O comme Omniprésence de l'Eglise
Sous l’Ancien Régime l’Eglise est omniprésente dans la vie de chacun. On a un peu de mal à l’imaginer aujourd’hui. Mais chaque geste est empreint de religieux soit par contrainte soit par dévotion. Quel que soit l’endroit où l’observateur pose son regard, ce sera pour voir un clocher, un habit de religieuse, un couvent, une croix à un carrefour, une statue de la Vierge, une procession de fidèles, des pèlerins harassés ... L’observateur entendra les cloches qui sonnent pour appeler les fidèles à la prière, rythmant par la même occasion leur journée. L’environnement dans lequel évoluent nos ancêtres est imprégnés de la culture catholique.
Prenons des exemples en Flandres et plus précisément à Lille :
Le temps par exemple est régi par l’Eglise et l’on peut passer l’essentiel de ses journées à prier : ainsi à l’église Saint-Etienne et sa douzaine de chapelles, se succèdent chaque dimanche les messes, de demi-heure en demi-heure, depuis 4 heures jusqu'à midi. Et c’est ainsi dans chacune des églises de la cité.
Ensuite l’espace géographique ; cet espace est complètement soumis à la « puissance spirituelle » : la Flandre wallonne (l'intendance de Lille) se trouve ainsi partagée entre les diocèses de Tournai pour la ville de Lille, d'Arras pour Douai et le Douaisis, de Cambrai pour l'abbaye de Cysoing, de Saint-Omer pour l'abbaye de Beaupré sur-la-Lys.
L'évêché de Tournai comprend, entre autres, les décanats de Lille, Seclin, Saint-Amand, Helchin, Werwick. Pour l'essentiel, Lille et les paroisses voisines dépendent de l'évêque de Tournai. Les villes elles-mêmes sont découpée en paroisses, cellule de base de l’organisation ecclésiastique.
Lille ainsi dispose en 1617 de cinq paroisses pour ses 32 604 habitants. Outre la collégiale Saint-Pierre située dans le plus ancien quartier de Lille (Saint Sauveur) les paroisses s'intitulent Saint-Etienne, Saint-Maurice, Saint Sauveur et Sainte-Catherine. La paroisse de Saint André sera érigée plus tard dans les Beaux quartiers lorsque Vauban agrandira la ville.
Ces paroisses jouissent de revenus et comptent un personnel considérable. Ainsi, les 9 700 paroissiens de Saint-Etienne disposent de 21 ecclésiastiques au début du 17ème siècle, de prêtres habitués, horistes, chapelains, prêtres non habitués, clercs ou laïcs subalternes, comme le coutre, c'est-à-dire le sacristain, le sonneur, le fossier...
En 1695, la paroisse de St Etienne dispose d'une quarantaine de prêtres, de 67 Recollets, 54 Dominicains, 34 Sœurs Noires pour 10 000 habitants environ.
Un frère mineur Récollet
Les membres du clergé sont donc visibles partout dans les rues de Lille.
L’église assume également ce que l’on appellerait aujourd’hui les services sociaux avec la table des pauvres et les diverses institutions charitables qu’elle patronne.
L'Eglise se charge aussi de l'enseignement dans les trois collèges Saint-Pierre, des Jésuites, et des Augustins, dirige quelques écoles élémentaires : celle des Grisons, depuis 1554, une école dominicale de Saint-Etienne depuis 1587, l’école des Bapaumes fondée par un tailleur de drap en 1605... Un Collège des Hibernois prépare, sur la paroisse Saint-Sauveur, des missionnaires pour l'Irlande. Grâce à cet équipement scolaire, la Flandre figure, sous l'Ancien Régime, parmi les provinces où l'analphabétisme est bien réduit.
Collège Saint Joseph à Lille, ancienne institution jésuite
Les livres de prières sont nombreux et représentent la moitié de la production lilloise en imprimerie.
Plus précisément, de 1667 à 1715, Lille publie 305 ouvrages religieux sur 483, soit 63 %. Ces livres sont volumineux. Les guides de dévotion l'emportent, atteignant plus du tiers des titres religieux, plus du quart des livres vendus. Ensuite, ce sont les instructions chrétiennes, puis les ouvrages de polémique. La théologie et la liturgie occupent une place plus modeste.
Le clergé régulier n’est pas en reste : début 17ème siècle on dénombre à Lille neuf communautés d'hommes (Dominicains, Récollets, Capucins, Minimes...), douze communautés de femmes (Dames de l'Abbiette, Clarisses, Brigittines, Urbanistes...) quatre couvents de religieuses (Sœurs noires, Sœurs grises, Visitandines, Sœurs de la Magdeleine). Il faut ajouter les hospitalières, les béguines et, proche de Lille, les Bernardines de l'Abbaye de Loos, les Augustines de Cysoing et de Phalempin, les Bénédictines du Prieuré de Fives, les Cisterciennes de Marquette. Les Capucins exercent une grande influence par leurs prédications populaires. Les Jésuites commencent à ériger leur église en 1606, au Rihour. En 1613, les Augustins s'installent à Lille dans un refuge près de l'église Saint-Maurice ; En 1616, les Carmes Déchaussés bâtissent maison et église sur l'emplacement du Château de Courtrai.
Une sœur Clarisse
Les Colettines, chassées en 1639 du Vieil Hesdin, par la destruction de leur couvent, s'établirent près de l'église Saint Sauveur, grâce à la générosité de la famille Hangouart et de l'écolâtre Jacques Boudart.
Sur la paroisse Saint-André, les Carmes constituent, en 1676, la Confrérie de Notre Dame du Mont Carmel. Les Recollets, sur la paroisse Saint-Etienne, fondent, en 1665, une Confrérie de l'Immaculée Conception.
Ces diverses institutions paroissiales contribuaient à entretenir la ferveur religieuse.
Car justement cette ferveur doit être alimentée régulièrement par des actes ostentatoires comme les processions, pèlerinages et autres dévotions. Toutes ces manifestations égayent le quotidien et influence positivement les fidèles par leur faste, par la magnificence qui y est déployée.
Procession à Paris des reliques de Sainte Geneviève
en 1539 pour faire cesser les pluies diluviennes
« Les cérémonies sont nécessaires pour attacher les peuples sur lesquels la pompe et l'appareil mystérieux des cérémonies fait souvent plus d'impression que le fond même de la religion ».
On va donc « processionner » pour remercier Dieu d'avoir rétabli la paix ou chassé la peste ou pour tout autre évènement qui va permettre de marquer les esprits.
Ainsi sous l'influence des Archiducs, des cérémonies cultuelles exceptionnelles ponctuent le quotidien : Te Deum en 1606, en l'église Saint-Pierre pour remercier Dieu d'avoir donné la victoire à Albert d'Autriche sur Maurice de Nassau « grand pilier des hérétiques », dit Mahieu Manteau; en 1603, on fait une procession pour remercier Dieu d'avoir fait découvrir les voleurs de ciboires ; en 1604, pour célébrer la paix entre le roi d'Espagne et le roi d'Angleterre …
De temps à autre, Louis XIV fait célébrer des messes solennelles qui provoquent l'admiration populaire : en 1673, à Saint-Pierre « quand ce vint l'Evangile tous les soldats se levèrent avec leurs épées nues et quand ce vint au remonstrance de l'hostie, les trompettes résonnaient et puis tous les officiers et soldats tirèrent encore leurs épées et la tenir en main toute nue pour faire serment pour Dieu et pour le Roi ».
Les processions régulières les plus suivies sont celles de l'Ascension, de la Fête-Dieu avec le concours de toute la garnison et surtout celle de la ville, le dimanche qui suit la Trinité. C'est la plus solennelle. Le Magistrat inspecte le parcours de la Collégiale Saint-Pierre jusqu'à la Porte des Malades, prie les Lillois de lever les immondices, de « jeter de l'eau pour empêcher la poussière en cas qu'il fasse sec » et de « décorer le dehors de leurs maisons ».
Le Jésuite Buzelin commente, dans sa Gallo-Flandria, les Rogations célèbres à Lille au temps de la Réforme catholique : « Les processions que font les paysans de toute Antiquité ont moins d'éclat, mais réclament plus d'effort (que les processions urbaines) et pourtant, ils les accomplissent joyeusement et de bon cœur. Chaque été, aux environs de la Pentecôte, ils ont l'habitude de faire le tour du territoire de leur village et ils font dans ce parcours jusqu'à quatre ou cinq lieues pour ne pas laisser un coin du village sans bénédiction. Ils font la plus grande partie de cette procession à jeun pour obtenir de Dieu les fruits de la terre ».
Dans la paroisse St André, l'une des plus grandioses cérémonies eut lieu en 1681, « à l'occasion de l'élection des chevaliers militaires des Ordres de Saint Lazare et de la Bienheureuse Marie du Carmel, en présence de M. de la Rablière, maréchal des camps royaux, préfet militaire de Lille, grand prieur des Ordres de la Flandre, et de douze commandeurs, M. de Saint-Silvestre, mestre de Camp, inspecteur de la cavalerie, M. de Rosamel, capitaine de gendarmes de Flandre, M. de la Motte, major de la citadelle de Lille, en présence de nombreux chevaliers. Dans l'église des Carmélites, ornée de tapisseries avec des portraits de Louis XIV, grand maître de cet ordre, de Louvois, grand vicaire, furent célébrées des vêpres en musique. Parmi les officiers, M. Warcoin, ancien mayeur, M. Turpin, procureur de l'ordre en la langue belge... assistèrent à ces journées. Le lendemain, on chanta un Te Deum, on célébra la messe, les chevaliers tenant l'épée nue pendant la lecture de l'Evangile. Les réjouissances profanes suivirent : banquet, pétards, boites, feu d'artifice... Désormais, cette solennité se renouvela deux fois par an, pour la fête de Notre-Dame du Carmel (16 juillet) et pour la Saint-Lazare (17 décembre) ».
Le culte des Saints participe de la dévotion chrétienne : le saint protège, commande, punit, intercède auprès des puissances plus élevées ; il se spécialise, pour ainsi dire, dans un recours. Il est plus facile proche du commun des mortels et plus facilement accessible à la ferveur populaire.
On prie saint Roch à Wazemmes, saint Calixte à Lambersart, saint Piat à Seclin, saint Guislain à Fiers, saint Matthieu, apôtre, à Wambrechies... A Bergues, on invoque saint Winoc pour arrêter les cataractes du ciel, mais aussi pour faire cesser une sécheresse excessive. A Douai, la fontaine de saint Maurand, patron de la ville, guérit les enfants malades.
Même chose pour le culte marial : le lieu de prière va également être spécialisé en fonction des miracles qui y ont eu lieu : Ainsi Notre-Dame du Prieuré de Fives accorde la guérison de la fièvre, Notre-Dame de la Barrière, à Marquette, est célèbre, depuis le 16è siècle, car elle a protégé le monastère pendant les troubles religieux. La statue de Notre-Dame de Grâce, à Loos, placée dans un arbre, guérit les apoplectiques.
Bref, quelques exemples pour tenter de mieux visualiser le quotidien de nos ancêtres…
Sources
Dévotions populaires en Flandre au temps de la Contre-Réforme de Louis Trénard
La vie religieuse à Lille au temps de la Conquête Française de Louis Trénard