin. Voire même un lieu attenant à la cuisine, lieu quelque peu dévalorisé à l’époque.

 

Le médecin Louis Savot au début du règne de louis XIII affirme en effet que « le siège et ouverture des privés sera au galetas d’autant que s’il était plus bas la puanteur se pourrait plus aisément répandre par le corps de logis : ce qui ne peut arriver sitôt quand ils sont situés aux lieux les plus hauts, le propre de l’odeur étant de gagner toujours le haut ».

 

Jean Jacques Bouchard qui alla de Paris à Rome en 1630 explique dans son livre « Confessions de J. J. Bouchard » qu’à Aix, Marseille et Arles, « il faut faire ses affaires sur les toits des maisons, ce qui empuantit fort les logis et même toute la ville, principalement lorsqu’il pleut ».

 

Mais quid de la collecte de nos excréments et autres déjections ? Les autorités commencent sérieusement à s’en préoccuper dès le 16ème siècle.

 

Le Parlement de Paris par exemple en 1533 exige des fosses fixes sous chaque maison. En 1585 à Bordeaux, ordre est donné aux propriétaires de maisons d’établir « fosses et retraits pour servir de latrines. Est défendu aux habitants de ladite ville et à tous autres de jeter dans les rues d’icelle par les fenêtres ou autres lieux, ordures, urine et autres eaux infectes et corrompues ».

 

Ces injonctions sont restées peu ou prou lettre morte …

 

Ainsi en En 1668 les commissaires du Châtelet déclare qu’en la plupart des quartiers, les "propriétaires des maisons se sont dispensés d’y faire des fosses et latrines quoiqu’ils aient logés dans aucune desdites maisons jusqu’à 20 et 25 familles ce qui cause en la plupart de si grandes puanteurs qu’il y a lieu d’en craindre des inconvénients fâcheux ».

 

Le « tout à la rue » reste à la mode.

 

Théoriquement, les immeubles construits au 18ème siècle sont équipés en moyenne de 2 cabinets ; un au rez de chaussée ou près de l’escalier, le second au dernier étage. Souvent la cuvette est béante, elle a été fabriquée en fonte ou en poterie et on la scelle sur une pipe en plomb ; sous Louis XV il y aura parfois un couvercle ; ces cuvettes sont reliées à la colonne de chausse.

 

Mais les architectes ne s’intéressent pas trop aux lieux d’aisance et pourtant certains d’entre eux ont compris l’intérêt de prêter une attention toute particulière à ces endroits intimes et à leur tuyauterie : Pierre Bullet, architecte de son état, précise par exemple en 1691 qu’il faut prendre grand soin des tuyaux de descente « car il n’y a rien de si subtil que la vapeur qui vient des matières et des urines, elle passe par la moindre petite ouverture et infecte les maisons ».

 

Et pourtant un siècle plus tard, Sébastien Mercier, écrivain des Lumières, explique que les tuyaux sont mis un peu au hasard, sont trop étroit et s’engorgent vite, les matières fécales s’approchant dangereusement du siège ; une fois les tuyaux crevés car surchargés, la maison est inondée.

 

Un architecte du 18ème siècle, Jean François Blondel, explique ce que doit être le cabinet idéal : équipé d’une sorte de bascule s’effaçant sous le poids des matières, ce qui évite toutes odeurs.

 

Mais tout le monde, même un siècle plus tard d’ailleurs, n’est pas équipé de ce dispositif ingénieux.

 

En attendant marcher dans les rues de Paris ou de toute autre ville de province relève de la gageure. Même au palais du Louvre où se croisent journellement des milliers de personnes, il faut faire attention où l’on met les bottes que ce soit dans les couloirs ou les escaliers.

 

Au Palais Royal en été, on ne sait où se reposer sans respirer l’odeur de l’urine croupie : les arbres qui en sont perpétuellement arrosés périssent presque tous (« Essai sur la propreté de Paris » par un citoyen français 1797).

 

Sébastien Mercier dans son Tableau de Paris au 18ème siècle nous apprend que le jardin des Tuileries a longtemps été « le rendez-vous des chieurs » qui profitait des haies d’ifs pour « soulager leurs besoins », si bien qu’une odeur infecte se dégageait des Tuileries

 

Histoire de wc, latrines et autres lieux d'aisance

Et que dire de Versailles ?

Denis Turmeau, comte de la Morandière, écrivain du 18è siècle, dans son ouvrage « Police sur les mendiants » nous précise que le parc, les jardins, le château même de Versailles font soulever le cœur par leurs mauvaises odeurs ; les passages de communication, les cours des bâtiments en ailes, les corridors sont remplis d’urine et de matière fécale.

 

A noter tout de même que Louis XVI fit installer dans le palais de Versailles une cuvette avec abattant à charnières, l’ensemble doté d’un mécanisme permettant de déverser de l’eau après utilisation ; on appelle cette cuvette « lieux à l’anglaise » (le précurseur de cette cuvette innovante est le poète anglais John Harington, filleul de la reine Elisabeth 1ère qui inventa en 1595 le mécanisme en question ; l’invention ne fut guère prisée par ses contemporains mais fut reprises avec plus de succès en 1775 avec Alexander Cummings, horloger écossais.

 

Mais manifestement cette cuvette à l’anglaise n’existait pas en nombre suffisant …

 

En tous les cas le progrès commence à arriver. Ainsi la famille Mozart au 18ème siècle, de passage à Paris, découvre un lieu d’aisance tout à fait inédit : « Avez-vous déjà entendu parler de cabinet d’aisance anglais ? - On en trouve ici dans presque tous les hôtels particuliers. Des deux côtés, il y a des conduites d’eau que l’on peut ouvrir après s’être exécuté ; l’une envoie l’eau vers le bas, l’autre, dont l’eau peut être chaude, l’envoie vers le haut. Je ne sais comment mieux vous expliquer cela avec des mots polis et bienséants, je vous laisse le soin d’imaginer le reste ou de me poser des questions lorsque je serai de retour. Ces cabinets sont en outre les plus beaux qu’on puisse imaginer. Généralement, les murs et le sol sont en majolique, à la hollandaise ; à certains endroits construits à cet usage, qui sont soit laqués en blanc, ou en marbre blanc ou même en albâtre, se trouvent les pots de chambre de la porcelaine la plus fine et dont le bord est doré, à d’autres endroits il y a des verres remplis d’eau agréablement parfumée et aussi de gros pots de porcelaine remplis d’herbes odorantes ; on y trouve aussi généralement un joli canapé, je pense pour le cas d’un évanouissement soudain. »

 

Ce cabinet reste bien sûr rare car le prix de l’eau est très élevé, et on doit donc précieusement l’économiser. Le commun des mortels continue donc à utiliser des pots de chambres et des chaises percées.

 

Des idées fusent ceci étant, pour permettre aux gens de se soulager proprement et discrètement : Monsieur Cadet de Gassicourt, pharmacien de son état, vit à Vienne un spectacle curieux au 18ème siècle : " Un usage fort bizarre consistait à entretenir la propreté dans les rues de Vienne. Quelques spéculateurs philanthropes avaient imaginé de se tenir près des places et des édifices publics, dans des lieux écartés, avec des seaux de bois couverts et un grand manteau. Le seau servait de siège, et le manteau, cerclé dans sa partie inférieure, s’éloignait assez du corps de celui qui le portrait, pour permettre au client de se débarrasser sans être vu des vêtements particuliers qu’il devait écarter ». La même chose se retrouve à la même époque en France moyennant 4 sous par « séance »

 

Revenons à la collecte et l’évacuation : des règles précises régissent la construction des fosses mais c’est tellement strict que de nombreux propriétaires préfèrent enfouir dans leur cave ou leur jardin d’énormes futailles destinées à leurs déchets organiques.

D’où fatalement un problème d’’infiltration dans les caves voisines surtout si la vidange n’est pas faite ou rarement faite. Les matières vont suinter et envahir la cave, remonter dans les tuyaux, s’insinuer jusque dans les puits …

 

Justement la vidange : comment cela se passait-il ?

Avant la vidange, la fosse doit rester ouverte pour que les gaz délétères se dissipent. Précisons que ce que l’on appelle alors la basse œuvre s’effectue de nuit obligatoirement.

Puis une échelle est plantée dans la fosse et un compagnon descend un seau par une corde qu’il remontera et videra dans la hotte d’un camarade lequel en déversera le contenu dans des tonneaux ; une fois fait les gadouarts comme on les appelle attaquent à la bêche et à la houe le « gratin », couche qui adhère fortement aux parois de la cuve. Les tonneaux sont ensuite transportées jusqu’aux voieries (à Paris il y en avait 3 : Montfaucon au pied des Buttes Chaumont, le faubourg St Germain et le faubourg St Marceau).

 

collecte des pots de chambre (début du 20è)

Histoire de wc, latrines et autres lieux d'aisance

 

Il est bien évident que rejeter tout ça dans la seine est interdit mais …

 

Des accidents arrivent assez fréquemment pendant les travaux de vidange, vu les conditions de travail : les ouvriers peuvent suffoquer sous les vapeurs sulfureuses, être atteints de cécité temporaire suite aux vapeurs d’ammoniaque …

Il est évident que pendant ce temps les habitants sont privés de toilettes et jettent le tout à la rue …

 

Si l’on regarde ce qui se passe à Lille : le 28 septembre 1730 une ordonnance fut promulguée par la municipalité de Lille :  les habitants se voient interdire de « jeter par les portes, fenêtres ou autrement aucunes ordures, immondices, cendres, lessives, feuilles de vignes, écorces de fruits , paille, gravois, terreaux, tuileaux, ardoises et toutes sortes de crons, raclure de cheminées, fumiers». ils devront mettre ces immondices ans les chariots dédiés à ca ; chariots qui d’après l’article 4 de ladite ordonnance, doivent être munis d’une « sonnette assez forte pour se faire entendre dans le fond des maisons pour avertir les habitants d’apporter leurs immondices".

 

Bien sûr cette ordonnance n’est pas ou peu respectée.

 

Au 19ème siècle, la situation n’a pas changé d’un iota

Un lecteur de la Gazette Municipale de Paris écrivait à son journal en précisant :

« Les parisiens transforment en urinoir tous les intervalles qui séparent les boutiques, tous les angles de portes cochères, toutes les bornes de rue, tous les arbres des promenades publiques ».

 

Au niveau public, il existe en 1819 au Palais Royal « des cabinets d’une propreté extrême, des glaces, une jolie femme au comptoir, des préposés plein de zèle, tout enchante les sens et le client donne 10, 20 fois plus que ce qu’on ne lui demande ».

Ce lieu paradisiaque est bien sûr une exception dans le paysage urbain. Car s’il existe en effet depuis peu des latrines publiques un peu moins rustiques qu’auparavant, elles n’en restent pas moins insalubres.

 

Les toutes premières vespasiennes apparurent en 1841. Il s’agit de colonnes à double usage : urinoir et affichage publicitaire qui sont édifiées sur les boulevards parisiens. On appellera ce nouveau mobilier urbain «colonne rambuteau » du nom du préfet qui en ordonna la mise en place.

 exemples de colonnes rambuteau :

Histoire de wc, latrines et autres lieux d'aisance     

 

Histoire de wc, latrines et autres lieux d'aisance

 

La province aura aussi ses vespasiennes mais plus tardivement et avec moins de succès : à Lille par exemple, au milieu du 19è siècle, des urinoirs sont installés contre le théâtre : 18 stalles exposés au soleil, sans entretien et exhalant d’épouvantables odeurs, l’urine s’écoulant directement dans le caniveau ; les Lilllois, peu habitués à cela, appelleront cette manière de faire « pisser à l’mode de Paris »

Toutefois notons que la pudeur de l’époque souffre de ces édicules où l’on peut voir ce qui s’y fait et où il s’y passe des choses peu respectables…

 

En matière de vidange des fosses, le 19ème siècle ne connaitra pas de profonds changements : on n’utilise plus de seaux, certes, mais une pompe. Le travail se fait toujours de nuit.

Le transport s’effectue toujours au moyen de tinettes. Chaque charrette contient 32 tinettes faisant un vacarme considérable du fait des cahots et durant le parcours, les bouchons recouvrant les tinettes sautent fréquemment permettant aux matières de se répandre sur la voie publique.

Les charrettes, aux dires des contemporains, ébranlent les maisons riveraines, dégradent les trottoirs et causent la rupture des conduites d’eau.

Destination Montfaucon toujours, gigantesque fosse à ciel ouvert dans lequel les matières y séjournent sans que personne ne s’en préoccupe guère, une partie s’engageant dans les tuyaux qui conduisent à l’égout latéral au canal St Martin et qui viennent se mélanger aux eaux de la Seine, une autre partie s’infiltrant dans le sol et se répandant dans les puits du faubourg du temple, causant de multiples infections et épidémies en tout genre.

N'oublions pas toutefois que ces fosses servent à fabriquer de l'engrais humain : la poudrette.  

Pour faire la poudrette, on construit des bassins peu profonds en pierre ou en argile, on les dispose en étages, de manière à ce qu'ils puissent s'écouler les uns dans les autres. Le produit des fosses étant déposé dans les bassins supérieurs on fait écouler la partie liquide dans ce qui est immédiatement inférieur, aussitôt que les matières solides se sont déposées; on opère de même pour le second bassin, dont les liquides se versent plus tard dans le troisième, et ainsi de suite. Les dernières eaux se perdent dans des égouts . C'est par ce procédé que l'on finit par n'avoir dans chaque bassin que des matières pâteuses que l'on extrait avec des dragues, pour les placer sur un terrain en dos d'âne, où, à mesure qu'elles se sèchent, on les retourne à la pelle. 

 

Voici la description que fait J .B. DUVERGER de la voierie de Montfaucon en 1834 dans "Nouveau tableau de Paris au XIX siècle" :

« Montfaucon s’appuie sur Les buttes Saint Chaumont, au dessous de Belleville ; il forme un vaste plateau qui comprend plusieurs bassins, Les séchoirs de poudrette et Le clos d’équarrissage… Sur cet immense foyer fermentent pêle-mêle des graisses en ébullition, des chairs et des intestins putréfiés, des masses de sang, des lacs d’urine et d’eaux ménagères, plus de cinquante mille mètres de matières desséchées dont le soleil, ainsi que la pluie, raniment L’ardeur toujours renaissante. Des miasmes impurs s’élancent du cratère à large bouche et se promènent au grès des vents, sur la Villette, la Chapelle ou Belleville, retombent et s’appesantissent sur Paris, portant L’infection jusqu’au delà des boulevards. Les bassins sont étagés et descendent graduellement jusqu’à la petite Villette, dont ils ne sont séparés que par une faible digue de dix pieds d’élévation. Malheur à la petite Villette si des malveillants s’avisaient de rompre la digue. Un long repos donne le temps aux matières en suspension de se précipiter ; elles donnent alors un engrais que Les agronomes regardent comme Le meilleur (La poudrette). Toutes les nuits, une partie des eaux est rejetée dans un conduit de plomb qui, de l’ancienne route de Meaux, les reporte à l’égout latéral du Canal Saint Martin, et, de là, à la rivière, à la hauteur du pont d’Austerlitz… »

Histoire de wc, latrines et autres lieux d'aisance

 

Au niveau privé les appartements bourgeois s’organisent désormais en un espace privé (les chambres) et un espace public (le salon et la salle à manger), plus un espace de rejet (la cuisine et les lieux d’aisance).

La cuisine est en effet rejetée à l’extrémité des appartements, devenant un repaire de mouches et de saleté auprès duquel peut dans problème être installés les cabinets d’aisance : la vague hygiéniste n’a pas encore frappé.

Notons l’existence un peu plus fréquente, mais néanmoins bien insuffisante, des gardes robes hydrauliques ou water closet, invention purement anglaise. Cela reste marginal, le commun des mortels devant se contenter de lieux infects recouverts d’«ordures pétrifiées » ou liquides, les débordements étant fréquents ; ces lieux n’avaient pas de couvercle, les sièges étaient souillés, les murs salpêtrés ; quant aux bourgeois ils préfèrent malgré tout l’ancien matériel (pot de chambre ou chaise percée) puisqu’ils disposent du personnel pour l’entretenir.

 

Qu’en est-il en province à cette époque ? A Lille, le privilège de la vidange des fosses revenait aux bernatiers ou berneux qui avant 8h du matin parcouraient la ville en traînant une charrette sur laquelle trônaient des tonneaux de cuivre et criaient « 4 sous pour un tonniau » ; ils revendaient le purin humain aux cultivateurs de Lille et de la banlieue pour être utilisé en engrais.

 

Certains maraichers se ravitaillaient directement en ville, leurs charrettes transportant les légumes à l’avant et le tonneau à l’arrière.

A Moissac dans le 82, des observateurs nous expliquent que la ville est constituée d’un lacis de petite rues, passages et culs de sac encombrés de fumier et de décombres de toute sortes ; à chaque angle de rue on bute sur des dépôts de matière fécale.

A Pamiers dans le 09, le Dr Allaux précise en 1866 que « la majorité des maisons étant dépourvues de latrines les matières fécales sont délayées et répandues dans les ruisseaux ; le sang et les débris de porc égorgés dans les maisons particulières faute d’abattoirs portent le mal à son comble et viennent augmenter les causes d’infection »

 

Fin du 19ème siècle et la vague hygiéniste

Les hygiénistes de la fin du XIXème siècle grâce notamment aux travaux de Pasteur, déplorent que de nombreuses maisons n’aient pas l’eau courante. Et encore moins de de cabinet en nombre suffisant.

Ainsi le témoignage de René Michaud, ouvrier parisien né en 1900 ; il habitait rue Bertheau. Dans son immeuble, les 60 habitants disposent d’un seul cabinet au fond du corridor d’entrée. «La porte à peine entrouverte l’odeur s’engouffrait dans les logements se mêlant aux odeurs de cuisine, aux remugles de lessive chaude, de charbon gras, et d’urine empestant ces réduits où s’entassaient des familles faméliques proliférant d’abondance ».

N’oublions pas que les propriétaires étant soucieux d’économiser le prix de la vidange (8 francs en moyenne par m3 de matière en 1875) ils interdisaient l’utilisation d’eau dans les cabinets ce qui permettait de retarder la vidange.

Et que dire des terrains vagues que l’on rencontre à Paris et sa banlieue, squattées par des miséreux chassés par le prix des loyers et les démolitions de bâtiments : des masures sans hygiène, des ruelles sans trottoirs, des constructions insalubres.

 

Dans de tels milieux les épidémies se répandent facilement.

En 1873, 869 victimes de la fièvre typhoïde, 3352 personnes en 1882

En 1886, 986 décès du choléra à Paris

En 1896, 906 personnes mortes du choléra à Paris

Etudiant les causes des épidémies, on note l’incurie et la négligence des compagnies fermières des eaux qui distribuent fort cher un liquide impropre à la consommation.

 

Les logements insalubres en province ne sont pas en reste.

A Nancy par exemple, au recensement de 1886, 79 071 individus. Les petits logements sont constituées de 2 pièces maximum et dans chacune couchent une moyenne de 3 personnes ; l’alimentation en eau est presque exclusivement assurée par des bornes fontaines publiques, les latrines sont au fond des cours mais pas en nombre suffisant (8 cabinets pour 110 logements par exemple).

 

Histoire de wc, latrines et autres lieux d'aisance

Pendant que nos ancêtres font comme ils peuvent, la bataille fait rage entre les tenants des wc à chasse d’eau (ça gaspille de l’eau et ça pourrait a priori entrainer la syphilis du fait de lunettes mal nettoyées) et les wc à la turque plus pragmatique et a priori plus hygiénique (qui plus est l’équilibre instable de la position accroupie ne permet pas de rester longtemps et n’incite donc pas aux mauvaises pensées…).

 

N’oublions pas en effet que nous sommes en plein à l’époque de la campagne antimasturbatoire et le simple effleurement de certains organes peut conduire aux plus graves désordres …

Cette pudibonderie excessive implique que s’essuyer n’est pas de rigueur. Seul un certain Dr Richard aurait évoqué le papier en 1881 dans son traité d’hygiène appliqué : « dans tous les cabinets d’aisance il est indispensable qu’il se trouve une boite renfermant le papier nécessaire au visiteur pour s’essuyer ; sans cette précaution, la propreté des parois n’est pas respecté et le linge devient rapidement d’une saleté repoussante ».

 

Notons que le papier hygiénique a été inventé par Joseph Cayetty en 1857 aux usa ; il ne s’imposera que tardivement en France ne serait-ce que par ce que le papier journal est pas mal aussi !

 Histoire de wc, latrines et autres lieux d'aisance  papier hygiénique, 1960

En 1883 le docteur Napias recommande que chaque logement, aussi révolutionnaire soit cette idée, puisse être équipé de wc. Cette idée fit son chemin en partie du moins puisque les autorités administratives, dix ans plus tard, exigèrent que « dans toute maison à construire il devra y avoir un cabinet par appartement, par logement ou par série de 3 chambres louées séparément ; lesdits cabinets seront munis d’un réservoir à eau ».

 

Quid maintenant de la collecte des eaux usées ? Le tout à l’égout n’est pas encore généralisé à cette époque. A Toulon par exemple en 1894 le « tout à la rue » est toujours le mode de vidange à la mode.

 

Le tout à l’égout fait en effet peur car on s’imagine des ruisseaux fétides s’écoulant devant les maisons et les industriels craignent de ne plus pouvoir utiliser cet engrais si précieux.

 

En 1852 un décret rend obligatoire à Paris le raccordement à l’égout des eaux ménagères des constructions nouvelles et laisse 10 ans aux constructions anciennes pour faire de même mais la portée de cette décision est limitée car elle ne peut être appliquée qu’aux rues disposant d’un égout.

 

Ce n’est qu’une loi de 1894 qui imposera dans un délai de trois ans, le système du tout-à-l'égout à tous les propriétaires de Paris (ce sera généralisé plus tard) sous peine de sanction financières.

Notons que les égouts sont encore fort peu nombreux au début du 19ème siècle : moins de 50 kilomètres contre 26 km en 1715 alors qu’à la fin du 19ème siècle, on en sera à 600 km.

 

Ce ne fut quand même pas un succès franc car en 1960, 12 % seulement des Français sont reliés au tout-à-l'égout.

 

 

Sources

La vie quotidienne au Moyen Age de Jean Verdon

Vivre à Lille sous l’Ancien Régime de Philippe Guignet

Les lieux de Roger Henri Guerrand

Quartier Est au 19ème siècle

Faire caca à Paris au 18ème siècle

Les latrines au Moyen Age

Mozart W.A. Correspondance, tome I à VI. Edition de la Fondation Internationale Mozarteum Salzbourg, réunie et annotée par W. A. Bauer, O.E. Deutsch et J.H. Eibl. Edition française et traduction de l’allemand par Geneviève Geffray.

 

 

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Les Invalides

27 Février 2016 , Rédigé par srose Publié dans #estropiés, #hôpital, #Invalides, #soldats

 

Cour d'honneur de l'Hôtel des Invalides

 

Que faire des milliers d'anciens soldats estropiés par les guerres et de ce fait réduits à la mendicité ou au rançonnement de voyageurs sur chemins?

Sont créés sous Henri IV pour eux notamment les hôpitaux de la Charité et St Louis.

Hôpital de la Charité Saint Louis entre les Faubourgs Montmartre et Saint Laurent

A partir de 1622, chaque province a ses hôpitaux généraux.

L'hôpital général, composé de la Salpétrière, Bicêtre, la Pitié, Scipion et la Savonnerie, fondé en 1656 , est affecté au renfermement des mendiants, employés à des ouvrages en manufacture et à qui on dispense des soins.

Le 24 février 1670 est créé l'Hôtel des Invalides par Louis XIV.

Pour y être accepté, il faut en 1710, 20 ans de services continus, en 1729, 18 ans et des blessures sérieuses. La condition d'ancienneté est supprimée pour les estropiés. En 1730, ce seront l'usure ou la blessure qui décidera de l'admission. Il faut  être proposé par le colonel de son régiment, un certificat médical ayant été établi par le chirurgien major de l'hôpital où le soldat est soigné.

C'est l'inspecteur d'armes qui examine chaque cas et qui décide de l'envoi aux Invalides.

Le soldat est contrôlé à nouveau à son arrivée par le chirurgien major de l'Hôtel qui parfois le renvoie pour services ou blessures insuffisantes. A partir de 1709, on donne aux refusés 6 livres "pour se conduire chez eux" ou à leur régiment s'ils veulent y retourner et en 1723, 10 livres.

On remet aux anciens soldats un uniforme à l'entrée : une camisole de chamois, un chapeau noir et des bas gris.

Les anciens soldats admis logent en chambre non chauffées de 4 à 5 lits, garnies de tables, bancs, et chandeliers de cuivre.

Il y a des lieux d'aisance (qui n'existent même pas à Versailles) avec sièges et un collecteur souterrain pour les eaux sales.

On sert à chaque repas par table de 12, un potage, une pièce de bœuf, une entrée. A chaque souper, un rôti, une entrée et un dessert. Trois par semaine de la salade. Pendant le carême, poissons, œufs, et légumes secs.

Les salles de l'infirmerie sont grandes, claires, aérées. Les malades disposent en général d'un lit pour eux seul. Ils sont répartis en 3 catégories :

- les décrépits et caducs par l'âge ou les infirmités

- les paralytiques, impotents, grabataires

- les estropiés, amputés, aveugles, sourds ...

 

En 1686 est créée la catégorie des manicrots, qui ont des crochets à la place des mains; on leur adjoint en permanence un camarade.

Les vénériens ont une salle eux seuls vu leur nombre. Des dragées de Keiser contre la syphilis leur sont données.

40% à peu près des hommes dépassent l'âge de 70 ans et 10% 80 ans, l'âge moyen au décès ne dépassant pas à l'époque 50 ans pour le reste de la population.

Vue de l'église de l'Hôtel royal des Invalides que Louis XIV et sa suite viennent visiter en 1706 - Pierre Denis Martin (1663-1742)

 

L'assistance à la messe dominicale et aux fêtes sont obligatoires. Les invalides doivent présenter des billets de confession et des certificats attestant leur devoir pascal pour obtenir sorties et congés.

Les protestants sont interdits à partir de 1685. Vers 1770, les protestants réapparaissent sans qu'on leur demande de se convertir. Jusqu'à la fin de l'Ancien Régime, les protestants convertis ou non s'élèvent à 1% du total des admis.

Le travail est encouragé : ateliers de tailleurs d'habits, cordonniers, tapissiers de soie ou laine, enlumineurs et calligraphes...

D'autres sont fossoyeurs, garçon de salle, jardinier, portefaix ...

En 1760 une petite somme mensuelle, "solde des menus besoins", est distribuée et en 1764 une pension de 54 livres est instituée.

Initialement, l'Hôtel est conçu pour 1500 personnes, or en 1680 ils sont 5 000, 10 000 entre 1700 et 1712.

En 1763 à la fin de la guerre de sept ans, ils sont 5811.

En temps de paix on compte seulement 7 à 800 nouveaux venus par an.

Sous Louis XIV, l'Hôtel admet 30 979 invalides ; sous Louis XV, 61 338 soldats.

Louis XIV décide par une ordonnance de 1690 de créer une compagnie détachée de l'Hôtel : le roi a en effet jugé qu'une partie des officiers et soldats de l'Hôtel pouvaient encore servir pendant la campagne prochaine.

En 1702 61 compagnies cantonnent à Arras, Béthune, Aire, St Omer, Hesdin, Bapaume, Gravelines, St Malo, Rocroy, Mézières, Amiens, Le Havre, Dieppe, Cambrai, Sedan, ...

En 1735, il y a 151 compagnies dont 3 de bas officiers qui assurent la sécurité du roi de Pologne, beau père de Louis XV à Lunéville.

Aux bas officiers est confiée la garde des palais royaux (Tuileries, le Louvre, Vincennes, Bastille, ...).

Leur situation n'est toutefois pas enviables : En 1756, Paulmy secrétaire d'Etat à la guerre demande que les soldats invalides ne dorment qu'à deux par lit et non à 3.

Ils ne disposent que d'une couverture en montagne dans une forteresse non chauffée.. les hommes souffrent de mal nutrition et sont "dans un état de santé affreux".

Les  invalides installés dans Paris mariés au moment de leur admission et dont l'épouse habite la ville, obtiennent l'autorisation de découcher 3 nuits par semaine. Ils peuvent obtenir une carte permanent de "logé dehors" qui leur laisse le droit de manger à l'Hôtel chaque jour sans y habiter mais qui leur impose tj la présence à la messe et le devoir pascal en l'église St Louis.

Aux provinciaux on accorde des congés courts , quelques semaines à quelques mois, puis de 12 mois voire 24 mois et plus c'est à dire illimités.

Les soldats doivent se présenter au subdélégué du lieu. Une ordonnance du 8 janvier 1737 leur accorde une somme pour couvrir les besoins pendant le voyage.

 

Le 21 novembre 1733, un privilège leur est accordé : exemption de taille, logement des gens de guerre, subsides et gabelles.

 

En 1762, des ordonnances concernant les régiments de dragons, cavalerie, hussards, et infanterie accordent la solde entière après 24 années de service et la demi solde après 16 ans. Ces sommes seront payées chaque mois par les subdélégués sous le contrôle des commissaires des guerres; ces soldats redeviennent civils et ne sont plus reçus dans les hôpitaux militaires.

 

En 1764, la pension d'invalidité est réorganisée : les pensionnés peuvent partir avec leur pension (54 livres par an ou 72 livres pour les bas officiers).Un peu plus de 10% décident d'intégrer l'hôtel et y laissent leur pension. La blessure n'a plus de caractère impératif.

 

Napoléon Ier visitant l'infirmerie des Invalides, 11 février 1808

 

 

Une base de données recense plus de 135 000 pensionnés entre 1673 et 1796 : http://www.hoteldesinvalides.org/

 

 

 

Sources : Votre généalogie n°14

https://blog.paris-libris.com/les-vieux-hopitaux-parisiens-la-charite-lhopital-saint-louis-bicetre-lhotel-dieu-saint-lazare-le-val-de-grace-la-salpetriere/

 

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L'enfant au fil des siècles ...

30 Décembre 2013 , Rédigé par srose

 

On peut noter une certaine indifférence vis à vis de l'enfant jusque fin du XVIII/début XIXème siècle. Il est perçu comme un adulte en réduction et ne bénéficie pas réellement d'une tendresse particulière. L'enfant partage la vie des adultes et partipe en fnoction de ses forces aux travaux des champs, de la mine ... (À titre d’exemple, dans les mines, les plus jeunes font office de “trappers” : recroquevillés dans une niche, et souvent dans le noir complet, ils actionnent les portillons d’aération au passage des convois. Le travail dure jusqu’à 15 heures par jour).

 

L'enfant au fil des siècles ...

Les enfants étaient également soupçonnés de comportements libertins qui les conduisaient à des fautes morales.

→ En 1692, Jeanne Alamy, 12 ans, mise enceinte par son père, fut condamnée à l'enfermement dans une maison de force afin d'y expier pendant un an sa ... faute !

Ce ne sera qu'en 1832, lors de la révision du Code Pénal que "toute atteinte sexuelle sur un enfant de moins de 12 ans" serait désormais assimilée à un acte commis avec violence.

 

Un ancien adage dit : "le temps auquel on élève les vers à soie est le temps auquel on peuple le plus le paradis".En effet, la mère devant utiliser son temps pour travailler et gagner le moindre sous, le bébé était laissé dans un coin, emmailloté sans pouvoir bouger, jusqu'à ce que quelqu'un vienne s'occuper de lui.

 

Les abandons

Les abandons d'enfants connaissent une hausse importante au XVIIIe siècle (près de 7 000 à Paris en 1770). Les hôpitaux mis en place au XVIIème siècle ont rarement les moyens pour les nourrir convenablement, ce qui explique le taux de mortalité important dès les premiers mois.

En 1778 à Paris 80% des enfants recueillis par la Maison de la Couche ont moins de 1 mois

 Jean-Jacques Rousseau, abandonna ses cinq enfants à l'Hôpital des Enfants Trouvés et avoua que "tout bien pesé je choisis pour eux le mieux, ou ce que je crus l'être. J'aurais voulu, je voudrais encore avoir été élevé et nourri comme ils l'ont été".

La misère semble être une cause importante des abandons d'enfants :  les registres d'admission à la Maison de la Couche ou des Hôtel-Dieu de province montrent un abandon parallèle des abandons d'enfants et des grandes crises de subsistance, des épidémies ou des guerres

Rouen en août 1785, mot d'une jeune mère : "je vous la laisse en bon état et vous prie d'en avoir bien soin, jusqu'à ce que j'ai gagné un lit pour me coucher, car je couche par terre depuis que je suis sortie de l'hôpital et je suis devenue enflée de fièvre". 

 

L'enfant au fil des siècles ...

 

Une autre cause des abandons : les naissances illégitimes : à Paris à la veille de la Révolution, une enfant sur 4 est illégitime. Souvent les mères sont très jeunes.

Dans le cahier de doléances de la ville d’Angoulême en 1789 l’on déplore la situation des enfants exposés en ces termes : « Ces malheureuses victimes de la débauche ou de la misère n’ont d’autre appui que le gouvernement. Partout où il n’y a point de bureau établi, l’exposition faite sous les halles, dans les rues et sur les places publiques, livre les enfants à la voracité des animaux, et ceux qui en échappent n’étant à la charge des seigneurs sur les terres de qui ils ont été trouvés que jusqu’à un âge encore trop tendre sont abandonnés avant d’être en état de gagner leur vie. Ils semblent n’avoir été conservés que pour les faire périr par la soif et la faim, ou pour multiplier le nombre des vagabonds et des brigands ».

Le 28 juin 1793, la mère qui abandonne son nouveau-né est pour la première fois protégée de toutes poursuites. Son anonymat est en plus garanti : “Il sera pourvu par la nation aux frais de gésine de la mère et à tous ses besoins pendant la durée de ses couches. Le secret le plus inviolable sera conservé sur tout ce qui la concerne.”

  

 L'allaitement

Quand l'enfant naît, il ne peut pas boire le lait de sa mère de suite car ce lait est réputé mauvais au début. Il faut au contraire le purger. De toute façon, la priorité est de le baptiser. Seulement après il pourra boire le lait maternel ou celui de sa nourrice.

De façon générale en effet, les mères n'allaitent pas soit qu'elles n'en ont pas le temps car il leur faut retourner travailler (aves l'industrialisation, cette pratique explose) soit parce que cela ne sied pas à la vie mondaine des mères issues de milieux plus aisés.

La conséquence est la mise en nourrice du bébé. Mode désastreuse pour le bébé puisqu'au XVIIIème siècle à Lyon,  50% des nourissons "placés" chez une nourrice meurt avant un an, 40% à Rouen (con tre 19% pour ceux  nourris par leur mère). Le taux passe à 90% pour les enfants abandonnés placés en nourrice. En effet, les hospices ne peuvent s'occuper des bébés abandonnés et les confient donc à des nourrices rémunérées à cet effet. De façon général, ces femmes sont mal rémunérées mais c'est pire encore dans le cas des enfants abandonnés pour lesquels la nourrice va rogner sur tout (alimentation, médication ...); ça plus le fait qu'elle s'occupera de plusieurs enfants en même temps. Les nourrices ont en effet parfois jusqu'à 10 bébés, manquent totalement d'hygiène, sont parfois enceintes et n'ont donc de ce fait plus de lait. Certaines nourrices rachètent des bébés abandonnés à l'hôpital pour remplacer ceux qui sont morts chez elles. A cela s'ajoutent le gavage systématique du bébé pour qu'il ne crie pas, le recours aux bouillies indigestes pour compléter un lait insuffisant, les bercements frénétiques, l'allaitement artificiel ...

La gardeuse d'enfants en Normandie
J.P. Haag, 1887
 

A Erfurt en Allemagne en 1870, 17% des enfants allaités par leur mère décèdent avant leur 1 an contre 30% pour ceux placés en nourrice.

Sur les 2244 nourrissons abandonnés envoyés en nourrice par l'hôpital de Lyon en 1771-73, 1519 décèdent.

Au début, c'est à dire du XIII au XVIIème siècle, les qualités morales et physiques sont scrupuleusement vérifiées. Par la suite, l'offre étant supérieure à la demande, les parents seront moins regardants.

Le lieutenant général de police de Lyon déplore en 1781 : "on remet des enfants souvent à des nourrices enceintes  ou à des femmes qui ont un lait de 3 ou 4 ans, à des vieilles femmes ou à des vagabondes sans mari qui, faisant de l'allaitement un trafic infâme, prennent plusieurs nourrissons à la fois, les font végéter avec du ait de vache ou de chèvre souvent même avec une nourriture plus malsaine pour les enfants et font périr misérablement la plupart de ces infortunés ou les rendent infirmes ou estropiés".

Su 21000 enfants nés en 1780 à Paris, 1000 sont nourris par leur mère, 1000 sont nourris par une nourrice à domicile et les 19000 autres sont envoyés n nourrice dans les campagnes environnantes. Les conditions de transport sont d'ailleurs telles que beaucoup de bébés n'arrivent pas en vie à destination.

La mise en nourrice disparaîtra progressivement après la 1ère guerre mondiale. 

 

Le sevrage

le sevrage peut être brutal pour l'enfant : application de pâtes à base de motarde ou de poivre sur les tétons pour dissuader le bébé.

Il est désormais nourri avec des bouillies ensalivées par la mère.

Le sevrage provoque souvent le décès de l'enfant par manque d'hygiène et par des méthodes non adaptées à l'enfant

 

 L'hygiène

Le moyen Age de manière générale est propre mais tout change avec la peste de 1348  : la saleté va devenir protectrice.

L'une des conséquences de cet état d'esprit est de garder la crasse sur la tête de l'enfant pour protéger la fontanelle.

Louis XIII né en 1601 prendra son premier bain à 7 ans !

Le linge est rarement lavé; on dort sur la même paillasse. A la campagne, les hommes et les bêtes partagent les mêmes lieux. 

En ville, l'essor de la population au XVIIIème siècle s'accompagne de la promiscuité ( via des logements exigües ) ce qui favorise les contagions. Les villes sont insalubres, malodorantes (ordures, entrailles d'animaux jonchent les sols).

L'urine est considéré comme un désinfectant et donc on fait sécher les langes sans les nettoyer.

Les abcès divers (eczéma purulent, gale, petite vérole) jouent le rôle de purification du corps des mauvaises humeurs (reste du sang menstruel que l'enfant expulse).

  

Façonnage

L'enfant qui naît n'est pas achevé. Il faut tout d'abord remodeler son crâne à l'aide de bandeaux (les flamands préfèrent les têtes en longueur tandis que les gascons les préfèrent rondes).

Le bébé est ensuite ficelé très serré, les bras maintenus le long du corps. L'idée est de le protéger du froid,  de le porter plus facilement et de pouvoir l'accrocher à un clou sans surveillance mais aussi de faire en sorte à ce qu'il soit bien droit et ne marche pas à 4 pattes comme les animaux.

L'enfant au fil des siècles ...

Vers 2 mois, ses bras sont libérés puis vers 8 mois, l'emmaillotage est abandonné. L'enfant portera une robe jusqu'à 6 ou 7 ans. A ce moement, il sera habillé comme l'homme ou la femme qu'il ou elle sera.

  

 

Sources

http://memoires.pro.free.fr/doc/histoireenf.htm

http://users.skynet.be/maevrard/livre2.html

http://www.santeallaitementmaternel.com/se_former/histoires_allaitement/allaitement_histoire.php

http://mariabernard.pagesperso-orange.fr/des_choses_et_autres/Abandons%20d'enfants/abandon_enfants.htm

https://shs.cairn.info/revue-l-ecole-des-parents-2013-5-page-34?lang=fr

L'enfant et la vie familiale sous l'ancien régime de Philippe Ariès

Hors série Généalogie sur la naissance

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La religion au XVIIIème siècle

17 Novembre 2013 , Rédigé par srose

L'église et son cimetière au Moyen Age sont au centre du village.

On trouve de temps en temps dans l'enceinte du cimetière des troupeaux qui y paissent; des manifestations peuvent y avoir lieu (marchés, foires ...)

Ce n'est réellement qu'au XVIIème siècle que des murs seront construits autour des cimetières pour délimiter l'espace sacré su profane et que des édits vont interdire toute activité.

 

Eglise Saint Ulrich (67)
dans Naissance du cimetière médiéval de Pierre Dubois

 

A partir de 1760, la présence des cimetières dans les villes est contestée. et en 1776 une décision royale impose l'implantation des cimetières en dehors de l'agglomération et interdit les sépultures dans les églises sauf pour quelques privilégiés.

A lire aussi à ce sujet ICI 

Le catéchisme se généralise à partir de 1670 (pour contrer notamment les idées protestantes). La multiplication des écoles paroissiales où l'on apprend à lire, écrire et compter favorise la christianisation même si bcp de enfants issus des milieux défavorisés ne fréquentent pas ces écoles.

 C'est à cette époque que l'église pose un discours moralisateur et culpabilise la sexualité et tout ce qui touche au corps.

Les paroissiens doivent participer à la vie religieuse imposée par l'Eglise sous peine d'être excommuniés :

  • la messe : ne pas y assister est un pêché mortel; la messe est dite en latin; le curé peut autoriser une seule personne de la famille à y assister (les autres membres s'occupant des bêtes par ex)
  • le carême : 40 j de réflexion , recueillement, privation (absence de viande, d'oeufs, pas de mariage ni de relations conjugales) en souvenir du jeûne de Jésus dans le désert avant son entrée dans la vie publique
  • période de l'Avent qui précède Noël : abstinence lundi, mercredi et vendredi

 

Divers rites sont essentiels dans la vie de nos ancêtres :

  • le baptême : essentiel car sinon l'enfant erre dans les limbes; permet d'effacer le péché originel et l'impureté lié à l'accouchement - Voir aussi cet article ICI et ICI
  • les rites de relevailles : les femmes sont réputées impures après l'accouchement et doivent garder le lit 40j puis se rendre sur le parvis de l'église avec une matrone pour être bénie par le prêtre et pouvoir ensuite entrer dans l'église - Voir aussi pour plus d'explications cet article sur https://schola-sainte-cecile.com/2015/02/02/benediction-des-relevailles/
  • le mariage : les parents au 4ème degré canonique ne peuvent se marier (sauf dispense); les célébrations ne peuvent avoir lieu pdt le carême, la pentecôte, la toussaint, l'avent:; le vendredi est évité ainsi que le  dimanche

 

Gravure des relevailles en Bretagne (O. Perrin, Galerie des mœurs, usages et costumes des Bretons de l’Armorique, Paris, 1808) 
 

Les personnes décédées après avoir refusés les saints sacrements, les suicidés les non catholiques seront enterrées à l'écart du cimetière

La chasse aux sorcières : de 1580 à 1682; chasse aux sorcières 4 à 5 000 personnes mourront sur le bucher

L'époque est très superstitieuse (le mariage le jeudi peut entrainer un marié cocu, les catastrophes naturelles sont des punitions divines, la buche de Noel doit bruler 3 ou 9 j pour assurer de la chance à la maisonnée et les cendres serviront à faire des remèdes, purifier l'eau du puit ...

l'église condamne ces superstitions et réglemente les fêtes et les processions

 

Au XVIII les comportements changent : contrôle des naissance dans les milieux aristocrates et bourgeois puis en milieu urbain

Les enfants illégitimes augmentent (plus d'abandons et plus de conceptions prénuptiales);le nombre de demandes de prières pour le salut de l'âme baissent.

 

 

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