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Se soigner autrefois (1)
Au 18ème siècle, un enfant sur 4 meurt avant 1 an contre 15% en 1900, 5% en 1950 et 0.3% en 2012
L’espérance de vie n’est à cette époque que de 28 ans …
En 1810, l'espérance de vie atteint 37 ans en partie grâce à la vaccination contre la variole. La hausse se poursuit à un rythme lent pendant le XIXe siècle, pour atteindre 45 ans en 1900.
Pendant les guerres napoléoniennes et la guerre de 1870, l’espérance de vie décline brutalement et repasse sous les 30 ans.
Comment était perçue la maladie au 18ème siècle ?
En 1677, Claude Joly, évêque d'Agen écrit que Dieu nous envoie les maladies « pour mortifier notre corps et le rendre obéissant à l'esprit, pour nous détacher de l'amour des créatures et pour nous convertir à lui, pour nous préparer à bien mourir ».
Au début du 18ème siècle, Antoine Blanchard, prêtre de Vendôme écrit dans son "Essai d'exhortations pour les états différents des malades" que la maladie "est un véritable remède. Elle afflige le corps mais contribue à la guérison de l’âme […] Les maladies ne sont pas seulement des remèdes mais elles sont des châtiments salutaires".
Quelques décennies plus tard, les mentalités n’ont guère changé puisqu’en 1770 Yves Michel Marchais, curé d'une petite paroisse de l'Anjou nous explique que "de quelque côté que nous les envisagions, les souffrances sont des traits de miséricorde à notre égard et des moyens efficaces de sanctification […] Elles nous purifient, perfectionnent notre vertu, nous font aimer Dieu pour lui seul…"
Les épidémies répondent au même besoin de châtiment de Dieu. Ainsi, lors d'une épidémie de dysenterie en Anjou en 1707, l'évêque d'Angers affirme dans un mandement du 30 septembre que Dieu ne fait que punir les coupables : "il ne nous livre à la corruption de notre corps que pour nous punir de celle de notre âme. Ce sont pour ainsi dire les vapeurs de nos crimes qui ont répandu dans l'air la malignité dont nous nous plaignions".
Louis Marie Grignion de Montfort écrit en 1703 à sa sœur tombée malade au cours de son noviciat : "ma chère sœur, je me réjouis d'apprendre la maladie que le bon Dieu vous a envoyé pour vous purifier comme l'or dans la fournaise".
Ces mentalités entraînent inéluctablement une indifférence voir une haine du corps et donc le refus d'intervenir par de moyens humains pour recouvrer la santé.
Le curé Marchais toutefois nous explique que "des malades et des infirmes peuvent et doivent chercher leur guérison dans des remèdes naturels et employer tout ce qu'ils croient pouvoir leur être utile pour se soulager"
Bien sûr il est hors de question de recourir à des moyens surnaturels relevant de la magie.
Cette intervention humaine implique aussi que tout ce qui relève de la médecine « de précaution » ne soit pas utilisé : d'où le débat sur la variolisation ouvert en 1735 par Voltaire qui préconise cette pratique tandis que nombreux ecclésiastiques sont contre car c'est tenter Dieu que de donner à une personne une maladie qui ne lui serait peut être pas venue naturellement. En 1775 les curés bretons y voient d’ailleurs un crime contre la loi divine.
La maladie relève donc clairement du médecin et du prêtre : le premier devoir du médecin n'est-il pas devant un malade gravement atteint de veiller à ce qu'il se confesse? Une déclaration royale de 1712 oblige d’ailleurs les médecins à agir de la sorte en leur interdisant après la 3ème visite de retourner chez un malade gravement atteint si celui-ci ne leur présente pas un certificat du confesseur.
Dieu est donc la cause première de la maladie ; qu'en est-il des causes secondes?
Comme je l’ai expliqué dans un précédent article, les phénomènes qui se produisent dans le microcosme qu'est le corps humain (donc la maladie) est en relation avec les phénomènes du macrocosme (l'univers, la terre les cieux) : c’est la théorie en vigueur à cette époque.
Donc aux 4 éléments du macrocosme (la terre, l'air, le feu et l'eau) et leur qualités respectives (le sec, le froid, le chaud et l'humide) répondent les 4 humeurs (substances liquides sécrétées par le corps humain) :
- le sang sécrété par le cœur, chaud et humide,
- la pituite ou phlegme sécrétée par le cerveau, froide et humide,
- la bile sécrétée par le foie, chaude et sèche,
- l'atrabile ou mélancolie sécrétée par la rate froide et sèche
Selon qu'une humeur l'emporte sur l'autre, un individu sera de tempérament bilieux, sanguin, phlegmatique ou mélancolique
La maladie va intervenir quand ces humeurs vont se dérégler soit par surabondance soit par altération.
A partir du milieu du 18ème siècle, grâce aux Lumières notamment, le fatalisme ambiant devant la maladie et les épidémies est contesté par de nombreux médecins qui sont persuadées des possibilités infinies de la médecine; beaucoup notamment refusent de considérer comme inéluctable la mort de tous ces enfants au berceau d’où une profusion d’ouvrages les concernant vers cette époque.
Reproduction of Luke Fildes' painting The Doctor, by Joseph Tomanek
N’oublions pas en effet qu’ «un quart du genre humain périt pour ainsi dire avant d’avoir vu la lumière puisqu’il en meurt près d’un quart dans les premiers mois de la vie » (Buffon 1777 – naturaliste et biologiste français 1708-1788).
Jeune mère contemplant son enfant endormi dans la chandelle . 1875. Albert Anker (1831-1910)
Entre 1740 et 1789 une étude a montré que le taux de mortalité des enfants de moins d’un an était de 280/1000.
Les causes de ces décès de touts petits se divisent en 3 catégories :
- Les malformations congénitales,
- les lésions subies au cours de l’accouchement,
- les maladies diverses.
Ainsi la diarrhée du nourrisson plus fréquente en été induit une mortalité saisonnière élevée (n’oublions pas qu’elle est encore aujourd’hui la 2ème cause de mortalité dans le monde des enfants de moins de 5 ans).
Au 18ème siècle un peu plus de 50 enfants sur cent atteignent 10 ans. Ils sont attaqués de toute part par la coqueluche, les oreillons ou oripeaux, la varicelle assimilée à une variole atténuée, la rougeole, la scarlatine, la rubéole ….
Et les soins se résument souvent à des enveloppements, des cataplasmes, des infusions de bourrache, de persil ou de coquelicot.
Et que dire de la diphtérie ou angine pestilentielle ou putride, ou croup ou mal de gorge gangréneux qui sévit tant chez les jeunes que chez les plus âgés.
Voir également l'article sur la naissance au cours des siècles.
Une maladie qui fait peut : la rage
En 1714 un loup enragé pénètre dans les faubourgs d’Angers et mord, avant d’être abattu, de nombreux chiens et bestiaux et une centaine de personnes. Une trentaine d’entre elles meurent dans des conditions épouvantables : elles sont parquées dans une tour désaffectée et « on les voyait se déchirer, et crier pitoyablement et enfin expirer » »
Quid des autres maladies
La gale, la gratelle et la dartre sont moins graves mais très fréquentes. Les malades se grattent furieusement faisant ainsi « rentrer l’humeur » provoquant des infections et aggravant le pronostic initial.
La plupart des affections pulmonaires sont confondues sous le nom de phtisie.
La tuberculose que l’on ne connait pas et qui n’est pas décrite existe bien avant le 19ème siècle.
Le cancer est défini par Antoine Furetière (homme d’église, poète et romancier – 1619-1688) comme « une maladie qui vient dans les chairs et qui les mange petit à petit comme une sorte de gangrène ».
Un cancer déjà fréquent : le cancer du sein ; par pudeur beaucoup de femmes hésite à se confier à un chirurgien.
Saint Simon (duc et pair de France, mémorialiste français – 1675-1755) ainsi nous dit que Mme de La Vieuville qui meurt en 1715 dans un âge peu avancé d’ « un cancer au sein dont jusqu’à deux jours avant la mort elle avait gardé le secret avec un courage égal à la folie de s’en cacher et de se priver par là des secours ».
Il nous signale le cas de Mme Bouchu qui cachait un cancer depuis longtemps ; « avec le même secret, elle mit ordre à ses affaires, soupa en compagnie, se fit abattre le sein le lendemain de grand matin et ne le laissa apprendre à sa famille ni à personne que quelques heures après l’opération : elle guérit parfaitement ».
Les maladies vénériennes : longtemps confondues entre elles sous le nom de vérole. Elles sont très fréquentes.
Le compagnon vitrier Jacques Ménétra (18ème siècle) avoue une dizaine d’accident contracté à frayer ici ou là à Paris ou lors de son tour de France.
Il se guérit à chaque fois avec des remèdes à base de mercure manifestement. En effet « le mercure et les préparations mercurielles sont l’unique remède capable de détruire radicalement la vérole pourvu qu’on les emploie avec précaution ».
A Paris on soigne la vérole à Bicêtre, l’une des maisons de l’hôpital général.
On enferme les malades mentaux, les hystériques, les mélancoliques, les déments auxquels on assimile les épileptiques.
Dès la création de l’hôpital général en 1656 il est prévu d’y enfermer « les fous et insensés », les mendiants valides ou non, les vieillards indigents, les vénériens et les enfants abandonnés.
Mirabeau (écrivain français - 1749/1791) est scandalisé de la façon dont sont traités les enfermés, laissés à croupir avec leurs chaines et dans leurs ordures.
Les conditions de vie font-elles la différence en terme de mortalité ?
Une étude réalisée dans le Thimerais entre Chartres et Dreux fait apparaitre une différence certaine : entre 1765 et 1791 il a été calculé que les probabilités de survie à 15 ans pour 1000 enfants de laboureurs (le « haut du panier » paysan) y sont de 587 alors que le chiffre tombe à 515 pour les journaliers agricoles.
Dans les villes sales et empuanties par les eaux usées, les ordures de toutes sortes, la situation ne fait qu’aggraver les épidémies voir même les déclencher.
L’entassement dans des maisons de bois ou de torchis mal entretenues et mal aérées aggravent nécessairement les conditions de vie des habitants.
A Angers en 1769 dans la petite rue Putiballe (aujourd’hui rue Tuliballe), 403 personnes s’entassent dans 39 maisons et 9 de ces maisons abritent 206 personnes (soit une moyenne de 23personnes par maison). Je vous invite à lire les articles sur l’habitat lillois au 19ème siècle qui explique bien l’indigence et l’insalubrité de ces habitions (voir mes articles sur l'habitation lilloise au 19ème siècle 1 et 2).
Dans les campagnes ce n’est guère brillant : l’habitation se résume là aussi le plus souvent à une pièce où l’on dort, mange, vit. Les maisons sont souvent basses, mal aérées, humides : or « l’on sait qu’un air trop renfermé occasionne les fièvres malignes les plus fâcheuses ; et le paysan ne respire chez lui jamais qu’un air de cette espèce. Il y a de très petites chambres qui renferment jour et nuit le père, la mère, 7 ou 8 enfants et quelques animaux, qui ne s’ouvrent jamais pendant 6 mois de l’année et très rarement les autres 6 mois » (Simon André Tissot, médecin suisse 1728-1797 – Avis au peuple sur sa santé 1761).
Et que dire du tas de fumier à proximité du ruisseau ou du puit ?
L’alimentation concourt également à aggraver l’état général des individus. Les gens pauvres ont 70 à 80% de leurs calories provenant des céréales (surtout seigle, blé orge noir) sous forme de pain ou de bouillie (lire également l'article sur le repas sous l'Ancien Régime).
Peu de poisson ou de viande, peu de fruits (quand ils existent, ils sont surtout cuits), quelques légumes pour la soupe et un peu de graisse (beurre ou huile).
Au 17/18è on mange moins de viande qu’au 15ème siècle ou que les siècles plus tard.
Ce régime entraîne fatalement de nombreuses carences en vitamines. La mauvaise qualité des aliments est quant à lui responsable du pelagre, du scorbut, de l’ergortisme ou mal des ardents.
Parlons un peu de l’ergotisme qui est dû à l’absorption de farines contenant du seigle ergoté ce qui entraîne la gangrène des pieds et des mains.
En 1776, Tessier donne une description de l’ergotisme sévissant en Sologne : « les hommes malades surtout les mieux constitués éprouvaient les deux ou trois premiers jours des douleurs de tête et d’estomac ; la fièvre survenait, ils sentaient tous des lassitudes douloureuses dans les extrémités inférieures ; ces parties se gonflaient sans inflammations apparentes ; elles devenaient engourdies, froides et livides et se gangrenaient… Les doigts tombaient les premiers et successivement toutes les articulations se détachaient. Les extrémités supérieures, quoique plus rarement, éprouvaient le même sort. On a vu des malheureux auxquels il ne restait que le tronc et qui ont vécu dans cet état encore quelques jours ».
Les Mendiants – P. Brueghel
Sources
"Se soigner autrefois" de François Lebrun
"Enquête sur les plantes magiques" de Michèle Bilimoff
Revue "Nos ancêtres" n°18 sur les médecins et chirurgiens du 15 au 19ème siècle
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