• Les papiers d'un laboureur - 2

     

     

    Les notes de Pierre Bordier relatent le quotidien de son village et tout ce qui lui semble important de noter. On ne retrouve pas d’émotion, de réflexions particulières sur sa vie ou son époque. Ce sont essentiellement des faits qui vont nous donner une idée des moeurs du temps, des rigueurs de la vie et ses aléas.

    Ci-dessous quelques exemples (avec l’orthographe de Pierre) de ses notes que j’ai rassemblées en thématiques :

     

    Sur la météo et l’impact sur les cultures

    • En février 1754 il note qu’en raison de la neige qui recouvre les champs « les alouettes viennent manger les choux du jardin »
    • En septembre 1754 suite à la sécheresse « touttes les légumes des jardins sont tous perdus : les choux les pois chiches , éricots ou pois blancs ; les chénévriers sont sans chénevis »
    • En décembre 1755 « il est arrivé une grande creux [crue] d’eau à la Loire de Blois qui a fait bien de la perte à ses voisins. Le mardi 2 de ce mois, elle a été si forte que il y a 32 ans qu’elle n’a été si haute. On a vu dans la rivière plusieurs bœufs vivants , du bois en quantité que l’on a tiré contre les ponts. Et a effrayé bien du monde ; elle a emporté deux ou trois maisons de Vienen [faubourg de Blois sur la rive sud du fleuve]. Elle a fait une furieuse peur aussi à Blois […] elle a emporté les ponts et plusieurs maisons qui étoient sur les ponts».
    • En février 1756 : « le mercredi 18 il a fait un grand vent qui a bien fait du dégât à toutes les maisons partout, et jeté (à bas] une grange à Villemorain et a blessé un homme dans ladite grange ». Cette tempête « a jeté la croix du cimetière à bas ».
    • Dernière semaine de juin 1757 : « cette semaine a été si chaude que l’on boillet comme le bœuf cuit entre deux plats en son jus »
    • En janvier 1758, il y a eu une grosse tempête de neige : « la neige et la gelée a été si âpre et rude qu’il y a un nommé Suard de Villeporcher qu’on a trouvé gelé en un chemin et mort avec son âne ; cet homme revenait de l’huile des Roches ; il est mort entre le Grand Breuil et les Haies. »
    • Au printemps 1760 « depuis le commencement (du mois) il a fait beau, un temps propre pour les chénévriers, un temps bas, nuageux et chaud, couvert. Les bleds sont bien préparés ; les vignes encore mieux ; les prés les menus grains, tout est bien et promet beaucoup »
    • En décembre 1762 et janvier 1763 Pierre a noté que « la terre est gelée de 14 à 15 pouces avant le cimetière » (une quarantaine de cm)
    • Le dimanche 13 mars 1763 «  il a gelé jusque dans les maisons»
    • En 1768 « il y avoit beaucoup de pomme, peut de poire, point de serize, un peu de guine »

     

    Les papiers d'un laboureur - 2

    Tableau anonyme du 18e siècle, exposé au Castello Sforzesco de Milan

     

     

    Sur la religion

    • En septembre 1758, « le peintre a commencé [dans l’église] le lundi 11 de ce mois, où il fait le grand tableau, deux autres de chaque côté du grand Autel et un devant l’autel, et peint toutes sortes de boiseries»
    • En juin 1763 : « le 3 de ce mois on a exorcisé tous les bestiaux sur le pastis du prieuré : chevaux, vaches, moutons, brebis, agneaux, cochons, le lendemain de la feste su Saint Sacrement à 2heures après midi».
    • Quelques exemples de cérémonie du Lazare, au cours de laquelle un condamné « pour un cas piteux et rémissible » ayant obtenu une grâce plénière doit porter en procession solennelle un cierge de 33 livres : en 1753, un garçon d’Epuisay âgé de 17 ans qui « avoit tué son camarade à la chasse par mégarde», en 1754, « celui qui a porté le cierge du Lazare est un chirurgien tout proche Le Mans, qui a tué un homme et après l’avoir tué, il a voulu le mettre au feu pour le brûler »

    Les papiers d'un laboureur - 2

    Eglise Saint Martin à Lancé

     

    Sur l’école de Lancé

    • Mars 1760 « le jeudy 2, M. Lattron est décédé et sa femme le vendredy 14, il estoit sacriste à l’église de Lancé »; « il est venu un appelé David pour être sonneux et enseigner l’école, le jour des Rameaux qui est le 30 mars » ; « on luy donne la jouissance de 12 boisselées de terre par an ; on lui donne 25 sols pour l’enterrement s’une grande personne, 10 sols pour chaque service, 5 pour assister le curé à aller chercher les corps, c’est-à-dire le convoy […] on lui donnera 7 sols pour l’enterrement des enfants »
    • « le jeudy 21 (mai 1767) le sieur David , sacriste et maître d’école à Lancé, s’en est allé d’ol étoit venu, à Blois, pour être aussy maître d’école à En Vienne les Blois ; il y a été (ici) 7 ans » ; « le dimanche 12 (juillet 1767) on a reçu Tondereau pour être sacriste à Lancé aux conditions de David»

     

    Sur les animaux et les menaces qu’ils pèsent sur le village

    • 1742 « la Beste qui dévore les anfans a commencé cette année à faire son carnage» - est ce un loup dont il parle ?
    • 1747 : « la Beste resgnes toujours actuellement , qui fait un grand désordre, on a beau y faire la chasse »
    • 12 septembre 1751 : le curé écrit qu’à Saint Arnoult, « a été inhumé la tête et quelque os du corps de Marie Hult (…] duquel corps on n’a pu trouver que ladite tête et une petite poignée des côtes et de petits os, les habits à leur entier et une jambe attenante l’os de la cuisse »
    • Mars 1754 : « on parle actuellement de la Beste qui dévore les enfants surtout en la paroisse de Villeporcher et Saunay. Elle en a haché et étranglé trois cette semaine, à Saunay»
    • Février 1766 : « le Grand Maître des Eaux et forêts a ordonné une chasse aux loups ; on s’est rassemblé devant le château de Bouchet-Touteville ; il y avoit Crucheray, Nourray, Lancé, Gombergean, Pray et Lancômme, un homme de chaque feu. On a tué un renard au Clos Mouchard et tiré quelques loups près de Puterreau […] on n’a rientué ; il faisoit trop grand froid et grand vent»

     

    Les papiers d'un laboureur - 2

    Un loup en ville ! gravure XIXe - coll. cl. Ribouillault

     

    Sur les évènements liés à l’actualité en France et ailleurs

    • 1743 : « il c’es levé une grande gueres entre les François et la Reyne de Hongris »
    • 1746 « les guerres sont si grandes que tout les peuples en sont épouvanté »
    • En août 1754 « on a fait de grandes réjouissances dans Paris (lors) de la naissance de Monseigneur le Duc de Berry, petit fils du Roy, 15ème du nom » (le futur Louis XVI)
    • 1756 : « on fait la guerre avec le roi d’Angleterre sur mer ; on a pris une ille que l’on nomme le Port-Mahon et encore une autre , je ne sais plus son nom»
    • En décembre 1757 « le fils du sieur Challussez (le seigneur) a perdu la vie (à la bataille de Rosbach) par un boulet de canon ; il était capitaine dans la cavalerie, âgé de 30 ans »
    • 1757 : «  il est venu une nouvelle que c’est seur que Louis 15 a été poignardé, mais c’est à Versailles : il en reçu deux coups, l’un au coude et l’autre à la quatrième coste d’en bas ; il n’a pas été percé à jour mais la peau et un peu de chair. […] celui qui a donné les coups de couteau est de la ville d’Arras ; son métier étoient contre porteur de pierre à dégraisser les tâches sur les habits et de pierre à fusil, amadou et autres petites niaiseries comme on en voit dans les foires à trainer. Il avait une grande redingote par-dessus de vieux haillons».

    Les papiers d'un laboureur - 2

    Eau forte aquarellée - Anonyme. 1757 - Musée du barreau de Paris

     

    • « le dimanche 6 (mars 1757) on a chanté le TE DEUM pour rendre grâces à Dieu de la guérison et du rétablissement du roi Louis XV» suite à l’attentat de Damiens
    • Le samedi 23 juillet 1763 est annoncée la nouvelle du traité de Paris mettant fin à la guerre de Sept ans : « la paix a été publiée par le sieur Auriou, huissier à Vendôme, et accompagné de hallebardiers et environ 10 à 12 fusilliers, tous à pied».
    • 1775 : « Louis XVI a été sacré à Reims le 11 juin, jours de la Trinité»
    • Sur la guerre d’indépendance en 1779 : « nous avons de la guerre sur mer ; le comte d’Estin y prend les Englois prisonniers , même il y en a environ d’un cent à Vendôme ; il y a les Amoriquins, l’Espagne et la France qui leurs font la guerre et sont encore les maîtres bien souvent ; ils nous prennent souvent des vessaux et bien des munitions de guerre»

     

    Les papiers d'un laboureur - 2

    Sacre de Louis XVI - 11 juin 1775

     

    Sur la vie de ses concitoyens

    • Représentations : En 1749 « le mercredy 23 avril, il est arrivez à Vendôme plusieurs personnes qui ont un Tableau qui représente la mort et Pation de Nostre Seigneur dont tout le monde en est ravy de joie, et plusieurs oiseaux qui chantent au parfait»
    • En juillet 1753 il rapporte qu « on a fait voir au peuple deux enfants collés l’un à l’autre et un poisson de mer nommé lion marin»
    • « Le mardi 22 may (1754) il s’est nayé un enfant de 2 ans à Armand Rimbault à Chandelay dans un trou d’eau en sa cour » ; il s’agit de Jacques Rimbault frère de marie louise, sa servante et future femme
    • En février 1755 un marchand de vaches tue sa femme à Montoire
    • En octobre 1755 « on a dressé un théatre devant l’abbaye de l’Etoille, par un opérateur nommé Scipion ; ils sont 22 de leur troupe. Il est bien habile dans ses opérations. Il a fait son orviétan devant les magistrats et chirurgiens de la ville de Vendôme en la chambre de la ville » et le 20 décembre 1755, « le théatre aux opérateurs n’est pas encore à bas mais le harlequin en sautant dessus il a défoncé [le plancher] par le milieu et s’est fait grand mal aux jambes ; le sang a parti sur ses bas tout [de] suite»
    • En décembre 1755 : lors des crues de la Loire, « on a trouvé à Amboise en la rivière un berceau avec deux enfants dedans tout vivants, sans aucun mal, avec chacun un grelot en leurs mains ; on regarde cela comme un miracle ; on ne sait pas d’où ils sont natifs»

    Les papiers d'un laboureur - 2

     

    Scène de sauvetage en val d'Orléans - crue 1846 - musée de la Marine de Loire

     

    • « Le jeudy 25 (septembre 1755) le sieur Delauné , curé de Gombergean est décédé et enterré le 26 ; il est entré dans sa cure à la chandeleur 1744 en la place du sieur Leroux, qui s’en fut curé de Villexanton ; il a été curé environ 11 ans et demy » - deux mois plus tard, « le vendredi 21 (novembre), M. Quetin a pris possession de la cure de Gombergean  a dit sa 1ère messe le jour de la trinité d’hiver »
    • En janvier 1758, « la femme du sieur Derois, de St Amand, est revenue depuis 8 ou 10 jours. Elle a été absente environ 4 ans d’avec luy»
    • En janvier 1760 décès de mme Souchay « agée d’environ 90 ou 91 ans»
    • En 1760 « M Desnoyers, curé de Lancé a etrenné une chappe et une chasuble neuves qui est venue de paris le jour de Pasques qui est le 5 d’avril»

     

    Les papiers d'un laboureur - 2

    Enterrement d'un enfantAlbert Anker, 1863

     

    Sur lui : Pierre a écrit très peu de choses sur lui  

    • Juin 1751 : vol avec effraction à la petite musse « pendant que la paroisse de Lancé était allé processionnellement dudit Lancé en station à l’église paroissiale de la paroisse de Saint Amand après les vespres de ladite paroisse de Lancé pour le Jubilé, il fut fait une fracture au cul de leur four de la maison du déposant appelée la petite musse dite paroisse de Lancé » ; le voleur trouve « dans le coffre du déposant qui était au pied du lit [..] un sac de toile où il y avait environ 416 livres en écu de six, trois livres et monnaie, de laquelle somme il prit environ 210 livres, laissa le surplus dans ledit sac » - cela correspond à peu près à une année de salaire de journalier c’est donc une somme importante

    On retrouve ce témoignage par une procédure judiciaire en 1776 (soit plus de 20 ans après les faits) ( AD 41 série B, bailliage de Vendôme)

    • En juillet 1754 Il achète « un cheval de ans, gris pour 100 livres»

     

    Sur les exécutions et sanctions diverses

    • Le 5 novembre 1757 un homme natif de la Chapelle Gauguin, coupable de vol est exécuté par pendaison ; le 3 mars 1759 ce sera une servante, Marie Lanoux, « âgée de 20 à 21 ans, native de Caen, en Normandie», qui sera pendue pour vol ; elle avait volé en novembre 1758 à l’hôtesse de l’auberge du Petit Paris « un drap de brin de 5 aulnes, un rideau d’indienne ayant ses boucles, un tablier, une paire de bas et une cornette de nuit »
    • En juin 1752 « on a fouetté et flurdelisé un homme de Selommes pour avoir vollé environ 30 boisseaux de bled à son cousin»
    • Le 29/04/1761 « Jallier  est mis en prison à Montoire pour avoir été accusé d’avoir vollé 6 boisseaux d’avoine»
    • En aout 1766, « le samedy 2, on a roué à Vendôme un homme de Mazangé, dans le marché de Vendôme. Il y avoit 4 bourreaux ; on l’a mené la nuit à l’arche du Mauvais Pas où il est exposé sur la roue».

    Les papiers d'un laboureur - 2

    Flétrissure - archives de Toulouse

     

     

    « Les papiers d'un laboureur - 1De la pomme de terre à la frite »

  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :