• Revenons à nos odeurs corporelles :

    Sous l’Ancien Régime alors que l’eau n’avait donc pas bonne presse car source de maladie et d’immoralité, on se préoccupe de soigner l’apparence : les vêtements, perruques, manchons et autres linges vont être parfumés pour cacher les odeurs … odorantes du corps, ce qui va de surcroît permettre de faire barrage aux maladies.

     

    Odeurs corporelles au fil des siècles - 3ème partie

    Pomme de senteur

     

    Mais les senteurs utilisées sont fortes à tel point que l’ouverture d’un coffre à linge peut devenir une épreuve : myrrhe, musc, storax, benjoin par exemple.

    Le Moyen Age et la Renaissance aiment les odeurs fortes mais au Moyen Age, contrairement à ce que l’on pense, on se lave. Les odeurs fortes issues de parfums sont utilisées par goût de plaire et de paraître mais aussi dans un objectif sanitaire (et n’oublions pas que plus la personne dégage une odeur naturelle forte, plus elle est en bonne santé - voir article précédent ICI ).

    Les aromates auraient en effet la capacité de purifier et fortifier les organes internes or selon une théorie en vogue sous l'Ancien Régime, ce n’est pas la crasse qui rend malade mais l’encrassement des organes. Les parfums sont donc pour cette raison très prisés et prendront de plus en plus de place dans la panoplie médicinale et dans l’hygiène quotidienne tandis que l’eau sera de moins en moins utilisée.

    A la Renaissance en effet l’eau est devenue diabolique et on s’en méfie. Les parfums puissants sont donc là pour cacher les mauvaises odeurs corporelles un peu fortes et que l’on commence à ne plus trop aimer …

    Les Temps Modernes se méfient toujours plus de l’eau, accusée de rendre léthargique, d'entraîner la luxure, d'ouvrir les pores de la peau et d'attirer ainsi les maladies ..., bref, on ne lave toujours pas le corps ou si exceptionnellement ! Ainsi la princesse Palatine après un voyage harassant sous le soleil d’août 1705 arrive à Marly le corps baigné de sueur et le visage gris de la poussière du voyage. Elle se lave exceptionnellement le visage, change de vêtement et là voilà toute propre …

     

    Odeurs corporelles au fil des siècles - 3ème partie

    Jeune femme à sa toilette - Nicolas Régnier - 1626

     

    Peu à peu toutefois les aromates forts et surtout le musc vont être mal vus ; on les accuse de cacher la misère en quelque sorte ; ce qui n’est pas tout à fait faux… : s’il y a des odeurs fortes de musc par exemple c’est pour cacher l’odeur de crasse - ce ne sera vraiment qu’au milieu du 18ème siècle que ces senteurs vont disparaître même si certains continuent à l’apprécier comme c’est le cas de Napoléon et de Joséphine.

    Rappelons également que le musc était utilisé par les femmes notamment, non pour cacher leur odeur mais pour la souligner. Il y avait là une connotation sensuelle et sexuelle marquante mais la mode a passé ; et l’emploi de senteurs tel le musc, l’ambre ou la civette sont condamnées du fait de leur incitation à la sensualité.

    Aux 16 et 17ème siècles la « mode » est en effet à la diabolisation des odeurs féminines, naturelles ou pas. Cette mode est essentiellement religieuse et moraliste : ne l'oublions pas, nous sommes au 16/17ème siècle, époque des guerres de religion.

    En 1570 le frère mineur franciscain Antoine Estienne (vers 1551 -1609) publie une « Remonstrance charitable aux dames et damoyselles de France sur leurs ornemens dissolus », qui connut un grand succès, atteignant sa 4ème édition en 1585 ; il y fustige les femmes qui ont recours à un arsenal odorant et il réprouve plus particulièrement l’usage du musc et des pommes de senteur ; le maquillage ne trouve pas plus grâce à ses yeux.

     

      

    En 1604 le médecin Louis Guyon dénonce des pratiques intimes luxurieuses : « on se parfume les habillements et les cheveux mais aussi beaucoup en mettent sur le gland viril et dans la vulve avant le coït pour en recevoir plus grande volupté. D’autres portent des patenôtres qu’on dit de senteurs non pour s’en servir en leurs prières mais seulement par gloire et pour attirer les personnes à s’entraîner voluptueusement et sembler plus agréable ».

    Mais ce n’est pas que la morale et la mode qui sont en cause ici : c’est surtout que le seuil de tolérance olfactive descend de plus en plus à mesure que l’on avance dans le temps et dans les progrès hygiénistes. Fin 18ème on énumère en effet enfin les dangers de la malpropreté corporelle : la crasse obstrue les pores en retenant les humeurs excrémentielles, favorise la fermentation et la putréfaction des matières ; et les odeurs qui émane de ce corps non lavé ne sont finalement plus du tout un signe de vitalité et encore moins de santé.

    Le 14 mai 1665 Sébastien Locatelli, prêtre italien raffiné, écrit lors d’un séjour à Saulieu en Bourgogne : « Nous allâmes voir les filles à marier danser comme il est d’usage tous les jours de fête. Elles faisaient la première danse qu’animait le son d’un fifre énorme mais les cornemuses de leurs bras sonnaient bien mieux ! […] ce spectacle était plus agréable de loin que de près car une puanteur extraordinaire gâtait la fête. […] Filipponi, homme d’humeur gaie, mit en train une danse dans laquelle on se baisait de temps en temps ; comme on changeait tour à tour de main et les danseurs de compagnes, il baisa toutes les danseuses avant la fin. Mais ce plaisir fut, je vous assure, bien compensé par le dégoût car il fallait avoir bon estomac rien que pour rester près de certaines de ces femmes ».

    Mais ne pas oublier que l’usage inconsidérée de l’eau amollit l’organisme et conduit à l’indolence et en plus favorise le plaisir sensuel … ce ne sera donc pas encore à l’eau d’enlever la crasse.

    Comment faire donc pour se laver? Pour paraître propre il va falloir jouer sur le vêtement et changer fréquemment de linge blanc. Charles Sorel, écrivain français, écrit en 1644 : « quant aux habits, la grande règle qu’il y a à donner c’est d’en changer souvent et de les avoir toujours le plus à la mode que possible».

     

    Odeurs corporelles au fil des siècles - 3ème partie

    Charles Sorel

     

    On pourra se laver les mains, les pieds et le visage fréquemment mais le corps tout entier, non, de temps en temps seulement.

    Selon Fagon, premier médecin du roi soleil, celui-ci empestait des pieds. Nicolas de Blégny suggère de les laver fréquemment dans de l’eau chaude contenant de l’alun dissout. Il donne des moyens de lutter contre la mauvaise odeur des aisselles : cataplasme de racines d’artichauts cuites dans du vin ou de pâte de racines de chardons ; poudre de feuilles de menthe ; liniments à base de feuilles de myrrhe et d’alun liquide.

    S’agissant des bonnes odeurs à utiliser désormais, ce seront sans conteste les odeurs végétales : l’eau de rose, de violette, de lavande. L’eau de néroli et l’eau de bergamote que l’on appellera eau de Cologne plus tard sont inventées vers 1680/1690. L’eau de bergamote fit la fortune de Jean Marie Farina, italien installé à Cologne.

     

    Odeurs corporelles au fil des siècles - 3ème partie

     

    On se lave désormais la bouche à l’eau de rose et on se parfume l’haleine à la pâte d’iris. L’eau reste dangereuse donc elle ne fait pas partie de la panoplie hygiénique de l’époque. On va utiliser des poudres à base de rose, d’iris, de girofle, de lavande.

    Les vêtements sont toujours parfumés mais moins qu’avant, de même que les gants, les éventails, des sachets de senteur que l’on porte sur soi mais toujours avec des odeurs légères. Même les tabacs à priser sentent le jasmin, la tubéreuse ou la fleur d’oranger.

    Odeurs corporelles au fil des siècles - 3ème partie

    Pomme de senteur

     

    Ne nous y trompons pas … la propreté encore une fois ne passe toujours pas par l’eau mais par des senteurs simplement plus légères qu’avant.

    L’eau cependant fait ses débuts peu à peu, très timidement avec l’apparition notamment de la communauté des barbiers perruquiers baigneurs étuveurs en 1673 chez qui on va prendre un bain pour avoir le corps net. Mais pas trop souvent non plus.

    Les bains vont peu à peu se faire plus fréquents : soit annuellement soit une fois par semaine ou une fois par mois selon les goûts. Les bains seront complets ou jusqu’au nombril ou seulement pour les pieds.

    Des vinaigres de toilettes à base de bergamotes, fleurs d’oranger, de lavande, thym ou serpolet font leur apparition vers 1740 pour agrémenter le bain de senteurs. Le goût des ablutions va ainsi revenir à la mode dans l’aristocratie et la bourgeoisie aisée. La baignoire devient un symbole de luxe. Dans son château de Bellevue, la marquise de Pompadour fait aménager une salle de bain raffinée ornée de peinture de Boucher : la Toilette de Vénus et Vénus consolant l’amour.

     

    Odeurs corporelles au fil des siècles - 3ème partie

    Vénus à sa toilette - Boucher

     

    Le début du 19ème siècle pérénisera ses senteurs légères et végétales. L’ambre et le musc font un petit retour ainsi que le note Mme Celnart dans son Manuel des dames ou l’art de l’élégance en 1833 : « Les odeurs fortes telles que le musc, l’ambre, la fleur d’oranger, la tubéreuse, et autres semblables, doivent être entièrement proscrites. Les parfums suaves et doux de l’héliotrope, de la rose, du narcisse, etc., sont mille fois préférables, à moins que vous ne consommiez que très-peu ; car ces odeurs délicates se perdent ou du moins s’affaiblissent avec le temps : alors les huiles et pommades au jasmin, à l’oeillet, à la vanille, conviennent principalement : elles sont un intermédiaire entre ces derniers parfums et les premiers, qu’il faut vous interdire complètement. De fréquentes migraines, un malaise nerveux, quoique inaperçu à cause de l’habitude, une notable diminution d’incarnat, et le désagrément de paraître prétentieuse et coquette, voilà les fruits que vous en retirerez ».

    Odeurs corporelles au fil des siècles - 3ème partie

    Eau de Cologne Farina

     

    Pierre-François-Pascal Guerlain (1798-1864) créera en 1853 l'Eau de Cologne impériale qu'il dédiera à l'impératrice Eugénie. Cette fragrance est composée essentiellement de citron, de bergamote et d’orange associés au thym et à la fleur d’oranger.

     

    Odeurs corporelles au fil des siècles - 3ème partie

    Intérieur du magasin de Guerlain, parfumeur vinaigrier,  rue de Rivoli à Paris

     

    Eau impériale de Guerlain

     

    Toujours est-il que l’odeur va désormais devenir un signe de reconnaissance sociale : la mauvaise odeur est celle du pauvre. 

    L’usage du parfum peut cacher un manque d’hygiène ou même un dysfonctionnement physique (Delestre dans sa Physiognomie écrit par exemple que les personnes rousses exhalent parfois une odeur de transpiration assez désagréable pour nécessiter l’emploi de parfum ...  !

    Mais force est de constater que les règles d’hygiène élémentaire ne seront réellement appréhendée et banalisées par la population que vers 1930. Car on part de loin, on l’a vu.

     

    Odeurs corporelles au fil des siècles - 3ème partie

    L'homme à sa toilette - Maximilien Luce - 1886

     

    L’eau est toujours diabolisée par les bien pensants du 19ème siècle et aussi du début du 20ème siècle. L’hygiène corporelle est souveraine « contre les vices de l’âme» écrit Moleon, rapporteur du conseil de salubrité en 1821 mais l’eau provoque toujours autant de méfiance de la part des médecins. Rares sont ceux qui conseillent de prendre plus d’un bain par mois. Prendre un bain est risqué : il faut moduler la température, la durée, la périodicité suivant l’âge, le tempérament, le sexe. Les théories médicales insistent sur le fait que la courtisane est inféconde à cause des excès qu’elle porte à sa toilette, que les femmes qui prennent des bains en excès sont peu colorées et ont plus d’embonpoint et qu’il y a même un risque de débilité, c’est dire !

    S’essuyer les organes génitaux pose également un énorme problème lié à la décence ! Il ne faut surtout pas ouvrir les yeux pendant cette opération…

    Les cheveux ne doivent pas être trop lavés ; il faut surtout les démêler et ôter la poussière avec une serviette sèche ; l’usage des shampoings ne se développera que sous la IIIème république.

     

    Odeurs corporelles au fil des siècles - 3ème partie

    Jeune fille se brossant les cheveux - Renoir - 1884

     

    Les dents doivent être toutes brossées et pas uniquement celles de devant

    L’homme du 19ème siècle cesse de se parfumer : le code de l’élégance masculine prône le bourgeois désodorisé !

    La femme continue d’être la vitrine de son mari : ses toilettes sont l’occasion de montrer la position sociale de son époux mais le parfum est de plus en plus mis à l’écart ; les eaux distillées de rose, de plantin, de fève ou de fraise ou l’eau de cologne sont autorisées mais vraiment pas davantage et très discrètement. En effet le Dr Rostan en 1826 écrit « l’abus des parfums donne naissance à toutes les névroses comme l’hystérie, l’hypocondrie, la mélancolie » surtout chez les jeunes filles et les femmes enceintes…

    Bref il y a du chemin, beaucoup de chemin encore pour libérer les esprits de ce carcan moral qui empêche de se laver correctement, de se prélasser dans un bain, de se pomponner sans être jugé et étiqueté …

    Mais l'usage de l'eau s'impose progressivement du tub à la pièce entièrement dédiée à la toilette - Voir aussi ICI

     

    Odeurs corporelles au fil des siècles - 3ème partie

    Affiche Henri Gervex

     

    Odeurs corporelles au fil des siècles - 3ème partie

     

     

    Sources

    Exposition : Une France de taudis

    Le Propre et le sale, l'hygiène du corps depuis le Moyen Age de Georges Vigarello

    Le miasme et la jonquille de Alain Corbin

    Egouts et égoutiers de Paris de Donald  Reid

    La civilisation des odeurs de Robert Muchembled

    La sémiologie des odeurs au XIXe siècle : du savoir médical à la norme sociale de Jean-Alexandre Perras et  Érika Wicky

    L’hygiène sociale au XIXe siècle : une physiologie morale de Gérard Seignan

    Les hygiénistes face aux nuisances industrielles dans la 1ère moitié du 19ème siècle de Jean-Pierre Baud

    Les parfums à Versailles aux XVIIe et XVIIIe siècles. Approche épistémologique de Annick Le Guérer


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    Comment lutter contre l’action des miasmes putrides à une époque où l’eau n’a pas bonne presse

    Avec l’utilisation des aromates, des résineux odorants, du vinaigre camphré notamment car l’odeur forte mais saine va constituer un barrage olfactif aux épidémies véhiculées par les odeurs putrides, et aux remugles malodorants

     

    En 1800 on utilisait ces recettes contre les épidémies : « on portera à la main une éponge imbibée de vinaigre ou un citron piqué de clous de girofle ou une boule odorante qu’on sentira de temps en temps » 

     

    On fera flairer aux ouvriers chargés de curer les marécages des éponges imbibées de camphre.

     

    Odeurs corporelles au fil des siècles - 2ème partie

     

    Aux travailleurs de la pierre, Fourcroy, chimiste (1755-1809) leur demande de descendre dans les carrières « que munis d’une sacoche pendue à leur col dans lequel seront deux gousses d’ail pilées avec un peu de camphre » et « ils se frotteront le visage avec de l’eau de vie camphrée ou du vin aromatique »

     

    On est tout de même au 19ème   siècle et on ne se pose toujours pas la question de l’hygiène corporelle en utilisant l'eau ….

     

    Quant aux maisons mal ventilées que l’on sait être un vecteur de contagion (là aussi il y a des odeurs domestiques repoussantes et délétères), comment les désinfecter ? 

    Lors de la peste de Marseille en 1720 la procédure consistait en 3 fumigations successives : la 1ère avec des herbes aromatiques, la 2nde avec de la poudre à canon, la dernière avec un mélange de drogues dont de l’arsenic.

    On fait d’ailleurs de même sur les navires pour désinfecter les lieux rendus putrides par l’entassement des gens et animaux : brûler beaucoup de poudre dans l’entrepont et la cale pour qu’il y ait beaucoup de fumées purificatrice.

     

    Un siècle plus tard, on a un peu plus de progrès en la matière : on va s’attaquer aux odeurs familiales engendrées par la promiscuité à l’intérieur même des maisons, à l’absence de pièce adaptée pour la cuisine …. il faut que les endroits où stagnent les puanteurs privées  soient éliminés : chambre où l’on s’entasse, couloirs exiguës, humidité des sols non pavés, manque d’air et de lumière, et à la campagne promiscuité avec les animaux et la puanteur qui en découle, l’air des armoires qui attire les souris, le lit de plume considéré comme un réceptacle de toutes les odeurs, édredons, oreillers et couvertures, « pot-pourri d’émanations méphitiques », odeur du vase de nuit, odeur d’évier, de boites à ordure sans couvercle, odeur du linge lavé en train de sécher difficilement, odeur du poêle ou de la cheminée, odeur stagnante du lit fermé par des tentures, tapisserie poussiéreuse, bref des odeurs de moisi, de rance, de renfermé.

    Voir également les articles sur l'habitat : les courées de Lille et les caves à Lille.

     

    Odeurs corporelles au fil des siècles - 2ème partie 

    Intérieur paysan 19ème siècle

     

    Odeurs corporelles au fil des siècles - 2ème partie

    Intérieur ouvrier en Belgique début 20ème siècle

     

    Odeurs corporelles au fil des siècles - 2ème partie

    Intérieur ouvrier 19ème siècle

     

    Il faut donc maintenant « remuer chaque jour draps, couvertures,  matelas,  traversins et pendant cette pratique établir un courant d’air dans l’appartement en laissant ouvertes les fenêtres opposées les unes aux autres » nous dit le médecin Charles Londes en 1827

     

    Le matelas doit être battu chaque année pour le « débarrasser des substances animales putrescentes » ; ceci étant il existe encore des théories au début du 20ème pour affirmer les vertus vitalistes de l’air des étables ou sécurisantes de l’atmosphère familial ….

     

    On va vouloir également concevoir des demeures tenant compte des progrès de l’hygiénisme : dans la maison de type lilloise décrite en 1894 par Alfred de Foville, économiste et statisticien français (1842-1913,  tout est mis en place pour exclure les odeur importunes : « la cuisine, la laverie, les lieux d’aisance sont reléguées dans un bâtiment annexe et les odeurs malsaines qui s’en dégagent se perdent dans la cour et dans le jardin sans pénétrer l’habitation »

     

    Odeurs corporelles au fil des siècles - 2ème partie

     

    L'excrément et l'urine vont faire l'objet de nombreuses études tout au long su 19ème siècle (entre fascination et dégoût) et leur élimination tant du paysage urbain pour des motifs de salubrité publique que de nos intérieurs pour des motifs hygiéniques évidentes sera l’objectif absolu des hygiénistes du 19ème siècle  (voir article sur les wc, latrines et autres lieux d'aisance).

     

     

    Suite dans le prochain article ...

     

    Sources

    Exposition : Une France de taudis

    Le Propre et le sale, l'hygiène du corps depuis le Moyen Age de Georges Vigarello

    Le miasme et la jonquille de Alain Corbin

    Egouts et égoutiers de Paris de Donald  Reid

    La civilisation des odeurs de Robert Muchembled

    La sémiologie des odeurs au XIXe siècle : du savoir médical à la norme sociale de Jean-Alexandre Perras et  Érika Wicky

    L’hygiène sociale au XIXe siècle : une physiologie morale de Gérard Seignan

    Les hygiénistes face aux nuisances industrielles dans la 1ère moitié du 19ème siècle de Jean-Pierre Baud


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    Odeurs corporelles

    Au 17ème siècle, Jean de Renou, médecin des rois Henri II, Henri III et Henri IV, définit l’odeur comme une « substance vaporeuse qui sort de la matière odorable ».

    Notre appréciation des odeurs naturelles et artificielles a beaucoup évolué depuis l’Ancien Régime tant d’un point de vue sanitaire que d’un point de vie « cosmétique ».

    Il faut savoir que les odeurs corporelles ont servi longtemps les médecins dans leurs diagnostics. Chaque organe, chaque fluide chaque humeur a en effet selon les théories de l’époque ses propres odeurs et l’intensité des effluves atteste de la vigueur de la personne et est signe d’une intense vitalité. Jean Liébault (médecin - 1535-1592) écrit en 1582  « la sueur qui est de bonne odeur démontre une fort bonne température des humeurs … aussi ceux qui sont pleins de mauvaises humeurs comme les lépreux et les personnes lascives rendent une sueur qui sent le bouc ».

    Odeurs corporelles au fil des siècles

    Médecin tenant la matula (fiole remplie d'urine du malade)

     

    Bordeu, deux siècles plus tard (médecin 1722 1776) considère qu’il y a 7 émonctoires par lesquels les odeurs sortent et plus elles sont fortes plus l’individu est en bonne santé : « la partie chevelue de la tête, les aisselles, les intestins, la vessie, les voies spermatiques, les aines, les séparations des orteils »

    D’où la réticence à l’égard de l’hygiène : nombre de médecins dès la Renaissance dénoncent les méfaits de l’eau : les ablutions trop fréquentes et donc les bains entrainent un affaiblissement de l’animalisation c’est-à-dire de la vitalité.

    Bordeu met d’ailleurs en garde les citadins contre « le luxe de propreté » particulièrement néfaste chez les femmes en couche et les malades suants.

    Bref, le corps médical a longtemps accordé aux odeurs une fonction symptomatique, dont a longuement tenu compte par exemple le médecin et chirurgien Augustin Jacob Landré-Beauvais (1772-1840) :

    « Tous ceux qui se sont occupés de l’art de guérir ont observé les différentes odeurs que notre corps exhale tant en santé qu’en maladie. L’auteur du traité de Arte [Hippocrate] a placé les odeurs dans la classe des signes. Si on jette un coup-d’oeil sur les écrits des médecins cliniques de chaque siècle, partout on voit l’odorat éclairer leurs observations ; on trouve même parmi les peuples cette opinion généralement établie et répandue. […] Leurs réflexions paraissent d’autant plus fondées, que, toutes nos excrétions étant le résultat de l’exercice des fonctions, et particulièrement de l’animalisation, leur changement doit nécessairement annoncer celui de la santé ou de la maladie. »

    « Variant selon le sexe, le climat, les saisons, les aliments ingérés, les passions subies, l’activité journalière, l’odeur corporelle est donc pour le médecin attentif à ses fluctuations un témoin privilégié des dérèglements de l’organisme ».

     

    Odeurs corporelles au fil des siècles - 1ère partie

    Visite chez le médecin apothicaire - Peinture flamande - 18ème siècle

     

    Cette façon d’appréhender les odeurs existera jusqu’au début du 20ème siècle : un Larousse médical publié avant 1914 semble-t-il donne par exemple pour chaque cas clinique une ou des odeurs bien spécifiques :

    Léthargiques : odeur de cadavre 

    Hystériques : odeur de d’ananas, de cannelle, de musc, de vanille ou d’iris.

    Goutteux : odeur de petit lait.

    Maladies du foie : odeur de musc.

    Maladies de la vessie : odeur urineuse.

    Diabétiques : odeur de foin et d’acétone.

    Rubéole : odeur de plumes d’oie récemment arrachées.

    Scarlatine : odeur de pain cuit.

    Variole : odeur de bête fauve.

    Les nourrissons répandent une odeur aigrelette de beurre fort, plus intense pour ceux au biberon, le lait de vache contenant davantage de beurre

    Dans la vieillesse, l’odeur devient celle des feuilles sèches

     

    Jean-Baptiste Delestre, homme politique du 19ème siècle, consacrera à l’odeur une section de son ouvrage de physiognomonie paru en 1866 : De la physiognomonie :

    « De chaque corps vivant émane une odeur générique ; elle est facile à constater chez les hommes et les animaux, en excitant en eux la transpiration naturelle. La danse, la course, un exercice violent, favorisent ce résultat. Nous n’utilisons pas le sens de l’odorat, faute d’habituer la membrane olfactive à saisir les nuances odoriférantes, si bien appréciables par les animaux et notamment les chiens. C’est une ressource physiognomonique de moins. […] Le tempérament a son influence sur les émanations du tissu cellulaire. Leur force est en rapport avec la solidité de la constitution organique. Pendant le repos momentané du bal, de belles épaules nues laissent exhaler une odeur féminine, essence de vie et de jeunesse, différente de la vierge à l’épouse. Un aveugle expérimenté distinguerait la brune, la blonde et la rousse à cette expansion odorante. Elle est désagréable seulement aux deux extrêmes de la coloration de la peau, chez la négresse et la rousse au ton lacté. Les femmes qui se parfument doivent être admirées de loin. »

     

    Odeurs corporelles au fil des siècles - 1ère partie

    Jean Baptiste Delestre

     

    Les médecins vont peu à peu s’intéresser aux émanations des corps malades et considérer que ces odeurs sont nocives et peuvent se fixer sur les vêtements, le mobilier autour de lui, les murs de la chambre et devenir un foyer d’épidémie.

    De ce fait l’odeur nauséabonde a le mérite de signaler le danger : ainsi durant l’épidémie de fièvre des camps (épidémie de typhus) qui décima l’armée française à Nice en 1799, « les malheureux soldats répandaient une odeur semblable à celle du gaz phosphoreux en combustion qui se sentait de fort loin et qui séjournait dans les rues et dans les maisons où il y avait le plus de malade ».

    Rousseau dira « l’haleine de l’homme est mortelle pour l’homme » c’est ainsi que l’haleine d’un vidangeur moribond foudroie un compagnon de Jean Noel Hallé, (médecin, 1754-1822).

     

    Cette analyse des odeurs et plus exactement des odeurs puantes va commencer à faire réfléchir sérieusement sur la corrélation entre odeurs putrides et épidémies dans un siècle, (le 19ème siècle) où l’hygiénisme prend de l’essor : l’odeur va devenir peu à peu suspecte et l’objectif va bientôt être de désodoriser le corps et les lieux.

     

    Cet objectif de salubrité et de désodorisation va être encore plus urgent du fait de l’exode rural massif qui est en cours depuis la révolution industrielle et qui entraîne accumulation de déchets dans les grands centres urbains ; or ces déchets provoquent des miasmes putrides considérés comme responsables notamment de la contagion de choléra, qui a ravagé le pays en 1832.

     

    Petit à petit la réflexion va se tourner vers l’entassement des individus dans un espace clos : navire, hôpital, prison, caserne.

    Le traité de « Médecine navale ou nouveaux éléments d’hygiène de pathologie et de thérapeutique medico-chirurgicale » écrit en 1832 indique que le navire est « un marais flottant » du fait de l’eau douce qui stagne en flaque après les pluies, qui imbibe les cordages, dissout les bois, oxyde le fer des boulets formant une boue noirâtre et se mélangeant à l’eau salée ; s’y ajoutent le fumier et la transpiration des bestiaux embarqués, la fiente des volailles, les provisions de morues, les cadavres de rats putréfiés, …bref, un vrai pot-pourri nauséabond et mortifère.

     

    A noter qu’en 1821 l’Arthur, navire de poudrette (excrément desséché) provenant de Monfaucon, à destination de la Guadeloupe : la moitié de son équipage périt durant la traversée du fait de sa cargaison nauséabonde et les autres étaient à l’article de la mort à l’arrivée à Pointe à pitre

     

    Odeurs corporelles au fil des siècles

     

    Quant aux prisons, elles ne sont pas mieux loties : selon l’écrivain Louis Sébastien Mercier (1740-1814) on sent Bicêtre à 400 toises de distance !

    Et aux dires des contemporains du 18ème siècle, l’air vicié des prisons étaient le plus grand supplice qu’on pouvait infliger aux condamnés …

     

    Odeurs corporelles au fil des siècles - 1ère partie

    Gravure du 19ème siècle : cellule de prison

     

    Les tribunaux ne sont pas en reste, ceci étant : pour l’anecdote Outre-Manche, en 1750 avant l’audience des assise qui se sont tenues à Old Bailey à Londres furent entassés 200 prisonniers dans 2 chambres qui donnaient sur la salle des juges ainsi que dans un réduit relié au tribunal par une porte : ces pièces qui n’avaient pas été nettoyés depuis quelques années ; « la putréfaction était encore augmentée par l’air chaud et renfermé de la salle et par la transpiration d’un grand nombre de personnes. » Deux ou trois avocats périrent ainsi qu’un sous shérif et une quarantaine de personnes présentes dans le tribunal.

     

    Quant aux hôpitaux, on se doute de ce que l’on peut y trouver : sueurs des malades, crachats purulents, pus qui s’écoulent des plaies, odeur du sang, des excréments, de l’urine, promiscuité dans les salles et dans les lits … et toutes ces effluves s’amalgament pour dégénérer en épidémie.

     

    Odeurs corporelles au fil des siècles - 1ère partie

    Salle de l'Hôpital Saint Sébastien à Marseille vers 1900 

    Promiscuité importante encore au tout début du XXème !

     

    Jacques Ténon, chirurgien (1724-1816) nous donne une description assez saisissante de l’Hôtel Dieu à Paris dans son Mémoire sur les hôpitaux de Paris en 1788 : « pénétration des planchers par le produit des chaises, dégradation des murs par les crachats, imprégnation des paillasses des moribonds » ; et de rajouter :  quand on entrouvre le lit des parturientes « il en sort comme d’un gouffre, des vapeurs humides chaudes qui s’élèvent, se répandent, épaissisent l’air »

     

    Odeurs corporelles au fil des siècles

     

    Et que dire des ateliers où travaillent des hommes, des femmes et des enfants dans des conditions absolument inimaginables aujourd’hui : les cordiers peuvent être victimes de la fermentation du chanvre nauséabond : « la laine imprégnée d’huile fétide répand des vapeurs très désagréables dans les ateliers des tisserands ; aussi sentent-ils une odeur infecte et ont-ils l’haleine puante » ; « l’air fétide des cuirs menacent les cordonniers et les corroyeurs » et les foulons qui travaillent dans des ateliers très chaud environnés d’odeurs d’urine et d’huile pourries !

     

    Louis Sébastien Mercier nous donne une image olfactive très réaliste de ce qu’il voit autour de lui :

    « si l’on me demande comment on peut rester dans ce sale repaire de tous les vices et de tous les maux, entassés les uns sur les autres, au milieu d’un air empoisonné de mille vapeurs putrides, parmi les bûcheries, les cimetières, les hôpitaux, les égouts, les ruisseaux d’urine, les monceaux d’excréments, les boutiques de teinturiers, de tanneurs de corroyeurs ; au milieu de la fumée continuelle de cette quantité incroyable de bois et de la vapeur de tout ce charbon ; au milieu de ces parties arsénicales, sulfureuses, bitumeuses, qui s’exhalent sans cesse des ateliers où l’on tourmente le cuivre et les métaux ; si l’on me demande comment on vit dans ce gouffre dont l’air lourd et fétide est si épais qu’on s’en aperçoit et qu’on en sent l’atmosphère à plus de  3 lieux à la ronde ; air qui ne peut pas circuler et qui ne fait que tournoyer dans ce dédale de maisons ; […] je répondrai que l’habitude familiarise les Parisiens avec les brouillards humides, les vapeurs malfaisantes, et la boue infecte »

    Et de fait, pour ne prendre qu’un exemple, les jeunes filles se promènent sans souci dans le cimetière des Innocents sans être importunés par les exhalaisons des cadavres empilés ; « c’est au milieu de l’odeur fétide et cadavéreuse qui vient offenser l’odorat qu’on voit celles-ci acheter de modes des rubans »

    A noter que le cimetière des Innocents ne sera fermé qu’en 1780 suite à une série de doléances populaires orchestrées par les boutiquiers de la rue de la lingerie…

    Odeurs corporelles au fil des siècles - 1ère partie

    Cimetière des Innocents en 1750

     

    Toutefois même si les individus de ces époques finalement pas si lointaines vivent avec ces odeurs de manière habituelle et s’en accommode faute de mieux, il en est certain que cela gêne  et ils s’en plaignent comme on peut le voir ici : « en 1363, les professeurs et les étudiants de l’université de Paris se plaignent de leurs voisins bouchers qui « tuent leurs bêtes en leurs maisons et le sang et les ordures de ces bêtes ils le jettent tant par jour comme par nuit en la rue Sainte Geneviève et plusieurs fois l’ordure et le sang de leurs dites bêtes gardaient en fosses et latrines qu’ils avaient en leurs maisons, tant et si longtemps qu’il était corrompu et pourri et puis le jetaient en ladite rue de jour et de nuit, dont ladite rue, la place Maubert et tout l’air d’environ était corrompu, infect et puant ».

     

    Suite dans le prochain article ...

     

    Sources

    Le Propre et le sale, l'hygiène du corps depuis le Moyen Age de Georges Vigarello

    Le miasme et la jonquille de Alain Corbin

    Egouts et égoutiers de Paris de Donald  Reid

    La civilisation des odeurs de Robert Muchembled

    La sémiologie des odeurs au XIXe siècle : du savoir médical à la norme sociale de Jean-Alexandre Perras et  Érika Wicky

    L’hygiène sociale au XIXe siècle : une physiologie morale de Gérard Seignan

    Les hygiénistes face aux nuisances industrielles dans la 1ère moitié du 19ème siècle de Jean-Pierre Baud

     


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    La grippe espagnole

     

    La grippe espagnole 1918/1919

    Aix les Bains - Us Army Medical Corps

     

    En France, les premiers cas de grippe espagnole sont semble-t-il enregistrés mi-avril 1918, entre le 10 et le 20 avril précisément, dans les tranchées de Villers-sur-Coudun dans l’Oise. De là l’épidémie se répand à travers la France.

    Toutefois le virologue John S. Oxford, fait de la ville d’Étaples dans le Pas de Calais le point de départ de la grippe espagnole en France. En effet, installé au nord de la ville, un immense camp de l’armée britannique a accueilli à partir de 1915 plusieurs milliers d’hommes et de bêtes (cochons, oies, canards, poulets et chevaux), dont le rassemblement et le confinement ont pu favoriser l’émergence de la pandémie grippale. On y aurait relevé des cas précoces et mortels d’infections respiratoires dans les hôpitaux de ce camp : 71 soldats meurent de “bronchites purulentes” durant l’hiver 1916-1917. Ces cas de bronchites seraient aujourd’hui réévalués comme les premiers cas de la grippe espagnole en France.

     

    La grippe espagnole 1918/1919

     

    La grippe espagnole 1918/1919

    Camps d'Etaples

     

    En 1918, on ne connait pas vraiment la grippe: on ne sait pas ce que c’est, d’où ça vient, comment s’en prémunir ni quels sont vraiment les symptômes : on confond souvent la grippe avec d’autres maladies respiratoires. On sait qu’une épidémie grippale (la 1ère pour laquelle on ait une documentation scientifique détaillée) avait fait rage en 1889, débutant a priori à St Pétersbourg et de là essaimant à travers le monde en faisant 250 000 décès rien qu’en Europe. Il faudra attendre 1933 pour que le virus de la grippe soit isolé chez l’homme et que l’on sache ce qu’il faut combattre.

    Toujours est-il que la virulence de la maladie va aller crescendo dans l'année 1918.

    En mai à Montpellier on recense dans la population civile et militaire 173 cas donnant 12 décès soit un taux de mortalité de 6.8%

    En juin, ce sera 110 cas et 21 décès soit un taux de mortalité de 19%.

    En juin à Rennes, 60 grippes se compliquent de 30 pneumonies et de 20 broncho pneumonies qui font 10 morts (taux de mortalité de 16.6%)

    Le 30 mai, l'ambassadeur de France à Madrid informe Paris que 70 % du personnel de l'ambassade est alité et que les affaires courantes sont suspendues sur l'étendue de la péninsule Ibérique.

    Le 6 juillet 1918 le journal Le Matin écrit dans ses colonnes : « En France, elle est bénigne ; nos troupes en particulier y résistent merveilleusement bien. Mais de l’autre côté du front les Boches semblent très touchés. Est-ce symptôme précurseur de la lassitude, de la défaillance des organismes dont la résistance s’épuise ? Quoi qu’il en soit, la grippe sévit en Allemagne avec intensité ». 

    Mais la grippette va devenir plus vindicative et ne sera plus du tout perçue comme une alliée ; la France (tout comme le reste du monde) va se trouver vite démunie face à l’ampleur du désastre.

    Après une accalmie passagère en juillet, l’épidémie reprend de la vigueur. Le pic de mortalité est atteint en France et en Grande-Bretagne en novembre 2018 mais une autre vague s’abat sur la France début 2019.

    Le préfet du Pas-de-Calais invite le 4 novembre 1918 les maires à assainir les lieux publics, à défaut de mettre en place des mesures de confinement général. Cette politique publique de désinfection va parfois à l’encontre du discours des scientifiques qui privilégient la quarantaine et le confinement pour limiter la contagion, à l’instar du docteur Émile Roux, directeur de l’Institut Pasteur.

     

    La grippe espagnole 1918/1919

     

    Les pharmacies sont prises d'assaut, des files d'attente se forment devant les comptoirs des herboristes et des droguistes. Il faut piétiner plus d'une heure pour se faire servir et la confection des ordonnances demande un délai de 24 heures. La quinine, l'huile de ricin, le formol, l'aspirine et le rhum qui dit-on soigne la grippe sont en rupture de stock.

    La grippe espagnole 1918/1919

     

    À Marseille, on recense en juillet 356 grippes et 35 décès, soit une mortalité de 9,8 %.

     

    Des états de décès commencent à apparaître, montrant bien que la maladie frappe tout le monde sans distinction de sexe ou d'âge.

    La grippe espagnole 1918/1919

     

    Octobre 1918 : Auchel - Pas de Calais

     

    C'est en été qu'apparaissent, à côté de la pneumonie lobaire, les cas presque toujours mortels de bronchopneumonie avec troubles cardiaques, œdème pulmonaire et cyanose, complications de la grippe.

    C’est que les symptômes ne se limitent pas à de la fièvre, des courbatures et des maux de tête ; le spectacle est bien plus terrifiant : le médecin major Bertin ne peut décrire ce qu’il voit sans malaise : « Quand on circule dans une salle de grippés, on est frappé par l'aspect de ces malades, à demi assis sur leur lit en décubitus latéral, à la respiration brève et pénible qui montre déjà l'intervention des muscles respiratoires accessoires. Ici, on n'observe plus le faciès rouge du début mais un teint plombé. Le regard inquiet semble dire la crainte d'une asphyxie pulmonaire. Bientôt, c'est une pluie de râles sur toute la surface pulmonaire. C'est la forme œdémateuse où le malade crache une mousse blanche parfois sanguinolente. Puis survient l'asphyxie. »

    II existe d'autres formes de complications : complications rénales avec production massive d'albumine et mort foudroyante, bronchite capillaire suraiguë simulant l'œdème pulmonaire suivie d'une mort non moins rapide, gangrènes pulmonaires, complications gastro intestinales donnant l’impression d’intoxication alimentaire suraigüe.

    La cyanose héliotrope est l’un des signes cliniques les plus marquants de cette grippe espagnole avec un pronostic très pessimiste. Le visage, d’abord rosé, dans près de la moitié des cas devient cyanosé c’est-à-dire de couleur noir pourpre, le pronostic change alors radicalement avec un très faible espoir de guérison. La cyanose est telle qu’il est parfois impossible de distinguer une personne de couleur de peau blanche ou noire. Le 8 novembre 1918, quand l’écrivain Blaise Cendrars se rend chez son ami, Guillaume Apollinaire au 202, boulevard Saint-Germain, celui-ci « gisait sur le dos. Il était complètement noir." C’est l’effet de "cyanose héliotrope" consécutif à la grippe espagnole. Le lendemain, le poète était mort.

     

    La période d’incubation étonne en raison de sa rapidité : un rapport de gendarmerie signale que « le neuf courant [octobre], le canonnier Baudin arrivait chez ses parents, au village de la Sapinière (Deux-Sèvres), porteur d'une permission de dix jours et s'alitait. Le 13, il succombait, en même temps que sa mère. Son père décédait le 14 et sa grand-mère le 15».

    Un officier blessé entre à l'hôpital de Tours où éclate la grippe qu'il a contractée au front. Sa femme vient le voir à 2 heures de l'après-midi. Quatre heures plus tard, elle présente les premiers symptômes du mal et, à 8 heures, c'est au tour des officiers de la salle où loge le grippé d'être atteints à quelques minutes d'intervalle.

     

    Toulouse

    La première mention de la grippe à Toulouse date du 16 septembre 1918. La Dépêche écrit en effet ce jour là : « L’état sanitaire de la ville, sans inspirer de graves inquiétudes, laisse beaucoup à désirer en ce moment. On signale, en effet de nombreux cas de grippe et d’influenza et pas mal de malaises intestinaux […]. Il y a eu une recrudescence sérieuse de la maladie, au sein des familles et les décès ont suivi depuis le 9 septembre une marche ascendante : 12 le 10 et 26 le 15, c’est-à-dire hier. »

    Ceci étant il est difficile de dater précisément l’arrivée de l’épidémie dans la ville rose :  « Sur la période de mai 1918 à avril 1919, nous avons un excès de décès de 2200 personnes, décès dus directement à la grippe ou à des complications », écrit Pierre Alquier, médecin, dans une thèse de médecine consacrée à la grippe espagnole à Toulouse.

    Inquiet, le maire de Toulouse, Jean Rieux et son conseil municipal prennent une série de mesures. Le 18 octobre, il est décidé de la fermeture des écoles pour une durée de quinze jours.

    La grippe espagnole 1918/1919

    Jean Rieux en 1919

     

     « Par décision du 17 octobre, prise après avis du comité départemental d’hygiène, M. le préfet, par mesures de précaution, a ordonné la fermeture de toutes les écoles primaires, élémentaires et maternelles, publiques et privées de la Haute-Garonne à partir du lundi 21 octobre jusqu’au 3 novembre inclus. » La Dépêche le 18 octobre 1918.

    Par un arrêté signé le même jour, le maire encadre également les enterrements. Il est décidé qu’il n’y aura plus qu’un enterrement par jour et par paroisse. Le 26 octobre, la municipalité supprime carrément les convois funèbres. Les familles des défunts doivent se rendre directement au cimetière à une heure fixée.

    Il recommande également de désinfecter régulièrement les voitures du tramway.

     

    De nombreux toulousains sont persuadés que les médecins mentent et qu’ils sont en présence de pathologie « exotique » de type dengue, peste, choléra ou variole. Le 21 septembre 1918, Jean Rieux tente de rassurer la population à travers une note dans les journaux toulousains. « Le maire tient à renseigner la population en ce qui concerne l’état sanitaire de la ville. Aucun cas de choléra ne s’est produit et pas davantage il n’y a eu de variole noire. Cela pour répondre à certains bruits alarmants qui circulent en ville et que répandent légèrement des personnes mal renseignées. Ce qui est exact, c’est l’existence de nombreux cas de grippe et, comme conséquence, une augmentation du nombre de la mortalité normale ».

     

    Les malades sont soignés pour la majorité chez eux, à domicile ; les hôpitaux dont l’  Hôtel Dieu sont réservés en priorité aux militaires blessés de guerre.

     

    La préfecture de Haute Garonne multiplie les recommandations. Le 22 octobre : « Pour éviter la grippe il est prudent de ne pas aller dans les théâtres, concerts, cinémas, cafés ; de ne pas faire de stations prolongées dans les églises et dans les temples ; de ne pas s’attarder dans les magasins ; de faire usage le moins possible des tramways. La grippe se propage partout où l’on se réunit nombreux ».

     

    Le Télégramme en octobre 1918 précise que l’Eglise n’est pas en reste : « A cause de la maladie de la grippe qui sévit dans notre ville, Monseigneur l’Archevêque vient d’ordonner de faire dans toutes les églises du diocèse les prières officielles pour le temps de l’épidémie et d’exposer dans l’église Saint Sernin les reliques des Saints spécialement invoqués contre la maladie ».

     

    Mais face à la maladie les moyens sont dérisoires : il manque de médecins (la majorité étant réquisitionnés pour l’armée), le confinement est juste recommandé, les règles d’hygiène ne sont pas bien connues même si le port du masque est en usage et devient même une mode ...

    La grippe espagnole 1918/1919

     

    La grippe espagnole 1918/1919

    Californie 1918

     

    Au final ce sera sur Toulouse un excès de décès de 2200 personnes sur la période mai 1918 à avril 1919 soit 1% de la population.

    La grippe espagnole 1918/1919

     

     

    En France le bilan est estimé à 400 000 morts ; 2.3 millions de morts pour l’Europe

    A l’échelle mondiale l’Institut Pasteur estime l’hécatombe entre 20 et 50 millions de morts

     

    La grippe espagnole 1918/1919

    Hôpital américain de LImoges

     

     

    100 ans plus tard l’histoire se répète-t-elle ?

     

     

    Sources

    Thèse de Pierre Alquier (2007) : la grippe espagnole à Toulouse 1918/1919  

    Une tragédie dans la tragédie : la grippe espagnole en France (avril 1918/avril 1919) de Pierre Darmon

    https://archivespasdecalais.fr/Decouvrir/Un-document-a-l-honneur/La-grippe-espagnole

    https://gallica.bnf.fr/blog/03102018/la-grippe-espagnole?mode=desktop


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    Etuves et bains publics

     

    Les bains publics et les étuves du Moyen Age sont peut être l’héritage des thermes de l’Antiquité mais plus sûrement les croisés ont ramené cet art de vivre de leur séjour en Orient.

    On va d'abord se contenter de s'immerger dans de grandes cuves remplies d'eau chaude. et à la fin du 13ème siècle apparaissent les premiers bains saturés de vapeur d'eau.

    Ces établissements sont construits à peu près sur le même schéma : une cave avec des fourneaux en brique, un rez de chaussée divisée en deux grandes pièces : l’une contient une ou plusieurs cuves en bois pour une ou plusieurs personnes. L’autre contient la salle d’étuve dont le plafond est percé de trous au travers desquels s’échappe l’air chaud, des gradins et des sièges. Aux étages il y a les chambres …

    A Paris en 1292 on dénombre 27 établissements.

    Ils se situent généralement dans les rues appelée rue des bains ou rue des étuves, elles sont situées près des points d’eau et proches de lieux fréquentés, comme le marché, la cathédrale, une rue passante, ou encore aux portes de la ville

    À Rodez, des étuves sont mentionnées dans les archives en 1413 rue de la Penavayre, située près de la maison commune et du portail de Penavayre, faisant la jonction entre le Bourg et la Cité.

    A Toulouse, les bains se concentreraient, selon Jules Chalande (dans son ouvrage « Histoire des rues de Toulouse »), dans la rue du Pont-de-Tounis, appelée au XIIIe siècle, rue des bains de la Dalbade. Un peu plus loin, il existe deux étuves rue du Comminges, révélées par le cadastre de 1478, et mentionnées dans une lettre de rémission de 1463.

    Enfin, des étuves se situeraient également dans le quartier du Bazacle, près de la Garonne : le capitaine du guet, après avoir été réprimandé par les capitouls pour protéger des gens malfamés, avoue avoir vu des personnes s’ébattre dans l’une d’elles : « Et car ledit capitaine a dit et confessé en ladite court avoir esté une nuit ès estuves du Basacle de ladite ville et y avoir trouvé Maturin Besson, ung nomme Godefroy de Billon, et l’abbé du public couchez chacun avec une femme dissolue et car ilz fuerent ne les avoir point prins ne mennez en prison la court a ordonné que lesdits capitaine Maturin Godefroy et abbé seront mis en la Conciergerie ».

    Chartres en comptait 5.  

    Ces établissements sont extrêmement florissants et rapportent beaucoup d'argent. Dans plusieurs villes de France, certains d'entre eux appartiennent même au clergé !

     

    Etuves et bains publics

    Valerius Maximus - Facta et dicta memorabilia - fin 15ème

     

    Les bains publics ne sont pas tenus par n’importe qui : les étuviers sont constitués en corps de métiers, et leurs prix sont fixés par le prévôt de Paris. Il leur incombe d'entretenir leurs étuves puisque dans leurs statuts, il est écrit que "les maîtres qui seront gardes du dit métier, pourront visiter et décharger les tuyaux et les conduits des étuves, et regarder si elles sont nettes, bonnes et suffisantes, pour les périls et les abreuvoirs où les eaux vont"

    Ils doivent observer certaines règles comme fermer le dimanche ou ne pas accepter les malades.

    Les étuviers s’occupaient de chauffer l’eau et, quand elle était prête, des crieurs annonçaient l’ouverture des bains

     «Seigneur qu’or vous allez baigner
    Et estuver sans délayer ;
    Les bains sont chauds, c’est sans mentir… »

     

    Une séance d’étuve pouvait être offerte comme pourboire à des artisans, domestiques ou journaliers : « à Jehan Petit, pour lui et ses compagnons varlets de chambre, que la royne lui a donné le jour de l’an pour aller aux estuves : 108 s. »

    Les tarifs vont varier en fonction des options que l'on va prendre : bain en cuve, massage, vin, repas, lit car en effet on ne fait pas que s'y baigner ... Ainsi le livre des métiers d'Etienne Boileau au 13ème siècle nous renseigne sur le prix de ces établissements :

    « Et paiera chascunne personne, pour soy estuver, deus deniers ; et se il se baigne, il en paiera quatre deniers » mais s'estuver et se baigner coûte huit deniers.

    Dürer lors de son voyage dans les anciens Pays Bas au début du 16ème indique dans son journal des dépenses : « Aix la Chapelle dépensé au bain avec des camarades : 5 deniers ».

     

    Etuves et bains publics

    Bains publics de Pouzzoles - Italie - 12ème

     

    A noter que le salaire d'un ouvrier qualifié était de 10 à 11 deniers par jour à la même époque (voir site plus bas)

     

    L’étuve est un moment finalement banal dans le quotidien, associé à des pratiques ludiques comme jouer aux cartes ou s’adonner à des activités plus charnelles.

    On y converse, on y traite ses affaires et on se restaure en bonne compagnie

     

    Etuves et bains publics

     Même les clercs ...

     

    Mais il est vrai que certaines  étuves devinrent même d’aimables maisons de passe. Ainsi l’étuve de Jehannotte Saignant est pourvue en 1466 de « jeunes chambellières de haute gresse ».

     

    Etuves et bains publics

    Miniature du Maître de Dresde - Valerius Maximus - Facta et dicta memorabilia - v. 1480

     

    En tous les cas se baigner dans des cuves d’eau chaude aromatisée constituait un véritable art de vivre associé à d’autres voluptés, comme l’évoque cet extrait d’un rondeau du poète Charles d’Orléans (1394-1465) ou même le Roman de la Rose :

    « Et on y boit du vieux et du nouveau,
    On l’appelle le déduit de la pie ;
    Souper au bain et dîner au bateau,
    En ce monde n’a telle compagnie. »

    L’écolier de mélancolie, Rondeau LXV, 1430-1460

     

    Etuves et bains publics

    Les dits de Watriquet de Couvin - v.1300

     

     « Puis revont entr’eus as estuves,
    Et se baignent ensemble ès cuves
    Qu’ils ont es chambres toutes prestes,
    Les chapelès de flors es testes »

     Le Roman de la Rose, vers 11 132 et suiv. (fin du 13ème siècle).

     

    Philippe de Bourgogne au début du 15ème siècle louera pour la journée la maison de bains de Valenciennes dans le Nord avec les filles de joie pour mieux honorer l’ambassade anglaise venue à sa rencontre.

    Etuves et bains publics

    Valerius Maximus - Facta et dicta memorabilia - fin 15ème

     

    A la fin du 14ème les étuves commencent à séparer les sexes

    Les officiers municipaux d’Avignon interdisent en 1441 l’entrée des étuves aux hommes mariés.

    A Toulouse, en 1477, le Parlement condamne Jacques Roy, un étuviste, pour avoir abrité des prostituées : « Il sera dit que la court mete l’appelant et ce dont a esté appellé au neant et au surplus veues ces confessions dudit prisonnier et les confrontations des tesmoins faictes en ladicte court dit sera que pour reparation des rufianage vie deshonneste dont a usé icelui prisonnier ès estuves dudict Thoulouse et ailleurs la court le condamne à fere tout nu le tours par les rues acostumées de la ville de Tholoze et aussi par devant les maisons de bains et estuves et en ce fait est banni et fustigué et sera banny et le bannist la court de toute la ville et viguerie de Tholoze jusques à ung an et l’absoult ayant esgard à son vieulx aage et aussi pour contemplation de ses femme et enfans de plus grand peine par lui defunt. Et enjoin ausdict capitoulz qu’ilz gardent et facent diligence que esdicts bains et estuves ne aillent en ladicte vie dissolue et facent bonne justice de autres personages nommes en proces » .

     

    La licence sexuelle et la promiscuité qui règnent au sein des bains ont contribué à la fin de ces établissements : en effet, c’est le lieu idéal pour répandre les maladies vénériennes et les épidémies.

    En 1573, Nicolas Houel, apothicaire de Paris, tint les étuves pour responsables de nombreuses contaminations. Ce dernier écrivit dans son traité de la peste : « Bains et étuves publiques seront pour lors délaissés, pour ce qu’après les pores et petits soupiraux du cuir, par la chaleur d’icelle, sont ouverts plus aisément, alors l’air pestilent y entre ».

     

    En plus au 16ème siècle, l’église y met sérieusement son nez et sa morale : l’eau est source de plaisir donc c’est immoral. Se laver va devenir de plus en plus rare voire interdit par les instances ecclésiastiques et médicales, l'eau étant dangereuse en plus d'être pernicieuse.

    A Dijon la dernière des 4 étuves est détruite au 16ème siècle (La plus réputée se situait dans le quartier de la paroisse Saint-Jean. Une autre, celle du Vert-Bois, était connue dans l’actuelle rue Verrerie).

    Etuves et bains publics

    Pas loin de la cathédrale Ste Bénigne - Dijon

     

    Le « livre commode des adresses » ne recense plus à Paris en 1692 qu’un tout petit nombre de bains publics dont un bain de femmes rue Saint André des Arts.

     

    Etuves et bains publics

     

    Au 17ème siècle il reste encore des établissements mais plutôt destiné à la noblesse, tenus par un baigneur et leur visite reste quand même peu fréquente : avant un mariage ou un rendez vous galant ou pour y cacher des amours secrètes …

    Il faudra attendre le 18ème siècle et surtout le 19ème pour qu'enfin, timidement, la propreté et l'hygiène passent à nouveau par l'usage de l'eau ...

     

    Sources

    http://medieval.mrugala.net/

    Espaces et pratiques du bain au Moyen Âge de Didier Boisseuil

    Le propre et le sale de Georges Vigarello

     

     

     

     


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