• Manuels de vulgarisation thérapeutique

     

    Afin de lutter contre la maladie de façon efficace, sans superstition, sorcellerie ni coût dispendieux, apparaissent à partir du 16ème siècle des manuels de vulgarisation de médecine à destination des pauvres.

     

    Entendons-nous bien :  le pauvre  à cette époque ne sait pas lire. En fait ce type d’ouvrage est d'abord destiné à ceux qui s’occupent du soin des pauvres ; Il n'y a pas au 16ème siècle de médecin de campagne, tout au plus des chirurgiens de campagne qui vivent et exercent essentiellement dans de gros bourgs. Ce sont donc des dames dévotes et charitables, des religieuses hospitalières, des curés … qui vont soigner de leur mieux les nécessiteux de leur paroisse.

    Aussi les ouvrages en questions étaient d'une aide  inestimable pour ces personnes.

    Madame Fouquet par exemple, mère du surintendant Nicolas Fouquet, préparait des remèdes qu'elle distribuait aux pauvres. C'est ainsi qu'elle rédigea une compilation de ces recettes : Les remèdes domestiques qui fut publié en 1675. Son fils Louis, évêque d'Agde, l'envoya à tous les curés du diocèse en les priant d’organiser des assemblées pour en faire prendre connaissance à leurs paroissiens.

    Manuels de vulgarisation thérapeutique

    « La santé du corps est assurément le plus grand de tous les biens créés puisque sans elle la possession des honneurs, des richesses et satisfactions les plus légitimes est toujours imparfaite et souvent ennuyeuse » nous explique Mme Fouquet.

    Les remèdes et les simples permettent de conserver la santé, elle en est certaine mais « il y a quatre choses qui d’ordinaire font rebuter les remèdes dans les maladies tant interne qu’externe [….] la cherté, la difficulté de les préparer, l’aversion pour leur usage, et l’incertitude de leurs effets ».

    Le docteur Delescure qui rédigea la préface de l'ouvrage de Mme Fouquet précise que cet ouvrage est destiné à simplifier la tâche de ceux qui ont besoin de préserver ou recouvrer leur santé en les protégeant des charlatans : « Pour moy qui suis ennemy juré de tous ceux qui font profession de débiter des secrets et qui en cachent l’intelligence ».

    Et de vanter les remèdes de ce recueil de recettes : « Combien de personne de tout sexe et de tout âge qui pour être dans une pauvreté connue ou dans une honteuse indigence ne sont pas moins l’image de Dieu, que les plus riches, et à qui la vie n’est pas moins chère qu’aux plus opulents, l’ont heureusement conservée par le prudent usage de ces inestimables recettes. Combien de tête galeuse et chargées de teignes en ont été tout à fait nettoyées. Combien de visage enlaidis et rendus difformes par l’opiniâtreté des dartres ont recouvré leur premier éclat par l’application de ces rares onguents, combien de parties du corps à demy grillées par la violence d’un feu inopiné ont perdu dans peu d’heures par le moyen de ces incomparables baumes, l’impression douloureuse causée en elle par l’activité surprenante de cet impitoyable élément ? combien de bras et de jambes à demy pourris et gangrénés par la sanie des playes, le pus des tumeurs, et l’ordure maligne des ucères rongents à la guérison desquelles la plus fine chirurgie s’est trouvée courte ont été consolidez par l’énergie de ces merveilleux emplâtres… »  

    Manuels de vulgarisation thérapeutique

    Récolte de la sauge

    Ces ouvrages de vulgarisation se développeront jusqu’au 19ème siècle : ils sont simples, pragmatiques, écrits en français  et non en latin et basés sur un savoir populaire, empirique et peu coûteux. Car l’idée (nous l'avons vu avec Mme Fouquet) est en effet de concocter rapidement  des remèdes avec les produits locaux dans la mesure du possible sans passer par des plantes exotiques et couteuses et sans passer par l’apothicaire qui bien souvent est en ville et donc loin et cher. Malgré tout, on retrouvera dans ces manuels quelques recettes imaginatives, complexes et demandant des ingrédients que l’on ne trouve pas partout …

     

    Qui sont les auteurs de ces manuels ? Arnaud de Villeneuve par exemple est un médecin galiéniste connu pour ses oeuvres scientifiques et médicales, éditées jusqu'à la fin du seizième siècle, notamment le Trésor des pauvres dont la version imprimée date de 1504 et dont s’inspireront de nombreux manuels de vulgarisation  de médecine après lui.

    Manuels de vulgarisation thérapeutique

     

    Attention, ces manuels se basent comme toute la médecine de l’Ancien Régime, sur les théories des symboles, les humeurs,….

    Manuels de vulgarisation thérapeutique

    Dans le "Breviarium Practicae", Arnaud de Villeneuve explique par exemple que la douleur dentaire provient parfois du vice du cerveau à cause des humeurs froides qui descendent de la tête jusqu'au nerfs dentaires et produisent une douleur sourde avec une lourdeur de la tête, inflammation et pâleur du visage. Quand ces humeurs sont chaudes, la douleur est aigüe et pulsatile, avec une rougeur du visage.

    Manuels de vulgarisation thérapeutique

     

    Bref, voici quelques titres : Les erreurs populaires au fait de la médecine et régime de santé du chancelier Laurent Joubert en 1578, le Livre des secrets touchant la médecine d’Anne Marie d’Auvergne en 1768,  La médecine et la chirurgie des pauvres de Dom Nicolas Alexandre en 1714, La médecine, la chirurgie et la pharmacie des pauvres de Philippe Hecquet édité en 1740,  Les remèdes domestiques de Mme Fouquet en 1675, Le médecin des pauvres de Paul Dubé en 1669( Si un païen comme Gallien se souciait des pauvres, écrit-il, c'est un devoir bien plus grand pour nous Chrétiens de nous pencher sur le sort des malheureux) 

     

     

    Exemple de recettes et remèdes tirés de ces ouvrages

    - La fleur du  myrthe  est séchée et utilisée contre les piqûres d’insectes et les catarrhes.

     

    - La menthe aide à lutter contre l’engourdissement et le sommeil, aiguise l’appétit aide les facultés intellectuelles, ; elle est utilisée comme expectorant contre les quintes de toux et l’asthme.

    Elle est utilisée comme stomachique pour ses propriétés cordiales toniques antiseptiques de l’estomac :

     « faites cuire de la menthe pouliot dans du vin, buvez cette décoction et ayant trempé une éponge dans icelle étant chaude, appliquez la sur l’estomac »

     

    - « Les coquilles de limaçons réduites en poudre sont fort diurétiques … les écrevisses de rivière lavées et dégorgées dans l’eau chaude puis concassées font un bouillon adoucissant diurétique … les grenouilles en font un excelle nt remède contre la phtisie »

     

     - « mettez dessus (sur bubon de peste) un crapaud désséché dans un pot luté mis au four. Il attirera le venin et devie ndra enflé , entterez le et appliquez un autre et continuez ainsi de suite »

     

    - « pour la colique prenez de la fiente de cheval récente , jetez dessus un verre de vin blanc ; ensuite vous le passerez par un lingé fin, vous y ajouterez une drachme et demie d’anis vert pulvérisé et un peu de sucre. Il faudra réitérer cette dose seux ou trois fois »

     

    - Contre la peste il est conseillé aux individus sains  de boire le matin à jeun leur propre urine de telle manière que ce concentré de leur organisme qui n’a pas conçu la maladie dont l’entourage est atteint, constitue un antidote

     

    - La pierre d’aigle pendue au cou ou à la cuisse de la femme enciente permet d’obtenir un bon accouchement

     

    - La pierre de jade calme les coliques

     

    - Le jaspe rouge arrête les hémorragies

     

    - Pour les hémorroïdes il faut boire un vin « lequel est fait de cinamone (cannelle), réglisse gingembre, girofle, calament, myrthe, mastic et balsamite. »

     

    - Contre le flux de ventre , « prendre 2 drachmes de rasure de cornes de cerf, 3 livres d’eau commune, 3 onces de sucre fin, 2 onces de eau de rose, 1 once de suc de grenades aigres, 1 drachme de santal pulvérisé ; faites infuser sur les cendres chaudes dans les 3 livres d’eau commune la corne de cerf pendant 6 heures ; ensuite faites bouillir cela à feu lent jusqu’à ce que les deux tiers soient presque consumées ; coulez le at ajoutez y le reste des drogues ; faites encore bouillir le tout à feu lent pendant un quart d’ehure ; après laissez le refroidi et mettez cette liqueur dans des conserves de verre où il se réduira en gelée et donnez au malade de temps en temps deux cuillères de cette gelée »

     

    - « le meilleur cordial qui coûte le moins pour les pauvres est le vin puisqu’il n’y a rien qui sépare sitôt la chaleur et les esprits que cette liqueur . Pour rendre le vin plus effectif vous y pourrez faire infiser la racine d’angélique, l’écorce d’orange et de ctron et les feuiles de mélisse avac un epu de cannelle pour en user par cuillerées »

     

    - L’huile d’olive est connue pour ses propriétés laxatives, cholagogues, elle apparait dans les manuels comme remèdes des insuffisances hépatiques et de l’élimination des calculs ; les feuilles de l'olivier sont conseillées en fébrifuges toniques et hypotentives

     

    La thériaque

    Le remède par excellence qui peut tout soigner dont le principe fut défini dans l’antiquité et qui a traversé les siècles avec quelques variantes. Il semblerait que la première thériaque (antidote à tout poison et confectionné par le médecin du roi Mithridate au 1er siècle avant JC) contenait 64 composants dont l’ail, la colchique, le dictame, l’iris, l’encens, la poudre de vipère.

     

    Manuels de vulgarisation thérapeutique

    Sa composition est compliquée et on distingue la thériaque des riches et celle des pauvres ou thériaque diétessaron avec seulement 4 ingrédients : racines de gentiane ; racines d'aristoloche ; baies de laurier ; myrrhe et un peu de miel.

    Cette thériaque « profite aux affections froides ; tant du cerveau comme l'épilepsie, paralysie, convulsion canine ; que du ventricule, comme à l'inflation et douleur qui en procède, à la costion tardive ; et aussi du foye, comme à l'hydropisie, cachexie, obstruction ; à la piqueure du scorpion et venin avalé. »

     

    « Cette thériaque n'est pas à mépriser ; elle est fort propre dans les maladies contagieuses, dans les poisons et les morsures des bêtes venimeuses, contre l'apoplexie, les convulsions, toutes les maladies froides du cerveau, même contre les vers ; elle fortifie l'estomac et ouvre les obstructions de tous les viscères. On en peut user de même et en pareille dose que des autres thériaques".

      

    Mme Fouquet nomme aussi thériaque des paysans l’extrait de genièvre : « contre tous les maux d’estomac comme aussi contre la peste et pour s’en préserver en temps de contagion l’extrait de genièvre est excellent pour cela ; en voici la préparation. Prenez la quantité que vous voudrez de graines ou baies de genièvre, pilez les bien dans un mortier de marbre, mettez les ensuite dans une poêle et versez y ensuite de l’eau bouillante de sorte qu’elle surnage sur cette matière. Faites bouillir cela pendant une demi heure entière , coulez le à travers de la toile neuve et en tirez l‘expression avec une presse ».

     

    Mais la plus sophistiqué reste la thériaque de Venise ou thériaque de Paris ; en 1626 la recette contient 88 ingrédients dont l’aristoloche, l’encens, la cinamone ou cannelle et la poudre de vipère pour les contrepoisons, la centaurée, la gentiane, le marrube, pour les fébrifuges, l’anis, la rose, la sauge, la valériane, l’opium pour les antagiques, la balsamite en tant qu’antispasmodique, la cardanome pour ses effets diurétiques, la thérébentine en tant que tonique …

     

    Ces ouvrages expliquent également les conditions de stockage, d'utilisation de ces remèdes, la provenance des différents ingrédients pour assurer la qualité des remèdes préconisés.

     

    Certains de ces manuels insistent sur la situation des pauvres gens pour expliquer et tenter de prévenir les affections dont ils sont atteints le plus souvent ; ainsi Philippe Hecquet précise que les porteurs d’eau souffrent de rhumes, de bronchites et ont le dos « déplacé » ; les femmes qui exercent ce métier font plus souvent des fausses couches. Il ajoute que certains artisans requierent des soins particuliers : les serruries, armuriers, cloutiers, maréchaux, verriers, plâtriers, boulangers, porteur de chaise, brasseur, bâtelier, chandeliers, chaudronniers, postillons, …

     

    Un autre médecin précise les causes des maladies des pauvres : la fatigue excessive, le manque de sommeil, les suées, le travail sous la pluie, la négligence alimentaire, le manque d’air à l’intérieur des maisons, l’insalubrité surtout à la campagne.

     

     Ces remèdes sont « découverts » en utilisant plusieurs théories héritées de l’Antiquité :

    La théorie des contraires : il faut faire échec à la maladie en prenant des ingrédients plus forts qu’elle : des odeurs fortes comme l’oignon ou le tabac pour la léthargie ou l’évanouissement, des essences calmantes comme la marjolaine contre l’excitation des nerfs

     

    La théorie des semblables ou des signatures : le mal soigné par son semblable disparaît (on se base ici sur l’analogie entre la forme, la couleur ou la consistance du remède et le mal du patient) : la bave d’escargot contre les mucosités, les enveloppements chauds contre la fièvre, le vinaigre contre les brûlures, des pétales de roses rouges pour les maladies du cœur ou les saignements, la gentiane jaune pour le foie, l’œuf contre la stérilité, le millepertuis cueilli en plein midi d’été contre les brûlures, …

     Manuels de vulgarisation thérapeutique

    Certais remèdes semblent s’apparenter à un reste de magie ... magie que l’on va christianiser pour ne pas être « hors la loi" : ainsi l’ouvrage Le médecin des pauvres ou recueil de prières et d’oraisons précieuses datant de 1695) nous livre quelques prières assez ambigües :

     

    Pour les brûlures : « par trois fois différentes vous soufflerez dessus en forme de croix et vous direz à st laurent : sur un brasier ardent, vous retourniez et n’étez pas souffrant. Faites comme moi la grâce que cette ardeur se passe ; feu de Dieu perd ta chaleur comme Judas perdit sa couleur quand pour sa passion juive il trahit Jésus au jardn des Olives et après avoir nommé la personnne vous ajouterez Dieu t’a guéri par sa puissance »

     

    Une autre prière pour arrêter le sang de n’importe quelle blessure : « Dieu est né la nuit de Noel à minuit. Dieu est mort , dieu est ressuscité ; Dieu a commandé que le sanfg s’arrête , que ma plaie se ferme, que la douleur se passe et que ça n’entre ni en matière ni en senteur ni en chair pourrie comme ont fait les 5 plaies de notre seigneur Jésus Christ ».

     

    A lire également

    se soigner autrefois 1

    se soigner autrefois 2

     

     

     Sources

    La thériaque diatessaron ou thériaque des pauvres de Jean Flahaut

    Les livrets de santé pour les pauvres aux XVIIe et XVIIIe siècles de Mireille Laget

    http://scalpeletmatula.fr/epoques/moyen-age/

    http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k57337v.image : le livre des remèdes de Mme Fouquet

    Rabelais et Laurent Joubert de J. Boucher

    http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k54036z.image Les erreurs populaires au fait de la médecine et régime de santé de Laurent Joubert

    Ouvrage de Dame et succès de librairie : les remèdes de Madame Fouquet de Olivier Lafont

     

     

     

     

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