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F comme FLETRISSURE
En farfouillant dans les archives municipales de Toulouse, j'ai trouvé des informations très intéressantes sur la répression pénale qui existait sous l'ancien régime et plus exactement au XVIIIème siècle. Cela fera certainement l'objet d'autres articles de ce challenge mais pour la lettre F j'ai donc tout de suite pensé à la peine de flétrissure.
Dans un chapitre consacré aux peines corporelles, le Traité de la justice criminelle en France, publié par Daniel Jousse en 1771, consacre un paragraphe à la description de la flétrissure, ou marque au moyen d’un fer chaud :
« Cette peine est presque toujours jointe à celle du fouet, ou à celle des galères, & ne se prononce presque jamais seule. Elle a été introduite, afin qu'on puisse reconnoître à cette marque ceux qui ont subi l'un ou l'autre de ces supplices, & qu'on les punisse plus sévèrement, en cas de récidive. Ceux qui sont flétris pour vol doivent être marqués sur l'épaule avec un fer chaud, de la lettre V ; et ceux qui sont condamnés aux galères, sont marqués des lettres GAL [...].
Autrefois on marquoit les voleurs, qui étoient condamnés au fouet, d'une fleur de lis, qui est la marque du Souverain ; comme à Rome, dans l'état Ecclésiastique, on les marque de deux clefs en sautoir, qui sont les armes de la Papauté. Mais cette marque a été changée en celle d'un V, par la Déclaration du 4 Mars 1724 [...] ».
La marque devait signaler à tous l'ignominie de son porteur. Au XVIIIe siècle, elle est depuis longtemps apposée exclusivement sur l'épaule droite du condamné, et ne peut être ainsi reconnaissable que lorsque l'on ôte le haut du vêtement.
Ce sera par exemple le cas de Jean-Louis Siguier, engagé dans les troupes comme chirurgien au régiment Royal, d'où il est finalement chassé lorsque l'on reconnaît sur son épaule les lettres infamantes GAL
Apposition de la marque
A Toulouse comme ailleurs dans le royaume, on marquera certains condamnés d'une fleur de lys sur l’épaule jusqu'à l'ordonnance royale de mars 1724 qui réformera cette pratique pour lui préférer un jeu de plusieurs lettres :
- V pour les voleurs (hommes et femmes),
- W (ou VV) pour les récidivistes (hommes et femmes),
- GAL pour ceux condamnés à servir le roi aux galères (hommes).
Cette marque n'est toutefois qu'un des aspects d'une peine en général plus complexe, où l'accusé marqué du V (ou W) sera généralement fouetté, puis exposé au carcan ou banni. Pour les femmes, ce sera majoritairement l’enfermement au quartier de force (à hôpital Saint-Joseph de la Grave à Toulouse). Quant aux hommes condamnés à recevoir les lettres GAL, ils sont aussi souvent fouettés, et leur peine principale sera ensuite d’aller « servir le roi » aux galères, à temps ou à vie de Toulon, Rochefort ou Brest.
La manière de faire devait varier selon l’exécuteur mais il n’est pas certain que l’application du fer fut rapide pour éviter trop de douleur ainsi qu’en atteste le chroniqueur Barthès qui note en 1749 que « l’exécuteur de la justice qui opéra d'une manière si violente que le fer étincelant, comme il était alors, fut enfoncé jusqu'à l'os de l'épaule ».
Emplacement de la marque
L'emplacement de la marque à porter sur le corps est précis et immuable : l'épaule droite, au niveau de l'omoplate
En 1754, l'instruction d'une procédure criminelle à Toulouse va permettre d'en savoir un peu plus sur l’apposition de cette marque : Mathieu Bouyrou, alors exécuteur de Toulouse, est soupçonné d'avoir flétri un condamné non pas sur l'épaule, mais « au bas de[s] reins, ce qui est une contrevention à l'arrêt et aux ordonnances royaux et une prévarication manifeste » ; on le suspecte encore d'avoir marqué « légèrement » une femme récemment condamnée.
Finalement, l’exécuteur sera mis hors-de-cour et pourra continuer de vaquer à son office jusqu’à son renvoi en 1757 pour cause… « d’yvrognerie ».
Vérifications
Ce n'est que dans la seconde moitié du siècle XVIII que l'on a la certitude que la plupart des individus arrêtés pour vol ou même vagabondage sont soumis à un examen corporel.
Cette visite n'est pas conduite à la légère puisqu'elle demande l'intervention de deux experts : généralement un médecin et un chirurgien. Ceux-ci prêtent serment avant toute expertise puis remettent aux juges leur relation, rapport manuscrit décrivant : l'état des épaules, la présence de cicatrices suspectes, et surtout s'il y a signe évident d’une trace quelconque pouvant indiquer l'application d'un fer par ordre de justice.
La tâche n’est toutefois pas aisée du fait des nombreux stigmates qui ornent les épaules des hommes et femmes de cette époque. Entre traces de ventouses, cicatrices attribuées à des plaies causées par arme blanche, empreintes anciennes d’ulcères, scarifications imputables à la petite vérole, les experts restent prudents.
Faire disparaître sa marque
La technique la plus originale semble être celle employée par le fils du bourreau de Carcassonne, fustigé et marqué à Toulouse en 1744, « lequel après avoir été marqué du fer ordinaire se fit apporter un harang noir qu'il appliqua sur la brûllure pour en effacer la marque comme il disoit ».
Selon les experts, les techniques les plus employées sont l'application d'emplâtres corrosifs ou de vésicatoires.
Peine non infâmante
Il existe des cas de flétrissure non infâmante toutefois.
C’est ce qui est arrivé à deux vagabonds, convaincus d'être récidivistes (ils avaient déjà été arrêtés pour vagabondage), et ainsi de ne pas s'être conformés aux ordonnances royaux, tout comme à la récente ordonnance de police des capitouls publiée le 20 juillet 1754.
La sentence précise qu'ils seront condamnés au renfermement « pendant l'espace de trois mois, et qu'avant leur élargissement ils seront marqués par un des gadouards (ramasseurs de boue, ordures, gadoues) de la présente ville, au bras, dans l'intérieur dudit hôpital, d'une marque en forme de la lettre M, sans que cette marque emporte infamie ».
L’idée était de les marquer non pour les humilier mais pour pouvoir les identifier et les chasser voire les enfermer. La différence reste très subtile …
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