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Enfants trouvés
Tableau du XIXème siècle représentant un bébé abandonné. Artiste inconnu.
Comme on l’a déjà vu dans un précédent article (l'enfant au fil des siècles) les nouveaux nés sont malheureusement à la merci de nombreux risques. Ainsi en est il surtout des enfants abandonnés.
Des meneurs les convoyaient sur des km jusqu’à un hôpital dans des conditions tellement déplorables que le Parlement de Paris interdit en 1663 le déplacement des nouveaux nés de la province à la capitale sous peine de 1000 livres d’amende au profit de l’Hôpital général et de sanction corporelle. En 1779 un arrêt du Conseil du Roi réaffirme cette règle mais rien n’y fait.
C’est ainsi que le 27 mai 1789 le voiturier Pierron, d’Oisemont dans l’Eure, conduit à la maison de la Couche de Paris 12 enfants. Le 12 juin rebelotte avec 15 nourrissons dans une voiture cahotante où les bébés risquent à tout moment de se briser la tête ou de tomber.
Ou encore sur la route de Reims à Paris, dans le village de Fismes, 1ère étape du meneur, est inscrit sur le registre de 1778 : "décédée en passant par Fismes, âgée de 4 jours, fille de Nicole Drumelle de la paroisse de Vrizy, suivant son extrait de baptême, délivré par le prêtre habitué de l'Hôtel Dieu de Reims".
Ces enfants abandonnés sont très jeunes : à Lyon, en 1716-1717 les nourrissons de moins d’un mois représentent 60% des effectifs (dont40% de un à deux jours !).
A Béziers au 18ème siècle, les 2/3 des enfants abandonnés n’ont pas trois mois.
A noter qu’entre 1640 et 1789 la maison de la Couche à Paris reçoit près de 390000 enfants.
Pourquoi ces abandons ?
Les raisons sont bien sûr multiples et il est difficile de toutes les appréhender. Mais parmi celles-ci, la plus évidente reste l’illégitimité. Nés hors mariage, les enfants sont frappés d’indignité et d’incapacité totale de succession. Ils n’ont donc aucun moyen de subsistance. Ceci étant cette crainte ne va tourmenter que la bourgeoisie ou l’aristocratie.
L’illégitimité vient aussi du concubinage, plus développé dans les classes populaires urbaines qui n’ont rien d’important à léguer du moins pour la majorité. Mais là le souci va résider dans le fait de ne pas avoir d’attache pour pouvoir survivre c’est-à-dire pour pouvoir trouver du travail. Une fille mère, ne l’oublions pas, est mal vue dans la société et réduite à la misère si elle garde son enfant.
Richard Redgrave, 1851, fille mère chassée de sa famille, Royal Académy of Arts
A Reims à la veille de la Révolution, plus des quatre cinquième des mères abandonnant leurs enfants sont célibataires : elles sont fileuses de laine, servantes, domestiques …
Et que dire des jeunes filles séduites par le fils de famille quand ce n’est pas le père de famille lui-même ! Voir article sur la domesticité
La misère explique également le nombre des abandons. Louis Sébastien Mercier dans Tableau de Paris écrit : « comment songer à la subsistance de ces enfants quand celle qui accouche est elle-même dans la misère et ne voit de son lit que des murailles dépouillées ? Le quart de Paris ne sait pas la veille si ses travaux lui fourniront de quoi vivre le lendemain ». Jean Jacques Rousseau lui-même justifie auprès de Mme de Francueil l’abandon de ses 5 enfants ainsi : « je gagne au jour la journée mon pain avec assez de peine comment nourrirai-je une famille ? »
Le nombre d’enfants abandonnés va donc tout naturellement augmenter avec les crises alimentaires : En 1709 lors du terrible hyver, les abandons à Paris sont passés de 1759 en 1708 à 2525 en 1709 et 1698 en 1710. Idem à Lyon : en 1708, on recensait 454 abandons d’enfants contre 1884 en 1709 et 589 l’année suivante.
Parmi tous ces enfants abandonnés, il y en a malheureusement qui n’étaient pas destinés à l’abandon … ainsi le 8 janvier 1703, Jean Mondon, propriétaire, loue une chambre à une femme avec 2 enfants en bas âge. Elle doit mendier pour trouver de quoi subsiter. Arrêtée pour mendicité, elle est conduite avec son plus jeune enfant à l’Hôpital général. Le plus grand, resté dans la chambre sera remis à la Maison de la Couche.
Idem pour Charles Hochaut dont la mère, malade, est entrée à l’hôtel Dieu de Paris le 28 avril 1658. Les administrateurs de l’hôpital ne pouvant s’occuper de l’enfant l’amènent à la Maison de la Couche.
D'autres encore sont abandonnés par leurs parents pour éviter qu'ils ne meurent de faim : le 1er février 1703, Jacques Bénardier, limeur, se présente à la Charité car il vient de perdre sa femme; il a 5 enfants dont l'ainé a 9 ans et demande qu'on recueille la plus jeune, âgée d'un an et "encore à la mamelle". Elle sera placée en nourrice aux frais de la charité.
La Maison de la Couche
Cette Maison créée par Saint Vincent de Paul en 1638 devient en 1670 l’hôpital des Enfants Trouvés ou Maison de la Couche.
En effet, révolté par l'exposition des enfants dehors quel que soit le temps et par l'horreur de savoir "qu'on les vendait dans la rue Saint Landry 20 sols par tête à des femmes viciées qui se faisaient sucer un lait corrompu par ces infortunées créatures", saint Vincent de Paul arrive à convaincre Louis XIII de lui céder son château de Bicêtre avec une rente de 20 000 livres.
Saint Vincent de Paul réussit également à convaincre des dames fortunées et influentes d’apporter leur patronage à cet établissement spécialement destiné aux enfants trouvés. Le succès est réel mais la situation financière de cette institution reste difficile. C’est pourquoi elle sera rattachée en 1670 à l’Hôpital Général sans que cela ne résolve complètement la problématique financière.
extérieur de l'hôpital des Enfants Trouvés, 18ème, Musée Carnavalet
L’enfant qui rentre à la Maison de la Couche reçoit un collier numéroté et scellé plus un sachet dans lequel se trouve le procès verbal du commissaire ou du personnel ayant réceptionné l’enfant. L’enfant est enregistré dans un registre avec son nom ; soit ce nom était mentionné dans les affaires qu’il portait soit on lui en attribue un.s’il a été trouvé près d’une porte il pourra s’appeler Delaporte, si ses parrain et marraine (souvent du personnel ou des pensionnaires de l’hôpital) s’appellent Sennequin et Duval et le petit s’appellera Senneval.
Puis un médecin l’examinera pour vérifier surtout s’il n’est pas porteur de maladie contagieuse.
Enfin il sera remis à une nourrice résidant à l’hôpital. En 1672, il y en a 2, 5 en 1708 et 8 en 1756. Celle cii est chargée de les allaiter avant de les faire partir à la campagne. Le problème est qu’elles sont vite débordées et il faut trouver une alimentation autre : lait de vache, de chèvre, d’anesse, lait coupé avec de l’eau douteuse, soupe avec du pain bien cuit et du lait, …
A l’hôpital de Rouen on expérimenta le lait de vache coupé d’eau bouillie, d’eau de riz ou de décoction de rhubarbe, « cet essai de nourriture, avec le lait de vache, fut fait sur cent trente deux enfants depuis le 15 septembre 1763 jusqu’au 15 mars 1765 ; il n’en resta au bout de ce temps que treize vivants. Dans ce petit nombre, plusieurs étaient mourants […] d'autres qui ne digéraient pas le lait furent mis au bouillon gras, à la panade, quelques-uns à la bouillie préparée avec la farine et le lait.» RAULIN (J.). De la conservation des enfants. Paris, 1768.
Comment faire manger les bébés ? biberons d’étain, de terre avec comme tétine des bandelettes ou des tétins de vache, cuillère….
biberon en étain
Bref il est évident que les ustensiles utilisés sont des foyers d’infection microbienne et le lait non bouilli ne vaut guère mieux.
Quant aux locaux, ils sont vites trop petits : en 1784, la salle des pouparts de la Maion de la Couche était « une grande pièce contenant environ 80 berceaux contigus les uns aux autres, à la suite de laquelle est une infirmerie pour les enfants moribonds ».
Les nourrissons sont changés au mieux une fois par jour tant le langeage est serré. L’enfant a le temps de macérer dans ses excréments et son urine, faisant ainsi le lit des épidémies les plus variées.
L’état alarmant des bébés ceci étant vient aussi du fait qu’ils sont à leur arrivée le plus souvent syphilitiques, ou abimés par des manœuvres abortives infructueuses ou par le manque de savoir faire de l’accoucheuse ou encore par la malnutrition de la maman pendant la grossesse.
Tout cela donne au final des chiffres catastrophiques : en 1781 l’hôpital de Paris reçoit 11 bébés ; 10 meurent dans le mois qui suit. Le dernier survivra jusqu’en 1784. En 1670, la Maison de la Couche accueille 423 enfants : 118 meurent avant leur mise en nourrice.
l'orphelinat, anonyme, 19ème, Musée Carnavalet
Sources
Enfants trouvés, enfants ouvriers 17/19ème siècle de Jean Sandrin
la Maison de la Couche à Paris de Léon Lallemand
le site suivant https://www.tombes-sepultures.com/crbst_2170.html
le site suivant sur les biberons au cours des siècles : http://dona-rodrigue.eklablog.com/histoire-du-biberon-a3971890
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