La domesticité au 19è et début du 20ème siècle (3)
Juridiquement
Le domestique est tenu d’avoir un livret qui retrace sa carrière (décret du 3/10/1810 et décret du 1/8/1853) mais il n’a jamais été réellement mis en application ni suivi d’effet ne serait-ce que parce qu’il y a une ambiguïté entre les définitions professionnelles : un ouvrier agricole est-il un domestique ?
Jusqu’en 1848, les domestiques n’eurent pas le droit de vote. Ils ne peuvent pas être jurés ni conseillers municipaux. Les domestiques agricoles sont exclus de l'assemblée des paroissiens.
Jusqu’en 1986, le maître était cru sur son affirmation pour la quotité des gages, le paiement des salaires. Le domestique n’avait aucun recours.
La loi de 1906 qui accorde une journée de repos hebdomadaire ne s’applique pas aux domestiques notamment parce que le domestique est « en quelque sorte le prolongement de la famille de son maître » et le législateur ne saurait s’immiscer dans la sphère privée…
Jusqu’en 1914 on pouvait renvoyer une domestique mariée du fait de son état de grossesse.
En 1909 une loi précise tout de même que l’accouchement est cause seulement de suspension du contrat et non de résiliation … maigre consolation.
La loi de 1910 sur les retraites ouvrières concerne aussi les domestiques mais n’a que bien peu d’effets car certains l’ignorent, d’autres refusent de donner leur âge de crainte de ne trouve de place, les maîtres n’insistent pas non plus pour économiser les cotisations ; par ailleurs Siméon Flaissières (1851-1931), médecin et sénateur de Marseille, socialiste dénonce une utopie à la séance du sénat le 11/3/1910 : « Je vous accuse d’instituer une retraite pour les morts » ; en effet sur 100 domestiques qui cotiseront de 18 à 65 ans aucun n’atteindra 65 ans…
Les causes de renvoi peuvent être l’âge, la maladie ou la grossesse : la Cour de cassation a elle-même dit en 1896 « qu’à aucun point de vue on ne saurait considérer un maitre comme tenu de garder à son service une fille enceinte soit que l’on envisage l’immoralité de sa conduite le mauvais exemple dans la maison ou les graves inconvénients de l’accouchement ».
La loi qui protège les ouvriers en cas d’accident du travail date de 1898 ; il faut attendre 1923 pour qu’elle s’applique aux domestiques.
« 30 mai 1907 – justice de paix de Paris – Dame Michault contre Vilpelle. La dame Michault est laveuse de vaisselle, c’est-à-dire domestique chez Vilpelle. Le 3 mai 1904, elle a eu un accident du travail. Une écharde dans l’index de la main droite a provoqué un panaris : elle demande à son patron une indemnité temporaire de 25 francs. La justice statue ainsi : « Sans révoquer en doute l’accident dont elle se plaint, il est certain que cet accident ne rentre pas dans la catégorie des risques professionnels prévus par la loi du 9 avril 1888 …. ». La dame Michault devrait justifier qu’a été commise envers elle par son patron une faute ou une négligence. Vilpelle est renvoyé des fins de la demande, sans dépens ».
Le code pénal frappe plus lourdement le domestique quand il est rendu coupable de 3 délits facilités par sa situation : le vol, l’abus de confiance, l’attentat aux mœurs. Ainsi, quand le domestique commet un vol cela passe de délit à crime ; de même le domestique convaincu d’attentat à la pudeur sur un enfant de moins de 13 ans sera condamné aux travaux forcé voir à perpétuité en cas de viol.
Le maître peut fouiller sans problème les affaires de ses domestiques.
Aucune loi sur la protection ouvrière ne s’applique aux domestiques avant 1914 : ni sur le travail des enfants ou des femmes, ni sur le repos hebdomadaire, ni sur la limitation de la durée de travail ou le repos des femmes en couche. On peut ainsi employer des enfants de tout âge si on leur permet de fréquenter l’école obligatoire (ne pas oublier que la loi du 2/11/1892 fixe à 13 ans l’âge minimum d’embauche mais ne s’applique pas aux domestiques).
Quant aux bureaux de placement, tous les abus sont permis : les droits d’inscription sont abusifs les commissions tout autant (2à5% du salaire annuel payable sous huitaine après entrée en fonction) ; des gratifications sont nécessaires pour être placé vite et /ou bien. Et que dire des placements douteux …
Mauvais traitement
Certains maitres faisaient payer 25ct chaque fois que le valet laissait choir quelques pièces d’argenterie.
En 1864 est jugé par le jury de la cour d’assise d’Aix, Armand, riche bourgeois de Montpellier : il est accusé d’avoir frappé sauvagement Maurice Roux, son domestique et il n’en serait pas à son coup d’essai. L’opinion aixoise prend le parti d’Armand. Celui-ci est acquitté mais doit payer 20 000 Fr de dommages et intérêts : pourquoi cet acquittement ? Car il se serait agi de relations homosexuelles (la presse laisse entendre que le domestique a des mœurs efféminés) et que les pratiques sado maso auraient dépassé la mesure.
En 1859 à Marzy près de Nevers : « Marie Doret, 25 ans, dont le mari se trouve en prison pour vol, a été traitée de manière odieuse par le sieur L. propriétaire à Marzy, chez lequel elle sert en qualité de domestique ; celui-ci la battit et lui fit une plaie de deux cm à la partie extérieure de l’arcade sourcilière gauche. La gendarmerie dressa PV ; Marie est élève à l’hospice de Nevers et a un enfant et est enceinte de 7 mois ».
Edmond et Jules Goncourt dans leur « Journal » de 1860 écrivent : « Le service est dur, presque cruel en province. La servante n’est pas traitée en femme ni en être humain. Elle ne sait jamais ce qu’est la desserte d’une table. On la nourrit de fromage et de potée et on exige d’elle, même malade, un labeur animal. Je crois que si le luxe amollit l’âme, il amollit bien aussi le cœur ».
Maladie
Difficile de conserver un serviteur malade ou âgé. Si la servante n’a pas d’épargne elle est condamnée à terme à la misère. Et ce d’autant plus que les hospices ou asiles pour servantes n’existent pas au début du 19ème siècle.
Les maitres sont inconscients des règles d’hygiène et ne se soucient guère de la santé de leur domestique.
Et que dire des rhumatismes, varices, syphilis …
Le Dr Toulouse en 1921 écrivait : « Crimes licites. En équité le petit bourgeois qui, buté dans son égoïsme étroit, accable d’un travail excessif une servante ignorante et l’expose ainsi à une tuberculose certaine, commet une action aussi répugnante à l’égard d’une conscience éclairée qu’un attentat sanglant ».
Au 19è on constate la naissance de tout un mouvement destiné à moraliser les servantes mais aussi à leur venir en aide : des congrégations pieuses de servantes sont ainsi organisées sous la Restauration.
En 1840 par exemple, le père Soulas (1808-1857), surnommé le « Saint Vincent de Paul de Montpellier », est chargé de l’œuvre des Domestiques créée à Montpellier à la suite de la grande mission de 1821 : il s’inquiète de la misère morale des servantes isolées à la ville, des dangers qui les guettent (la maladie, la peur de perdre leur place, le danger chez le maître lui-même : flatteries, occasions funestes, mauvais livres, paroles libres ….) ; il cherche à ouvrir une maison de retraite pour ces pauvres filles.
Des caisses de secours mutuels existent également mais peu de domestiques y adhèrent car les cotisations restent chères. Ces caisses assurent pour les personnes à jour de leur cotisation les soins du médecin les médicaments, et versent une indemnité journalière d’1 franc.
Maternité
Prenons l’exemple de Paris : en 1890, on recense dans les hôpitaux de la ville 4624 mères célibataires dont 2354 domestiques (à Baudelocque en 1900 sur 637 domestiques qui accouchent, 509 sont célibataires ; à la Pitié sur 105 domestiques qui accouchent, 86 sont célibataires).
Etre bonne, c’est s’exposer à être enceinte (souvent des œuvres du maître de maison voir de son fils). Ou alors ces enfants naissent de la promiscuité entre domestiques dans les fameux 6ème étages comme on les appelle … Et comme les maîtres ne veulent pas de domestiques mariées, celles si sont en plus quasi toujours célibataires.
D’où les nombreux infanticides, abandons, avortements qui semblent être l’apanage de ces bonnes et autres domestiques femmes. Et que dire de la misère et de la prostitution qui guettent celles qui gardent leur enfant mais qui sont inexorablement renvoyées du fait de leur « nouvelle situation » !
A partir de 1850, des maternités furent créées pour recevoir des filles mères enceintes jusqu’à complet rétablissement : à Nevers, sur 70 filles admises à la maternité départementale, 40 sont des domestiques.
Furent créés également des Secours pour les filles mères : en 1886 sur 167 filles mères secourues, 75 sont là aussi des domestiques.
La problématique principale de la maternité chez les domestiques, indépendamment de savoir qui est le père, est que la maternité est tout simplement interdite par les maîtres de maison. Ils ne veulent ni de domestique qui puisse être enceinte ni de domestique avec déjà un enfant.
Louis Liévin écrit dans « La France » le 7 février 1892 qu’« une des causes de la dépopulation de la France est l’incroyable quantité de domestiques qui figure dans les recensements…la première et la meilleure des références pour un domestique est donc de ne pas avoir d’enfants ».
Paul Thimonnier, dans un article intitulé « La France se dépeuple » (Le Réveil des gens de maison – 1er décembre 1908), répond au sénateur Piot qui se lamente sur le dépeuplement de la France. Paul Thimonnier prouve que les domestiques ne peuvent se permettre d’avoir des enfants. Il rappelle les chiffres : « si 10% des ménages de domestiques ont un ou deux enfants, 90% en revanche n’en ont pas » …. « La bonne gagne 25 à 30 Fr par mois et ne peut payer les mois de nourrice. Elle doit donc pour subvenir aux besoins de son enfant se prostituer »… la prostitution pour éviter la misère et pouvoir payer la nourrice, n’est bien sûr pas propre aux domestiques mais la propension de domestiques y est forte (une étude de Parent-Duchâtelet en 1857 indique que sur 1000 domestiques à Paris, 81.69 se prostituent alors que sur 1000 ouvrières, « seules » 52.42 se prostituent).
Paul Chabot, fils d’un cocher et d’une cuisinière nous explique dans son livre « Jean et Yvonne, domestiques en 1900 », qu’ « il était hors de question que ma mère m’élève, elle n’avait pas le temps de s’occuper de moi et les patrons ne toléraient pas les enfants de domestiques ». Il passe donc son enfance dans une autre maison, pas très loin de sa mère mais il ne la voit quasiment jamais parce qu’elle n’a droit à aucun congé pour aller voir son fils.
Dépendance totale au maître
Pas de vie personnelle, pas de culture, pas d’instruction. Le corps est caché derrière un uniforme, le valet doit se raser (pas de moustache !), la femme cache ses cheveux sous une coiffe, à défaut elle les a peignés de façon irréprochable.
L’existence du domestique va se calquer sur celle du maître. George Sand raconte à ce propos l’histoire d’un ancien chef de cuisine de Napoléon 1er, dénommé Gallyot, chez qui elle louait un appartement en 1823. Gallyot était chargé de l’en-cas de l’empereur, un poulet toujours rôti à point, peu importe l’heure du jour et de la nuit. Cet homme dit George Sand occupé à surveiller le poulet, a dormi dix ans sur une chaise, tout habillé prêt à servir l’empereur. Le malheureux n’a jamais pu après ces 10 ans se coucher comme tout le monde.
Et que penser des propos de Mme Caro-Delvaille, fervente féministe, qui répond en juillet 1899 à un article du journal « La Fronde » qui proposait de loger les servantes dans les appartements des maîtres : elle déclare que pour l’instant c’est impossible car les bonnes sentent trop mauvais !
Le juriste Marcel Cusenier notait en 1912 : « Les maitres ravalent les domestiques à un rang intermédiaire entre les hommes et les choses. Devant eux point de pudeur. Ils s’efforcent de détruire leur personnalité au dehors comme au dedans….on ne regarde les domestiques comme des humains que pour les soupçonner. On met en doute leur probité leurs mœurs leur appétit. »
Un exemple entre tous : le maître va jusqu’à changer le prénom de son domestique si celui-ci porte celui d’un membre de la maisonnée ou si son prénom ne fait pas assez bien.
Le « Manuel des pieuses domestiques » de 1847 demande de refréner ses sentiments et d’être charitable envers ses maitres : « la charité est une vertu chrétienne que vous êtes obligé de pratiquer bien plus envers vos maitres qu’envers tout autre quel que soient leur caractère ou leurs mauvaises habitudes. Dieu ne vous demandera pas compte des péchés de vos maitres mais des vôtres. La charité doit donc vous porter à excuser à supporter avec patience ceux que vous avez choisi pour les servir ».
Le chômage
Le chômage revient cher à une domestique : elle soit se loger, se nourrir, payer le droit d’inscription dans un bureau de placement. En 1912, Cusenier affirme que le coût d’un mois de chômage est supérieur à 200 Fr c’est-à-dire environ 6 mois de gages.
Si le domestique est syndiqué et qu’il (ou elle) est à jour de ses cotisations, il a droit aux secours dudit syndicat. Ainsi il a droit à une indemnité de 2 francs, due à partir du 8ème jour ; pendant les 15 premiers jours de chômage, il aura le droit de refuser ou prendre les places proposées mais au bout de ce laps de temps, toute place refusée entraînera la perte des droits à chômage.
Des refuges existent, tenus par les sociétés philanthropiques, mais le prix de pension est assez élevé ; tous n’acceptent pas les enfants (garçons) de plus de huit ans. Et surtout il n’y en a pas partout.
Que font celles qui n’ont aucune aide ? La prostitution reste malheureusement une solution trop souvent utilisée pour ne pas tomber dans la misère totale.
Fin de la domesticité
La guerre diminua notablement le nombre de domestique : certains furent tués d’autres congédiés du fait de la diminution des revenus des maitres, les femmes durent travailler dans les usines et les bureaux pour les plus instruites. Beaucoup préférèrent d’ailleurs travailler même dans les usines plutôt que retourner à l’état de bonne à tout faire !
En 1911 on compte 770 000 domestiques femmes et 672 000 en 1926
Il y avait 158 000 domestiques hommes en 1911 et 102 000 en 1926
La scolarisation massive des filles participa également à ce déclin et diminua ainsi l’écart qui existait entre les femmes de chambre et les maitresses de maison…
On va préférer un service réel et non plus un service personnel : il faut payer l’acte plutôt que l’homme. Le Dr Commenge déjà en 1897 préconisait de l’organisation suivante : les maitres loueraient pour quelques heures par l’intermédiaire d’une agence des employés pour telle ou telle tâche déterminée. La bonne serait remplacée par la femme de ménage. On va passer du service à gages au service à la tâche.
Et surtout la mode au début du 20ème siècle, et cela va durer pendant quelques décennies, va être à la valorisation de la femme au foyer qui est capable dorénavant de gérer toute sa maisonnée elle même sans l'aide d'une bonne à demeure. Les progrès de la technologie (lave linge, aspirateur ...) vont le lui permettre sans soucis ...
Sources
Filles mères à Bordeaux à la fin du 19ème
Pierre Guiral et Guy Thuillier, La vie quotidienne des domestiques en France au XIXe siècle, Hachette, Paris, 1978.
La domesticité à Cannes à la belle époque de Christine Cecconi
La place des bonnes – la domesticité féminine à Paris en 1900– Anne Martin Fugier
Cybergroupe Généalogique de Charente Poitevine » (C.G.C.P.)
La domesticité au 19è et début du 20ème siècle (2)
Comment les loger ?
Les domestiques de façon générale sont logés au dernier étage des immeubles dans les mansardes sans eau, ni cheminée, et des fenêtres rares : « … Remontée tard de la cuisine, éreintée, la bonne ayant froid l’hiver, chaud l’été n’aère pas la pièce et se couche rapidement. Souvent lorsqu’on visite ces chambres de jour on est saisi dès l’entrée par l’odeur écœurante des pièces renfermées où se trouvent du linge douteux, un lit défait et des eaux sales non vidées ».
Les divers textes parlent en général du « sixième » pour désigner ces logements. Lieux où par ailleurs les domestiques des deux sexes vivent sinon dans la même pièce du moins au même étage. Il peut y avoir jusqu’à 80 chambres de bonnes pour un grand immeuble parisien. Le couloir étroit qui dessert les diverses chambres comporte en général un voir deux postes d’eau et un cabinet d’aisance sordide car jamais nettoyé. Il est à noter que les clés sont toutes les mêmes et que rentrer dans l’une ou l’autre chambre est très facile.
Ces chambres mansardées n’ont bien sûr pas le chauffage ni l’eau, des fois même pas de fenêtres et quand il y en a une c’est du type lucarne. Pour se garantir du froid, les domestiques accumulent leurs jupons devant la fenêtre ou collent du papier sur les fissures.
Pourquoi ces endroits si hauts et si mal commodes ? Jules Simon (philosophe et homme d'état ; 1814-1896), indigné de cette situation, nous dit tout simplement que c’est parce qu’on ne peut vraiment rien en faire d’autre ! « Ces cellules sont évidemment et nécessairement inhabitables ; car si l’on pouvait s’y tenir debout, y respirer, y vivre, on les mettrait en location et on trouverait un peu plus haut ou s’il n’y avait pas de grenier, dans les caves, dans quelques recoins de la cage d’escalier, la place d’un matelas pour les domestiques ».
Gaston Jollivet (journaliste et écrivain – 1842/1927), l’Eclair, 23/7/1908 : « le sixième, c’est, appliqué au logement, le collectivisme dans toute son horreur ».
Vers 1905, un juge de paix du 6è arrondissement évoquait dans de curieux attendus les conséquences de cette misère matérielle et psychologique : « attendu qu’il est de notoriété publique qu’à Paris c’est au derner étage où les jeunes filles de la campagne couchent, qu’elles contractent parfois la tuberculose et parfois de pires maladies. Attendu que ces malheureuses amenées à se placer comme domestiques sont excusables ; que leurs compagnes qui les poussent à l’inconduite le sont également jusqu’à un certain point ; attendu que sont responsables moralement les maîtres qui abandonnent hors du domicile familial des jeunes filles sans défense, les propriétaires qui distribuent leurs immeubles sans souci de la morale uniquement par esprit de lucre ; attendu que si parfois les maladies contagieuses descendent de la mansarde de ces taudis où sont entassées les malheureuses par des proprietaires rapaces qui tirent un plus grand revenu des bouges que des immeubles bien tenus et pénètrent dans l’appartement des maîtres , les propriétaires peuvent et doivent se dire que c’est souvent par suite de leur insouciance coupable et de leur égoisme … »
La baronne Staffe (auteur français – 1843/1911) écrit qu’ « il est odieux d’envoyer les jeunes filles se coucher sous les toits dans une espèce de promiscuité horrible ».
En 1927 Augusta Moll-Weiss (186/-1946 – fondatrice de l’école des mères) protestait contre la corruption à laquelle on expose encore les servantes :
« Quoi ! ces petites Bretonnes, ces Alsaciennes venues à Paris pour y apprendre la chère langue française, ces enfants de nos provinces qu’on nous confie pour gagner leur pauvre vie et acquérir une valeur professionnelle plus grande, nous avons le triste courage de les envoyer le soir coucher au sixième où l’on entend les conseils les plus pernicieux, où l’on subit les contacts les plus dissolvants et le matin venu nous nous plaindrions de leur indolence, de leur inattention, nous nous étonnerons de les trouver chaque jour plus experte plus rusées plus distantes de nous ! »
Il y a aussi des maîtres qui font loger leur domestique chez eux mais dans des conditions désolantes : un réduit obscur avec une lucarne donnant sur la cuisine, un débarras encombré avec un matelas posé à même le sol ; aucune intimité et une dépendance au maître encore plus importante puisqu’ils peuvent être réveillés n’importe quand dans la nuit.
Seule la nourrice a droit à d’avantages d’égards : une chambre pour elle, aérée, claire et confortable : la chambre de l’enfant.
Témoignage fourni par Jacques Valdour (1872-1938 – sociologue, observateur du monde ouvrier de son époque) en 1919 dans une ferme en Brie : « la petite pièce où nous dormons, cuisinons et mangeons est séparée de l’écurie qui la commande mais n’est pas mieux éclairée ni aérée ; la porte d’accès est dépourvue de de toute clôture ; une petite imposte aux carreaux gris de poussière ancienne laisse filtrer un peu de de jour. Presque tout le mur du fond est occupé par 4 couchettes disposées sur 2 étages, sorte de vaste caisse à 4 compartiments aussi crasseux que le plafond et les murs. Le patron fournit les paillasses ; elles sont sales, crevées, dégonflées. Il y joint une couverture et deux draps : un drap blanc et un drap fait d’une grossière toile d’emballage. Le reste du mobilier comprend : une table graisseuse et disjointe, un banc à demi brisé, deux caisses servant de siège, un poêle détérioré. Pour nous laver nous n’avons rien ; il faut par tous les temps traverser la cour et aller à cent pas de cette tanière se mettre sous la pompe, opération malaisée au moment où elle est le plus nécessaire c’est-à-dire au retour des champs car les chevaux sont alors conduits à l’abreuvoir que la pompe alimente ».
Salaires
Les gages sont réglés par l’usage : dans chaque localité il y a une sorte de prix courant dont il ne faut pas s’écarter.
Aux gages peuvent s’ajouter d’autres choses : les étrennes qui vers 1900 peuvent représenter de ½ à 1 mois de salaire selon les maisons, des cadeaux divers, des produits fermiers …
La hiérarchie des salaires est très marquée en fonction de la qualification de l’expérience.
Le montant des gages varie toutefois en fonction des revenus du maître : une bonne peut ne gagner que 15 à 20 francs par mois ainsi que le précise un rapport au Congrès féministe de 1900, « Le Travail des bonnes ». Cusenier affirme que des bonnes vraiment habiles obtiennent jusqu’à 55 ou 60 francs.
Marguerite Perrot, dans une étude sur les comptabilités privées (« Le mode de vie des familles bourgeoises 1873-1953 » - 1961) a montré que les gages étaient très variables et pouvait être un poste conséquent : dans 80% des cas ils représentent entre 3.5 et 9.4% des dépenses totales.
Il est à noter que les domestiques des institutions (type couvent, asile d’aliénés) sont moins bien lotis : en 1844 les infirmiers ne gagnent que 12.50f par mois ; en 1880 à Bicêtre une infirmière capable ne touche que 20 Fr par mois.
Si l’on regarde côté employeur, il faut compter pour un bourgeois modeste entre 400 et 500 francs par an de gages pour une bonne à tout faire, plus la nourriture et le logement.
Les différentes tâches
Dans les grandes maisons les activités sont divisées par thématique :
- La bouche : chef cuisinier rôtisseur, saucier, filles de cuisine
- L’hôtel : maitre d’hôtel, valets de pied chargé du nettoyage des appartements de réception et du service de table ; argentiers chargés de l’entretien des cristaux et de l’argenterie, femme de charge qui commande les femmes de chambre chargées du linge et des appartements privés, le piqueur qui assure le service de l’écurie et de la remise.
Le « Manuel complet des domestiques » de 1836 différencie ainsi les domestiques en fonction de leur principales tâches :
- «Soins des aliments ou service de la nourriture : auxquels de rattachent les cuisinières, et cuisiniers, les maîtres d’hôtel, les aides de cuisine : ce service comprend le choix, la disposition, la conservation des substances alimentaires et tout ce qui concerne les repas et le service de la cave
- Le service des étrangers c’est-à-dire tout ce qui concerne la conduite à tenir à l’égard des visites, des assemblées, des personnes qui reçoivent dans la maison une amicale hospitalité
- Soins de la maison et service du mobilier : qui comprennent les occupations des femmes de ménage, femmes, valets de chambre, frotteurs, concierge, …. Tous les conseils relatifs à la propreté, à l’élégance, à la bonne tenue de l’intérieur trouveront place ici
- Soins de la personne et des vêtements : s’adresse aux valets et femme de chambre chez les gens opulens, à la domestique chez les personnes à la fortune plus modeste ; cette partie contiendra tous les détails du nettoyage, blanchissage, repassage, enlevage des tâches, et tous les modes de réparation éprouvés
- Soin des enfants qui concernera les bonnes d’enfants et le soin des maladies
- Soins de l’écurie : il s’agira ici du pansement des chevaux, de l’entretien des voitures, et donc toutes les obligations imposées au domestique homme chargé du service général, aux cochers et aux valets d’écurie »
Dans les maisons bourgeoises le personnel étant moins qualifié, les tâches seront moins diversifiées et le personnel plus polyvalent.
Les tâches ménagères, quelles sont-elles ? Bien différentes que celles que l’on connait aujourd’hui.
Pendant longtemps il a fallu monter l’eau aux appartements par des porteurs d’eau ou aller chercher l’eau au robinet commun. Il fallait monter le bois et le charbon, descendre les ordures, la lessive était faite à l’extérieur (par une blanchisseuse à Paris ou au lavoir en province), il fallait frotter les planchers cirer le parquet.
« Beaucoup de bonnes le faisant malgré elle au détriment de leur santé et de leurs maternité futures, le déhanchement que provoquent le vas et vient du pied qui frotte est absolument funeste … des femmes … obligent leur bonne à frotter à genoux. C’est un travail épuisant. La servante ne se relève que fourbue, les reins fauchés, les jambes molles, les bras anéantis, la tête congestionnée. Beaucoup d’entre elles se refusent avec raison à remplir ce travail ».
Par ailleurs, l’abondance des tentures, double rideaux, bibelots, draperies multiplient les nids à poussière.
Vider les pots de chambre, rincer les cuvettes
Dans la cuisine, minuscule, la bonne fait bouillir sur la cuisinière la lessiveuse pendant des heures ; elle étend le linge, toujours dans la cuisine sur des cordes ; l’humidité, il va sans dire n’est pas évacuée et reste dans la pièce rendant l’air malsain ; le repassage se fait aussi dans la cuisine sur une planche de fortune à côté du dîner qui cuit. La cuisine pièce que l’on cache, que l’on remise au bout du logement (dans certaines provinces on appelle ces réduits où la bonne lave la vaisselle des souillardes).
Les servantes connaissent très mal les règles d’hygiène et n’hésitent pas par exemple à faire les chambres fenêtres fermées ou à secouer le torchon au-dessus du tapis.
Servante plumant le gibier
« Les maitresses de maison qui commande un ouvrage qu’elles n’ont jamais fait elle-même ne savent pas le travail et le soin qu’ils réclament. La bonne va à l’aveuglette, s’éternise, se fatigue et fait mal ».
L’idée que l’on puisse expliquer à une servante, leur enseigner les rudiments de leur travail n’est pas une idée acceptée encore dans les années 1900-1910
Jacques Boucher de Perthes, préhistorien du 19è déclarait dès 1859 qu’il fallait créer des écoles pour servantes pour les femmes de journée dite à tout faire ainsi qu’une école pour domestiques de luxe, pour femme de chambre de bonne maison : celles-ci doivent savoir broder coiffer réparer et faire une robe et aussi une école de bonnes d’enfants car « de ces servantes trop souvent dédaignées dépend souvent l’avenir ou les habitudes bonnes ou mauvaises de l’être faible qu’on leur confie » et une école normale de cuisinière.
Autre témoignage, celui de Paul Chabot dans son ouvrage « Jean et Yvonne, domestiques en 1900 », sur ce que les patronnes de sa mère, deux douairières de Saint Pol, imposaient à celle-ci quand elle avait 13 ans (vers 1880) : « Entretenir le manoir (de 10 pièces), faire la cuisine, assurer le service de ces dames, le lavage, le repassage, il y avait toujours une tâche qui débordait sur l’autre. … Depuis 6h le matin, elle se démenait pour allumer les feux. Elle attaquait la journée par les corvées de bois … à quatre pattes, courbées sur sa paille de fer, elle décapait le parquet, l’encaustiquait et, au chiffon de laine le faisait reluire … il lui fallait sortir les tapis dans la cour, les jeter à cheval sur un fil et les battre avec une tapette. Yvonne qui était toute petite avait un mal fou à les hisser … ».
Qu’en est-il du travail masculin ? Le « Manuel du valet de chambre » en 1903 donne un certain nombre de directives à suivre pour exercer la profession de valet.
Ainsi sur la propreté : « on ne saurait trop insister sur ce point ; un domestique qui approche ses maîtres, qui vit dans leur intimité, ne doit pas se rendre désagréable à la vue ni à l’odorat ; il doit donc avoir un soin tout particulier de sa personne ; se laver souvent à fond ; changer fréquemment de linge et de chaussettes ; avoir toujours les cheveux en ordre, le visage bien rasé, les mains et les ongles aussi propres que le permet le travail. Ne pas se servir de cosmétique, ni de pommade ni d’aucun parfum. »
Sur le service : « le service d’un valet de chambre comporte ordinairement le soin des appartements ; le service de table ; l’entretien de l’argenterie, des couteaux, des lampes ;cuivres, carreaux ; le bois, les feux ; le balayage de la rue ; répondre à la porte. … aussitôt levé, ouvrir les persiennes, faire le service de Monsieur ; en hiver, dresser les feux, monter le bois et le charbon ; balayage de la rue ; premier déjeuner pris rapidement, ce n’est pas le moment de perdre du temps ; faire les appartements ; s’habiller, mettre le couvert, servir le déjeuner ; déjeuner soi même ; après, ôter le couvert et remettre la salle à manger en état ; service d’office ; argenterie, couteaux, lampes cuivres, acrreaux, … à la nuit allumer les lampes, fermer les persiennes ; mettre le couvert du dîner, servir. Après le dîner des domestiques, ôter le couvert e remettre tout en ordre, sans rien laisser traîner, ce qui compliquerait le travail du lendemain ».
Durée de travail
Les journées sont forts longues : de 15 à 16h/jour. Le repos est strictement limité : rarement avant 10 h, parfois à 11h le domestique va se coucher et il doit être à son service à 7h du matin.
Et cela quel que soit l’âge ! Le Congrès diocésain de Nevers en 1913 nous explique que « plusieurs patrons exigent un travail disproportionné avec l’âge et les forces du domestique [les jeunes bonnes commencent dès 12 ans]. Ainsi à certaines époques, ce travail se prolonge jusqu’à treize, quatorze et même quinze heures par jour ».
Mme Gagnepain, 130 grande rue à Villemomble en Seine St Denis, se plaint auprès du ministère du Travail de ce que sa fille de 17 ans et demi en place depuis le 23 mars 1920 n’ai jamais eu un jour de repos ; elle travaille de 5h30 à 23h (lettre du 20/8/1920).
Césarine Marie, 10 rue Muller dans le 18ème à Paris est bonne chez une boulangère de 5h à 22h dans des locaux « où l’air et la lumière font souvent défaut » (lettre du 12/7/1921 adressée au ministère du Travail).
Le « Manuel des bons domestiques » de 1896 nous précise que : « la bonne à tout faire doit être levée à 6h, se coiffer s’apprêter et ne descendre à sa cuisine que prêt à sortir pour le marché. De 6 à 9h elle a le temps de faire bien des choses. Elle allumera le fourneau et les feux ou chargera le poêle
Elle préparera les petits déjeuners, fera la salle à manger, brossera les habits et nettoiera les chaussures. Ici les maitres se lèvent de bonne heure ; elle fera les chambres, mettra de l’eau dans les cabinets de toilette, montera le bois ou le charbon et descendra les ordures. Pour tous ces ouvrages elle mettra de fausses manches et un tablier bleu. Elle fera le marché si madame ne le fait pas avec elle et ne s’attardera pas à causer. Son temps est précieux. Elle mettra le couvert, préparera le déjeuner, prendra un tablier blanc pour servir et aura soin de se laver les mains. Puis la salle à manger remise en ordre la vaisselle lavée et rentrée, les ustensiles de cuisine nettoyés elle pourra avant les préparatifs du diner faire un ouvrage spécial chaque jour de la semaine. Par exemple le samedi le nettoyage à fond de la cuisine et de ses accessoires, le lundi le salon et la salle à manger, le mardi les cuivres, le mercredi un savonnage, le jeudi un repassage ».
Le sort des hommes n’est guère plus intéressant : Jean Tollu nous parle de Jean Baptiste, cocher de son état : il était devenu surtout valet de chambre et un peu majordome de la maison : « je n’ai jamais su à quelle heure commençait pour lui la journée de travail ni à quelle heure elle s’achevait ».
La durée de travail s’est allongée entre 1850 et 1900 : avant 1850 on prenait le diner vers 6h mais à partir de 1850 on dine vers 8h, ce qui retarde l’heure du coucher des domestiques.
Absence de repos du dimanche : on donne parfois un dimanche par mois parfois 2 mais l’usage n’est pas général et ce peut être juste l’après-midi.
Les congés payés ne sont pas connus.
Conséquence de cette absence de réglementation du travail : surmenage, anémie, troubles mentaux propension à la tuberculose …
Un jugement du tribunal de la Seine condamne ainsi vigoureusement les patrons qui surmenaient leur bonne : « attendu qu’en novembre 1904 les époux L. ont engagé comme bonne d’enfant aux gages mensuels de 25f Amélie Cayrol âgée d’environ 16 ans ; attendu que cette dernière entrée au service le 12 décembre dans un état de santé satisfaisant dû le 21/3 1905 sur l’avis du médecin rentrer chez ses parents où elle mourut le 4/4 de la même année d’une méningite cérébro spinale ; attendu qu’il est constant qu’Amélie Cayrol a été à partir du 8 janvier, époque de la naissance de l’enfant des époux L soumise à des travaux excessifs ; qu’il résulte de sa correspondance avec ses parents qu’au mépris des engagements on l’astreignait à lessiver et à repasser tout le linge de maison et à se lever plusieurs fois par nuit pour les soins à donner à la mère et à l’enfant ; qu’elle ne cessa de s’y plaindre de la dureté de ses maitres qui ne lui laissent pas de repos ni le jour ni la nuit et de sa fatigue et de son épuisement qui vont grandissant ; qu’on l’y voit partagée entre le désir de partir pour rétablir sa santé qu’elle sent compromise et la crainte de se trouver sans place , à la charge de ses parents, … attendu que la faute des époux L. apparait encore dans leurs efforts pour empêcher le départ d’Amélie Cayrol ; … attendu qu’il résulte d’une lettre d’Amélie Cayrol que, alors qu’elle exprimait le besoin impérieux de se reposer, ils l’ont contrainte à rester en la menaçant en cas de départ de lui retirer le montant de son voyage à Paris ; … attendu qu’en raison de son épuisement Amélie Cayrol était particulièrement apte à contracter la maladie et sans force pour lui résister, qu’il existe dès lors un lien de droit entre le surmenage et la mort … »
Conditions de travail
Les cuisines au 19ème siècle sont, on l’a vu, petites, encombrées, pas ou peu aérées.
La bonne doit y passer son existence sans pouvoir se retourner aisément, avec la chaleur du fourneau, les fumées, les odeurs qui la forcent à travailler fenêtre ouverte, été comme hiver.
La fenêtre donne souvent sur une cour, petite (souvent de l’ordre de 4/5m2) et sans soleil et où s’accumulent toutes les poussières de la maison que les domestiques y déposent en secouant les tapis et autres plumeaux. Le garde-manger est d’ailleurs le réceptacle des toutes ces poussières.
Le docteur Oscar du Mesnil dans un article intitulé « La question des courettes de Paris » dénonce l’insalubrité que crée dans la capitale ces courettes : « de véritables puits de 15 à 17m de profondeur ne communiquant avec l’extérieur que par leur orifice supérieur et dont les parois emprisonnent une colonne d’air infectée par les émanations fétides qui s’échappent nuit et jour des cabinets d’aisance et des cuisines… ».
N’oublions pas que souvent les bonnes dorment dans leur cuisine ; les médecins protestent contre ce mode de couchage : coucher dans une cuisine est dangereux « car un jour ou deux par semaine le linge de la lessive sèche et répand une telle humidité que les domestiques qui couchent là contractent immanquablement des rhumatismes ».
Un observateur en 1912, Marcel Cusenier, note à Paris que : « dans le quartier de Grenelle et de Javel de nombreuses cuisines n’ont même pas de fenêtres ; elles prennent le jour sur l’escalier où se répandent toutes les odeurs …. Parfois au-dessus du fourneau la hotte manque ; l’oxyde de carbone qui se dégage inévitablement de tout fourneau ne trouve pour ainsi dire plus d’issue : c’est l’intoxication lente et fatale.
Dans certaines cuisines passent des trémies d’aération pour les WC voisins. Ces trémies ont jusqu’à deux mètres de long. L’étanchéité n’est jamais parfaite. Quelles émanations viennent se mélanger à celles des cuisines. Sur l’évier on place la boite à ordures ; le plus souvent elle n’est pas couverte. »
Et que dire des accidents : les noyades en rivière car la bonne a cherché à rattraper une pièce de linge, les chutes dans la cave ou en lavant les vitres, les blessures avec la paille de fer utilisé pour frotter les parquets …
Sources
Filles mères à Bordeaux à la fin du 19ème
Pierre Guiral et Guy Thuillier, La vie quotidienne des domestiques en France au XIXe siècle, Hachette, Paris, 1978.
La domesticité à Cannes à la belle époque de Christine Cecconi
La place des bonnes – la domesticité féminine à Paris en 1900– Anne Martin Fugier
La domesticité au 19è et début du 20ème siècle (1)
Le monde de la domesticité est vaste, hétérogène et somme toute complexe
Il est difficile au vu des différentes études et documents sur la question de se faire une idée simple de cette activité à travers les siècles tant les sources sont finalement rares ; et quand elles existent, elles demeurent lacunaires voire ambiguës.
Ainsi il est difficile jusqu’au début du 20ème siècle de différencier l’ouvrier agricole (le journalier ou le manouvrier) du domestique tel qu’on l’imagine aujourd’hui c’est à dire attaché à une ou plusieurs personnes au sein d’une maison. En fait en y regardant de près, le monde de la domesticité englobe largement les différents métiers agricoles :
- Le valet de chambre : partage l’intimité des maîtres de maison, prépare les vêtements, aide à la toilette et à l’habillage.
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Le valet de pied est l’équivalent masculin de la servante : c’est l’homme à tout faire
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Le valet de ferme : avant la guerre 14/18 c’est un employé dans une exploitation agricole, viticole … c’est souvent le synonyme de manœuvre, manouvrier ou journalier agricole si l’on regarde les recensements alors qu’en fait, les valets de ferme sont « plus permanents » que les journaliers.
Xavier Walter écrit : « les valets, entre 3h30 et 4h tirent des râteliers le foin que n’ont pas mangé les chevaux et les regarnissent de bottes neuves, une demie par cheval. A 5h30 tout le monde se réunit dans la grande salle où la maîtresse de maison sert le premier repas qu’elle prépare depuis son lever à 3h30 : soupe, lard, galettes de sarrasin. Puis on sort travailler et l’on rentre à 11h pour le « dîner » de midi ; on y mange la même chose que le matin plus des pommes de terre ; lorsque le premier valet replie son couteau, tout le monde se lève, le patron aussi, et on repart travailler aux champs pour 4h de temps ; au retour, les chevaux requiert de longs soins des petits valets. On soupe de bonne heure vers 6h et chacun gagne son lit ».
Pour tous ces valets, le travail quotidien est d’au moins 13h ; ils ont marché entre 35 et 40km, ont mené la charrue ou la herse. A noter qu’au début du 20ème siècle il faut compter 1 homme pour 8ha.
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La servante de ferme : « c’est sur celle-ci que retombait le travail le plus ingrat : travaux des champs, la « buge » ou lessive avec souvent le rinçage dans l’eau glacée en hiver, la participation à la traite, l’alimentation des porcs. Après le repas du soir le valet allait se coucher à l’écurie. La servante devait tout remettre en ordre avant d’aller se reposer. Elle était libre le dimanche mais devait rentrer pour participer à la traite du soir.
La servante de ferme reçoit comme sobriquet au milieu du 19ème siècle le nom de boniche ; de façon générale, le travail était en effet dur : elle aidait à la tenue du ménage, balayait la maison, soignait les poules, allait chercher l’eau au puit, trayait les vaches avec la patronne, épluchait les légumes du repas, empotait le caillé dans la laiterie, conduisait les bestiaux à la pâture, reprisait les effets, repassait le linge, ...
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Le charretier = celui qui conduit des chariots et charrettes
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Le journalier ou manouvrier = il est payé à la journée, accomplit les basses besognes ne nécessitant pas de qualification : nettoyage des étables, travaux de terrassement, mise en fagot des bois, surveillance du bétail, transport des foins …
Gustave Lhomme dans une étude sur notamment les journaliers de la région d’Orchies (entre Valenciennes et Douai dans le Nord) - « Petites histoires d’Orchies » - nous explique que le journalier est au plus bas de l’échelle du monde rural, travaillant durement mais gagnant peu. Le manouvrier est « un véritable prolétaire totalement dépendant du salaire de ses journées. Il cherche à réduire au maximum ses dépenses, accepte de vivre dans une masure héritée prêtée ou louée à bas prix … ».
Au vu des documents (encore une fois lacunaires), on peut estimer à, à peu près, 900 000 le nombre de domestiques en France entre 1850 et 1870.
En 1881 (période qui semble être l’apogée de l’emploi domestique en France,) ce chiffre culmine à 1 156 000 domestiques soit 31 domestiques pour 1000 habitants.
En 1901 ce chiffre tombe à 956 000 ; c’est on le verra le début du déclin de cette profession ; déclin qui va s’accentuer avec la 1ère guerre mondiale.
Les hommes représentaient 31.7% des domestiques en 1851, ils ne sont plus que 17% en 1901 : la population domestique se féminise en même temps qu’elle diminue globalement.
On estime généralement à 14.2 millions, la population active en 1852 ; les domestiques représenteraient donc 1/14ème de cette population.
Si l’on regarde une ville comme Cannes, en 1852 la population domestique représente 21% de la population active et en 1906, 30%. Manifestement Cannes ne connait pas de crise de domesticité contrairement à ce qui se passe dans le reste de la France (mémoire de Christine Cecconi sur la domesticité à Cannes à la belle époque).
gare de Cannes en 1880
Il faut dire que Cannes cumule un nombre important de grandes maisons et une santé économique florissante : ce qui explique d’ailleurs le pourcentage de domestique femme à Cannes (60% en 1906 par rapport au reste de la France, Paris notamment et ses 83% à la même époque) : plus la maison est prospère, plus le personnel masculin est nombreux ; dès que l’on descend dans la hiérarchie sociale, l’élément féminin parmi les domestiques augmente.
Qui sont ces domestiques ?
Il est difficile d’avoir une vue précise de la situation car par exemple les journaliers sont déclarés soit ouvriers (agricoles ou non) soit domestiques de ferme soit valet de ferme dans les recensements, les servantes d’hôpital ou d’asiles sont quant à elles appelées infirmières.
Quoi qu’il en soit, tout en bas de l’échelle nous allons trouver les domestiques ruraux qui sont en fait des travailleurs au sens de productifs : ce sont nos manouvriers ou journaliers agricoles, les valets et servantes de ferme.
Tout en haut, nous trouvons les dames de compagnie, les précepteurs, les gouvernantes, les maîtres d’hôtels. Bref les domestiques de « la haute » : l’aristocratie et la grande bourgeoisie.
Entre ces deux catégories, nous retrouvons tous les autres : la servante que l’on appellera « la bonne » (terme qui se répand vers 1830/50) et que l’on appelait auparavant « soubrette » (terme qui désigne en fait une petite servante), le valet, la cuisinière … Mais aussi les domestiques d’institution (asiles, hôpitaux, …).
Il faut bien comprendre qu’au 19ème siècle toute la bourgeoisie, de la plus modeste à la plus haute, a SA servante ; n’oublions pas en effet que dans la société bourgeoise du 19ème siècle la bonne est une nécessité sociale : « sans bonne on ne serait pas bourgeois ».
L’employé de maison est donc le signe distinctif de la promotion sociale. « N'être pas servi vous rejette du côté des prolétaires ».
Ainsi, Marcel Cusenier en 1912 fait le constat suivant : « Certaines personnes prennent des domestiques alors que raisonnablement leurs minces revenus ne le leur permettent pas ».
Si l’on reprend l’exemple de Cannes, certes une ville économiquement attractive et prospère, on s’aperçoit qu’en 1891, 35 % des employeurs de domestiques sont des propriétaires, des rentiers, des retraités ou des sans profession, 22,1 % sont des commerçants et 17,1 % sont des professions libérales et des cadres. Les employés et les ouvriers représentent tout de même 12,3%% des employeurs de domestiques. Enfin, 8,7 % sont des artisans.
Bien sûr le nombre de domestiques à son service va varier en fonction des revenus de la maison : dans les grandes maisons urbaines ou rurales, la domesticité reste abondante jusqu’à la 1ère guerre mondiale
Ainsi en 1906 les Murat ont par exemple une résidence à Paris, un château à Rocquencourt et un autre à Chambly : ils emploient entre 35 et 42 domestiques.
Le cas des domestiques agricoles : comment les recrute-t-on ?
2 fois l’an se tenaient des foires où les exploitants faisaient leur marché en quelque sorte. C’est que l’on appelait les louées de la St Jean (24 juin) et de la st Martin (11 novembre).
Selon l’emploi recherché, les candidats mettaient un insigne sur leur chapeau ou leur corsage : l’épi désignait le moissonneur, le flocon de laine le berger, le charretier portait un fouet autour du cou, le valet de ferme arborait une feuille de chêne, la servante se parait d’une plume de volaille, la femme de chambre épinglait une rose à son corsage…
André Guérin (1899 – 1988 ; journaliste et écrivain, rédacteur en chef de l’ « Aurore », explique dans « La Vie quotidienne en Normandie au temps de Madame Bovary » à propos des femmes se présentant à la Louée de Montebourg en Normandie : « Elles sont venues dès l’aube s’asseoir sur les marches de l’église, sous la statue de Saint Jacques, couronnées de roses. Celles-ci ne sont point trop attifées, cela ne pourrait ne pas plaire, mais bien plus soucieuses de montrer qu’elles se portent bien et n’ont pas peur de l’ouvrage. Au besoin, on peut leur tâter le bras comme on tâte les flancs et les membres d’un bestiau, ceci pour s’assurer qu’elles seront aptes à porter des seaux de lait … ».
André Accart (1947-2008) décrit la louée des servantes d'Avroult dans le Pas De Calais – louées qui se sont tenues jusque 1914 (Etudes et Documents du Comité d'Histoire, n° 25) : « C'est là, sur la grand route, que, dès le matin, se rassemblent beaucoup de personnes de tous âges et des deux sexes, qui se placent sur deux lignes, les hommes d'un côté, les femmes de l'autre. Les fermiers et leurs ménagères se promènent gravement au milieu, jetant d'abord un coup d'œil sur l'ensemble de tous ces individus, singulier bazar qu'ils examinent avec le regard scrutateur d'un marchand turc ou d'un colonel d'infanterie.
Ces personnes revêtues modestement attendent impatiemment qu'on leur adresse la parole. Elles présentent leurs mains calleuses ; plutôt que d'y étaler une toilette hors de saison, le mantelet classique et le mouchoir sur la tête sont toute leur parure.
Les plus robustes, sur les certificats qu'ils présentent de leur moralité, de leurs services, sont souvent les premiers loués. Le prix convenu, les derniers adieux sont aussitôt donnés, maîtres et domestiques s'en retournent ensemble ».
Les qualités d’un bon domestique « urbain »
Le « Manuel complet des domestiques » de 1836 précise en préambule que « les domestiques sont regardés communément comme une fâcheuse nécessité. Pour quelques maîtres satisfaits, un grand nombre change continuellement de serviteurs ; un plus grand nombre tout en grondant s’abstient de changer de crainte d’en rencontrer de pires ».
Le « Manuel du valet de chambre » de 1903 explique sans détours quant à lui que « le métier de domestique est le seul où, sans aucun apprentissage, on trouve, du jour au lendemain, le vivre et le couvert, plus des gages qui sont tout profit. Il n’est donc pas étonnant de voir quantité de jeunes gens quitter les travaux des champs, pénibles et peu rétribués, pour aller servir dans les villes, comme domestiques ; ils s’en vont, sans idée aucune de ce qui leur sera demandé, croyant tout savoir et ayant tout à apprendre : maintien, langage, service».
Comment trouver LE bon domestique ?
Le « Manuel des bons domestiques » (1896) conseille d’avoir des domestiques soignés qui « se laveront les mains, seront peignés, et auront des vêtements en ordre avant de prendre leur service ». N’oublions pas toutefois que l’époque est à la chasse aux microbes pour la première fois de l’humanité et qu’il est bien évident que ces consignes n’étaient pas ou peu demandées auparavant.
Le « Manuel complet des domestiques » de 1836 demande aux domestiques « une obéissance portée jusqu’à l’abnégation, une fidélité scrupuleuse, un zèle de tous instans, une discrétion à toute épreuve, l’ordre, le désintéressement ». Des qualités que « les maîtres ont le droit d’exiger de leurs domestiques et qu’ils exigent tous à moins que ce ne soit des gens faibles, insoucians, sans esprit et sans caractère, qui ne savent pas se faire servir ».
Sources
Filles mères à Bordeaux à la fin du 19ème
Pierre Guiral et Guy Thuillier, La vie quotidienne des domestiques en France au XIXe siècle, Hachette, Paris, 1978.
La domesticité à Cannes à la belle époque de Christine Cecconi
La place des bonnes – la domesticité féminine à Paris en 1900– Anne Martin Fugier