Eklablog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Habitat et intérieur toulousain

28 Août 2016 , Rédigé par srose

 

Habitat et intérieur toulousain

 

L’habitat toulousain

Quand on parle de Toulouse on pense de suite aux « toulousaines », ces petites maisons avec jardin autrefois réservées aux maraichers en bordure de ville, sans étage ni sous-sol mais pourvu d’un galetas.

 

Habitat et intérieur toulousain

Le nom de « toulousaine » n’est pas venu de suite ; ces maisons se sont d’abord appelées maison de maraicher, maison maraichère ou simplement « maraichère ».

Au fur et à mesure que la profession s’est réduite, d’autres artisans se sont installés dans ces maisons qui peu à peu se sont appelées du nom de « toulousaine » mais il faut bien avoir à l’esprit que l’on retrouve ce type de maison un peu partout dans le département.

La toulousaine d'origine n'avait pas d'étage mais un grenier ou plutôt un galetas aéré et éclairé par de petites ouvertures rondes, carrées ou en losange. Elle est construite en briques pleines ou briques foraines ; la toiture est en tuile à deux pentes ; la construction est en brique apparente mais les murs peuvent être crépis et enduits d’un badigeon, la brique restant apparente dans l’entourage des portes et fenêtres.

 

Habitat et intérieur toulousain

Une petite moulure, appelée listel, soulignait le niveau du galetas sous toiture.

 

Dans la ville de Toulouse même, on trouve des maisons urbaines, des immeubles de rapport, des hôtels particuliers. Beaucoup de ces habitats sont des constructions en corondage (nom donné à Toulouse au colombage) qui se perpétuent même après l’incendie de 1463 et leur interdiction en 1555 – il en reste 200 dans Toulouse aujourd’hui. 

Habitat et intérieur toulousain

2 rue des Couteliers à Toulouse 

 

Germain de la Faille en 1701, ancien capitoul, écrit dans les Annales de la ville de Toulouse depuis la réunion de Comté de Toulouse à la Couronne :

   « J’ai remarqué ailleurs qu’anciennement dans Toulouse, à l’exception de quelques grandes Maisons, qui étaient toutes bâties de briques, et auxquelles on donnait communément le nom de Tours, les autres étaient que de torchis, ou tout au plus de charpente, avec des remplissages de briques, qui est la manières de bâtir, qu’on appelle corondage* en nôtre Langue vulgaire, & colonnage dans quelques Provinces de France.

* ces termes dérivent du mot Latin Columna ; parce que les pièces de bois qui lient l’édifice, représentent des colonnes. »

 

La brique est sous l’Ancien Régime assez chère et sa fabrication ne permet pas une cuisson homogène. Aussi, les parties destinées à être enduites sont faites avec des briques de moindre qualité

 

Habitat et intérieur toulousain

rue des Arts à Toulouse

 

En 1783 le badigeonnage blanc des façades est obligatoire

En 1852 un badigeonnage d’entretien est obligatoire tous les 10 ans

Au début du 20ème siècle et surtout à partir de 1943 la suppression des enduits et badigeons commence et deviendra la règle.

 

Habitat et intérieur toulousain

rue Mage à Toulouse

 

Intérieur

Alors qu’au 17ème siècle,la cuisine ne se rencontre que dans 5% des foyers, à la fin du 17è les pièces commencent à se spécialiser : on va avoir de plus en plus de pièces réservés à la confection et la prise des repas que l’on appelle salle basse, des pièces de réception et des chambres à coucher.

Au 18ème siècle les hôtels particuliers disposent tous d’une cuisine, et d’une salle à manger dans 86% des cas, mais aussi de salons, bibliothèques, cabinets de travail…

Les inventaires des 17 et 18ème siècles témoignent d’un entassement assez impressionnant de meubles et cela quel que soit le statut social du foyer. Ainsi dans la paroisse de la Dalbade, on compte en moyenne 3 ou 4 tables , 7 meubles de rangement, 3 lits (sans information sur leur « taux d’occupation ») et plus d’une vingtaine de sièges par foyer (quel que soit le milieu social on en retrouve dans tous les intérieurs toulousains : 11 en moyenne chez les artisans, 22 chez les marchands, 65 chez les parlementaires).

Habitat et intérieur toulousain

siège 18ème siècle

Le coffre qui représente 70% du mobilier de logement au 17è est détroné au profit de l’armoire ou alimande qui existait déjà avant mais en moindre proportion ; les meubles de rangement se spécialisent : vaisselier, buffet, commodes.

Le chauffage est pour l’essentiel assuré par les cheminées ; dans l’inventaire d’un cabinet d’avocats on a trouvé la précision suivante : « gants coupés pour écrire »,  ce qui en dit long sur la température de ces pièces de travail.

Les poëles restent encore rares au 18ème siècle.

De nombreuses tables sont retrouvées dans les inventaires : des tables à pliant notamment (dont le plateau et les pieds peuvent être dissociés), plus faciles à ranger.

Habitat et intérieur toulousain

Table démontable

La décoration n’est pas en reste dans les intérieurs aisés : miroirs (à partir d la fin du 17ème siècle) , tableaux et estampes (chez 1/3 des artisans, la moitié chez les marchands, les 2/3 chez les hommes de loi, la quasi-totalité des nobles). Certains parlementaires ont réunis des collections impressionnantes : à la veille de la révolution le conseiller de Lassus Nestier a réuni 111 œuvres, le conseiller Du Bourg 135, le conseiller de Gaillard de Frouzins 156.

On trouve aussi quantité de bibelots, cages à oiseaux, vases et bouquetières (selon Mme Cradock, une Anglaise voyageant en France avec son mari de 1783 à 1786 et qui écrivit son journal de route, « l’habitude de porter des fleurs, d’en offrir et d’en orner les appartements fait ici la fortune des jardiniers » - les fleurs artificielles sont forts prisées).

 

Habitat et intérieur toulousain

Mme Cradock, est ainsi ressortie enchantée de l’hôtel du comte Dubarry : « jamais je ne vis une collection de si belles choses et je crois même que ces appartements bien que plus petits dépassent en luxe et en magnificence ceux de la reine de Versailles » (qu’elle avait visité d’ailleurs). Mme Cradock admira donc les fresques en trompe l’œil de l’hôtel Dubarry, ses pièces décorées de panneaux de stuc doré, ses plafonds peints, sa grande galerie tendue de soie verte ornée de 4 grandes statues de marbre d’Italie, sa salle à manger divisée par une balustrade en un espace pour les convives et un espace pour les serviteurs muni d’une fontaine à laver les verres … 

Habitat et intérieur toulousain

hôtel Dubarry qui aujourd'hui fait parti du lycée St Sernin

 

Habitat et intérieur toulousain

intérieur de l'hôtel Dubarry

 

Habitat et intérieur toulousain

intérieur hôtel Dubarry

 

Il est évident que cet hôtel n’est pas représentatif de l’habitat toulousain. Mais dans la catégorie des hôtels particuliers nous pouvons en trouver d’autres aussi opulents.

 

Ainsi le président au parlement de Toulouse Jean Desinnocens de Maurens, ancien député aux Etats Généraux abandonne lors de la Révolution son vaste hôtel toulousain place des Pénitents Blancs. L’inventaire des biens de sa demeure est très instructif : salle à manger, salon de compagnie d’hiver, cabinet de bains doté d’une baignoire, une bibliothèque regroupant 2182 volumes, des pièces de réception, 22 tapisseries, 162 nappes, 130 douzaines de serviettes, 1526 assiettes, (seulement) 154 verres, 812 bouteilles de vin dans la cave.

 

Le papier peint fait son apparition mais timidement dans les intérieurs toulousains au 18ème siècle (des fabriques s’installent d’ailleurs à Toulouse au 18ème siècle).

 Habitat et intérieur toulousain

détail tapisserie 18è

La couleur dominante des tentures est le vert, loin devant le jaune et le rouge. La fonction des tentures murales, des tapis, des rideaux, paravents et portalières n’est pas que décorative mais avant tout utilitaire : lutter contre le froid et l’humidité. Les lambris sont utilisés pour la même raison.

Mais Toulouse fait peu de cas des tapisseries peut être à cause du climat plus clément . Quand on trouve dans les inventaires des tapisseries ce sont en majorité celles de Bergame , peu coûteuses et fabriqué pour beaucoup sur place (quai de tounis). On retrouve tout de même des tapisseries de haute lice provenant des Flandres, de Beauvais, d’Aubusson, ou des Gobelins

 

Habitat et intérieur toulousain

tapisserie d'Aubusson

Habitat et intérieur toulousain

morceau de tapisserie de Bergame

 

Selon l’encyclopédie Diderot et d’Alembert, la tapisserie de Bergame est  une grosse tapisserie, qui se fabrique avec différentes sortes de matières filées, comme bourre de soie, laine, coton, chanvre, poil de bœuf, de vache, ou de chèvre. Rouen et Elbœuf fournissent une quantité considérable de bergames de toutes les couleurs et nuances.

 

Les cheminées sont construites en pierre de taille, ou en marbre des Pyrénées ; jusqu’au milieu du 18ème siècle c’est le seul moyen de cuisson des aliments. Vers 1750 apparaissent les trépieds, les réchauds et les fourneaux maçonnés qui permettent de poser les plats à cuire et surtout de cuisiner debout et non plus accroupi ; cela reste malgré tout marginal car à la veille de la Révolution seul ¼ des parlementaires disposent de fourneaux.

Habitat et intérieur toulousain

Crémaillère - détail de "Le Christ chez Marthe et Marie" - Joos Goemaere - 1600

 

Les ustensiles de cuisine sont diversifiés, en terre, faïence, fer, étain, cuivre : casseroles, poêles, poêlons, passoires, écumoires, couteaux, hachoirs, tourtières, poissonnières, moules à gâteaux et moules à faire des glaces.

Le linge de table (fabriqué en tissu grossier pour les foyers les moins aisés et en soie pour les foyers plus aisés) est présent en quantité d’après les inventaires : les artisans du bâtiment possèdent en moyenne 4 nappes et une trentaine de serviettes, les hommes de loi et les marchands une quinzaine de nappes et une centaine de serviettes ; les parlementaires plus de 60 nappes et plus de 500 serviettes.

La vaisselle au 18ème siècle diffère du siècle précédent ne serait ce que par les matériaux utilisés : l’étain recule (pas dans les couches pauvres) au profit de la faënce qui est aussi utilisée pour les bénitiers, les décorations de cheminée, les fontaines.  A la fin du 18è on trouve également chez les parlementaires de la porcelaine de Saxe, de Limoges ou de Chine.

L’acquisition de pièces en porcelaine témoigne également de la consommation de nouvelles boissons : café surtout , thé et chocolat dans une moindre mesure : présence dans les inventaires de cafetières et de moulin à café, tasse en porcelaine, soucpues et sucriers

Les fourchettes font un bond spectaculaire dans les inventaires du 18ème siècle alors qu’elles étaient pratiquement inconnues au 17ème.

 

Nombre de pièces par foyer

Les hôtels particuliers on l’a vu se distinguent par l’opulence de leur intérieur. Ils se distinguent également par le nombre de pièces : 31 en moyenne chez les parlementaires à la fin du 18ème siècle.

La classe populaire se contentera, elle, d’une pièce multifonctionnelle où on y mange, dort, travaille et surtout où on s’y entasse : le quartier de la rue des Blanchers, selon le rapport d’un capitoul en 1779, « n’est presque habité que par des artisans ou des gens de la lie du peuple qui se réunissent dans une seule maison à ce point qu’i y en a certaines où il y a 10 ou 12 familles qui l’habitent ». 

Habitat et intérieur toulousain

rue des Blanchers à Toulouse

Toutefois contrairement à d’autres villes comme Lille ou Bordeaux, la population de Toulouse intra muros et ses faubourgs comme St Etienne augmentent modérément : en 1695 on a 37 349 habitants et un siècle plus tard 57 869.

 

Habitat et intérieur toulousain

Faubourg Toulouse 17ème siècle

Mais même si la population ne croît pas exagérément, il n’en reste pas moins que la ville intra muros accueille à la Révolution 73% de la population de Toulouse, ce qui donne une densité importante : 250 habitants par hectare.

 

La conséquence est inévitable : construction de nouveaux habitats dans les faubourgs, densification intra muros par le biais de l’adjonction de nouveaux étages ou de nouveau corps de logis et par de nouvelles constructions dans les espaces laissés libres

 

Les effets de cette densité se retrouvent au niveau du foyer : en 1695, 47.3% des maisons étaient habités par une seule famille, elles n’en sont plus qu’un tiers en 1790 : la densité familiale passe en effet de 2 à 2.8 au cours du siècle dans la ville elle même et de 1.6 à 2.5 dans les faubourgs.

Les logements ne sont toutefois pas surpeuplés comme c’est le cas à la même époque à Lille : le nombre moyen de pièces est d’environ 2 par foyer au 18ème siècle.

Si l’on détaille un peu plus cette analyse, on voit que les artisans se contentent d’une ou deux pièces (les artisans et marchand plus aisés auront 3 ou 4 pièces ce qui permet une spécialisation de celles-ci notamment avec la cuisine et la chambre à coucher). Les pièces à vivre sont au-dessus de la boutique ou dans l’arrière-boutique. Les apprentis dormiront sans un coin de la boutique ou de l’atelier. Toutefois cette spécialisation n’est pas complète : les chambres à coucher par exemple servent aussi à la réception à la lecture, à la toilette et à la satisfaction des besoins naturels.

Des artisans ou marchands plus prospères bénéficieront de davantage d’espace. C’est le cas du marchand linger Jean Calas demeurant rue des Filatiers au 18èe siècle : il avait 8 pièces. On pénétrait dans son logement depuis la rue par une porte à double battant à droite de la devanture de la boutique ; un couloir conduisait à une cour et à l’escalier menant aux appartements ; au  1er étage se trouvaient la cuisine et la chambre des parents donnant sur la rue , la salle à manger et le salon donnant sur une galerie extérieure surplombant la cour.

 

Habitat et intérieur toulousain

Le 2ème étage comportait quatre chambres pour les enfants et la servante ; une cave voutée, un galetas et des latrines dans la cour et au 1er étage complètent la demeure.

 

Il n’en reste pas moins que les immeubles occupés par les familles pauvres sont insalubres, les pièces donnent sur des rues étroites ou des cours exigües, manquent d’air et de lumière ; elles sont infestées de punaises, de rats et autres « insectes des appartements ». L’hygiène ou plutôt le manque d’hygiène, on l’a vu dans un précédent article reste un problème majeur au 18ème siècle.

  

Domesticité

 

Il faut de la main d’œuvre pour entretenir ces grandes demeures : les domestiques représentent ainsi  12% de la population toulousaine à la fin du 17ème siècle, plus de 8% à la veille de la Révolution.

En 1695, l’hôtel du procureur général Le Mazuyer en abrite 17 au service de 4 personnes, celui du procureur général Riquet de Bonrepos une trentaine.

Les nobles sans profession, les grands négociants et les capitouls ont 3 serviteurs en moyenne. Les hommes de loi et les professions libérales en ont un voire deux.

Quant aux marchands et artisans ayant un minimum d’aisance, ils ont une servante à disposition.

Il est à noter que 78% des domestiques travaillant sur Toulouse sont nés hors de Toulouse.

45% d’entre eux sont des femmes. Il est intéressant de voir que plus on s’élève dans l’échelle sociale plus la domesticité se spécialise et se masculinise. Le conseiller Rey de Saint Géry emploie fin 18ème siècle une fille de service, deux femmes de chambre, une cuisinière, une gouvernante, trois laquais, un maître d’hôtel, un suisse, deux porteurs de chaise et un cocher.

Il est évident que les conditions de travail des domestiques vont varier en fonction de leur fonction, de leur  employeur et du degré d’aisance de ce dernier. Pour avoir une idée, une servante à la fin de l’Ancien Régime gagne entre 40 et 75 livres par an tandis qu’un maître d’hôtel en gagne 350.

La plupart des servantes et autres valets sont contraints de dormir dans la cuisine ou dans un galetas sommairement meublé ; dans les grandes familles les conditions seront plus confortables avec un logement individuel parfois.

Habitat et intérieur toulousain

Jeanne Viguière, servante de la famille Calas en 1761 depuis plus de 25 ans, fait l’objet de toutes les attentions de ses maîtres du fait de ses infirmités : ainsi les enfants Calas s’occupaient des visiteurs en leur ouvrant la porte et en les raccompagnant pour lui éviter de monter et descendre les escaliers.

Habitat et intérieur toulousain

L’ancien capitoul Henri de Lafont laissera dans son testament 3 000 livres à son cuisinier, 1 000 livres à sa servante, 600 à son valet de chambre, 300 à son cocher, 200 à son laquais, 600 à son agent de campagne.

  

 

Sources

 

Entre tradition et modernité : les intérieurs toulousains au XVIIIe siècle de Christine Dousset 

 

Vivre à Toulouse sous l’Ancien Régime de Michel Taillefer 

 

http://www.les-petites-toulousaines.com/

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1028087/f3.image.r= journal de mme Cradock

Déclaration de Jeanne Viguière dans le procès Calas

Plans anciens de Toulouse

 

 

Lire la suite

Habitat et intérieur lillois au 18 ème et au 19ème siècle

20 Août 2016 , Rédigé par srose

 

La maison lilloise type n’existe pas mais on peut trouver un schéma directeur au 18ème siècle par exemple  : une maison à deux étages avec cave et grenier et une façade étroite n’excédant pas 6 mètres.

façades de maison à Lille

 

rue du vieux Lille

 

quai de Wault, maisons et immeubles

Habitat lillois du 18 au 19ème siècle

rue St François à Lille

 

L’entrée se fait généralement par un couloir latéral assez étroit qui débouche dans une cour..

Le rez de chaussée est partagé entre deux pièces, souvent une salle et une cuisine ; à l’étage 2 chambres, une sur rue et une sur la cour.

On trouve également au 18ème siècle le modèle ancien de la maison à 2 corps de logis, l’un sur rue et l’autre au fond de la cour : soit on y loge deux familles soit on a une organisation fonctionnelle de l’espace : magasin, bureau, chambre sur rue et les pièces à vivre dans la cour.

 

Il existe également à Lille des hôtels particuliers lesquels n’obéissant bien sûr pas à cet ordonnancement.

Par exemple l’hôtel Hangouart d’Avelin, rue Saint Jacques : à la fin du 17ème siècle, Michel d’Hangouart y loge sa famille, ses 10 domestiques, ses cochers et ses chevaux. D’après les inventaires de l'époque, on sait qu’il y avait une grande tapisserie de feuillage, une série de tableaux de chasse, un miroir en bordure d’écailles dans la salle de réception ainsi qu’un lit de parade de damas cramoisi et  une douzaine de fauteuils.

L’hôtel de Wambrechies sur la rue Royale (aujourd’hui siège de l’archevêché), édifié en 1703 pour Nicolas François Faulconnier, seigneur de Wambrechies, n’est pas en reste avec son vestibule dallé de marbre, sa chapelle, sa bibliothèque, sa salle de réception, sa vaste cuisine, son grand salon, son autre salon, son grand cabinet, son petit cabinet, ses chambres …

 

maquette de l'hôtel au 18ème siècle

Il est de bon ton, ne l’oublions pas, de posséder une demeure dans la rue Royale de Lille sous Louis XIV. Si une maison bourgeoise se vend, à la fin du règne de Louis XIV, à 3 000 / 4 000 florin, il n’est pas rare de voir des ventes de maisons de « riches » à 30 000 florins, le plus courant tout de même restant des transactions autour de 13 000 florins.

Habitat lillois du 18 au 19ème siècle

rue Royale au carrefour de la rue Léonard Danel à gauche et de la rue d'Angleterre à droite au début du 19èsiècle; avant l'agrandissement de 1670, l'espace au delà de ce carrefour était hors les murs et consistait en terres cultivées

Habitat lillois du 18 au 19ème siècle

rue Royale

Une maison de ce type, appartenant à la noblesse ou à la très haute bourgeoisie, exige une main d’œuvre importante pour faire face au nombre de pièces occupant ces demeures (en moyenne 26 pour la noblesse te 11 pour la haute bourgeoisie).

Ainsi la baronne de Saint Victor emploie à son service deux laquais, un cuisinier, deux femmes de chambre, un maître d’hôtel, un cocher, une relaveuse, une lingère et un portier dans une maison sise au 112 de la rue Royale.

Cette maison a été acquise en 1769 par la baronne pour 26 000 florins. L'inventaire de 1772 précise que la demeure de la baronne de Saint Victor contenait pour 37 210 florins de "meubles, effets et vaisselles" : 15 104 livres de bijoux, diamants et vaisselle d'argent, 4 douzaines d'assiettes d'une valeur de 4 070 livres, 15 plats estimés à 2 409 livres, 6 chandeliers pour 362 livres, 2 soupières pour 1 068 livres, 12 couverts au titre de Paris pour 462 livres et divers autres biens estimés à 2 5952 livres.  

 

La petite bourgeoisie qui englobe le monde de l’artisanat et de la boutique est propriétaire ou locataire d’une habitation de 6 pièces en moyenne d’après les inventaires de 1772.

 

L’inventaire de Jeanne Delobelle quant à elle, 81 ans en 1772, inventaire estimé à moins de 1000 florins, la classe dans la catégorie des gens humbles, qui sans être dans la misère vivent néanmoins pauvrement : elle vivait dans une seule pièce et possédait à sa mort : « une robe et un jacotin de calemande, quatre autres jacotins, six jupes, deux mauvaises jupes, trois chemises, cinq tabliers et un linge de corps, un mantelet de toile peinte, 26 pièces de coiffure, une faille de camelot, un petit coffre et une boite en chêne, une paire de boucles de souliers à étage de femme, des mauvais souliers et des bas ».

 

N’oublions pas en effet que le logement des plus humbles, c’est-à-dire du commun des mortels, n’excède pas en moyenne 1.5 pièce au 18ème siècle et que cela ne changera pas au 19ème siècle. On est loin du faste vu plus haut.

Dans les années 1730, saint étienne qui rassemble moins de 20% de la population lilloise concentre 48.7% des logements de 4 pièces et plus tandis que saint sauveur n’en accueille que 5.1%.

Pire, près des 2/3 des pauvres vivent dans une seule pièce, nécessairement polyvalente (voir les articles sur les courées et sur les caves) Le lit sera la pièce maîtresse avec le coffre et la cheminée (plus tard le poêle). La vaisselle de ces foyers est en cuivre et en étain. La marmite ne fait pas défaut alors que l’on ne trouvera pas de tournebroches ni de tourtières. On retrouve en revanche une quantité importante d’objets religieux : livres de prières, images pieuses, bénitiers.

Pour les foyers un petit peu plus riche, on trouve l’achelle : buffet simplifié formé de quelques planches à rebord posées contre le mur et qui sert de vaisselier.

Habitat lillois du 18 au 19ème siècle

Dictionnaire du patois de la Flandres française ou wallonne

Les lits en bois avec rideaux (de préférence en serge – étoffe souple à base de laine) sont réservés aux plus aisés.

Les buffets et les commodes ne s’imposent pas dans l’habitat prolétaire. La garde robe rentre dans les intérieurs bourgeois au détriment du coffre, plus archaïque et réservé aux plus pauvres.

Il est à noter que le poêle n’apparait à Lille que vers 1750. A défaut de poêle, reste la cheminée dans laquelle brûle de l’orme, du hêtre et plus rarement du chêne.

ancien poêle en fonte Godin

 

poêle en fonte et en laiton

 

Que peut on trouver d’autres dans ces intérieurs ? Des bassinoires pour réchauffer les lits.

Des objets liés à l’hygiène font leur apparition dans les années 1730 : bassins, aiguières.

En 1780 on note chez le manufacturier Durot une baignoire placée dans une « cabine au bain ».

34% des foyers ont en 1787 des pots de chambre, 37% des chaises percées.

Cela reste bien rudimentaire (voir article sur l'hygiène).

Certaines maisons possèdent des dépendances : des caves et des greniers essentiellement. Les écuries sont présentes dans 7% des logis en 1787 d'après les inventaires après décès.

En terme de vaisselle, les inventaires de la fin du 18ème siècle montrent l'existence et la progression des tasses, sous tasses, théières et cafetières, preuve de l'intérêt pour les nouvelles boissons "dopantes". Les assiettes se spécialisent : à soupe et à dessert, les plates et les petites. L'étain disparaît au profit de la porcelaine et de la faïence. Les soupières, les moutardiers, huiliers, porte huiliers sont rares au 18ème siècle contrairement à la salière et a saladier. Les casseroles sont de plus en plus utilisées alors que les faitouts et les poêlons perdent du terrain. Apparition de la poissonnière permettant de faire cuire au court bouillon les poissons et de la bouilloire.

Des réchauds et des fourneaux sont présents dans les inventaires.

Un petit détail de décoration intéressant : l'apparition de la tapisserie de papier ou papier peint. Elles sont assez prisées car beaucoup moins chères qu'une tapisserie classique (même si l'utilisation est différente : la tapisserie classique est destinée certes à la décoration d'une pièce mais surtout à protéger du froid et de l'humidité). Le papier peint va se développer à la fin de l'Ancien Régime (elles représentent 38% des tapisserie inventoriées en 1787) et vont s'utiliser soit à même le mur soit sur un support (papiers sur toile).

 

Habitat et intérieur lillois au 18 ème et au 19ème siècle

papier peint 1803

Habitat et intérieur lillois au 18 ème et au 19ème siècle

papier peint 1799

 

Finissons par une famile ouvrière du 19ème siècle : le mobilier tient toujours à peu de choses : un ou plusieurs lits (en fait des paillasses posées à terre et bourrées de fannes de pommes de terre , de copeaux ou de paille de colza), un poêle en fonte vertical (les pauvres se contentent de le louer au mois : 2 francs) sur lequel la cafetière « trône su l’buich’ du poël comm’ un guetteu sur eun’ tour » (Alexandre Desrousseaux, père du P'tit Quinquin), quelques chaises, une table.

Habitat lillois du 18 au 19ème siècle

Alexandre Desrousseaux

 

A la fin de la Monarchie de Juillet on estimait à 20 francs la valeur moyenne d’un mobilier ouvrier.

 

Il n’y a finalement pas de différence avec le siècle précédent et malheureusement aucune non plus avec le siècle suivant du moins jusqu’au premier tiers du 20ème siècle …

 

Sources

http://peccadille.net/2014/01/27/papier-peint-xviiie-siecle-gallica/

Habitat ouvrier et démographie à Lille au 19ème siècle sous le second empire de Pierre Pierrard

http://www.lilledantan.com/index.html

Vivre à Lille sous l'ancien régime de Philippe Guignet

Lire la suite

L'habitat prolétaire lillois (2) : les caves

13 Août 2016 , Rédigé par srose

 

Cet article fait suite au précédent relatif aux courées, cours et courettes de Lille. Les ouvriers et leur famille parmi les plus indigents de la ville ne trouvaient pas toujours à se loger dans des logements 'classiques" dirons nous. Certains n'avaient que des caves pour se loger ...

 

L’habitation n’est bien sûr pas la vocation première des caves mais c’est devenu un palliatif durable et non exceptionnel à un manque de place récurrent ; ainsi en 1618, « Philippe le Bas, chargé de ferme et enffans, quil demeure a present au chelier au dessoubz de la maison Philippe Cherbault boullenghier » (A.M.L.,725,registre aux visitations de maisons 16118-1623, f°8 r°).

 

Déjà en 1677 les échevins sont obligés d'édicter une « deffense a toutes personnes d’habiter dans aucunes caves de cette ville et aussy dans les petites caves ».

 

Et pourtant … en 1740, 1267 caves sont habitées !

 

En 1743, 7077 chefs de famille indigentes habitent dans plus des 2/3 des cas dans des logements insalubres (38% dans des cours, 10% dans des caves et 24% dans une seule pièce).

 

Il a fallu faire quelques aménagements extérieurs pour pouvoir aller dans les caves directement par les rues : d’où la construction de burguets (escaliers qui s'ouvrent directement sur la chaussée, protégés par une porte).

 

L'habitat prolétaire lillois (2) : les caves

burguet rue d'Arras à Lille

L'habitat prolétaire lillois (2) : les caves

burguet à Lille

L'habitat prolétaire lillois (2) : les caves

burguet à Douai

 

Ces caves n’ont aucun élément de confort : aucun évier, aucun éclairage ou chauffage, pas de fenêtres ouvertes.

 

En 1785, un médecin est appelé au chevet d’une famille résidant dans la cave du 178 de la rue des chats bossus à Lille et y découvre un couple avec 6 enfants dans un état sanitaire effroyable qui ont failli périr étouffés par la fumée d’un feu en l’absence de cheminée.

 L'habitat prolétaire lillois (2) : les caves

rue des chats bossus à Lille

 

Victor Hugo en témoignera dans la Légende des Siècles après l'enquête parlementaire à laquelle il participa sur les conditions de logement de la classe ouvrière à Lille : « Caves de Lille, on meurt sous vos plafonds de pierre ».

 

L'habitat prolétaire lillois (2) : les caves

 

Quelques jours avant le passage de Victor Hugo et de la commission d’enquête, Alphonse Bianchi, homme politique et journaliste du 19ème siècle, décrit les caves qu’il a visitées :

« Les caves ont une ouverture qui sert de porte, donnant sur la rue : cette ouverture est étroite et il est difficile souvent que deux personnes y passent de front. Quelques-unes de ces habitations ont une lucarne placée à ras de terre, lucarne toujours étroite. Les caves sont souvent inondées. On y descend par un escalier de pierre d’une dizaine de marches. Le sol est pavé ou carrelé jamais planchéié. La voûte est en pierre complètement dépourvue de plafond. Ans la plupart des cas il y a une latrine qu’il faut vider de temps à autre et un chemin quand ce n’est pas un trou fait dans la voûte. De 6 à 8 personnes occupent ces réduits. Les familles qui y sont parquées sont étiolées, rachitiques, scrofuleuses. Souvent les habitants ont les jambes torses ou sont estropiées. La nuit, toutes les issues sont fermées de façon que l’air n’y pénètre plus. Qu’on ajoute à cela les couchettes où la paille pourrie joue le principal rôle les miasmes qui s’échappent des latrines et l’on aura une idée affaiblie encore des caves d’habitation de la ville de Lille »

 

Les notes de Victor Hugo prises le 10 février 1851 lors du passage d’une enquête parlementaire destinée à constater sur place les conditions de logement des ouvriers de l’industrie textile décrites par Blanqui confirment le rapport de ce dernier. Il est horrifié par ce qu’il découvre : chaque famille vit et travaille à domicile dans des conditions épouvantables, entassée dans des caves insalubres :

« cour à l’Eau, n°2 – cave – une vieille – un enfant près d’un poêle sur un révchaud – 4 petits enfants – la mère et la fille dentelière gaganent 10 sous par jour – 3 pains par quinzaine. Cave de 5 pieds à la partie la plus haute – au fond deux lits (quels lits !) : indescriptible – impossible de s’y tenir debout – dans un une petite fille de 6 ans preqque nue, malade de la rougeole – près de l’enafn un tas de cendre dans un coin (ramassent la cendre pour vendre) – odeur telle que NB (Napolépon Bonaparte, c’est-à-dire Pierre Bonaparte frère de Lucien, député montagnard de la corse il fait partie de la commission d’enquête) n’a pu descendre : est remonté asphixié ».

 

« cour Ghâ. Cave – 4 marches – 2 mètres et ½ de hauteur de plafond – étroit 4petits enfants – plus le père et la mère – les enfants suels – l’ainée berçant le plus petit qui pleure – elle a 7 ans on lui en donnerait 5 – sol humide – flaques d’eau entre les careeaux »

 

A son retour, Victor Hugo rédigera pour l’Assemblée un discours, relatant avec force détails sa visite. Ce discours, il ne le prononcera pas, mais il l’utilisera plus tard pour un poème de Châtiments, "Joyeuse vie".

Ci dessous ce discours :

 

L'habitat prolétaire lillois (2) : les caves

L'habitat prolétaire lillois (2) : les caves

L'habitat prolétaire lillois (2) : les caves

L'habitat prolétaire lillois (2) : les caves

L'habitat prolétaire lillois (2) : les caves

L'habitat prolétaire lillois (2) : les caves

L'habitat prolétaire lillois (2) : les caves

L'habitat prolétaire lillois (2) : les caves

L'habitat prolétaire lillois (2) : les caves

L'habitat prolétaire lillois (2) : les caves

L'habitat prolétaire lillois (2) : les caves

L'habitat prolétaire lillois (2) : les caves

 

Quel impact a le logement sur la mortalité ?

A Wazemmes au 19ème siècle, 70% des ouvriers des deux sexes meurent avant 40 ans.

Le taux de mortalité est plus important dans les cours ; en 1854 alors que la moyenne lilloise est de 34 décès pour 1000 habitants, la moyenne du 1er arrondissement est de 30 dans les rues, 42 dans les cours ; la moyenne du 3ème arrondissement (en gros St Sauveur) est de 36 dans les rues et 55 dans les cours...

 

 

Sources

http://ancovart.lille.free.fr/spip.php?article74

http://www.editionsquartmonde.org/rqm/document.php?id=4432

http://lillesaintsauveur.blogspot.fr/2014/11/saint-sauveur-mode-demploi.html

Habitat ouvrier et démographie à Lille au 19ème siècle sous le second empire de Pierre Pierrard

Cours, courées et corons de Philippe Guignet

Les caves médiévales de Lille de Jean Denis Clabaut

http://www.lilledantan.com/index.html

Les courées de Roubaix de Jacques Prouvost

http://www.nicolasbouleau.eu/wp-content/uploads/2015/03/Lenvers-de-la-ville.pdf

http://www.ina.fr/video/CAB97007131 = reportage de 2mn sur les courées

 

Lire la suite

L'habitat prolétaire lillois (1) : cours, courettes, courées et rue à sacq

11 Août 2016 , Rédigé par srose

 

Certains de mes ancêtres, journalier, filtier ou fileur, ont vécu à Lille, quartier St Maurice pour beaucoup, sur les deux derniers siècles au moins. Ce furent des ouvriers, indigents pour certains si j'en crois les annotations du recensement de 1906. Quel pouvait être leur quotidien? leur habitat dans une ville surpeuplée, industrielle, humide et sale (pas de tout à l'égout, canaux servant aux industries, manufactures et abattoirs, humidité atmosphérique continue ou presque avec 180 jours de pluie en moyenne  selon les observations de l'industriel français Castel-Henry sous le 2nd empire...).

Bref, voici la synthèse de mes recherches concernant 3 types d'habitats prolétaires en ville : les courées, les caves et les chambres.

 

Au XVIIème siècle, la population de Lille avoisine les 50 000 habitants pour un espace réduit. Ce qui entraîne une surpopulation rapide des différents quartiers ouvriers de Lille, essentiellement Saint Sauveur et St Maurice.

Un phénomène d'entassement de la population lilloise qui se retrouve assez tôt dans l'histoire de la ville puisque déjà  au 16ème siècle une ordonnance des échevins de Lille du 4 août 1555 s’alarme de la prolifération des cours à sacq exposant les Lillois aux assauts des épidémies. Interdiction est alors faite, avec un total insuccès, on va le voir, d’en construire de nouveaux.

 

Pourquoi ces courées, courettes, cours ou rue à sacq que l’on retrouve également à Roubaix et Tourcoing ? Par manque de place tout simplement : les cours sont en effet une réponse facile à la croissance démographique de la population sur un espace somme tout restreint.

Le logement n’étant en effet pas suffisant, on va proposer ce que l’on appelle des courées ou cour à sacq ou rue à sacq aux ouvriers lillois. Ce sont de petites cours obscures, rectangulaires, de 3, 4 (ou plus) maisons basses avec un étage éventuellement (ou juste une mansarde) ou 2 étages dans le meilleur des cas (mais cela reste rare et le 2ème étage sera une mansarde). Les maisons sont toutes collées les unes aux autres, construites en briques légères laissant passer le froid, la chaleur, l’humidité. Une rigole court au centre de la cour pour les eaux usées et un wc collectif est placé au fond de la cour. A Moulins-Lille, il y avait par exemple 2 courées de 44 maisons.

 

L'habitat prolétaire lillois (1) : cours, courettes, courées et rue à sacq 2 courées côte à côte sur Roubaix

L'habitat prolétaire lillois (1) : cours, courettes, courées et rue à sacq courée à l'abandon

L'habitat prolétaire lillois (1) : cours, courettes, courées et rue à sacq courée sur Roubaix

En 1555 donc une ordonnance interdit la construction de nouvelles courées. Mais qu'importe l'interdiction, le nombre de courées va aller en augmentant : en 1678, 76 cours à sacq sont dénombrées ; en 1740 il y en a 105 ; en 1822 on compte 123 cours et en 1911 il y a 882 cours ...

Ces courées concentrent une population importante qui va en s’accroissant : ainsi la cour Noiret et la cour Désolée à Lille passent de 7.1 habitants par maison fin 17ème à respectivement 10 et 12 habitants en 1740.

Ce phénomène d’entassement n’est pas nouveau : André Lottin étudiant le milieu des sayetteurs (ouvriers fabriquant des tissus légers ou sayettes par tissage de la laine peignée et séchée) remarque que déjà à l'époque de Louis XIV : « si l’on fait un rapport entre le nombre de maisons et le nombre d’habitants, procédé simple mais pouvant donner des indications valables dans les rues habitées de façon assez homogène par le petit peuple, on obtient les quotients suivants :

8.6 rue St Sauveur

7.7 rue de la Vignette

7.4 rue de Fives et rue de Poids

6.9 rue des Etaques et ses cours

7.1 pour les cours Désolée, des Sots, et Noiret

6.8 rue du Bordeau

6.5 place du Réduit et ses cours »

 

Ces densités sont « le signe soit d’une grande pénurie domiciliaire soit d’une activité urbaine carctérisée »

 

La population de Lille, saturée d’industrie et attirant de façon récurrente des ouvriers belges continue d’augmenter de façon très importante entre 1820 et 1906 alors que déjà, on l’a vu, le logement est nettement insuffisant.

1820 = 72.000 

1856 = 113.000 

1861 = 131 800

1872 = 158.000 

1896 = 201.000 

1906 = 205.000

1911 = 217 800

 

En effet Lille s’agrandit au 19è siècle en annexant les communes de Wazemmes, Moulins-Lille, Esquerme, Fives, lesquelles concentrent 768 cours soit 87% de ce type d’habitat.

L'habitat prolétaire lillois (1) : cours, courettes, courées et rue à sacq

 

Cette extension n’aura aucun effet positif sur l’habitat prolétaire : les courées augmentent alors que l’on sait maintenant grâce aux hygiénistes que ce sont des lieux favorisant les épidémies en tout genre.

 

24% des Lillois habitent encore dans des cours en 1911 !

 

Est-ce que la courée et les corons, c’est pareil ? Non. Ce sont certes tous les deux des habitats prolétaires mais la courée, à la base, est un logement destiné aux plus indigents des prolétaires.

La courée elle-même est exigüe : on a vu tout à l’heure que c’est une cour rectangulaire bordée de maisons basses : la cour des Bourloires dans le quartier St Sauveur par exemple est large de 3 pieds (0.90m), ce qui n’est pas grand du tout mais elle abrite tout de même 21 habitations disposées sur 4 maisons !

L'habitat prolétaire lillois (1) : cours, courettes, courées et rue à sacq 

courée Vilain à Lille

L'habitat prolétaire lillois (1) : cours, courettes, courées et rue à sacq

L'habitat prolétaire lillois (1) : cours, courettes, courées et rue à sacq 

cours Bodin à Lille

 

La maison des courées est, elle aussi, exigüe : elle n’a pas de couloir, pas de dépendance, pas de cave, rarement un jardin et quand il existe il mesure quelques m2. On pénètre directement dans l’unique pièce du rez de chaussée qui est très polyvalente : cuisine, salle à manger, cabinet de toilette, chambre des enfants, voire chambre des parents (quand la pièce au plafond bas de l’étage est trop petite pour offrir un lit), et tout ça sur 12 à 15/17m2 au sol !

La courée est fermée alors que le coron est ouvert (en ligne ou en arc de cercle) ; la courée est surpeuplée alors que le coron présente une densité humaine nettement moins importante. La courée a rarement un jardinet , le coron en a un. Chaque niveau de la maison de coron a 2 pièces tandis que la maison de courée n’en a qu’une par niveau.

 

L'habitat prolétaire lillois (1) : cours, courettes, courées et rue à sacq coron de Sessevalle à Somain

L'habitat prolétaire lillois (1) : cours, courettes, courées et rue à sacq coron route de Rieulay à Somain

 

Robert Boussemart donne dans son livre « Adieu terrils, adieu corons » une description précise de ce qu’était la maison de coron dans la cité des 28 construite par la société de Lens après la grande guerre : « Nous entrons dans le logement par un couloir étroit. A gauche s’ouvre la ‘pièce de devant’, (la belle pièce) avec une fenêtre donnant sur la rue. La belle pièce on n’y entre pas souvent. La ménagère la conserve propre et nette pour les grandes occasions … Ouvrons la porte au fond du couloir. Et nous voilà dans la cuisine. La cuisine c’est la pièce à tout faire. La ménagère y prépare ses repas ; l’hiver elle y fait la lessive, en toutes saisons son repassage. C’est là qu’elle coud, qu’elle tricote à ses moments perdus. La cuisine sert de cabinet de toilette et de salle de bains pour tous … La cuisine, c’est là qu’on reçoit les amis, c’est là qu’on écoute la TSF. Les WC sont dans la cour, l’eau courante aussi. De la cuisine on accède aux chambres à l’étage par un escalier étroit. De la cuisine également on descend à la cave située sous la pièce de devant. Une unique fenêtre et une porte vitrée permettent de voir la petite cour pavée de briques fermée par deux murs mitoyens et, au fond, par une remise abritant l’unique robinet de la maison, les cabanes à lapins, une brouette en bois, le foyer servant l’été pour la lessive. On accède au jardin par une lourde porte en bois de couleur marron. Accolé au mur extérieur de la remise, le poulailler modeste sert parfois de débarras. Au dessus des chambres, existe un grenier auquel on accède par une échelle de meunier. »

 

Certes la maison de coron n’est pas un palace mais elle présente malgré tout plus de "confort" et d'espace que la maison de courée.

 

Pourquoi construire des courées plutôt que des corons ou des batisses genre caserne ? C’est en fait la conjonction de quatre motifs qui a entraîné la construction de ce type d’habitat :

  • Augmentation importante et continue de la population
  • Les conditions de travail dans l’industrie : rapprocher l’ouvrier de son lieu de travail
  • Le manque de logement patent
  • La facilité de construire sans contrôle d’aucune sorte : aucune autorisation de construire n’est nécessaire pour construire en dehors de la voie publique ; le propriétaire d’un verger ou d’un jardin peut y construire sans problème des habitations : peu de capital à investir pour un gain finalement intéressant.

 

Motte Bossut, industriel français mort en 1883, écrit à son fils le 30 novembre 1858 une lettre instructive à ce sujet dont voici un extrait : « Les ouvriers sont rares ; des métiers chôment faute de bras ; le fileur ne craint pas de faire la noce le lundi, il sait qu’on ne le congédiera pas parce qu’on en trouverait pas d’autre pour le remplacer. Vous augmentez en vain les salaires pour attirer chez vous les ouvriers du voisin ; le voisin en fait autant pour les conserver ; vous ne pouvez en appeler des villes ou villages environnants, on ne trouve pas à les loger. Il n’y a plus une demeure diponible. Les maisons sont habitées avant que le pavé ne soit achevé, avant que l’escalier ne soit posé. Nous allons être obligés de bâtir des maisons si nous voulons continuer à filer. »

 

Revenons à nos courées : la paroisse St Sauveur et les rues de la paroisse St Maurice qui la côtoie sont, au 17ème siècle, le quartier des sayetteurs, ouvriers qui constituent la corporation laborieuse la plus nombreuse et la plus typiquement lilloise. En 1861 plus de la moitié des courettes lilloises sont situées sur ce territoire. L'îlot compris entre la rue des Malades, la rue St Sauveur, la rue des Etaques et la rue des Robleds est ainsi un archipel de cours suintant l'humidité, aux murs salpêtrés, dissimulés à l'arrière plan des façades bourgeoises.

 

L'habitat prolétaire lillois (1) : cours, courettes, courées et rue à sacq

L'habitat prolétaire lillois (1) : cours, courettes, courées et rue à sacq 

St Sauveur, cadastre 1881, section B feuille 10

L'habitat prolétaire lillois (1) : cours, courettes, courées et rue à sacq

St Sauveur, cadastre section B9, 1881

 

En 1679, le dénombrement des cours et courettes indique 32 cours abritant 338 maisons pour 1548 habitants. Les niveaux d'entassement sont déjà inhumains : la cour à l'Eau à St Pierre par exemple avec 207 personnes,  ou la cour des Bourloires en 1678 à St Etienne qui avec ses 3 pieds de largeur (1 pied = 0.298m) abrite 4 maisons et 21 habitations.

En 1866, rien n'a changé : Henri Violette, chargé par la municipalité d’enquêter sur les logements insalubres du quartier St Sauveur précise : la cour Ghâ, « vrai cloaque, impasse immonde » , la cour des Jardins « sorte de cour des miracles », la cour Noiret « aux maisons noires et humides », la cour Joyeuse « bouge infect large de 80 cm », la cour du Vert-lion « une des plus dangeureuses », la cour Mousson à laquelle on accède par un couloir de 9m de long, 2m de haut et 1m de large, longé par des « goulottes effondrées » pleine d’eau sale, la cour Touret (au 64 rue St Sauveur) sans latrines, la cour Sauvage, « triste cité ».

 

L'habitat prolétaire lillois (1) : cours, courettes, courées et rue à sacq

cour du Soleil au 223 rue de Paris à Lille (1960)

Lille, métropole industrielle et commerciale, centre universitaire depuis 1875, place militaire, croûle en effet sous une population toujours plus nombreuse : « la population s’est accrue d’une manière disproportionnée à l’espace qu’elle occupe » dira Adolphe Blanqui, économiste français mort en 1854.

Tous les quartiers de Lille ne sont bien sûr pas logés à la même enseigne : les quartiers bourgeois du nord et de l’ouest, bâtis à la fin du 17ème siècle, tracés de rue larges et droites, présentent de nombreux hôtels et jardins alors que les quartiers du centre et de l’est, (St Maurice et St Sauveur, on l’a vu) sont constitués d’ilots séparés par des ruelles sombres et étroites aboutissant à nos fameuses cours servant à la fois d’égouts et de dépôts d’immondices et où règne une humidité constante.

 

Féron Vrau, médecin français mort en 1908, parcourera à la fin du 19ème siècle 54 rues et cours de Wazemmes, commune surpeuplée et à dominante ouvrière, et trouvera 1816 maisons avec une superficie inférieure à 43m2 (1345 habitations ont moins de 21m2, 273 ont moins de 14m2, 55 moins de 12m2). Le Progrès du Nord écrira en 1866 : Wazemmes et Moulins-Lille n’ont à offrir que des « taudis plus infects que ceux du vieux Lille ».

 

L'habitat prolétaire lillois (1) : cours, courettes, courées et rue à sacq courée sur Wazemme

La superficie par exemple est significative : dans l’ancien Lille, en 1861, 21% des maisons ont plus de deux étages, à Wazemmes la proportion tombe à 6%, à Moulins-Lille : 4%, à Fives 3%

 

Qu’en est-il des loyers de ces taudis ? Il est de manière générale moins élevé dans les communes annexées que dans l’ancien Lille : en 1843 une chambre se loue entre 6 et 7 francs par mois et une cave 6 francs (le gain d’une semaine de travail pour un filtier). En 1857, le loyer d’une chambre au cour du Vert bois coûte 54 francs par trimestre. En 1870, le loyer mensuel est en moyenne de 9 francs à Wazemmes, à Fives une chambre mansardée coûte 4 francs par semaine.

(A noter qu’il existait un impôt sur l’air pour les caves dotées d’une fenêtre !!)

 

Les courées insalubres ont été détruites au 20ème siècle. Il reste aujourd'hui quelques courées que l'on peut voir sur Lille comme la cité Pottier ou la courée Impérator . Elles sont toutes rénovées, coquettes et dotées de tout le confort moderne !!

L'habitat prolétaire lillois (1) : cours, courettes, courées et rue à sacq

cours Vilain avec sa maison de maître et ses 11 habitations

 

L'habitat prolétaire lillois (1) : cours, courettes, courées et rue à sacq

cité Pottier

 

Sources

http://ancovart.lille.free.fr/spip.php?article74

http://www.editionsquartmonde.org/rqm/document.php?id=4432

http://lillesaintsauveur.blogspot.fr/2014/11/saint-sauveur-mode-demploi.html

Habitat ouvrier et démographie à Lille au 19ème siècle sous le second empire de Pierre Pierrard

Cours, courées et corons de Philippe Guignet

Les caves médiévales de Lille de Jean Denis Clabaut

http://www.lilledantan.com/index.html

Les courées de Roubaix de Jacques Prouvost

http://www.nicolasbouleau.eu/wp-content/uploads/2015/03/Lenvers-de-la-ville.pdf

http://www.ina.fr/video/CAB97007131 = reportage de 2mn sur les courées

Vivre à Lille sous l'ancien régime de Philippe Guignet

 

Lire la suite

Une histoire de calendrier

8 Août 2016 , Rédigé par srose

 

 Une histoire de calendrier

  

Le calendrier, qu’est ce que c’est ?

C’est tout simplement un système de division du temps en jours, mois, années.

Il existe 3 phénomènes astronomiques à la base des calendriers : le jour solaire moyen, la lunaison et l’année tropique :

  • le jour solaire est l’intervalle de temps séparant deux levers, deux couchers ou deux passages consécutifs du soleil au méridien = c’est tout simplement la rotation de la Terre sur elle-même
  • la lunaison est l’intervalle de temps séparant deux nouvelles lunes consécutives = c’est ce que l’on appelle la révolution de la Lune autour de la Terre ; la lunaison moyenne est égale à 29,530 589 jours (soit 29j 12h 44 min 3 s).
  • l’année tropique est la durée que met la Terre pour faire un tour complet autour du Soleil, d’un équinoxe de printemps à l’autre (révolution de la Terre autour du Soleil ) ; l’année tropique est égal à 365,242 19 jours (soit 365 j 5 h 48 min 45 s).

 

Calendrier romain

Les romains ont adopté au tout premier temps de Rome, le calendrier lunaire. Ils avaient 10 mois de 29j ou 30j soit 295j

Plusieurs mois étaient dédiés aux dieux :

– le premier, Martius, honorait le dieu de la guerre, Mars ;

- le second, Aprilis,vient de Aperta, autre nom d’Apollon  

– le troisième, Maius, honorait Maïa, une amante de Jupiter (les chrétiens ont plus tard dédié ce mois (mai) à la Vierge Marie) ;

– le quatrième, Junius, était dédié à Junon, épouse de Jupiter

Une histoire de calendrier

Quintilis, était le 5ème mois, sextilis, le 6ème, septembre le 7ème mois de l'année, octobre le 8ème, novembre le 8ème et décembre le 10ème, d'où certaines abréviations dans les registres d'état civil.

L’année commençait à l’équinoxe de printemps, aux ides de Mars. Lorsque le mois de décembre (le 10ème mois de l’année) s’était écoulé, on ajoutait des jours jusqu’à la nouvelle lune d’équinoxe de printemps. Ce système était très bancal ; ils ont donc ajouté deux autres mois, Januarius et Februarius, de façon à ce que l'année coïncide avec le cycle solaire et respecte le rythme des saisons.

 

Januarius ou janvier correspondait à Janus, un dieu à double face ;

– le dernier mois, Fébruarius, (février) était le mois des morts ; il était consacré à des purifications et était réputé néfaste.

 

Avec ces deux mois supplémentaires, l’année comprenait 355 jours ; il manquait encore 10 jours pour être en phase avec les saisons. Un mois intercalaire, Mercedonius ou mensis intercalaris, de 27 jours était alors intercalé tous les deux ans. Cette intercalation avait lieu alternativement après le 23 ou le 24 février, le mois de février était alors tronqué de quelques jours.

 

Malgré ces deux mois complémentaires de janvier et février et le mois intercalaire, l'année calendaire dérivait par rapport au cycle solaire.

 

Une histoire de calendrier

 

Calendrier julien : Jules César élabora alors à l’aide de l’astronome Sosigène en -46 avant J.-C. le calendrier julien, en remplacement du calendrier romain. Il comprend trois années communes de 365 jours, suivies d´une année bissextile de 366 jours, dans laquelle le mois de février est de 29 jours.

 

Une histoire de calendrier

Une histoire de calendrier

La durée moyenne de l'année julienne (365.25 jours) reste toutefois une approximation là aussi bancale de l'année tropique.

 

Il est à noter que sur proposition du Sénat de Rome, le cinquième mois de l'année (Quintilis) fut renommé Julius (juillet) pour a priori remercier Jules César d'avoir réformé le calendrier.

 

La mise en place de ce calendrier fut laborieuse et l’empereur Auguste dû procéder à des modifications pour pallier à un léger décalage avec le cycle solaire. Le Sénat décida de donner son nom au sixième mois de l'année, Augustus (Août).

 

Le calendrier julien place le début de l’année au 1er janvier, et permet d’avoir 365 jours + une année bissextile tous les 4 ans, ce qui donne une année moyenne de 365.25j.

 

Malgré cette année bissextile, ce calendrier présente des faiblesses puisque l’année n’est pas exactement de 365,25 jours. L'année julienne excède l'année solaire vraie de 11min 14s. Il y a une différence de 1 jour tous les 128 ans. Le calendrier julien a donc lentement dérivé de 3 jours en 4 siècles par rapport aux saisons et l’équinoxe de printemps, auquel est liée la date de Pâques, tomba à un moment vers le 11 mars, alors que le comput alexandrin, suivi par le concile de Nicée le fixait au 21 mars.

 

Le calendrier grégorien : En 1582, le pape Grégoire XIII décida donc dans la bulle Inter gravissimas que le jeudi 4 octobre 1582 serait immédiatement suivi par le vendredi 15 octobre pour compenser le décalage accumulé au fil des siècles.

 

Une histoire de calendrier

Concrètement, le calendrier grégorien ne diffère du calendrier julien que par la répartition entre années normales de365 jours et années bissextiles (366 jours) : les années bissextiles sont les mêmes que celles du calendrier julien (année dont le millésime est divisible par 4) sauf trois années séculaires sur quatre, celles dont le millésime est multiple de 100 sans l'être de 400. Ainsi, les années 1700, 1800, 1900 sont normales alors que l'année 2000 est bissextile.

 

La durée moyenne de l'année est de 365, 2425 jours. Elle est très voisine de celle de l'année tropique (365,242190 jours) soit une erreur de 3 jours tous les 10.000 ans ce qui reste tout à fait acceptable !

 

Imposé par  le pape dans les Etats pontificaux, le calendrier grégorien fut aussi immédiatement adopté par l'Espagne, l'Italie, la Pologne et le Portugal.  Au jeudi 4 octobre 1582 du calendrier julien, succède le vendredi 15 octobre 1582 du calendrier grégorien. C'est pour cette raison que la religieuse espagnole Sainte Thérèse d'Avila est morte dans la nuit du 4 au 15 octobre 1582.

 

En France, Henri III l'adopta un peu plus tard : le 9 décembre 1582, fut suivi le lendemain du 20 décembre 1582.

Témoin attentif, Montaigne fit part dans ses "Essais" de ses réactions au changement de calendrier. Il joue au vieil homme importuné: "Je suis des années durant lesquelles nous comptions autrement". Il ne s'y habitue pas: "Mon imagination se jette toujours dix jours plus avant ou plus arrière" et se dit "incapable de nouveauté, même corrective". Son refus de s'adapter l'amène à reconnaître: "Je suis contraint d'être un peu hérétique par là".

A noter toutefois que des particularismes locaux ont retardé l’adoption du calendrier en Alsace (16 février 1682 avec des différences entre Strasbourg, l’Alsace catholique et l’Alsace protestante) et en Lorraine (adoption définitive le 28 février 1760 après une parenthèse julienne à partir de 1736).

 

Les pays protestants adoptèrent tardivement le calendrier grégorien, préférant selon l'astronome Johannes Kepler, « être en désaccord avec le Soleil, plutôt qu'en accord avec le pape ». L'Allemagne adopta ainsi le calendrier grégorien en 1699 et l'Angleterre en 1752.

 

Quid du reste du monde : Le Danemark l’adopta en 1700, la Suède en 1753, le Japon en 1873, la Grèce en 1916,  et la Russie en 1918, la Chine en 1929.

 

Une histoire de calendrier

 

Sources

http://infocom.net.free.fr/calendriers/histoire_calendrier.htm

http://www.yvongenealogie.fr/2012/10/histoire-de-france/1582-le-calendrier-gregorien/

http://www.calagenda.fr/origine.htm

http://www.courant-d-idees.com/Tempsa.htm

http://astronomia.fr/1ere_partie/calendrier/calendrier.php

Wikipédia

Lire la suite

Hiérarchie et ascension sociale de nos ancêtres paysans du 16 au 18ème siècle

5 Août 2016 , Rédigé par srose

De Thierry Sabot (édition Thisa)

Autrefois, beaucoup de gens vivaient à la campagne. Des nobles, qui n’habitaient pas forcément un château ou un manoir, des bourgeois, des rentiers, des ecclésiastiques, des officiers royaux et de seigneurie (notaires, greffiers…), un médecin, parfois un maître d’école, des marchands, des artisans, et surtout une masse de paysans.

En effet, si la population française était composée de plus de 80 % de ruraux, près de trois habitants sur quatre de la campagne étaient des travailleurs de la terre. Ceux-ci constituaient le fondement même de la société de l’ancienne France, d’abord parce qu’ils produisaient l’essentiel de la richesse du pays, ensuite parce que la vie du village dépendait avant tout de leur travail dans les champs et dans les fermes.

Mais la paysannerie, loin d’être uniforme, apparaît extrêmement variée. Si l’on s’en tient aux critères de la profession, du revenu, de la propriété ou de la fortune, la situation socio-économique des paysans paraît simple et fortement hiérarchisée : une majorité de « petits » (manouvriers, petits laboureurs, vignerons…), et une minorité de « gros » (fermiers receveurs de seigneurie, fermiers laboureurs, marchands laboureurs…). En réalité, la place occupée par chacun dépend de critères plus complexes, où interviennent le travail, le mérite, l’instruction, l’ambition, les relations et la mobilité.

Avec ce fascicule, nous allons découvrir la situation de chaque catégorie de paysans, de chaque profession, sur l’échelle sociale. À travers quelques exemples, nous allons voir comment, sur plusieurs générations, les familles d’agriculteurs pouvaient s’extraire de leur condition, s’élever socialement ou parfois régresser.

 

Hiérarchie et ascension sociale de nos ancêtres paysans du 16 au 18ème siècle

Lire la suite

Latrines scolaires

4 Août 2016 , Rédigé par srose

En lisant le livre de Roger Henri Guerrand, "Les lieux - histoire des commodités", j'ai appris pourquoi les toilettes des écoles et même au collège d'ailleurs avaient des portes ouvertes en haut et en bas ; c'est assez édifiant.

En fait les latrines avaient mauvaises réputations car les élèves croyant échapper à la surveillance des maîtres, s'abandonnaient dans ces lieux à des habitudes que la morale et l'hygiène réprouvent, aux dires des têtes bien pensantes de l'époque. Nous sommes en plein dans la période pudibonde à l'extrême dont l'objectif principal est de lutter contre les pratiques masturbatoires en tout genre.

L'idée donc de ces portes coupées en haut et en bas était de pouvoir voir la tête et les pieds de l'enfant pour le surveiller et lui faire comprendre que des pratiques "honteuses" seraient de suite visibles par le surveillant.

D'un autre côté il fallait du courage pour y rester ne serait ce qu'une minute tellement les wc des écoles étaient repoussantes. En 1867 le rapport du Dr Vernois qui a visité la presque totalité des lycées de France soit 77, concluait que dans 54 établissements les lieux d'aisance exhalaient des odeurs infectes.

En 1864 un rapport présenté par la Commission des logements insalubres au préfet de la Seine sur l'état des établissements scolaires libres et communaux précise que sur 1403 écoles visitées, 855,  soit 62% laissaient à désirer quant à l'hygiène. Dans certains externats privés, il n'y avait même pas de lieu d'aisance. Dans d'autres un sceau hygiénique en tenait lieu, souvent commun avec les locataires de la maison abritant l'école.

Le nombre de cabinets par rapport à celui des élèves est un problème aussi que le ministère de l'Instruction publique résoudra en 1882 : "toute école devra être munie de privés à raison de 2 cabinets par classe dans les écoles de garçons et de 3 dans les école de filles. Un cabinet sera réservé pour les maîtres."

Sources
Et les privés ? Les cabinets en milieu scolaire au XIXème siècle de Marie Ange Fougère
Les lieux - histoire des commodités de Roger Henri Guerrand

  

Lire la suite

Histoire de wc, latrines et autres lieux d'aisance

1 Août 2016 , Rédigé par srose

 

S’intéresser à nos aïeux implique nécessairement de se poser des questions assez triviales.

 

Nous vivons dans un confort dont nous n’avons pas du tout conscience. Les toilettes par exemple ; cela semble tellement évident d’aller aux toilettes quand on en a envie. Evident d’utiliser un endroit spécifiquement dédié à cela, à l’abri des regards, propre, avec tout le confort moderne.

Mais avant ? Comment ça se passait-il ? On imagine aisément que le confort que nous connaissons n’existait pas mais concrètement comment nos ancêtres s’y prenaient-ils pour satisfaire leurs besoins naturels ?

 

Il n’existe pas sous l’Ancien Régime de pièce réservé à cet usage et encore moins de système organisé de collecte et d’évacuation des excréments.

Concrètement, les personnes, chez elles, utilisaient souvent des pots de chambre (pour les moins riches, n’importe quel récipient en terre vernissée, en faïence ou en étain, ou dehors ou même la cheminée). Ces pots étaient parfois fermés et surmontés d'un siège percé plus confortable, vidés par les domestiques[ dans les rues avec les ordures ce qui n’est pas sans conséquences fâcheuses.

 

Histoire de wc, latrines et autres lieux d'aisance

La ville d’Angers par exemple connaît au 14ème siècle de « graves inconvénients de peste et de mortalité qui souvent ont affligé cette ville à l’occasion de ce que plusieurs manants et habitants en icelle n’ont nul retrait en leur maison et font mettre et jeter sur le pavé de soir et de nuit dégoûtantes et abominables immondices dont la ville est fort infestée ».

 

Histoire de wc, latrines et autres lieux d'aisance

A la fin du 17è siècle, un vase de nuit un peu spécial fait son apparition : le bourdaloue : il s’agit d’un vase de nuit de forme ovale pour s’adapter à la morphologie féminine, petit, sur le fond duquel est peint un œil entouré parfois de légendes grivoises ; ce pot se fabriquait en divers matériau en verre, en étain ou en cuivre, plus léger pour le voyage. Louis XIV en possédait en argent gravé aux armes de la France.

 

Histoire de wc, latrines et autres lieux d'aisance  1831, Versailles

Pourquoi bourdaloue ? A priori ce nom provient de Louis Bourdaloue (1632-1704), considéré comme étant de l'un des pères jésuites les plus illustres du règne de Louis XIV. Surnommé de son vivant « le roi des prédicateurs et le prédicateur des rois », Bourdaloue était un excellent orateur qui passionna la Cour et le tout Paris avec ses sermons éclairés. Et pour ne pas perdre une miette de ses prêches, les femmes venaient à la messe avec un pot de chambre qu'elles plaçaient sous leurs robes à panier. C'est ainsi qu'il se serait baptisé « bourdaloue ».

 

Revenons à nos chaises percées, plus pratiques donc et plus « conviviales » que les pots de chambres classiques. De nombreux euphémismes sont utilisés selon les époques (pudiques ou moins pudiques) pour désigner la chaise percée : « French courtesy » en Angleterre, « chaise d'affaires », « chayère de retrait », « commodité », « secret », « selle» («aller à la selle ») ou « chaise nécessaire » en France. La garde-robe étant l'endroit où l'on plaçait généralement la chaise percée, « aller à la garde-robe » a fini par signifier « aller à la chaise percée ».

 

Histoire de wc, latrines et autres lieux d'aisance  chaise percée rustique

Ce sont des meubles en bois brut pour le commun des mortels, beaucoup plus luxueux pour la noblesse ou la bourgeoisie aisée. Ils sont, pour eux, le plus souvent recouverts de velours, rembourrés de foin, de crin ou de duvet, avec un bassin en faïence ou en argent et parfois ce meuble possède un guéridon pour lire ou écrire. N’oublions pas qu’à cette époque recevoir sur sa chaise percée était à la mode même si cela pouvait rebuter certains. Le bouffon de Louis XIII aurait d’ailleurs dit à son maître un jour : « il y a deux choses à votre métier dont je ne me pourrais accommoder : de manger seul et de chier en compagnie » …

 

Histoire de wc, latrines et autres lieux d'aisance  1769, Versailles

 

A ce propos, d'après l'historien Hans Peter Duerr, le fait d'utiliser une chaise percée en public serait une marque de puissance : « Il s'agissait, en fait, d'une forme moderne d'affirmation de sa puissance, destinée à montrer à son hôte le peu de cas que l'on faisait de lui ». 

 

Isabeau de Bavière en 1389 avait une chaise percée garnie de velours bleu ; et comme la reine avait l’habitude de l’emporter avec elle quand elle se déplaçait, on l’enfermait dans une gaine de « cuir de vache, garnie et estoffée de courroies de cuir et de crocs de fer ».

 

Louis XI (15ème siècle), pudique, disposait d’une chaire de retrait entourée de rideaux. Il utilisait également de l’étoupe de lin en guise de papiers hygiénique.

 

La cheminée est également un endroit prisé pour se soulager, que l’on soit noble ou manant. Envie pressante oblige !

 

Une fois les besoins effectués, qu’en fait-on ?

Des systèmes de fosse existaient mais cela reste peu fréquent sous l’Ancien Régime et même après d’ailleurs. Le mot d’ordre reste en effet de jeter tout dans la rue. Les châteaux et monastères semblent plus en avance sur leur temps puisqu’il existait des endroits spécifiques pour se soulager, le tout tombant dans le vide ou si possible dans un ruisseau.

 

Histoire de wc, latrines et autres lieux d'aisance  latrine du château de Peyrepertuse

 

Il est à noter que cette promiscuité avec l’excrément en fait un sujet de littérature relativement fréquent. Pour preuve ce titre qui se suffit à lui-même : « La farce nouvelle et joyeuse du pet » (16è siècle) ; de même Rabelais et son Gargantua, Montaigne dans ses Essais et même Luther dans « Propos de table » ne se privent pas d’écrire sur le sujet.

 

Pire, les médecins croyaient aux vertus thérapeutiques des excréments. Même Luther nous rappelle que Dieu a mis dans la fiente de truie le pouvoir d’arrêter le sang, dans la fiente de cheval de guérir de la pleurésie et dans la fiente d’homme de soigner les blessures et les pustules noires.

 

Bref, de manière générale, pisser ou déféquer directement dans les rues, en public, dirons-nous car ils ne se cachaient pas nécessairement, est courant sous l’Ancien Régime qui n’est guère pudique, même si cela ne plaisait pas à tout le monde. Ainsi La Rochefoucauld au 17ème siècle se dit choqué par les mœurs anglaises, notamment par les pots de chambre près de la table que les gens utilisaient même pendant le repas, à la vue de tous…

 

Quid des latrines publiques ?

Elles existaient mais étaient très rudimentaires : ce sont des bancs percés de trous, au-dessus d'une large fosse, le tout dans une cabane.

On préfère se soulager dans la rue dès qu’on a envie car se retenir n’est pas bon pour la santé d’après la science médicale de l’époque.

 

Histoire de wc, latrines et autres lieux d'aisance

Ceci étant cette liberté de se soulager n’importe où et n’importe comment n’est quand même pas du goût de tout le monde et déjà au 16ème siècle des manuels recommandent de rester discret : Erasme le premier nous explique dans son de « Civilitate morum puerilium » qu’ « il est mauvais pour la santé de retenir son urine  et honnête de la rendre en secret. Certains recommandent aux jeunes gens de retenir un vent en serrant les fesses. Et bien il est mal d’attraper une maladie en voulant être poli. Si l’on peut sortir, il faut le faire à l’écart ; sinon il faut suivre un vieux précepte : cacher le bruit par une toux ».

 

De la discrétion en public comme en privé

Bref on recherche un peu plus de discrétion dans l’art de déféquer et d’uriner : chez soi, on va se soulager dans un lieu choisi : au dernier étage (les déchets s’écoulant dans un tuyau donnant directement dans la rue ou plus rarement dans une fosse sous la maison) ou au fond du jardin. Voire même un lieu attenant à la cuisine, lieu quelque peu dévalorisé à l’époque.

 

Le médecin Louis Savot au début du règne de louis XIII affirme en effet que « le siège et ouverture des privés sera au galetas d’autant que s’il était plus bas la puanteur se pourrait plus aisément répandre par le corps de logis : ce qui ne peut arriver sitôt quand ils sont situés aux lieux les plus hauts, le propre de l’odeur étant de gagner toujours le haut ».

 

Jean Jacques Bouchard qui alla de Paris à Rome en 1630 explique dans son livre « Confessions de J. J. Bouchard » qu’à Aix, Marseille et Arles, « il faut faire ses affaires sur les toits des maisons, ce qui empuantit fort les logis et même toute la ville, principalement lorsqu’il pleut ».

 

Mais quid de la collecte de nos excréments et autres déjections ? Les autorités commencent sérieusement à s’en préoccuper dès le 16ème siècle.

 

Le Parlement de Paris par exemple en 1533 exige des fosses fixes sous chaque maison. En 1585 à Bordeaux, ordre est donné aux propriétaires de maisons d’établir « fosses et retraits pour servir de latrines. Est défendu aux habitants de ladite ville et à tous autres de jeter dans les rues d’icelle par les fenêtres ou autres lieux, ordures, urine et autres eaux infectes et corrompues ».

 

Ces injonctions sont restées peu ou prou lettre morte …

 

Ainsi en En 1668 les commissaires du Châtelet déclare qu’en la plupart des quartiers, les "propriétaires des maisons se sont dispensés d’y faire des fosses et latrines quoiqu’ils aient logés dans aucune desdites maisons jusqu’à 20 et 25 familles ce qui cause en la plupart de si grandes puanteurs qu’il y a lieu d’en craindre des inconvénients fâcheux ».

 

Le « tout à la rue » reste à la mode.

 

Théoriquement, les immeubles construits au 18ème siècle sont équipés en moyenne de 2 cabinets ; un au rez de chaussée ou près de l’escalier, le second au dernier étage. Souvent la cuvette est béante, elle a été fabriquée en fonte ou en poterie et on la scelle sur une pipe en plomb ; sous Louis XV il y aura parfois un couvercle ; ces cuvettes sont reliées à la colonne de chausse.

 

Mais les architectes ne s’intéressent pas trop aux lieux d’aisance et pourtant certains d’entre eux ont compris l’intérêt de prêter une attention toute particulière à ces endroits intimes et à leur tuyauterie : Pierre Bullet, architecte de son état, précise par exemple en 1691 qu’il faut prendre grand soin des tuyaux de descente « car il n’y a rien de si subtil que la vapeur qui vient des matières et des urines, elle passe par la moindre petite ouverture et infecte les maisons ».

 

Et pourtant un siècle plus tard, Sébastien Mercier, écrivain des Lumières, explique que les tuyaux sont mis un peu au hasard, sont trop étroit et s’engorgent vite, les matières fécales s’approchant dangereusement du siège ; une fois les tuyaux crevés car surchargés, la maison est inondée.

 

Un architecte du 18ème siècle, Jean François Blondel, explique ce que doit être le cabinet idéal : équipé d’une sorte de bascule s’effaçant sous le poids des matières, ce qui évite toutes odeurs.

 

Mais tout le monde, même un siècle plus tard d’ailleurs, n’est pas équipé de ce dispositif ingénieux.

 

En attendant marcher dans les rues de Paris ou de toute autre ville de province relève de la gageure. Même au palais du Louvre où se croisent journellement des milliers de personnes, il faut faire attention où l’on met les bottes que ce soit dans les couloirs ou les escaliers.

 

Au Palais Royal en été, on ne sait où se reposer sans respirer l’odeur de l’urine croupie : les arbres qui en sont perpétuellement arrosés périssent presque tous (« Essai sur la propreté de Paris » par un citoyen français 1797).

 

Sébastien Mercier dans son Tableau de Paris au 18ème siècle nous apprend que le jardin des Tuileries a longtemps été « le rendez-vous des chieurs » qui profitait des haies d’ifs pour « soulager leurs besoins », si bien qu’une odeur infecte se dégageait des Tuileries

 

Histoire de wc, latrines et autres lieux d'aisance

Et que dire de Versailles ?

Denis Turmeau, comte de la Morandière, écrivain du 18è siècle, dans son ouvrage « Police sur les mendiants » nous précise que le parc, les jardins, le château même de Versailles font soulever le cœur par leurs mauvaises odeurs ; les passages de communication, les cours des bâtiments en ailes, les corridors sont remplis d’urine et de matière fécale.

 

A noter tout de même que Louis XVI fit installer dans le palais de Versailles une cuvette avec abattant à charnières, l’ensemble doté d’un mécanisme permettant de déverser de l’eau après utilisation ; on appelle cette cuvette « lieux à l’anglaise » (le précurseur de cette cuvette innovante est le poète anglais John Harington, filleul de la reine Elisabeth 1ère qui inventa en 1595 le mécanisme en question ; l’invention ne fut guère prisée par ses contemporains mais fut reprises avec plus de succès en 1775 avec Alexander Cummings, horloger écossais.

 

Mais manifestement cette cuvette à l’anglaise n’existait pas en nombre suffisant …

 

En tous les cas le progrès commence à arriver. Ainsi la famille Mozart au 18ème siècle, de passage à Paris, découvre un lieu d’aisance tout à fait inédit : « Avez-vous déjà entendu parler de cabinet d’aisance anglais ? - On en trouve ici dans presque tous les hôtels particuliers. Des deux côtés, il y a des conduites d’eau que l’on peut ouvrir après s’être exécuté ; l’une envoie l’eau vers le bas, l’autre, dont l’eau peut être chaude, l’envoie vers le haut. Je ne sais comment mieux vous expliquer cela avec des mots polis et bienséants, je vous laisse le soin d’imaginer le reste ou de me poser des questions lorsque je serai de retour. Ces cabinets sont en outre les plus beaux qu’on puisse imaginer. Généralement, les murs et le sol sont en majolique, à la hollandaise ; à certains endroits construits à cet usage, qui sont soit laqués en blanc, ou en marbre blanc ou même en albâtre, se trouvent les pots de chambre de la porcelaine la plus fine et dont le bord est doré, à d’autres endroits il y a des verres remplis d’eau agréablement parfumée et aussi de gros pots de porcelaine remplis d’herbes odorantes ; on y trouve aussi généralement un joli canapé, je pense pour le cas d’un évanouissement soudain. »

 

Ce cabinet reste bien sûr rare car le prix de l’eau est très élevé, et on doit donc précieusement l’économiser. Le commun des mortels continue donc à utiliser des pots de chambres et des chaises percées.

 

Des idées fusent ceci étant, pour permettre aux gens de se soulager proprement et discrètement : Monsieur Cadet de Gassicourt, pharmacien de son état, vit à Vienne un spectacle curieux au 18ème siècle : " Un usage fort bizarre consistait à entretenir la propreté dans les rues de Vienne. Quelques spéculateurs philanthropes avaient imaginé de se tenir près des places et des édifices publics, dans des lieux écartés, avec des seaux de bois couverts et un grand manteau. Le seau servait de siège, et le manteau, cerclé dans sa partie inférieure, s’éloignait assez du corps de celui qui le portrait, pour permettre au client de se débarrasser sans être vu des vêtements particuliers qu’il devait écarter ». La même chose se retrouve à la même époque en France moyennant 4 sous par « séance »

 

Revenons à la collecte et l’évacuation : des règles précises régissent la construction des fosses mais c’est tellement strict que de nombreux propriétaires préfèrent enfouir dans leur cave ou leur jardin d’énormes futailles destinées à leurs déchets organiques.

D’où fatalement un problème d’’infiltration dans les caves voisines surtout si la vidange n’est pas faite ou rarement faite. Les matières vont suinter et envahir la cave, remonter dans les tuyaux, s’insinuer jusque dans les puits …

 

Justement la vidange : comment cela se passait-il ?

Avant la vidange, la fosse doit rester ouverte pour que les gaz délétères se dissipent. Précisons que ce que l’on appelle alors la basse œuvre s’effectue de nuit obligatoirement.

Puis une échelle est plantée dans la fosse et un compagnon descend un seau par une corde qu’il remontera et videra dans la hotte d’un camarade lequel en déversera le contenu dans des tonneaux ; une fois fait les gadouarts comme on les appelle attaquent à la bêche et à la houe le « gratin », couche qui adhère fortement aux parois de la cuve. Les tonneaux sont ensuite transportées jusqu’aux voieries (à Paris il y en avait 3 : Montfaucon au pied des Buttes Chaumont, le faubourg St Germain et le faubourg St Marceau).

 

collecte des pots de chambre (début du 20è)

Histoire de wc, latrines et autres lieux d'aisance

 

Il est bien évident que rejeter tout ça dans la seine est interdit mais …

 

Des accidents arrivent assez fréquemment pendant les travaux de vidange, vu les conditions de travail : les ouvriers peuvent suffoquer sous les vapeurs sulfureuses, être atteints de cécité temporaire suite aux vapeurs d’ammoniaque …

Il est évident que pendant ce temps les habitants sont privés de toilettes et jettent le tout à la rue …

 

Si l’on regarde ce qui se passe à Lille : le 28 septembre 1730 une ordonnance fut promulguée par la municipalité de Lille :  les habitants se voient interdire de « jeter par les portes, fenêtres ou autrement aucunes ordures, immondices, cendres, lessives, feuilles de vignes, écorces de fruits , paille, gravois, terreaux, tuileaux, ardoises et toutes sortes de crons, raclure de cheminées, fumiers». ils devront mettre ces immondices ans les chariots dédiés à ca ; chariots qui d’après l’article 4 de ladite ordonnance, doivent être munis d’une « sonnette assez forte pour se faire entendre dans le fond des maisons pour avertir les habitants d’apporter leurs immondices".

 

Bien sûr cette ordonnance n’est pas ou peu respectée.

 

Au 19ème siècle, la situation n’a pas changé d’un iota

Un lecteur de la Gazette Municipale de Paris écrivait à son journal en précisant :

« Les parisiens transforment en urinoir tous les intervalles qui séparent les boutiques, tous les angles de portes cochères, toutes les bornes de rue, tous les arbres des promenades publiques ».

 

Au niveau public, il existe en 1819 au Palais Royal « des cabinets d’une propreté extrême, des glaces, une jolie femme au comptoir, des préposés plein de zèle, tout enchante les sens et le client donne 10, 20 fois plus que ce qu’on ne lui demande ».

Ce lieu paradisiaque est bien sûr une exception dans le paysage urbain. Car s’il existe en effet depuis peu des latrines publiques un peu moins rustiques qu’auparavant, elles n’en restent pas moins insalubres.

 

Les toutes premières vespasiennes apparurent en 1841. Il s’agit de colonnes à double usage : urinoir et affichage publicitaire qui sont édifiées sur les boulevards parisiens. On appellera ce nouveau mobilier urbain «colonne rambuteau » du nom du préfet qui en ordonna la mise en place.

 exemples de colonnes rambuteau :

Histoire de wc, latrines et autres lieux d'aisance     

 

Histoire de wc, latrines et autres lieux d'aisance

 

La province aura aussi ses vespasiennes mais plus tardivement et avec moins de succès : à Lille par exemple, au milieu du 19è siècle, des urinoirs sont installés contre le théâtre : 18 stalles exposés au soleil, sans entretien et exhalant d’épouvantables odeurs, l’urine s’écoulant directement dans le caniveau ; les Lilllois, peu habitués à cela, appelleront cette manière de faire « pisser à l’mode de Paris »

Toutefois notons que la pudeur de l’époque souffre de ces édicules où l’on peut voir ce qui s’y fait et où il s’y passe des choses peu respectables…

 

En matière de vidange des fosses, le 19ème siècle ne connaitra pas de profonds changements : on n’utilise plus de seaux, certes, mais une pompe. Le travail se fait toujours de nuit.

Le transport s’effectue toujours au moyen de tinettes. Chaque charrette contient 32 tinettes faisant un vacarme considérable du fait des cahots et durant le parcours, les bouchons recouvrant les tinettes sautent fréquemment permettant aux matières de se répandre sur la voie publique.

Les charrettes, aux dires des contemporains, ébranlent les maisons riveraines, dégradent les trottoirs et causent la rupture des conduites d’eau.

Destination Montfaucon toujours, gigantesque fosse à ciel ouvert dans lequel les matières y séjournent sans que personne ne s’en préoccupe guère, une partie s’engageant dans les tuyaux qui conduisent à l’égout latéral au canal St Martin et qui viennent se mélanger aux eaux de la Seine, une autre partie s’infiltrant dans le sol et se répandant dans les puits du faubourg du temple, causant de multiples infections et épidémies en tout genre.

N'oublions pas toutefois que ces fosses servent à fabriquer de l'engrais humain : la poudrette.  

Pour faire la poudrette, on construit des bassins peu profonds en pierre ou en argile, on les dispose en étages, de manière à ce qu'ils puissent s'écouler les uns dans les autres. Le produit des fosses étant déposé dans les bassins supérieurs on fait écouler la partie liquide dans ce qui est immédiatement inférieur, aussitôt que les matières solides se sont déposées; on opère de même pour le second bassin, dont les liquides se versent plus tard dans le troisième, et ainsi de suite. Les dernières eaux se perdent dans des égouts . C'est par ce procédé que l'on finit par n'avoir dans chaque bassin que des matières pâteuses que l'on extrait avec des dragues, pour les placer sur un terrain en dos d'âne, où, à mesure qu'elles se sèchent, on les retourne à la pelle. 

 

Voici la description que fait J .B. DUVERGER de la voierie de Montfaucon en 1834 dans "Nouveau tableau de Paris au XIX siècle" :

« Montfaucon s’appuie sur Les buttes Saint Chaumont, au dessous de Belleville ; il forme un vaste plateau qui comprend plusieurs bassins, Les séchoirs de poudrette et Le clos d’équarrissage… Sur cet immense foyer fermentent pêle-mêle des graisses en ébullition, des chairs et des intestins putréfiés, des masses de sang, des lacs d’urine et d’eaux ménagères, plus de cinquante mille mètres de matières desséchées dont le soleil, ainsi que la pluie, raniment L’ardeur toujours renaissante. Des miasmes impurs s’élancent du cratère à large bouche et se promènent au grès des vents, sur la Villette, la Chapelle ou Belleville, retombent et s’appesantissent sur Paris, portant L’infection jusqu’au delà des boulevards. Les bassins sont étagés et descendent graduellement jusqu’à la petite Villette, dont ils ne sont séparés que par une faible digue de dix pieds d’élévation. Malheur à la petite Villette si des malveillants s’avisaient de rompre la digue. Un long repos donne le temps aux matières en suspension de se précipiter ; elles donnent alors un engrais que Les agronomes regardent comme Le meilleur (La poudrette). Toutes les nuits, une partie des eaux est rejetée dans un conduit de plomb qui, de l’ancienne route de Meaux, les reporte à l’égout latéral du Canal Saint Martin, et, de là, à la rivière, à la hauteur du pont d’Austerlitz… »

Histoire de wc, latrines et autres lieux d'aisance

 

Au niveau privé les appartements bourgeois s’organisent désormais en un espace privé (les chambres) et un espace public (le salon et la salle à manger), plus un espace de rejet (la cuisine et les lieux d’aisance).

La cuisine est en effet rejetée à l’extrémité des appartements, devenant un repaire de mouches et de saleté auprès duquel peut dans problème être installés les cabinets d’aisance : la vague hygiéniste n’a pas encore frappé.

Notons l’existence un peu plus fréquente, mais néanmoins bien insuffisante, des gardes robes hydrauliques ou water closet, invention purement anglaise. Cela reste marginal, le commun des mortels devant se contenter de lieux infects recouverts d’«ordures pétrifiées » ou liquides, les débordements étant fréquents ; ces lieux n’avaient pas de couvercle, les sièges étaient souillés, les murs salpêtrés ; quant aux bourgeois ils préfèrent malgré tout l’ancien matériel (pot de chambre ou chaise percée) puisqu’ils disposent du personnel pour l’entretenir.

 

Qu’en est-il en province à cette époque ? A Lille, le privilège de la vidange des fosses revenait aux bernatiers ou berneux qui avant 8h du matin parcouraient la ville en traînant une charrette sur laquelle trônaient des tonneaux de cuivre et criaient « 4 sous pour un tonniau » ; ils revendaient le purin humain aux cultivateurs de Lille et de la banlieue pour être utilisé en engrais.

 

Certains maraichers se ravitaillaient directement en ville, leurs charrettes transportant les légumes à l’avant et le tonneau à l’arrière.

A Moissac dans le 82, des observateurs nous expliquent que la ville est constituée d’un lacis de petite rues, passages et culs de sac encombrés de fumier et de décombres de toute sortes ; à chaque angle de rue on bute sur des dépôts de matière fécale.

A Pamiers dans le 09, le Dr Allaux précise en 1866 que « la majorité des maisons étant dépourvues de latrines les matières fécales sont délayées et répandues dans les ruisseaux ; le sang et les débris de porc égorgés dans les maisons particulières faute d’abattoirs portent le mal à son comble et viennent augmenter les causes d’infection »

 

Fin du 19ème siècle et la vague hygiéniste

Les hygiénistes de la fin du XIXème siècle grâce notamment aux travaux de Pasteur, déplorent que de nombreuses maisons n’aient pas l’eau courante. Et encore moins de de cabinet en nombre suffisant.

Ainsi le témoignage de René Michaud, ouvrier parisien né en 1900 ; il habitait rue Bertheau. Dans son immeuble, les 60 habitants disposent d’un seul cabinet au fond du corridor d’entrée. «La porte à peine entrouverte l’odeur s’engouffrait dans les logements se mêlant aux odeurs de cuisine, aux remugles de lessive chaude, de charbon gras, et d’urine empestant ces réduits où s’entassaient des familles faméliques proliférant d’abondance ».

N’oublions pas que les propriétaires étant soucieux d’économiser le prix de la vidange (8 francs en moyenne par m3 de matière en 1875) ils interdisaient l’utilisation d’eau dans les cabinets ce qui permettait de retarder la vidange.

Et que dire des terrains vagues que l’on rencontre à Paris et sa banlieue, squattées par des miséreux chassés par le prix des loyers et les démolitions de bâtiments : des masures sans hygiène, des ruelles sans trottoirs, des constructions insalubres.

 

Dans de tels milieux les épidémies se répandent facilement.

En 1873, 869 victimes de la fièvre typhoïde, 3352 personnes en 1882

En 1886, 986 décès du choléra à Paris

En 1896, 906 personnes mortes du choléra à Paris

Etudiant les causes des épidémies, on note l’incurie et la négligence des compagnies fermières des eaux qui distribuent fort cher un liquide impropre à la consommation.

 

Les logements insalubres en province ne sont pas en reste.

A Nancy par exemple, au recensement de 1886, 79 071 individus. Les petits logements sont constituées de 2 pièces maximum et dans chacune couchent une moyenne de 3 personnes ; l’alimentation en eau est presque exclusivement assurée par des bornes fontaines publiques, les latrines sont au fond des cours mais pas en nombre suffisant (8 cabinets pour 110 logements par exemple).

 

Histoire de wc, latrines et autres lieux d'aisance

Pendant que nos ancêtres font comme ils peuvent, la bataille fait rage entre les tenants des wc à chasse d’eau (ça gaspille de l’eau et ça pourrait a priori entrainer la syphilis du fait de lunettes mal nettoyées) et les wc à la turque plus pragmatique et a priori plus hygiénique (qui plus est l’équilibre instable de la position accroupie ne permet pas de rester longtemps et n’incite donc pas aux mauvaises pensées…).

 

N’oublions pas en effet que nous sommes en plein à l’époque de la campagne antimasturbatoire et le simple effleurement de certains organes peut conduire aux plus graves désordres …

Cette pudibonderie excessive implique que s’essuyer n’est pas de rigueur. Seul un certain Dr Richard aurait évoqué le papier en 1881 dans son traité d’hygiène appliqué : « dans tous les cabinets d’aisance il est indispensable qu’il se trouve une boite renfermant le papier nécessaire au visiteur pour s’essuyer ; sans cette précaution, la propreté des parois n’est pas respecté et le linge devient rapidement d’une saleté repoussante ».

 

Notons que le papier hygiénique a été inventé par Joseph Cayetty en 1857 aux usa ; il ne s’imposera que tardivement en France ne serait-ce que par ce que le papier journal est pas mal aussi !

 Histoire de wc, latrines et autres lieux d'aisance  papier hygiénique, 1960

En 1883 le docteur Napias recommande que chaque logement, aussi révolutionnaire soit cette idée, puisse être équipé de wc. Cette idée fit son chemin en partie du moins puisque les autorités administratives, dix ans plus tard, exigèrent que « dans toute maison à construire il devra y avoir un cabinet par appartement, par logement ou par série de 3 chambres louées séparément ; lesdits cabinets seront munis d’un réservoir à eau ».

 

Quid maintenant de la collecte des eaux usées ? Le tout à l’égout n’est pas encore généralisé à cette époque. A Toulon par exemple en 1894 le « tout à la rue » est toujours le mode de vidange à la mode.

 

Le tout à l’égout fait en effet peur car on s’imagine des ruisseaux fétides s’écoulant devant les maisons et les industriels craignent de ne plus pouvoir utiliser cet engrais si précieux.

 

En 1852 un décret rend obligatoire à Paris le raccordement à l’égout des eaux ménagères des constructions nouvelles et laisse 10 ans aux constructions anciennes pour faire de même mais la portée de cette décision est limitée car elle ne peut être appliquée qu’aux rues disposant d’un égout.

 

Ce n’est qu’une loi de 1894 qui imposera dans un délai de trois ans, le système du tout-à-l'égout à tous les propriétaires de Paris (ce sera généralisé plus tard) sous peine de sanction financières.

Notons que les égouts sont encore fort peu nombreux au début du 19ème siècle : moins de 50 kilomètres contre 26 km en 1715 alors qu’à la fin du 19ème siècle, on en sera à 600 km.

 

Ce ne fut quand même pas un succès franc car en 1960, 12 % seulement des Français sont reliés au tout-à-l'égout.

 

 

Sources

La vie quotidienne au Moyen Age de Jean Verdon

Vivre à Lille sous l’Ancien Régime de Philippe Guignet

Les lieux de Roger Henri Guerrand

Quartier Est au 19ème siècle

Faire caca à Paris au 18ème siècle

Les latrines au Moyen Age

Mozart W.A. Correspondance, tome I à VI. Edition de la Fondation Internationale Mozarteum Salzbourg, réunie et annotée par W. A. Bauer, O.E. Deutsch et J.H. Eibl. Edition française et traduction de l’allemand par Geneviève Geffray.

 

 

Lire la suite