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Les Lumières et l'éducation du peuple
Les Lumières et l’éducation du peuple
L’éducation des enfants est un sujet qui a donné lieu à de nombreux écrits et débats de Montaigne à nos jours en passant par les Lumières. Tant sur le contenu pédagogique que sur les méthodes d’apprentissage mais aussi sur les bénéficiaires de cette éducation (les femmes, les pauvres, ou seulement une élite et dans ce cas laquelle : les petits de la noblesse, les petits du monde bourgeois ….).
Bref, au dix-huitième siècle l’éducation est encore réservée aux classes aisées et, surtout destinée aux hommes.
Il est vrai que les femmes de bonne famille accèdent à une certaine instruction mais force est de constater que cette instruction reste assez « superficielle » et destinée essentiellement à les préparer aux diverses mondanités qu’elles vont avoir à vivre (Ce thème fera l’objet d’un article ultérieur).
Diderot l’explique très bien dans son ouvrage « Sur les femmes », dans lequel il critique la finalité de leur instruction : « Le soin principal est de prévenir l’ennui, de multiplier les amusements, d’étendre les jouissances. À cette époque, les femmes sont recherchées avec empressement, et pour les qualités aimables qu’elles tiennent de la nature, et pour celles qu’elles ont reçues de l’éducation » .
Quant à la classe populaire, qu’en est-il réellement de leur instruction ?
L’Eglise dispense à tous, pauvres et moins pauvres, une instruction de base, gratuite, qui leur permettra de ne pas tomber dans les travers de la Religion réformée. Car c’est bien cela l’objectif recherché : éviter que les jeunes âmes ne s’égarent.
Le grand maître d'école de Jean Jacques de Boissieu - 1780
C’est ainsi que depuis le dix-septième siècle les Jésuites contrôlent l’éducation dans les collèges ainsi que l’enseignement dans quelques universités en imposant leur modèle éducatif dans toute la France mais aussi dans toute l’Europe. Voltaire sera d’ailleurs élève au collège jésuite Louis le Grand à Paris.
Les écoles de charité de leur côté vont fleurir dans la seconde moitié du 17ème siècle. Elles sont destinées aux enfants pauvres avec le même objectif avoué de conserver ces derniers dans le giron de l’Eglise.
Le maître d'école - 17ème - Adriaen Van Ostende
Par exemple à partir de 1666, Charles Démia ecclésiastique français, fondateur du séminaire Saint-Charles à Lyon (1637-1689) entame une action éducative dans le diocèse de Lyon en proposant aux autorités municipales un plan d’éducation du peuple : « Les pauvres n’ayant pas le moyen d’élever ainsi leurs enfants, ils les laissent dans l’ignorance de leurs obligations : le soin qu’ils ont de vivre fait qu’ils oublient celui de leur faire apprendre à bien vivre et eux-mêmes ayant été mal élevés, ils ne peuvent communiquer une bonne éducation qu’ils n’ont jamais eue. […] Ils se soucient fort peu que leurs enfants apprennent les bonnes mœurs et les devoirs du christianisme qu’ils ignorent. […] Ainsi l’on voit avec un sensible déplaisir que cette éducation des enfants du pauvre peuple est totalement négligée, quoiqu’elle soit la plus importante de l’État ».
Charles Démia
En 1689, à la mort de Charles Démia, 16 écoles de charité accueillent garçons et filles à Lyon.
En 1790 la Révolution supprimera la congrégation Saint Charles et avec elle les écoles pour les pauvres.
Jean Baptiste de la Salle, prêtre, (1651-1719) fonda de son côté, en 1691, l'Institut des frères des écoles chrétiennes qui oeuvreront pour l’éducation des enfants pauvres à Reims puis à Paris et ensuite sur tout le territoire. Là aussi la Révolution mis un terme à cet enseignement.
Jean Baptiste de la Salle
Il y a aussi les petites écoles de Port Royal qui accueillent des enfants de moins de 12 ans (parmi lesquels il y eut pendant 10 ans Jean Racine, orphelin très jeune). Ces petites écoles sont liées à l’abbaye de Port Royal et sont fidèles à la pensée janséniste. Blaise Pascal fut l’un des professeurs qui exercèrent dans ces écoles. Elles ne durèrent pas longtemps malheureusement, victimes des querelles entre Jésuites et Jansénistes.
Et enfin quelques initiatives privées à l’instar de celle de cet avocat au parlement de Paris qui fonde à Vierzon en 1763 une école gratuite pour les enfants pauvres de la ville.
Mais malgré les efforts louables de ces bonnes volontés, force est de constater qu’il ne s’agit là que d’initiatives localisées, hétérogènes et non généralisées à l’ensemble du territoire et surtout il ne faut pas oublier que les parents préfèrent garder leurs enfants pour leur force de travail et l’argent qui en découlera.
Mais revenons à nos Lumières …
Si, au temps des Lumières, les débats se concentrent donc essentiellement sur le contenu de l’éducation à apporter au petit enfant et à l’homme en devenir, il va également porter sur les destinataires de cette précieuse éducation.
Et c’est là que l’on ne peut qu’être étonné du parti pris de certains philosophes des Lumières …
Ainsi Louis-René de Caradeuc de La Chalotais (1701-1785), procureur général au Parlement de Bretagne est manifestement peu touché de la nécessité de développer l'instruction du grand nombre ; pour lui seul l’éducation d’une élite est nécessaire.
Certes ce monsieur n’est pas philosophe mais son positionnement face à l’éducation du peuple sera repris sans restriction par l’un de nos plus célèbres penseurs du 18ème siècle, Voltaire.
De la Chalotais
De La Chalotais rédige donc en 1763 son "Essai d’éducation nationale" où il fustige l’instruction d’alors essentiellement dispensée par l’Eglise, notamment les Jésuites dont il est un farouche opposant. Or leur enseignement s’adresse à tous et c’est justement là que de la Chalotais fulmine : « n’y a t-il pas trop d’écrivains, trop d’académies, trop de collèges ? (…) il n’y a jamais eu autant d’étudiants dans un royaume où tout le monde se plaint de la dépopulation : le Peuple veut étudier ; des Laboureurs, des Artisans envoient leurs enfants dans les Collèges des petites Villes, où il en coûte peu pour vivre et quand ils ont fait de mauvaises études qui ne leur ont appris qu’à dédaigner la profession de leurs pères ils se jettent dans les Cloitres et dans l’état ecclésiastique ou prennent des offices de justice. (…) le bien de la société demande que les connaissances du peuple ne s’étendent pas plus loin que ses occupations. Tout homme qui voit au-delà de son triste métier ne s’en acquittera jamais avec courage et patience. »
Voltaire
Voltaire (1694 - 1778) le félicitera d’en exclure les enfants du peuple : « Je vous remercie de proscrire l’étude chez les laboureurs. Moi qui cultive la terre je vous présente requête pour avoir des manœuvres et non des clercs tonsurés».
Voltaire réitèrera ses positions sectaires dans une lettre écrite en mars 1766 à Damiaville, homme de lettre né à Bordeaux en 1723 : « Il est à propos que le peuple soit guidé et non pas qu’il soit instruit ; il n’est pas digne de l’être… ».
Le 1er avril, il persiste dans un nouveau courrier toujours adressé à Damiaville : « je crois que nous ne nous entendons pas sur l’article du peuple, que vous croyez digne d’être instruit. J’entends par peuple la populace qui n’a que ses bras pour vivre. Je doute que cet ordre de citoyen ait jamais le temps ni la capacité de s’instruire ; ils mourraient de faim avant de devenir philosophes. Il me parait essentiel qu’il y ait des gueux ignorants. Si vous faisiez valoir comme moi une terre et si vous aviez des charrues vous seriez bien de mon avis ».
Rousseau (1712-1778) n’est pas en reste puisque dans l’Emile il écrit : « Le pauvre n’a pas besoin d’éducation ; celle de son état est forcée, il n’en saurait avoir d’autre ; au contraire, l’éducation que le riche reçoit de son état est celle qui lui convient le moins et pour lui-même et pour la société ».
Rousseau
Diderot (1713-1784) heureusement est d’un autre avis puisqu’il écrit dans son ouvrage le "Plan d’une université ou d’une éducation publique dans toutes les sciences", (qu’il rédige pour Catherine II dès son retour de Russie en 1775) ces diverses lignes démontrant bel et bien qu’il est en faveur de l’instruction des masses laborieuses :
Diderot
Le principe d'une éducation pour tous : « Depuis le 1er ministre jusqu’au dernier paysan il est bon que chacun sache lire, écrire et compter » ou encore : « Instruire une nation, c’est la civiliser. Y éteindre les connaissances, c’est la ramener à l’état primitif de barbarie".
Les raisons de ce principe : « Je dis indistinctement, parce qu’il serait aussi cruel qu’absurde de condamner à l’ignorance les conditions subalternes de la société. Dans toutes, il est des connaissances dont on ne saurait être privé sans conséquence. Le nombre des chaumières et des autres édifices particuliers étant à celui des palais dans le rapport de dix mille à un, il y a dix mille à parier contre un que le génie, les talents et la vertu sortirons plutôt d’une chaumière que d’un palais ».
"Quoiqu’il en soit, les basses conditions de la société seront donc dans tous les empires la pépinière des moeurs, des connaissances, des talents, de la gloire et de l’illustration présente et à venir de leurs nations".
La naissance n'est pas un gage de réussite : "Dans toutes les contrées, presque tous les hommes qui se distinguent dans les sciences et les arts sont de basse extraction, et la raison en est simple. Ces conditions communes fournissent mille hommes contre un de naissance. Les premiers sont élevés plus sévèrement ; moins chers à leurs parents indigents, ils sont moins corrompus ; ils n’imaginent pas qu’on sait tout sans rien apprendre ; ils se tourmentent ; ils travaillent ; ils se hâtent de sortir de leur obscurité, l’unique moyen d’obtenir les aisances de la vie qui leur manquent, ou de s’en consoler par la considération générale, l’estime de leurs semblables, et la conscience de leur valeur ».
Les conditions de l'éducation : « C’est des basses ou dernières conditions de la société dont les enfants restent sans aucune sorte d’éducation que sortent toutes les sortes de malfaiteurs. On a voulu à Paris les enlever à leurs parents, et cette violence a causé une révolte ; c’est qu’il fallait les contraindre à se rendre dans les écoles publiques et leur fournir du pain dans ces écoles".
« Moins il y a d’opulence autour du berceau de l’enfant qui naît, mieux les parents conçoivent la nécessité de l’éducation, plus sérieusement et plus tôt l’enfant est appliqué ».
Sources
L’éducation des enfants au XVIIIe siècle de Luisa Messina
Diderot et l’éducation du peuple de Liliane Maury
Les sociétés au XVIIe siècle de Annie Antoine et Cédric Michon
Histoire incorrecte de l’école de Virginie Subias Konofal
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Commentaires
2bgVendredi 7 Mai 2021 à 09:003b42Vendredi 7 Mai 2021 à 09:01vraiment superbe ,très enrichissant et bien documenté ,très intéressant à lire continuez et merci beaucoup
4b42Vendredi 7 Mai 2021 à 09:03
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Magnifique travail de recherche historique, il a facilité mes propres recherches pour un travail concernant l'éducation sous les Lumières. Merci beaucoup !
Bonjour, je vous remercie pour l'intérêt que vous portez à mes recherches
Bien à vous