• Les papiers d'un laboureur - 1

     

    Les papiers d'un laboureur - 1

     

    Le livre de Jean Vassort (*), écrit en 1999, est basé sur les papiers qu'a écrit sur plusieurs décennies, Pierre Bordier, laboureur à Lancé au 18ème siècle : un Compendium (1741-1781) et un Journal (1748-1767). Ces notes nous donnent une idée du quotidien d’un petit village rural au 18ème siècle.

     

    La famille de Pierre et son village

    La vie de Pierre s’étale de la toute fin du règne de Louis XIV au tout début du règne de Louis XVI

    En effet il nait le 17 janvier 1714 à Crucheray (41) donc dans les dernières années du règne de louis XIV

    Le village se situe en Loir et Cher, dans la Beauce. Y vivent une centaine de familles (77 feux en 1713, 87 en 1768, 94 feux en 1790).

    Les papiers d'un laboureur - 1

     

    L’église Saint Martin ne ressemble alors pas à celle que l’on connait aujourd’hui puisque le clocher n’est en réalité qu’une petite flèche de bois placé sur le comble.

    La production agricole concerne essentiellement le froment (bled), l’avoine, l’orge. Il y a également de l’élevage puisque l’on recense sur Lancé en 1790 80 chevaux, 3 juments, 2 poulains, 9 ânes, 3 bœufs, 153 vaches, 2 taureaux, 58 génisses, 15 veaux, 55 moutons, 19 béliers, 524 brebis, 373 agneaux, 8 chèvres et 31 porcs.

    Son père, Jean est un laboureur demeurant, au moment de la naissance de Pierre, à Pinoche paroisse de Crucheray. Il est noté dans le registre de la paroisse qu’il est également fabricier (1730-1739) et syndic à Lancé (à 4 km de Crucheray). 

    Sa mère, Marie Lucquet est la fille de Pierre Lucquet, laboureur demeurant au Grand Fontenaille, paroisse de Nourray situé à 2km de Crucheray.

    Pierre a plusieurs frères et sœurs tous nés à Crucheray 

        - Marie e le 22 janvier 1716 et décédée le 20 novembre 1723 à Crucheray, à l'âge de 7 ans

        - Louise, née le 3 mars 1917 et décédée le 4 mai 1747 à Sainte Anne à l'âge de 30 ans

        - Jean né le 8 avril 1719 et décédé le 26 décembre 1725, à l'âge de 6 ans

           -   Marguerite née le 23 décembre 1720 et décédée le 25 février 1722  à Crucheray à l'âge de 14 mois 

    La mère de Pierre meurt le 16 octobre 1721, moins d’un an après la naissance de son dernier enfant. Elle avait 30 ans.

     

    Les papiers d'un laboureur - 1

     

    Pierre bordier se mariera, mineur (la majorité à l’époque pour les garçons est fixée à 30 ans),  le 1er mars 1734 à Anne Brethon (née le 25 janvier 1711 à St Amand Longpré – se situe à 5km de Lance). Elle est un petit plus âgée que lui.

    Le couple habitera avec Jean Bordier dans la ferme située au Pont à Lancé mais en 1750 Jean abandonnera la ferme pour vivre à Sainte Anne chez Jean Gallois,  gendre de sa défunte fille, Louise. Sainte Anne se trouve à 8km de Lance

    Pierre et sa femme quitteront la ferme du Pont et iront vivre à la petite Musse à Lancé. Pas très loin de leur ancienne ferme puisque par un côté ls dépendances de la petite Musse jouxtent la terre labourable de la métairie du Pont.

     

    Le couple n’aura pas d’enfant.

     

    Anne meurt le 14 novembre 1770 à Lancé. Elle avait 59 ans.

     

    Dix-huit mois plus tard, Pierre se retrouve papa d’une petite Marie Louise qu’il a eu avec Marie Louise Rimbault, 22 ans, servante chez Pierre et sa propre filleule. La parenté spirituelle va poser souci car elle constitue un cas d’empêchement au mariage

    Pour pouvoir lever cet empêchement il faut un bref pontifical ; celui-ci sera donné le 5 juin 1772, ce qui permettra le mariage le 15 juin de cette même année.

    Quatre autres enfants suivront :

    -              -  Pierre né en 1773 et mort en 1778

    -              -   Jean baptiste né à Lancé le 19 septembre 1775 et mort à Lancé, le 2 mai 1834, marchand laboureur

    -              -  Anne Marie née en 1777 et morte en 1837

    -              -  Pierre né en 1779 et mort en 1836, marchand laboureur

     

    Milieu social

    Pierre est issue d’une famille de laboureur relativement aisé : Jean est en effet pendant un quart de siècle fermier de la métairie du Pont, la plus grosse de la paroisse de Lancé d’après le rôle de taille de 1789. Son grand père Mathurin était déjà laboureur à Pinoche.

    L’un de ses neveux, Mathurin Gallois, est quant à lui prêtre curé de la paroisse Saint Nicolas de Blois ; il sera le tuteur des enfants de Pierre à son décès

    Le père de Pierre, Jean, exerce également d’importante fonction administrative : il est syndic de la paroisse en 1734 c’est à dire qu’il est en charge des intérêts de la communauté villageoise et également fabricier durant 9 ans.  A ce titre, il gère les comptes de la paroisse et administre les biens et revenus de l’église de Lancé. C’est donc lui qui baille à ferme les biens de la paroisse (souvent des legs ) il gère les dépenses indispensables : achat de cierges, entretien du mobilier de l’église (dais, balustres, confessionnaux), remplacement de la corde de la cloche, réparation des murs du cimetière.

    Le cumul des deux charges (syndic et fabricier) est peu courant et indique une position sociale importante au sein de la communauté.

    Pierre sera lui aussi syndic mais pas fabricier.

    Il est désigné par le prêtre de la paroisse comme étant tantôt marchand laboureur, tantôt que laboureur ou que marchand. A partir de 1770 il est indiqué plutôt dans les actes de la paroisse qu’il est « ancien fermier », ancien laboureur fermier » voire même « ancien marchand laboureur fermier ».

     

    Sa fortune

    La petite Musse où il habite comprend à sa mort en 1781 une maison composée d’une chambre à cheminée, un four, une petite chambre froide, une écurie, une petite grange, un hangar « le tout sous même toit et couvert de thuille, grenier sur lad. chambre et écurie » elle se complète à l’est d’ « un autre petit corps de bâtiment  composé d’une petite buhanderie d’un cellier, grenier sur yceux couvert à thuille » et au sud du bâtiment principal « un autre petit corps […] composé d’une étable à vaches et têts à porc, couvert de chaumes »

    Il y a aussi des « jardins devant et derrière et au bout desdits bâtiments clos de terre labourable et vigne, le tout en un tenant » ainsi qu’ « une pièce d’autre terre labourable de 12 boisselées et 2 boisselées de pré ».

    En 1781 à son décès l’inventaire indique : 

    • 2 chevaux de 7 et 9 ans et leur équipement « colliers, brides, traits de charrue et charrette »
    • « une charrue roulante en rouelles de bois »et les éléments de rechange (un versoir, 3 oreilles, un coutre et 4 socs »
    • Une charrette, une brouette, divers outils : une faux avec ses battements, des fourches, 3 crocs, une marre, 3 pelles en bois, une pelle-bêche, une pelle-râteau, un pic, un râteau en fer, un fléau, un van, une « meule à émondre », un arrosoir, un entonnoir, un boisseau de Vendôme, un minot de bois
    • Du blé, de l’avoine, du foin, du chanvre, du bois
    • « 6 septiers de bled froment compris une petite partye de segle »
    • « cinq poinçons et un quart de vin de l’année dont ¾ en blanc »
    • 9 poinçons de futaille
    • 5 vaches
    • Une taure
    • 5 vaisseaux de mouches abeille
    • 3 vieilles ruches
    • 30 livres de viande de porc conservées dans le saloir
    • 25 boisseaux de glands
    • Un baquet à égoutter le fromage
    • Une pelle à four
    • Une baratte
    • 30 pots à couler le lait

     

    Dans la maison et plus précisément la principale chambre, on trouve :

    • Un coffre en bois de noyer sans la clé
    • Une petite armoire de bois fruitier de mauvaise qualité
    • Un lit complet
    • Un buffet en forme d’armoire neuf et fait de différentes espèces de bois »
    • Une table de bois de poirier
    • 10 chaises de paille de mauvaise qualité
    • Un petit vaisselier de faible valeur
    • 2 petits lits de mauvaise qualité
    • Une couchette d’enfant

    Dans la petite chambre voisine

    • Un petit lit
    • Un coffre de médiocre qualité

     

    Quant au linge, Pierre possédait :

    • Six draps de grosse toile d’usure variée
    • 8 nappes «  au trois quart usées »
    • 9 petites serviettes
    • 9 petits essuye-mains
    • 20 chemises dont 9 neuves et « les autres plus que my-usées »
    • 9 petits mouchoirs
    • 2 petits fichus
    • 11 coiffes de bonnets de nuit
    • Une douzaine d’habits, vestes et culottes de mauvaise qualité
    • Un manteau de cavalier en drap de mauvaise qualité

    La plupart des vêtements sont de couleur sombre à une époque où les couleurs vives sont à la mode

     

     Dans la cuisine, on retrouve :

    • un équipement de cheminée
    • 3 poeles
    • 2 poelons
    • Une boite à sel
    • 2 marmites avec leur couvercle
    • 3 chaudrons de fonte
    • Une cuillère à pot en cuivre
    • Des plats en terre
    • 11 assiettes de fer « mauvaises »
    • 11 assiettes de faïence
    • 16 autres d’étain dont 6 très petites
    • 19 cuillères d’étain
    • 7 gobelets d’étain
    • Pas de verre ni de couteau
    • 2 seilles (sceau) à eau
    • Un « mauvais réchaud de cuisine »
    • Une petite pendule
    • Un fusil
    • Une gibecière
    • Un bassin à barbe
    • Un « pezet » (balance)
    • Une « plumée é
    • Une lampe
    • Un lampion
    • 1500 livres dont 25 louis de 48 livres)

     

    L’ensemble de l’inventaire n’atteint pas 400 livres. Si Pierre a été riche, cela n'apparait pas clairement au vu de cet inventaire.

    Ceci étant, entre les divers loyers et fermages , les activités d’élevage et les prés, il tire chaque année à peu près 2000 livres ce qui reste correct mais sans plus ;  ça le situe tout de même aux tout premiers rangs de la société villageoise.

    A noter que le rôle de taille de 1789 contient 112 côtes dont 21 concernent les laboureurs imposés pour "exploitation de labour", "pour exploitation de sa ferme", "pour sa ferme" ; ces 21 côtes représentent les ¾ de l’imposition totale de la paroisse . On y retrouve la ferme du Pont, longtemps exploitée par la famille Bordier et qui en 1789 appartient à la veuve Jacques Gombault : elle est taxée 193  livres , la plus haute du rôle.

     

    La suite : ICI

     

     

     (*) Jean Vassort est agrégé d'histoire, docteur d'État, professeur honoraire de khâgne au lycée Descartes de Tours.

    Il a écrit divers ouvrages très intéressants que je vous recommande : voir ICI et ICI

     

     

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