Bourgeois de Lille
Cet article complète celui-ci.
La première condition pour devenir bourgeois de Lille était d'y habiter.
IL existe cependant une classe de bourgeois dit forains n'habitant pas Lille mais la Châtellenie de Lille. Ils pouvaient toutefois être astreint à y résider au moins 40 jours par an sur ordre des échevins.
Ceux qui n'étaient pas bourgeois de naissance devaient obtenir l'agrément du Magistrat. Le candidat se présentait au jour fixé devant les échevins et répondait à leurs questions. Puis il prêtait serment. Son nom était ensuite inscrit sur les registres.
On remettait au nouveau bourgeois ses "lettres de bourgeoisie" c'est à dire un certificat d'inscription. Au 18ème siècle c'tait une sorte de quittance de droits à payer qui était de 60 sols d'Artois puis de 15 livres, plus les droits dûs aux officiers de la ville.
L'enfant d'un bourgeois avait un droit acquis par sa naissance à la bourgeoisie et jouissait de tous les privilèges jusqu'à sa majorité ou son émancipation. Il devait alors racheter sa bourgeoisie sinon il perdait le privilège de l'arsin. En rachetant sa bourgeoisie dans le délai requis il n'avait à acquitter qu'un droit minime.
S'il négligeait de la racheter dans l'année de son mariage, il était frappé de déchéance et tombait sous la loi de l'escassement.
Les privilèges des bourgeois de Lille
1/ Les bourgeois n'étaient justiciables que des échevins, leurs pairs; si donc un bourgeois exceptionnellement devait être traduit devant la justice du Comte ou d'un seigneur de la Châtellenie ceux-ci devaient au préalable se pourvoir devant les échevins obtenir l'autorisation nécessaire. A défaut on sonnait la bancloque et l'escalette, la Commune se rassemblait et se rendait en armes, bannières déployées, au secours du bourgeois.
Sceau de échevins de Lille au 14ème siècle
Un bourgeois de Lille ne pouvait donc être appréhendé et incarcéré qu'après l'autorisation expresse des échevins qui devaient le déclarer et mettre " hors le loi de la ville."
Quant aux bourgeois forains, on ne pouvait saisir leurs biens sans qu'ils aient été au préalable abandonnés par la loi de la ville par une action dite de démènement : le bourgeois forain était assigné à comparaitre devant les échevins dans la huitaine au premier son de la cloche annonçant la fermeture des portes. Si l'assigné ne comparaissait pas, on renouvelait la sommation à quinzaine. S'il ne se présentait pas on le déclarait "démené" pour un an et un jour et pour le montant de sa dette.
Enfin ni le prévôt ni le bailli ne pouvait enquêter ou perquisitionner dans la maison d'un bourgeois sans la présence de deux échevins.
2/ Droit d'arsin : si un étranger causait un préjudice à un bourgeois, l'insultait, ... il devenait justiciable des échevins de Lille et le bourgeois lésé avait un droit absolu à l'assistance et même, selon la gravité, à la vengeance de la Commune qui pouvait aller jusqu'à l'arsin quand le coupable possédait une maison dans la Châtellenie.
Une fois l'enquête fini et que le suspect était désigné coupable, on sonnait trois fois la cloche du ban et la petite cloche aussi longtemps que les bannières soient sorties de la ville et qu'une troupe de bourgeois et habitants de la ville viennent faire vengeance.
Une fois arrivé devant la maison du coupable, le bailli l'appelait par son nom et surnom et le sommait de venir amender son forfait. S'il répondait à la sommation et venait devant le bailli on l'appréhendait et on l'emmenait à Lille pour le remettre aux échevins et le juger; s'il ne se présentait pas, le bailli devait mettre le feu à la maison, la détruire entièrement, la raser, c'est ce qu'on appelle le droit d'arsin
Quant au bourgeois forain ne possédant pas de maison dans la châtellenie et qui refusait de se présenter devant les échevins il était banni de la ville et de la Châtellenie.
Le droit d'arsin a toujours été vu comme un droit injuste et cela dès le 14ème siècle mais fut malgré tout confirmé à plusieurs reprises.
3/ Non confiscation des biens : les biens du bourgeois sont sous la protection de la Commune. Ils ne peuvent pas être confisqués. Si la peine capitale était prononcée, même pour crime de lèse majesté divine ou humaine, ils revenaient tout de même aux héritiers.
Les bourgeois étaient également affranchis de toute saisie ou prise de corps pendant au moins 1/4 de l'année : le dimanche et le mercredi (jour de marché), de chaque semaine, les 13 jours de Noël, la huitaine de Pâques, celle de la Pentecôte et de la franche fête de Lille, les 5 fêtes de Notre Dame, les nuits d'apôtres, de la Madeleine, les nuits et jours de la Toussaint et de l'Ascension.
Enfin quand un bourgeois était détenu pour dettes, celui qui avait obtenu la prise de corps devait lui fournir chaque jour "pain d'un denier et fontaine à boire"; il devait lui fournir un lit de plumes, une courtepointe ou couverture ou un tapis pour le préserver du froid et renouveler ses draps chaque quinzaine. Il doit pouvoir aller le jour à une fenêtre donnant sur rue ou chemin. On devait lui assurer lumière et feu, une table avec nappe pour ses repas et une serviette "pour ses mains essuer", une chaise et un coussin.
Blason des Leuridan
En contrepartie de ses droits le bourgeois comme tout habitant de Lille devait 40 jours de service militaire par an
Le guet aux portes et remparts incombait aux bourgeois et autres habitants de la ville. on pouvait s'y faire remplacer par un arbalétrier sermenté.
La renonciation volontaire au statut de bourgeois est impossible : on ne pouvait cesser d'être bourgeois que si on était escassé c'est à dire cassé chassé effacé du registre par décision du magistrat.
L'escassement est donc un jugement qui prononce l'exclusion de tout droit à la protection de l'échevinage et qui est aggravé par la taxe d'escas évalué au 10ème de tout ou partie des biens du condamné.
Les principaux motifs d'escassement sont l'absence prolongée, la désobéissance aux ordres, le refus de se soumettre à la juridiction, l'insolvabilité, la fuite pour dettes, l'aide apportée à un étranger contre un bourgeois
Source
Revue Nord généalogie 1996-3 n°140 p223
scieur de long
Personne dont le métier consiste à débiter avec une scie des troncs d'arbre dans leur longueur.
On les nomme également scieur d'ais.
Sources
http://eric.volat.pagesperso-orange.fr/metiers.htm
http://www.roelly.org/~fleur/auvergne/scieurs.htm
tireur de blanc
Ou extracteur de calcaire
Des carrières de calcaire blanc sont exploitées dans le Nord par puit ou par galerie horizontale ou à ciel ouvert ; elles occupaient à peu près 500 ouvriers dans le nord en 1789.
Les carrières se trouvaient par exemple à Annappes, Lesquin, Ronchin, Inchy, Iwuy, Ribecourt,Hordain, Esquermes, Loos, Seclin, Auberchicourt, Denain, Douchy, Walincourt …
Source
Statistique du département du Nord, Volume 1 Par Christophe Dieudonné
garennier
Garannier, garandier.
Gardien, surveillant d'une garenne. IL s'agit donc d'un paysan qui a pris à ferme l'exploitation de la garenne seigneuriale.
La garenne est un espace réservé à certaines espèces de gibier et où les animaux peuvent trouver pâture (surtout les lapins et lièvres).
Le droit de garenne permettait de chasser et de pêcher sur la garenne.
Sources
Dictionnaire historique des arts, métiers et professions exercés dans Paris au XIIIème siècle d'Alfred Franklin
MAJ janvier 2017
cabaretier
Le cabaretier vend du vin « à assiette » tandis que le tavernier vend du vin « à pot », c'est à dire à emporter.
Vendre du vin "à assiette" signifie le vendre au détail, couvrir la table d’une nappe avec des assiettes et y servir certains mets.
Les cabaretiers appartenaient à la corporation des marchands de vins.
Une déclaration royale de 1680 permit aux taverniers de vendre des viandes qui avaient été cuites à l’avance par les maîtres rôtisseurs ou les charcutiers.
De nombreuses ordonnances défendaient aux cabaretiers de servir à leurs clients de la viande durant le Carême et les vendredis et samedis ; de donner à boire le dimanche pendnat la durée des offices. Celle du 26/7/1777 leur enjoignit de ne tolérer chez eux aucun jeu et de fermer leurs portes à 11h en été et 10h en hiver.
A Paris, le cabaret fréquenté le plus par les étudiants après la Pomme-de-Pin, que Racine, Molière, la Fontaine, ne dédaignaient point, était la Corne, près de la place Maubert.
Les cabarets où se réunissaient les poètes, les littérateurs, les gens d’esprit, furent remplacés, au dix-huitième siècle, par les cafés, où l’on causait mieux et où l’on buvait moins
Sources
Dictionnaire historique des arts, métiers et professions exercés dans Paris au XIIIème siècle d'Alfred Franklin
épeuleur
Epeuleur, époulman, bobineur.
Ouvrier enroulant le fil à tisser sur les épeules (canettes ou bobines sans support au milieu).
La canette ou épeule ou bobine permettait de passer le fil de trame dans un sens puis dans l'autre.
C'était souvent les enfants qui étaient chargés d'enrouler le fil sur les épeules.
Se soigner autrefois (2)
Qu’en est-il des épidémies ?
La peste : on ne connait pas à l’époque le bacille de Yersin, on se sait pas ce qu’est exactement la peste ni comment la soigner ; On sait en revanche qu’elle est très contagieuse et qu’il faut pour la contenir isoler les malades.
La peste bubonique, qui est consécutive à une piqûre de puce, entraine la mort dans 60 à 80% des cas, le plus souvent dans la première semaine.
Sous sa forme pulmonaire la mortalité est de 100% des cas dans les 2/3 jours après le début des troubles.
La France connait plusieurs épisodes de peste :
- De 1628 à 1631 aucune province n’est épargnée
- En 1636/37 tout le quart nord-est est atteint
- En novembre 1667 Lille et Cambrai sont atteint puis l’épidémie descend pour ne disparaître qu’en 1670
- 1720/21 Marseille est atteint et une partie de la Provence
La dysenterie semble être le mal le plus fréquent et le plus meurtrier : la dysenterie bacillaire touche surtout les enfants et les adolescents et sévit en périodes chaudes.
Le paludisme sévit à l’état endémique partout mais plus fréquemment dans les bas quartiers et dans les régions mal drainées et infestées de moustiques comme la Sologne, la Saintonge, le Bas Languedoc, la Camargue, les Landes.
La variole ou petite vérole est redoutable pour les enfants et adolescents et ceux qui survivent en gardent les stigmates toutes leur vie. Cette maladie tue tout de même entre 15 à 20 % des malades.
La grippe dont le terme est inventé lors de l’épidémie de 1742/43 nous est décrite ainsi par l’avocat parisien Barbier justement en 1742 : « il règne cet hiver une maladie générale dans le royaume que l’on appelle la grippe, qui commence par un rhume et mal de tête ; cela provient des brouillards et d’un mauvais air. Depuis 15 jours même un mois il n’y a point de maisons dans Paris où il n’y ait eu des malades ; on saigne et on boit beaucoup, d’autant que cela est ordinairement accompagné de fièvre ; on fait prendre aussi beaucoup de lavements ; on guérit généralement après quelques jours».
Quels sont les médicaments dont on dispose à cette époque ?
Je complète ici l’article que j’avais rédigé sur la médecine de nos aïeux. La pharmacopée des 17 et 18ème siècles est essentiellement basée sur les plantes (indigènes et exotiques) que l’on appelle les « simples » auxquels s’ajoutent des produits d’origine animale et quelques remèdes chimiques.
Les plantes que l’on retrouve le plus fréquemment dans les recettes sont les suivantes mais cette liste n’est pas exhaustive :
La gousse d’ail est vermifuge antispasmodique et fortifiante
La racine et les graines d’angélique stimulent la digestion, sont diurétiques et sudorifique
Le fruit de l’anis vert est expectorant et carminatif
La plante et la racine d’aristoloche sont antinflammatoires
La plante et la racine d’armoise commune sont apéritives
La feuille d’artichaut stimule les fonctions hépatiques et biliaires
La racine de bardane cicatrise les plaies
La fleur de lavande est calmante
La fleur de pavot est somnifère
Des plantes exotiques se trouvent également dans la pharmacopée de l’époque
L’opium est somnifère est analgésique
La feuille et le fruit du séné est purgative
La noix de muscade est tonique et digestive
Le clou de girofle est antiseptique
etc...
Le chocolat est recommandé car il rafraichit les estomacs trop chauds et réchauffe les estomacs trop froids.
La Tasse de Chocolat, de Jean Baptiste Charpentier le Vieux, 1768
Le café fortifie les membres, et guérit l’obstruction des viscères, la corruption du sang
L’écrevisse est souveraine contre les fièvres putrides, le poumon de renard contre les maladies pulmonaires, le cerveau de moineau contre l’épilepsie, le ver de terre contre les ulcères …
Le plomb fournit le céruse et la litharge qui sont utilisées en emplâtre
Le mercure soigne la grande vérole
L’antimoine rentre dans la composition de l’émétique, vomitif souverain
Dès la fin du 17ème siècle, apparaissent la quinquina contre les fièvres et l’ipécacuanha contre la dysenterie.
Ces deux remèdes sont efficaces mais du fait d’une préparation et d’une utilisation mal codifiées ils ne révèleront leur pleine efficacité qu’à partir du 19ème siècle.
Lire aussi : manuel de vulgarisation thérapeutique
Quid de la chirurgie ?
Les opérations les plus classiques sont en vrac l’incision des abcès, la réduction des fractures, la pose de cautères et ventouses, le pansement des plaies, l’extraction des dents…
David Teniers le Jeune, Le Chirugien-barbier, milieu du XVIIe s., Norfolk, The Chrysler Museum of Art
Mais certains chirurgiens vont plus loin sans rien pour lutter contre la douleur, l’hémorragie, les infections.
Ils vont ainsi suturer les estomacs et les intestins perforés, enlever des hernies, extraire les calculs de la vessie, pratiquer des césariennes sur des femmes mortes puis vivantes, trépaner, extraire le cristallin …
L’anesthésie générale à l’éther ou au chloroforme ne va apparaître qu’à partir de 1847, l’anesthésie locale avec la cocaïne est découverte vers 1860, la pince hémostatique voit le jour en 1868.
L’infection post opératoire quant à elle reste le plus souvent fatale faute de connaître les règles d’asepsie et l’existence des microbes et autres virus. L’utilisation de vin aromatique ou de poudre de myrrhe fera office d’antiseptique sans le savoir en attendant les travaux de Pasteur.
Et les remèdes magiques ?
Bien sûr on va utiliser également d’autres types de remèdes et de « médecins » : des guérisseurs, des rebouteux, et autres sorcier et aussi les saints guérisseurs.
Toutefois rappelons qu’il est illicite de recourir aux sorciers même pour en obtenir un bien comme la guérison du corps car « jamais ils n’ôtent le mal d’un corps qu’ils ne le renvoient en un autre »
A partir du milieu du 17ème siècle l’attitude à l’égard des envouteurs, rebouteux et sorciers change : ils sont surtout traités en exploiteur de la crédulité humaine ne méritant ni la corde ni le bûcher tout au plus le bannissement.
Furetière exprime sa pensée ainsi : « encore que je sois persuadé que les véritables sorciers soient très rare, que le sabbat ne soit qu’un songe et que les parlements qui renvoient les accusations de sorcellerie soient les plus équitables, cependant je ne doute point qu’il ne puisse y avoir de sorciers , des charmes et des sortilèges »…
Un malade qu’aucun remède dit normal ne guérit va donc se croire possédé par un mauvais sort.
Que faire dans ce cas ? il faut lever le sort par exemple de la façon suivante : « faire tenir le malade à l’opposite du soleil avant qu’il soit levé, lui faire prononcer son nom et celui de sa mère ; nommer 3 fois le jour pendant 6 jours les anges de gloire qui sont dans le 6ème degré ; le faire tenir tout nu le 7è jour puis écrire sur une plaque les noms de ces anges dans la créance qu’il sera guéri le 20è jour du mois ».
Si cela ne marche pas il faut chercher un leveur de sort ou conjureur qui va entr’autre chose adresser des prières conjuratoires ; par exemple pour la colique : « Mère Marie, Mme Sainte Emerance, Mme Sainte Agathe, je te prie de retourner en ta place entre le nombril et la rate au nom du Père etc ».
Il est possible et plus licite d’invoquer les saints guérisseurs ; ainsi Sainte Appolline à qui le bourreau a arraché les dents guérit les maux de dents, Sainte Odile née aveugle guérit les maux d’yeux, Saint Vincent, éventré, guérit les maux de ventre …
Notons que la spécialisation d’un saint peut tenir à un jeu de mot sur son nom : Saint Quentin est invoqué pour les quintes de coqueluche, Sainte Claire pour les maux d’yeux, Saint Aurélien pour les maux d’oreilles …
Des pèlerinages thérapeutiques sont pratiqués dans toute la France : voyage dangereux que l’on fait parfois à jeun et les pieds nus sur des routes où règnent l’insécurité la plus totale.
Une fois arrivé, diverses pratiques ritualisées sont appliquées notamment l’immersion ou l’ablution partielle dans une fontaine, le toucher d’une statue ou d’un reliquaire, réciter une neuvaine, …
Albert Hirtz Procession in brittany
Ainsi les habitants de Boissy Sans Avoir (78) firent le 8 décembre 1724 une procession à la chapelle de Sainte Julienne au Val St Germain à 30 km de là ; le curé raconte en 1760 cette journée:
« une maladie contagieuse arrivée en notre paroisse de Boissy Sans Avoir en 1724 qui enleva en peu de temps plusieurs personnes par une mort prompte et violente, donna occasion à procession et nous porta à invoquer singulièrement le secours de Dieu par les mérites et intercessions de St Sébastien de St Roch et nommément de Ste Julienne invoquée dans pareilles circonstances ; on n’eut pas plus tôt recours à cette sainte que nous en ressentîmes de puissants secours et une protection singulière, que cette maladie contagieuse se dissipa et que plusieurs qui en était attaqué n’en moururent pas et conservèrent la santé ;et quelques un subsistent encore aujourd’hui parmi nous ».
Le recours à ces pratiques magiques est le dernier recours après avoir tout essayé ; ainsi en 1661 à l’âge de 13 ans Jean Dache, fils d’un forgeron d’Armentières est paralysé complètement.
Le père a cherché tous les remèdes auprès des médecins de Lille, Cambrai et Ypres.
En 1663 on lui conseille de faire exorciser son enfant ; le père a donc déposé l’enfant aux pères minimes ; aucun effet.
L’enfant demande à être porté devant une image de Jésus flagellé dite de Gembloux qui se trouve chez les soeurs grises d’Armentières ; il y commence une neuvaine et au neuvième jour il est retourné chez lui sans bâton ni assistance.
Les hommes d’Eglise sont bien sûrs totalement contre les guérisseurs et dénoncent ces superstitions mais sont plus embarrassés quand il s’agit de ces pèlerinages et autres invocations de saints. Est-ce encore de la superstition ? Doit-on inciter les gens à y recourir ? Les en dissuader ?
A côté de ces invocations magiques, la guérison peut être recherchée par le biais des plantes. Là aussi l’Eglise désapprouve et interdit ces utilisations. « On ne peut cueillir certains simples, certaines feuilles, certains fruits ou certaines branches d’arbre le jour de la Nativité de St Jean Baptiste avant le soleil levé dans la créance qu’elles ont plus de de vertu que si elles avaient été cueillies dans un autre temps ». En effet les herbes de St Jean tiennent leur vertu curative du fait d’être cueillies la nuit du 24 juin : ce sont essentiellement l’armoise, le millepertuis et la verveine.
On trouve également d’autres plantes « magiques » : la mandragore par exemple ; Hildegarde de Bingen préconise à celui qui souffre de « prendre une racine de mandragore, (de) la laver soigneusement, en mettre dans son lit et réciter la prière suivante : mon Dieu toi qui de l’argile a créé l’homme sans douleur considère que je place près de moi la même terre qui n’a pas encore pêché afin que ma chair criminelle obtienne cette paix qu’elle possédait tout d’abord »
Les menthes soignent de nombreux troubles ; pour la rate Pline indique cette recette : « la menthe guérit aussi la rate si on la goute au jardin sans l’arracher et si en y mordant on déclare qu’on se guérit la rate et cela pendant 9 jours ».
Un recueil du 17ème siècle intitulé « Recueil des remèdes faciles et domestiques recueillis par les ordres charitables d’une illustre et pieuse dame pour soulager le pauvres malades » donne lla recette suivante : Pour le haut mal c’est-à-dire l’épilepsie : « il est bon que la personne affligée de ce mal porte un morceau de gui de chêne pendu à son col mais ce morceau doit êrte tout frais et sans avoir été mis au feu »
La racine de bryone ou navet du diable soigne la goutte en la portant là aussi autour du cou.
Dans les Côtes d’Armor on préservait les vaches de la maladie en mettant à leur cou un collier de branche de chêne et dans le Limousin un collier de pervenches.
Le gui servait aussi à guérir de la jaunisse au 17ème siècle : « faites tremper 9 boules de gui dans l’urine d’un enfant mâle et attachez les ensuite sur le sommet de la tête du malade ».
Hildegarde de Bingen recommande la bétoine pour les mauvais rêves : « on peut poser sur la peau nue chaque soir une ou deux petites feuilles de plantes fraîche ou faire un coussin en tissu fin que l’on bourre avec des tiges feuillues sèches de bétoine ».
Un marron sauvage dans la poche était « un remède magique tout puissant contre les hémorroïdes »
La fumée d’aristoloche brulée « sous le lit des enfants les ramènera à la santé car elle chasse toutes les diableries et supprime tout tourment et tout mal »
Les feuilles de bouleau chauffées dans un four mises dans le berceau d’un enfant doit lui donner de la force.
« Un enfant n’aura ni froid ni chaud pendant toute sa vie pourvu qu’on lui frotte les mains avec du jus d’absinthe avant que la 12ème semaine de sa vie ne s’écoule »
Pour faire tomber la fièvre : « on nouera une cordelette autour de la taille que l’on attachera par la suite à un arbre appelé tremble afin de lui communiquer son état fébrile. Ce faisant on récite la prière suivante : tremble, tremble au nom des 3 personnes de la trinité »
Pour les verrues on les frotte avec une pousse de chélidoine fraichement coupée que l’on jette derrière soi par-dessus l’épaule sans se retourner.
Quelle est la formation de ces praticiens ?
Commençons par les sages-femmes : si l’on s’en réfère à un règlement de 1730, pour être sage-femme il faut passer un examen de moralité devant le curé de la paroisse et être reçue par la communauté de chirurgiens la plus proche. Un apprentissage théorique et pratique de deux ans devra être dispensé, sanctionné par un examen.
Le problème est qu’en pratique l’apprentissage est lacunaire car les chirurgiens à cette époque ont la théorie mais très peu la pratique de l’obstétrique.
Le seul lieu de formation pratique existant dans le royaume est l’Office des accouché crée en 1630 à l’hôtel Dieu à Paris qui reçoit chaque trimestre 3 ou 4 élèves qui vont se former en accouchant les femmes pauvres de la ville. Mais il n’y a aucun enseignement théorique de dispensé et de toute façon le nombre d’élèves est ridiculement faible.
Donc au final les matrones accouchent les femmes sans formation préalable et donc sans moyen face à un accouchement difficile.
Seule passage obligé, le curé qui vérifie si la dame est catholique, si elle est capable d’ondoyer dans les formes le nouveau-né en danger de mort, et si elle jure ne jamais utiliser de pratiques abortives ou infanticides.
Il faut attendre les années 1760 pour que s’impose la nécessité d’une réelle formation des sages -femmes et notamment les cours d’Angélique Le Boursier Du Coudray, maîtresse sage-femme brevetée, nommée par le roi en 1767 pour enseigner « l’art des accouchements dans toute l’étendue du royaume ». Elle exercera de 1759 à 1783 et sillonnera l’ensemble des provinces à l’exception du Languedoc où elle se heurte à l’opposition de la faculté de médecine de Montpellier. On estime à plus de 10 000 le nombre de sage- femme qui sur cette période ont été ainsi formées par elle et les chirurgiens qu’elle va également former.
Mme du Coudray a mis au point une machine très pratique pour l’apprentissage puisqu’il s’agit d’un mannequin figurant le tronc d’une femme avec bassin et cuisses, le tout grandeur nature.
Différentes pièces complètent ce mannequin pour expliquer l’anatomie et les différentes phases de l’accouchement : parties de la génération, jumeaux, tête de fœtus, matrice à différent moment de la grossesse, …
Les apothicaires exercent cette partie de la médecine qui consiste en la préparation des remèdes.
Ce sont des marchands artisans regroupés souvent avec les épiciers et les droguistes au sein d’une même communauté de métier.
L’enseignement est complet à Paris : théorique et pratique ; mais en province l’enseignement théorique est inexistant sauf s’il existe pas loin une faculté de médecine pourvue d’une chaire de pharmacie.
Le chirurgien ne va s’occuper que des maladies externes au contraire du médecin qui, lui, est un savant. Le chirurgien ne s’occupe au final que de ce qui est «mécanique ».
Initialement le terme adéquat est chirurgien barbier . Dès la fin du 13ème siècle déjà un certain nombre de chirurgiens à Paris abandonnent la barberie et se concentrent sut la partie chirurgicale de leur métier.
Ce ne sera qu’en 1691 que le métier de chirurgien va définitivement être séparé de l’activité de barbier perruquier
Au milieu du 18ème siècle un parcours d’apprentissage est règlementé mais il ne s’agit pas d’un savoir livresque, savant, comme peut l’être celui des médecins, l’apprentissage demeurant nécessaire à tout activité « mécanique ».
La durée et la nature de cet apprentissage va différer en fonction du lieu où la personne va exercer, du nombre de maître chirurgien présents sur place, de la qualité des apprentissages ; la partie théorique est enseignée par des médecins mais là aussi la qualité et la durée des enseignements va dépendre de l’endroit où le futur chirurgien va exercer.
A la veille de la Révolution seules 15 écoles publiques de chirurgie existent : Aix, Bordeaux, Besançon, Grenoble, Lille, Lyon, Marseille, Montpellier, Nancy, Nantes, Orléans, Paris , Rennes, Rouen, Toulouse, Tours + 3 écoles de chirurgie navale à Brest, Rochefort et Toulon.
Ces écoles sont toutefois toutes d’un niveau de qualité différent (locaux exiguës, matériel inadapté, peu d’enseignement théorique …).
Le médecin a la chance d’avoir au 17ème siècle le choix entre une vingtaine de facultés dispensant un enseignement de la médecine mais là aussi la qualité des enseignement varie grandement, que ce soit en terme de nature des épreuves, de durée des études, du nombre de professeurs , du contenu des enseignements …
La nature de l’enseignement est par ailleurs essentiellement théorique et abstrait ; il s’agit de savoir raisonner. Au 18ème siècle, quelques séances de dissections existent dans certaines facultés mais il est difficile de trouver des cadavres et ce jusqu’à la fin du 18ème siècle. Quant à l’enseignement au chevet des malades, il reste très exceptionnel.
Notons pour la petite (et grande histoire) que la première femme médecin est Elisabeth Blackwell qui devint docteur en médecine aux USA en 1847.
La vie de nos ancêtres était beaucoup plus dure que ce que l’on imagine. Il faut bien comprendre finalement « le tragique de leur existence » et il est important de « montrer l’omniprésence de la maladie et de la mort et l’impuissance à lutter efficacement contre elles ». Face à cette vie très dure, soulignons « le courage de ces hommes et de ces femmes qui échappaient au fatalisme et à la peur en plaçant leur espoir au-delà des apparences ».
Sources
"Se soigner autrefois" de François Lebrun
"Enquête sur les plantes magiques" de Michèle Bilimoff
Revue "Nos ancêtres" n°18 sur les médecins et chirurgiens du 15 au 19ème siècle
Se soigner autrefois (1)
Au 18ème siècle, un enfant sur 4 meurt avant 1 an contre 15% en 1900, 5% en 1950 et 0.3% en 2012
L’espérance de vie n’est à cette époque que de 28 ans …
En 1810, l'espérance de vie atteint 37 ans en partie grâce à la vaccination contre la variole. La hausse se poursuit à un rythme lent pendant le XIXe siècle, pour atteindre 45 ans en 1900.
Pendant les guerres napoléoniennes et la guerre de 1870, l’espérance de vie décline brutalement et repasse sous les 30 ans.
Comment était perçue la maladie au 18ème siècle ?
En 1677, Claude Joly, évêque d'Agen écrit que Dieu nous envoie les maladies « pour mortifier notre corps et le rendre obéissant à l'esprit, pour nous détacher de l'amour des créatures et pour nous convertir à lui, pour nous préparer à bien mourir ».
Au début du 18ème siècle, Antoine Blanchard, prêtre de Vendôme écrit dans son "Essai d'exhortations pour les états différents des malades" que la maladie "est un véritable remède. Elle afflige le corps mais contribue à la guérison de l’âme […] Les maladies ne sont pas seulement des remèdes mais elles sont des châtiments salutaires".
Quelques décennies plus tard, les mentalités n’ont guère changé puisqu’en 1770 Yves Michel Marchais, curé d'une petite paroisse de l'Anjou nous explique que "de quelque côté que nous les envisagions, les souffrances sont des traits de miséricorde à notre égard et des moyens efficaces de sanctification […] Elles nous purifient, perfectionnent notre vertu, nous font aimer Dieu pour lui seul…"
Les épidémies répondent au même besoin de châtiment de Dieu. Ainsi, lors d'une épidémie de dysenterie en Anjou en 1707, l'évêque d'Angers affirme dans un mandement du 30 septembre que Dieu ne fait que punir les coupables : "il ne nous livre à la corruption de notre corps que pour nous punir de celle de notre âme. Ce sont pour ainsi dire les vapeurs de nos crimes qui ont répandu dans l'air la malignité dont nous nous plaignions".
Louis Marie Grignion de Montfort écrit en 1703 à sa sœur tombée malade au cours de son noviciat : "ma chère sœur, je me réjouis d'apprendre la maladie que le bon Dieu vous a envoyé pour vous purifier comme l'or dans la fournaise".
Ces mentalités entraînent inéluctablement une indifférence voir une haine du corps et donc le refus d'intervenir par de moyens humains pour recouvrer la santé.
Le curé Marchais toutefois nous explique que "des malades et des infirmes peuvent et doivent chercher leur guérison dans des remèdes naturels et employer tout ce qu'ils croient pouvoir leur être utile pour se soulager"
Bien sûr il est hors de question de recourir à des moyens surnaturels relevant de la magie.
Cette intervention humaine implique aussi que tout ce qui relève de la médecine « de précaution » ne soit pas utilisé : d'où le débat sur la variolisation ouvert en 1735 par Voltaire qui préconise cette pratique tandis que nombreux ecclésiastiques sont contre car c'est tenter Dieu que de donner à une personne une maladie qui ne lui serait peut être pas venue naturellement. En 1775 les curés bretons y voient d’ailleurs un crime contre la loi divine.
La maladie relève donc clairement du médecin et du prêtre : le premier devoir du médecin n'est-il pas devant un malade gravement atteint de veiller à ce qu'il se confesse? Une déclaration royale de 1712 oblige d’ailleurs les médecins à agir de la sorte en leur interdisant après la 3ème visite de retourner chez un malade gravement atteint si celui-ci ne leur présente pas un certificat du confesseur.
Dieu est donc la cause première de la maladie ; qu'en est-il des causes secondes?
Comme je l’ai expliqué dans un précédent article, les phénomènes qui se produisent dans le microcosme qu'est le corps humain (donc la maladie) est en relation avec les phénomènes du macrocosme (l'univers, la terre les cieux) : c’est la théorie en vigueur à cette époque.
Donc aux 4 éléments du macrocosme (la terre, l'air, le feu et l'eau) et leur qualités respectives (le sec, le froid, le chaud et l'humide) répondent les 4 humeurs (substances liquides sécrétées par le corps humain) :
- le sang sécrété par le cœur, chaud et humide,
- la pituite ou phlegme sécrétée par le cerveau, froide et humide,
- la bile sécrétée par le foie, chaude et sèche,
- l'atrabile ou mélancolie sécrétée par la rate froide et sèche
Selon qu'une humeur l'emporte sur l'autre, un individu sera de tempérament bilieux, sanguin, phlegmatique ou mélancolique
La maladie va intervenir quand ces humeurs vont se dérégler soit par surabondance soit par altération.
A partir du milieu du 18ème siècle, grâce aux Lumières notamment, le fatalisme ambiant devant la maladie et les épidémies est contesté par de nombreux médecins qui sont persuadées des possibilités infinies de la médecine; beaucoup notamment refusent de considérer comme inéluctable la mort de tous ces enfants au berceau d’où une profusion d’ouvrages les concernant vers cette époque.
Reproduction of Luke Fildes' painting The Doctor, by Joseph Tomanek
N’oublions pas en effet qu’ «un quart du genre humain périt pour ainsi dire avant d’avoir vu la lumière puisqu’il en meurt près d’un quart dans les premiers mois de la vie » (Buffon 1777 – naturaliste et biologiste français 1708-1788).
Jeune mère contemplant son enfant endormi dans la chandelle . 1875. Albert Anker (1831-1910)
Entre 1740 et 1789 une étude a montré que le taux de mortalité des enfants de moins d’un an était de 280/1000.
Les causes de ces décès de touts petits se divisent en 3 catégories :
- Les malformations congénitales,
- les lésions subies au cours de l’accouchement,
- les maladies diverses.
Ainsi la diarrhée du nourrisson plus fréquente en été induit une mortalité saisonnière élevée (n’oublions pas qu’elle est encore aujourd’hui la 2ème cause de mortalité dans le monde des enfants de moins de 5 ans).
Au 18ème siècle un peu plus de 50 enfants sur cent atteignent 10 ans. Ils sont attaqués de toute part par la coqueluche, les oreillons ou oripeaux, la varicelle assimilée à une variole atténuée, la rougeole, la scarlatine, la rubéole ….
Et les soins se résument souvent à des enveloppements, des cataplasmes, des infusions de bourrache, de persil ou de coquelicot.
Et que dire de la diphtérie ou angine pestilentielle ou putride, ou croup ou mal de gorge gangréneux qui sévit tant chez les jeunes que chez les plus âgés.
Voir également l'article sur la naissance au cours des siècles.
Une maladie qui fait peut : la rage
En 1714 un loup enragé pénètre dans les faubourgs d’Angers et mord, avant d’être abattu, de nombreux chiens et bestiaux et une centaine de personnes. Une trentaine d’entre elles meurent dans des conditions épouvantables : elles sont parquées dans une tour désaffectée et « on les voyait se déchirer, et crier pitoyablement et enfin expirer » »
Quid des autres maladies
La gale, la gratelle et la dartre sont moins graves mais très fréquentes. Les malades se grattent furieusement faisant ainsi « rentrer l’humeur » provoquant des infections et aggravant le pronostic initial.
La plupart des affections pulmonaires sont confondues sous le nom de phtisie.
La tuberculose que l’on ne connait pas et qui n’est pas décrite existe bien avant le 19ème siècle.
Le cancer est défini par Antoine Furetière (homme d’église, poète et romancier – 1619-1688) comme « une maladie qui vient dans les chairs et qui les mange petit à petit comme une sorte de gangrène ».
Un cancer déjà fréquent : le cancer du sein ; par pudeur beaucoup de femmes hésite à se confier à un chirurgien.
Saint Simon (duc et pair de France, mémorialiste français – 1675-1755) ainsi nous dit que Mme de La Vieuville qui meurt en 1715 dans un âge peu avancé d’ « un cancer au sein dont jusqu’à deux jours avant la mort elle avait gardé le secret avec un courage égal à la folie de s’en cacher et de se priver par là des secours ».
Il nous signale le cas de Mme Bouchu qui cachait un cancer depuis longtemps ; « avec le même secret, elle mit ordre à ses affaires, soupa en compagnie, se fit abattre le sein le lendemain de grand matin et ne le laissa apprendre à sa famille ni à personne que quelques heures après l’opération : elle guérit parfaitement ».
Les maladies vénériennes : longtemps confondues entre elles sous le nom de vérole. Elles sont très fréquentes.
Le compagnon vitrier Jacques Ménétra (18ème siècle) avoue une dizaine d’accident contracté à frayer ici ou là à Paris ou lors de son tour de France.
Il se guérit à chaque fois avec des remèdes à base de mercure manifestement. En effet « le mercure et les préparations mercurielles sont l’unique remède capable de détruire radicalement la vérole pourvu qu’on les emploie avec précaution ».
A Paris on soigne la vérole à Bicêtre, l’une des maisons de l’hôpital général.
On enferme les malades mentaux, les hystériques, les mélancoliques, les déments auxquels on assimile les épileptiques.
Dès la création de l’hôpital général en 1656 il est prévu d’y enfermer « les fous et insensés », les mendiants valides ou non, les vieillards indigents, les vénériens et les enfants abandonnés.
Mirabeau (écrivain français - 1749/1791) est scandalisé de la façon dont sont traités les enfermés, laissés à croupir avec leurs chaines et dans leurs ordures.
Les conditions de vie font-elles la différence en terme de mortalité ?
Une étude réalisée dans le Thimerais entre Chartres et Dreux fait apparaitre une différence certaine : entre 1765 et 1791 il a été calculé que les probabilités de survie à 15 ans pour 1000 enfants de laboureurs (le « haut du panier » paysan) y sont de 587 alors que le chiffre tombe à 515 pour les journaliers agricoles.
Dans les villes sales et empuanties par les eaux usées, les ordures de toutes sortes, la situation ne fait qu’aggraver les épidémies voir même les déclencher.
L’entassement dans des maisons de bois ou de torchis mal entretenues et mal aérées aggravent nécessairement les conditions de vie des habitants.
A Angers en 1769 dans la petite rue Putiballe (aujourd’hui rue Tuliballe), 403 personnes s’entassent dans 39 maisons et 9 de ces maisons abritent 206 personnes (soit une moyenne de 23personnes par maison). Je vous invite à lire les articles sur l’habitat lillois au 19ème siècle qui explique bien l’indigence et l’insalubrité de ces habitions (voir mes articles sur l'habitation lilloise au 19ème siècle 1 et 2).
Dans les campagnes ce n’est guère brillant : l’habitation se résume là aussi le plus souvent à une pièce où l’on dort, mange, vit. Les maisons sont souvent basses, mal aérées, humides : or « l’on sait qu’un air trop renfermé occasionne les fièvres malignes les plus fâcheuses ; et le paysan ne respire chez lui jamais qu’un air de cette espèce. Il y a de très petites chambres qui renferment jour et nuit le père, la mère, 7 ou 8 enfants et quelques animaux, qui ne s’ouvrent jamais pendant 6 mois de l’année et très rarement les autres 6 mois » (Simon André Tissot, médecin suisse 1728-1797 – Avis au peuple sur sa santé 1761).
Et que dire du tas de fumier à proximité du ruisseau ou du puit ?
L’alimentation concourt également à aggraver l’état général des individus. Les gens pauvres ont 70 à 80% de leurs calories provenant des céréales (surtout seigle, blé orge noir) sous forme de pain ou de bouillie (lire également l'article sur le repas sous l'Ancien Régime).
Peu de poisson ou de viande, peu de fruits (quand ils existent, ils sont surtout cuits), quelques légumes pour la soupe et un peu de graisse (beurre ou huile).
Au 17/18è on mange moins de viande qu’au 15ème siècle ou que les siècles plus tard.
Ce régime entraîne fatalement de nombreuses carences en vitamines. La mauvaise qualité des aliments est quant à lui responsable du pelagre, du scorbut, de l’ergortisme ou mal des ardents.
Parlons un peu de l’ergotisme qui est dû à l’absorption de farines contenant du seigle ergoté ce qui entraîne la gangrène des pieds et des mains.
En 1776, Tessier donne une description de l’ergotisme sévissant en Sologne : « les hommes malades surtout les mieux constitués éprouvaient les deux ou trois premiers jours des douleurs de tête et d’estomac ; la fièvre survenait, ils sentaient tous des lassitudes douloureuses dans les extrémités inférieures ; ces parties se gonflaient sans inflammations apparentes ; elles devenaient engourdies, froides et livides et se gangrenaient… Les doigts tombaient les premiers et successivement toutes les articulations se détachaient. Les extrémités supérieures, quoique plus rarement, éprouvaient le même sort. On a vu des malheureux auxquels il ne restait que le tronc et qui ont vécu dans cet état encore quelques jours ».
Les Mendiants – P. Brueghel
Sources
"Se soigner autrefois" de François Lebrun
"Enquête sur les plantes magiques" de Michèle Bilimoff
Revue "Nos ancêtres" n°18 sur les médecins et chirurgiens du 15 au 19ème siècle
La domesticité au 19è et début du 20ème siècle (3)
Juridiquement
Le domestique est tenu d’avoir un livret qui retrace sa carrière (décret du 3/10/1810 et décret du 1/8/1853) mais il n’a jamais été réellement mis en application ni suivi d’effet ne serait-ce que parce qu’il y a une ambiguïté entre les définitions professionnelles : un ouvrier agricole est-il un domestique ?
Jusqu’en 1848, les domestiques n’eurent pas le droit de vote. Ils ne peuvent pas être jurés ni conseillers municipaux. Les domestiques agricoles sont exclus de l'assemblée des paroissiens.
Jusqu’en 1986, le maître était cru sur son affirmation pour la quotité des gages, le paiement des salaires. Le domestique n’avait aucun recours.
La loi de 1906 qui accorde une journée de repos hebdomadaire ne s’applique pas aux domestiques notamment parce que le domestique est « en quelque sorte le prolongement de la famille de son maître » et le législateur ne saurait s’immiscer dans la sphère privée…
Jusqu’en 1914 on pouvait renvoyer une domestique mariée du fait de son état de grossesse.
En 1909 une loi précise tout de même que l’accouchement est cause seulement de suspension du contrat et non de résiliation … maigre consolation.
La loi de 1910 sur les retraites ouvrières concerne aussi les domestiques mais n’a que bien peu d’effets car certains l’ignorent, d’autres refusent de donner leur âge de crainte de ne trouve de place, les maîtres n’insistent pas non plus pour économiser les cotisations ; par ailleurs Siméon Flaissières (1851-1931), médecin et sénateur de Marseille, socialiste dénonce une utopie à la séance du sénat le 11/3/1910 : « Je vous accuse d’instituer une retraite pour les morts » ; en effet sur 100 domestiques qui cotiseront de 18 à 65 ans aucun n’atteindra 65 ans…
Les causes de renvoi peuvent être l’âge, la maladie ou la grossesse : la Cour de cassation a elle-même dit en 1896 « qu’à aucun point de vue on ne saurait considérer un maitre comme tenu de garder à son service une fille enceinte soit que l’on envisage l’immoralité de sa conduite le mauvais exemple dans la maison ou les graves inconvénients de l’accouchement ».
La loi qui protège les ouvriers en cas d’accident du travail date de 1898 ; il faut attendre 1923 pour qu’elle s’applique aux domestiques.
« 30 mai 1907 – justice de paix de Paris – Dame Michault contre Vilpelle. La dame Michault est laveuse de vaisselle, c’est-à-dire domestique chez Vilpelle. Le 3 mai 1904, elle a eu un accident du travail. Une écharde dans l’index de la main droite a provoqué un panaris : elle demande à son patron une indemnité temporaire de 25 francs. La justice statue ainsi : « Sans révoquer en doute l’accident dont elle se plaint, il est certain que cet accident ne rentre pas dans la catégorie des risques professionnels prévus par la loi du 9 avril 1888 …. ». La dame Michault devrait justifier qu’a été commise envers elle par son patron une faute ou une négligence. Vilpelle est renvoyé des fins de la demande, sans dépens ».
Le code pénal frappe plus lourdement le domestique quand il est rendu coupable de 3 délits facilités par sa situation : le vol, l’abus de confiance, l’attentat aux mœurs. Ainsi, quand le domestique commet un vol cela passe de délit à crime ; de même le domestique convaincu d’attentat à la pudeur sur un enfant de moins de 13 ans sera condamné aux travaux forcé voir à perpétuité en cas de viol.
Le maître peut fouiller sans problème les affaires de ses domestiques.
Aucune loi sur la protection ouvrière ne s’applique aux domestiques avant 1914 : ni sur le travail des enfants ou des femmes, ni sur le repos hebdomadaire, ni sur la limitation de la durée de travail ou le repos des femmes en couche. On peut ainsi employer des enfants de tout âge si on leur permet de fréquenter l’école obligatoire (ne pas oublier que la loi du 2/11/1892 fixe à 13 ans l’âge minimum d’embauche mais ne s’applique pas aux domestiques).
Quant aux bureaux de placement, tous les abus sont permis : les droits d’inscription sont abusifs les commissions tout autant (2à5% du salaire annuel payable sous huitaine après entrée en fonction) ; des gratifications sont nécessaires pour être placé vite et /ou bien. Et que dire des placements douteux …
Mauvais traitement
Certains maitres faisaient payer 25ct chaque fois que le valet laissait choir quelques pièces d’argenterie.
En 1864 est jugé par le jury de la cour d’assise d’Aix, Armand, riche bourgeois de Montpellier : il est accusé d’avoir frappé sauvagement Maurice Roux, son domestique et il n’en serait pas à son coup d’essai. L’opinion aixoise prend le parti d’Armand. Celui-ci est acquitté mais doit payer 20 000 Fr de dommages et intérêts : pourquoi cet acquittement ? Car il se serait agi de relations homosexuelles (la presse laisse entendre que le domestique a des mœurs efféminés) et que les pratiques sado maso auraient dépassé la mesure.
En 1859 à Marzy près de Nevers : « Marie Doret, 25 ans, dont le mari se trouve en prison pour vol, a été traitée de manière odieuse par le sieur L. propriétaire à Marzy, chez lequel elle sert en qualité de domestique ; celui-ci la battit et lui fit une plaie de deux cm à la partie extérieure de l’arcade sourcilière gauche. La gendarmerie dressa PV ; Marie est élève à l’hospice de Nevers et a un enfant et est enceinte de 7 mois ».
Edmond et Jules Goncourt dans leur « Journal » de 1860 écrivent : « Le service est dur, presque cruel en province. La servante n’est pas traitée en femme ni en être humain. Elle ne sait jamais ce qu’est la desserte d’une table. On la nourrit de fromage et de potée et on exige d’elle, même malade, un labeur animal. Je crois que si le luxe amollit l’âme, il amollit bien aussi le cœur ».
Maladie
Difficile de conserver un serviteur malade ou âgé. Si la servante n’a pas d’épargne elle est condamnée à terme à la misère. Et ce d’autant plus que les hospices ou asiles pour servantes n’existent pas au début du 19ème siècle.
Les maitres sont inconscients des règles d’hygiène et ne se soucient guère de la santé de leur domestique.
Et que dire des rhumatismes, varices, syphilis …
Le Dr Toulouse en 1921 écrivait : « Crimes licites. En équité le petit bourgeois qui, buté dans son égoïsme étroit, accable d’un travail excessif une servante ignorante et l’expose ainsi à une tuberculose certaine, commet une action aussi répugnante à l’égard d’une conscience éclairée qu’un attentat sanglant ».
Au 19è on constate la naissance de tout un mouvement destiné à moraliser les servantes mais aussi à leur venir en aide : des congrégations pieuses de servantes sont ainsi organisées sous la Restauration.
En 1840 par exemple, le père Soulas (1808-1857), surnommé le « Saint Vincent de Paul de Montpellier », est chargé de l’œuvre des Domestiques créée à Montpellier à la suite de la grande mission de 1821 : il s’inquiète de la misère morale des servantes isolées à la ville, des dangers qui les guettent (la maladie, la peur de perdre leur place, le danger chez le maître lui-même : flatteries, occasions funestes, mauvais livres, paroles libres ….) ; il cherche à ouvrir une maison de retraite pour ces pauvres filles.
Des caisses de secours mutuels existent également mais peu de domestiques y adhèrent car les cotisations restent chères. Ces caisses assurent pour les personnes à jour de leur cotisation les soins du médecin les médicaments, et versent une indemnité journalière d’1 franc.
Maternité
Prenons l’exemple de Paris : en 1890, on recense dans les hôpitaux de la ville 4624 mères célibataires dont 2354 domestiques (à Baudelocque en 1900 sur 637 domestiques qui accouchent, 509 sont célibataires ; à la Pitié sur 105 domestiques qui accouchent, 86 sont célibataires).
Etre bonne, c’est s’exposer à être enceinte (souvent des œuvres du maître de maison voir de son fils). Ou alors ces enfants naissent de la promiscuité entre domestiques dans les fameux 6ème étages comme on les appelle … Et comme les maîtres ne veulent pas de domestiques mariées, celles si sont en plus quasi toujours célibataires.
D’où les nombreux infanticides, abandons, avortements qui semblent être l’apanage de ces bonnes et autres domestiques femmes. Et que dire de la misère et de la prostitution qui guettent celles qui gardent leur enfant mais qui sont inexorablement renvoyées du fait de leur « nouvelle situation » !
A partir de 1850, des maternités furent créées pour recevoir des filles mères enceintes jusqu’à complet rétablissement : à Nevers, sur 70 filles admises à la maternité départementale, 40 sont des domestiques.
Furent créés également des Secours pour les filles mères : en 1886 sur 167 filles mères secourues, 75 sont là aussi des domestiques.
La problématique principale de la maternité chez les domestiques, indépendamment de savoir qui est le père, est que la maternité est tout simplement interdite par les maîtres de maison. Ils ne veulent ni de domestique qui puisse être enceinte ni de domestique avec déjà un enfant.
Louis Liévin écrit dans « La France » le 7 février 1892 qu’« une des causes de la dépopulation de la France est l’incroyable quantité de domestiques qui figure dans les recensements…la première et la meilleure des références pour un domestique est donc de ne pas avoir d’enfants ».
Paul Thimonnier, dans un article intitulé « La France se dépeuple » (Le Réveil des gens de maison – 1er décembre 1908), répond au sénateur Piot qui se lamente sur le dépeuplement de la France. Paul Thimonnier prouve que les domestiques ne peuvent se permettre d’avoir des enfants. Il rappelle les chiffres : « si 10% des ménages de domestiques ont un ou deux enfants, 90% en revanche n’en ont pas » …. « La bonne gagne 25 à 30 Fr par mois et ne peut payer les mois de nourrice. Elle doit donc pour subvenir aux besoins de son enfant se prostituer »… la prostitution pour éviter la misère et pouvoir payer la nourrice, n’est bien sûr pas propre aux domestiques mais la propension de domestiques y est forte (une étude de Parent-Duchâtelet en 1857 indique que sur 1000 domestiques à Paris, 81.69 se prostituent alors que sur 1000 ouvrières, « seules » 52.42 se prostituent).
Paul Chabot, fils d’un cocher et d’une cuisinière nous explique dans son livre « Jean et Yvonne, domestiques en 1900 », qu’ « il était hors de question que ma mère m’élève, elle n’avait pas le temps de s’occuper de moi et les patrons ne toléraient pas les enfants de domestiques ». Il passe donc son enfance dans une autre maison, pas très loin de sa mère mais il ne la voit quasiment jamais parce qu’elle n’a droit à aucun congé pour aller voir son fils.
Dépendance totale au maître
Pas de vie personnelle, pas de culture, pas d’instruction. Le corps est caché derrière un uniforme, le valet doit se raser (pas de moustache !), la femme cache ses cheveux sous une coiffe, à défaut elle les a peignés de façon irréprochable.
L’existence du domestique va se calquer sur celle du maître. George Sand raconte à ce propos l’histoire d’un ancien chef de cuisine de Napoléon 1er, dénommé Gallyot, chez qui elle louait un appartement en 1823. Gallyot était chargé de l’en-cas de l’empereur, un poulet toujours rôti à point, peu importe l’heure du jour et de la nuit. Cet homme dit George Sand occupé à surveiller le poulet, a dormi dix ans sur une chaise, tout habillé prêt à servir l’empereur. Le malheureux n’a jamais pu après ces 10 ans se coucher comme tout le monde.
Et que penser des propos de Mme Caro-Delvaille, fervente féministe, qui répond en juillet 1899 à un article du journal « La Fronde » qui proposait de loger les servantes dans les appartements des maîtres : elle déclare que pour l’instant c’est impossible car les bonnes sentent trop mauvais !
Le juriste Marcel Cusenier notait en 1912 : « Les maitres ravalent les domestiques à un rang intermédiaire entre les hommes et les choses. Devant eux point de pudeur. Ils s’efforcent de détruire leur personnalité au dehors comme au dedans….on ne regarde les domestiques comme des humains que pour les soupçonner. On met en doute leur probité leurs mœurs leur appétit. »
Un exemple entre tous : le maître va jusqu’à changer le prénom de son domestique si celui-ci porte celui d’un membre de la maisonnée ou si son prénom ne fait pas assez bien.
Le « Manuel des pieuses domestiques » de 1847 demande de refréner ses sentiments et d’être charitable envers ses maitres : « la charité est une vertu chrétienne que vous êtes obligé de pratiquer bien plus envers vos maitres qu’envers tout autre quel que soient leur caractère ou leurs mauvaises habitudes. Dieu ne vous demandera pas compte des péchés de vos maitres mais des vôtres. La charité doit donc vous porter à excuser à supporter avec patience ceux que vous avez choisi pour les servir ».
Le chômage
Le chômage revient cher à une domestique : elle soit se loger, se nourrir, payer le droit d’inscription dans un bureau de placement. En 1912, Cusenier affirme que le coût d’un mois de chômage est supérieur à 200 Fr c’est-à-dire environ 6 mois de gages.
Si le domestique est syndiqué et qu’il (ou elle) est à jour de ses cotisations, il a droit aux secours dudit syndicat. Ainsi il a droit à une indemnité de 2 francs, due à partir du 8ème jour ; pendant les 15 premiers jours de chômage, il aura le droit de refuser ou prendre les places proposées mais au bout de ce laps de temps, toute place refusée entraînera la perte des droits à chômage.
Des refuges existent, tenus par les sociétés philanthropiques, mais le prix de pension est assez élevé ; tous n’acceptent pas les enfants (garçons) de plus de huit ans. Et surtout il n’y en a pas partout.
Que font celles qui n’ont aucune aide ? La prostitution reste malheureusement une solution trop souvent utilisée pour ne pas tomber dans la misère totale.
Fin de la domesticité
La guerre diminua notablement le nombre de domestique : certains furent tués d’autres congédiés du fait de la diminution des revenus des maitres, les femmes durent travailler dans les usines et les bureaux pour les plus instruites. Beaucoup préférèrent d’ailleurs travailler même dans les usines plutôt que retourner à l’état de bonne à tout faire !
En 1911 on compte 770 000 domestiques femmes et 672 000 en 1926
Il y avait 158 000 domestiques hommes en 1911 et 102 000 en 1926
La scolarisation massive des filles participa également à ce déclin et diminua ainsi l’écart qui existait entre les femmes de chambre et les maitresses de maison…
On va préférer un service réel et non plus un service personnel : il faut payer l’acte plutôt que l’homme. Le Dr Commenge déjà en 1897 préconisait de l’organisation suivante : les maitres loueraient pour quelques heures par l’intermédiaire d’une agence des employés pour telle ou telle tâche déterminée. La bonne serait remplacée par la femme de ménage. On va passer du service à gages au service à la tâche.
Et surtout la mode au début du 20ème siècle, et cela va durer pendant quelques décennies, va être à la valorisation de la femme au foyer qui est capable dorénavant de gérer toute sa maisonnée elle même sans l'aide d'une bonne à demeure. Les progrès de la technologie (lave linge, aspirateur ...) vont le lui permettre sans soucis ...
Sources
Filles mères à Bordeaux à la fin du 19ème
Pierre Guiral et Guy Thuillier, La vie quotidienne des domestiques en France au XIXe siècle, Hachette, Paris, 1978.
La domesticité à Cannes à la belle époque de Christine Cecconi
La place des bonnes – la domesticité féminine à Paris en 1900– Anne Martin Fugier
Cybergroupe Généalogique de Charente Poitevine » (C.G.C.P.)
La domesticité au 19è et début du 20ème siècle (2)
Comment les loger ?
Les domestiques de façon générale sont logés au dernier étage des immeubles dans les mansardes sans eau, ni cheminée, et des fenêtres rares : « … Remontée tard de la cuisine, éreintée, la bonne ayant froid l’hiver, chaud l’été n’aère pas la pièce et se couche rapidement. Souvent lorsqu’on visite ces chambres de jour on est saisi dès l’entrée par l’odeur écœurante des pièces renfermées où se trouvent du linge douteux, un lit défait et des eaux sales non vidées ».
Les divers textes parlent en général du « sixième » pour désigner ces logements. Lieux où par ailleurs les domestiques des deux sexes vivent sinon dans la même pièce du moins au même étage. Il peut y avoir jusqu’à 80 chambres de bonnes pour un grand immeuble parisien. Le couloir étroit qui dessert les diverses chambres comporte en général un voir deux postes d’eau et un cabinet d’aisance sordide car jamais nettoyé. Il est à noter que les clés sont toutes les mêmes et que rentrer dans l’une ou l’autre chambre est très facile.
Ces chambres mansardées n’ont bien sûr pas le chauffage ni l’eau, des fois même pas de fenêtres et quand il y en a une c’est du type lucarne. Pour se garantir du froid, les domestiques accumulent leurs jupons devant la fenêtre ou collent du papier sur les fissures.
Pourquoi ces endroits si hauts et si mal commodes ? Jules Simon (philosophe et homme d'état ; 1814-1896), indigné de cette situation, nous dit tout simplement que c’est parce qu’on ne peut vraiment rien en faire d’autre ! « Ces cellules sont évidemment et nécessairement inhabitables ; car si l’on pouvait s’y tenir debout, y respirer, y vivre, on les mettrait en location et on trouverait un peu plus haut ou s’il n’y avait pas de grenier, dans les caves, dans quelques recoins de la cage d’escalier, la place d’un matelas pour les domestiques ».
Gaston Jollivet (journaliste et écrivain – 1842/1927), l’Eclair, 23/7/1908 : « le sixième, c’est, appliqué au logement, le collectivisme dans toute son horreur ».
Vers 1905, un juge de paix du 6è arrondissement évoquait dans de curieux attendus les conséquences de cette misère matérielle et psychologique : « attendu qu’il est de notoriété publique qu’à Paris c’est au derner étage où les jeunes filles de la campagne couchent, qu’elles contractent parfois la tuberculose et parfois de pires maladies. Attendu que ces malheureuses amenées à se placer comme domestiques sont excusables ; que leurs compagnes qui les poussent à l’inconduite le sont également jusqu’à un certain point ; attendu que sont responsables moralement les maîtres qui abandonnent hors du domicile familial des jeunes filles sans défense, les propriétaires qui distribuent leurs immeubles sans souci de la morale uniquement par esprit de lucre ; attendu que si parfois les maladies contagieuses descendent de la mansarde de ces taudis où sont entassées les malheureuses par des proprietaires rapaces qui tirent un plus grand revenu des bouges que des immeubles bien tenus et pénètrent dans l’appartement des maîtres , les propriétaires peuvent et doivent se dire que c’est souvent par suite de leur insouciance coupable et de leur égoisme … »
La baronne Staffe (auteur français – 1843/1911) écrit qu’ « il est odieux d’envoyer les jeunes filles se coucher sous les toits dans une espèce de promiscuité horrible ».
En 1927 Augusta Moll-Weiss (186/-1946 – fondatrice de l’école des mères) protestait contre la corruption à laquelle on expose encore les servantes :
« Quoi ! ces petites Bretonnes, ces Alsaciennes venues à Paris pour y apprendre la chère langue française, ces enfants de nos provinces qu’on nous confie pour gagner leur pauvre vie et acquérir une valeur professionnelle plus grande, nous avons le triste courage de les envoyer le soir coucher au sixième où l’on entend les conseils les plus pernicieux, où l’on subit les contacts les plus dissolvants et le matin venu nous nous plaindrions de leur indolence, de leur inattention, nous nous étonnerons de les trouver chaque jour plus experte plus rusées plus distantes de nous ! »
Il y a aussi des maîtres qui font loger leur domestique chez eux mais dans des conditions désolantes : un réduit obscur avec une lucarne donnant sur la cuisine, un débarras encombré avec un matelas posé à même le sol ; aucune intimité et une dépendance au maître encore plus importante puisqu’ils peuvent être réveillés n’importe quand dans la nuit.
Seule la nourrice a droit à d’avantages d’égards : une chambre pour elle, aérée, claire et confortable : la chambre de l’enfant.
Témoignage fourni par Jacques Valdour (1872-1938 – sociologue, observateur du monde ouvrier de son époque) en 1919 dans une ferme en Brie : « la petite pièce où nous dormons, cuisinons et mangeons est séparée de l’écurie qui la commande mais n’est pas mieux éclairée ni aérée ; la porte d’accès est dépourvue de de toute clôture ; une petite imposte aux carreaux gris de poussière ancienne laisse filtrer un peu de de jour. Presque tout le mur du fond est occupé par 4 couchettes disposées sur 2 étages, sorte de vaste caisse à 4 compartiments aussi crasseux que le plafond et les murs. Le patron fournit les paillasses ; elles sont sales, crevées, dégonflées. Il y joint une couverture et deux draps : un drap blanc et un drap fait d’une grossière toile d’emballage. Le reste du mobilier comprend : une table graisseuse et disjointe, un banc à demi brisé, deux caisses servant de siège, un poêle détérioré. Pour nous laver nous n’avons rien ; il faut par tous les temps traverser la cour et aller à cent pas de cette tanière se mettre sous la pompe, opération malaisée au moment où elle est le plus nécessaire c’est-à-dire au retour des champs car les chevaux sont alors conduits à l’abreuvoir que la pompe alimente ».
Salaires
Les gages sont réglés par l’usage : dans chaque localité il y a une sorte de prix courant dont il ne faut pas s’écarter.
Aux gages peuvent s’ajouter d’autres choses : les étrennes qui vers 1900 peuvent représenter de ½ à 1 mois de salaire selon les maisons, des cadeaux divers, des produits fermiers …
La hiérarchie des salaires est très marquée en fonction de la qualification de l’expérience.
Le montant des gages varie toutefois en fonction des revenus du maître : une bonne peut ne gagner que 15 à 20 francs par mois ainsi que le précise un rapport au Congrès féministe de 1900, « Le Travail des bonnes ». Cusenier affirme que des bonnes vraiment habiles obtiennent jusqu’à 55 ou 60 francs.
Marguerite Perrot, dans une étude sur les comptabilités privées (« Le mode de vie des familles bourgeoises 1873-1953 » - 1961) a montré que les gages étaient très variables et pouvait être un poste conséquent : dans 80% des cas ils représentent entre 3.5 et 9.4% des dépenses totales.
Il est à noter que les domestiques des institutions (type couvent, asile d’aliénés) sont moins bien lotis : en 1844 les infirmiers ne gagnent que 12.50f par mois ; en 1880 à Bicêtre une infirmière capable ne touche que 20 Fr par mois.
Si l’on regarde côté employeur, il faut compter pour un bourgeois modeste entre 400 et 500 francs par an de gages pour une bonne à tout faire, plus la nourriture et le logement.
Les différentes tâches
Dans les grandes maisons les activités sont divisées par thématique :
- La bouche : chef cuisinier rôtisseur, saucier, filles de cuisine
- L’hôtel : maitre d’hôtel, valets de pied chargé du nettoyage des appartements de réception et du service de table ; argentiers chargés de l’entretien des cristaux et de l’argenterie, femme de charge qui commande les femmes de chambre chargées du linge et des appartements privés, le piqueur qui assure le service de l’écurie et de la remise.
Le « Manuel complet des domestiques » de 1836 différencie ainsi les domestiques en fonction de leur principales tâches :
- «Soins des aliments ou service de la nourriture : auxquels de rattachent les cuisinières, et cuisiniers, les maîtres d’hôtel, les aides de cuisine : ce service comprend le choix, la disposition, la conservation des substances alimentaires et tout ce qui concerne les repas et le service de la cave
- Le service des étrangers c’est-à-dire tout ce qui concerne la conduite à tenir à l’égard des visites, des assemblées, des personnes qui reçoivent dans la maison une amicale hospitalité
- Soins de la maison et service du mobilier : qui comprennent les occupations des femmes de ménage, femmes, valets de chambre, frotteurs, concierge, …. Tous les conseils relatifs à la propreté, à l’élégance, à la bonne tenue de l’intérieur trouveront place ici
- Soins de la personne et des vêtements : s’adresse aux valets et femme de chambre chez les gens opulens, à la domestique chez les personnes à la fortune plus modeste ; cette partie contiendra tous les détails du nettoyage, blanchissage, repassage, enlevage des tâches, et tous les modes de réparation éprouvés
- Soin des enfants qui concernera les bonnes d’enfants et le soin des maladies
- Soins de l’écurie : il s’agira ici du pansement des chevaux, de l’entretien des voitures, et donc toutes les obligations imposées au domestique homme chargé du service général, aux cochers et aux valets d’écurie »
Dans les maisons bourgeoises le personnel étant moins qualifié, les tâches seront moins diversifiées et le personnel plus polyvalent.
Les tâches ménagères, quelles sont-elles ? Bien différentes que celles que l’on connait aujourd’hui.
Pendant longtemps il a fallu monter l’eau aux appartements par des porteurs d’eau ou aller chercher l’eau au robinet commun. Il fallait monter le bois et le charbon, descendre les ordures, la lessive était faite à l’extérieur (par une blanchisseuse à Paris ou au lavoir en province), il fallait frotter les planchers cirer le parquet.
« Beaucoup de bonnes le faisant malgré elle au détriment de leur santé et de leurs maternité futures, le déhanchement que provoquent le vas et vient du pied qui frotte est absolument funeste … des femmes … obligent leur bonne à frotter à genoux. C’est un travail épuisant. La servante ne se relève que fourbue, les reins fauchés, les jambes molles, les bras anéantis, la tête congestionnée. Beaucoup d’entre elles se refusent avec raison à remplir ce travail ».
Par ailleurs, l’abondance des tentures, double rideaux, bibelots, draperies multiplient les nids à poussière.
Vider les pots de chambre, rincer les cuvettes
Dans la cuisine, minuscule, la bonne fait bouillir sur la cuisinière la lessiveuse pendant des heures ; elle étend le linge, toujours dans la cuisine sur des cordes ; l’humidité, il va sans dire n’est pas évacuée et reste dans la pièce rendant l’air malsain ; le repassage se fait aussi dans la cuisine sur une planche de fortune à côté du dîner qui cuit. La cuisine pièce que l’on cache, que l’on remise au bout du logement (dans certaines provinces on appelle ces réduits où la bonne lave la vaisselle des souillardes).
Les servantes connaissent très mal les règles d’hygiène et n’hésitent pas par exemple à faire les chambres fenêtres fermées ou à secouer le torchon au-dessus du tapis.
Servante plumant le gibier
« Les maitresses de maison qui commande un ouvrage qu’elles n’ont jamais fait elle-même ne savent pas le travail et le soin qu’ils réclament. La bonne va à l’aveuglette, s’éternise, se fatigue et fait mal ».
L’idée que l’on puisse expliquer à une servante, leur enseigner les rudiments de leur travail n’est pas une idée acceptée encore dans les années 1900-1910
Jacques Boucher de Perthes, préhistorien du 19è déclarait dès 1859 qu’il fallait créer des écoles pour servantes pour les femmes de journée dite à tout faire ainsi qu’une école pour domestiques de luxe, pour femme de chambre de bonne maison : celles-ci doivent savoir broder coiffer réparer et faire une robe et aussi une école de bonnes d’enfants car « de ces servantes trop souvent dédaignées dépend souvent l’avenir ou les habitudes bonnes ou mauvaises de l’être faible qu’on leur confie » et une école normale de cuisinière.
Autre témoignage, celui de Paul Chabot dans son ouvrage « Jean et Yvonne, domestiques en 1900 », sur ce que les patronnes de sa mère, deux douairières de Saint Pol, imposaient à celle-ci quand elle avait 13 ans (vers 1880) : « Entretenir le manoir (de 10 pièces), faire la cuisine, assurer le service de ces dames, le lavage, le repassage, il y avait toujours une tâche qui débordait sur l’autre. … Depuis 6h le matin, elle se démenait pour allumer les feux. Elle attaquait la journée par les corvées de bois … à quatre pattes, courbées sur sa paille de fer, elle décapait le parquet, l’encaustiquait et, au chiffon de laine le faisait reluire … il lui fallait sortir les tapis dans la cour, les jeter à cheval sur un fil et les battre avec une tapette. Yvonne qui était toute petite avait un mal fou à les hisser … ».
Qu’en est-il du travail masculin ? Le « Manuel du valet de chambre » en 1903 donne un certain nombre de directives à suivre pour exercer la profession de valet.
Ainsi sur la propreté : « on ne saurait trop insister sur ce point ; un domestique qui approche ses maîtres, qui vit dans leur intimité, ne doit pas se rendre désagréable à la vue ni à l’odorat ; il doit donc avoir un soin tout particulier de sa personne ; se laver souvent à fond ; changer fréquemment de linge et de chaussettes ; avoir toujours les cheveux en ordre, le visage bien rasé, les mains et les ongles aussi propres que le permet le travail. Ne pas se servir de cosmétique, ni de pommade ni d’aucun parfum. »
Sur le service : « le service d’un valet de chambre comporte ordinairement le soin des appartements ; le service de table ; l’entretien de l’argenterie, des couteaux, des lampes ;cuivres, carreaux ; le bois, les feux ; le balayage de la rue ; répondre à la porte. … aussitôt levé, ouvrir les persiennes, faire le service de Monsieur ; en hiver, dresser les feux, monter le bois et le charbon ; balayage de la rue ; premier déjeuner pris rapidement, ce n’est pas le moment de perdre du temps ; faire les appartements ; s’habiller, mettre le couvert, servir le déjeuner ; déjeuner soi même ; après, ôter le couvert et remettre la salle à manger en état ; service d’office ; argenterie, couteaux, lampes cuivres, acrreaux, … à la nuit allumer les lampes, fermer les persiennes ; mettre le couvert du dîner, servir. Après le dîner des domestiques, ôter le couvert e remettre tout en ordre, sans rien laisser traîner, ce qui compliquerait le travail du lendemain ».
Durée de travail
Les journées sont forts longues : de 15 à 16h/jour. Le repos est strictement limité : rarement avant 10 h, parfois à 11h le domestique va se coucher et il doit être à son service à 7h du matin.
Et cela quel que soit l’âge ! Le Congrès diocésain de Nevers en 1913 nous explique que « plusieurs patrons exigent un travail disproportionné avec l’âge et les forces du domestique [les jeunes bonnes commencent dès 12 ans]. Ainsi à certaines époques, ce travail se prolonge jusqu’à treize, quatorze et même quinze heures par jour ».
Mme Gagnepain, 130 grande rue à Villemomble en Seine St Denis, se plaint auprès du ministère du Travail de ce que sa fille de 17 ans et demi en place depuis le 23 mars 1920 n’ai jamais eu un jour de repos ; elle travaille de 5h30 à 23h (lettre du 20/8/1920).
Césarine Marie, 10 rue Muller dans le 18ème à Paris est bonne chez une boulangère de 5h à 22h dans des locaux « où l’air et la lumière font souvent défaut » (lettre du 12/7/1921 adressée au ministère du Travail).
Le « Manuel des bons domestiques » de 1896 nous précise que : « la bonne à tout faire doit être levée à 6h, se coiffer s’apprêter et ne descendre à sa cuisine que prêt à sortir pour le marché. De 6 à 9h elle a le temps de faire bien des choses. Elle allumera le fourneau et les feux ou chargera le poêle
Elle préparera les petits déjeuners, fera la salle à manger, brossera les habits et nettoiera les chaussures. Ici les maitres se lèvent de bonne heure ; elle fera les chambres, mettra de l’eau dans les cabinets de toilette, montera le bois ou le charbon et descendra les ordures. Pour tous ces ouvrages elle mettra de fausses manches et un tablier bleu. Elle fera le marché si madame ne le fait pas avec elle et ne s’attardera pas à causer. Son temps est précieux. Elle mettra le couvert, préparera le déjeuner, prendra un tablier blanc pour servir et aura soin de se laver les mains. Puis la salle à manger remise en ordre la vaisselle lavée et rentrée, les ustensiles de cuisine nettoyés elle pourra avant les préparatifs du diner faire un ouvrage spécial chaque jour de la semaine. Par exemple le samedi le nettoyage à fond de la cuisine et de ses accessoires, le lundi le salon et la salle à manger, le mardi les cuivres, le mercredi un savonnage, le jeudi un repassage ».
Le sort des hommes n’est guère plus intéressant : Jean Tollu nous parle de Jean Baptiste, cocher de son état : il était devenu surtout valet de chambre et un peu majordome de la maison : « je n’ai jamais su à quelle heure commençait pour lui la journée de travail ni à quelle heure elle s’achevait ».
La durée de travail s’est allongée entre 1850 et 1900 : avant 1850 on prenait le diner vers 6h mais à partir de 1850 on dine vers 8h, ce qui retarde l’heure du coucher des domestiques.
Absence de repos du dimanche : on donne parfois un dimanche par mois parfois 2 mais l’usage n’est pas général et ce peut être juste l’après-midi.
Les congés payés ne sont pas connus.
Conséquence de cette absence de réglementation du travail : surmenage, anémie, troubles mentaux propension à la tuberculose …
Un jugement du tribunal de la Seine condamne ainsi vigoureusement les patrons qui surmenaient leur bonne : « attendu qu’en novembre 1904 les époux L. ont engagé comme bonne d’enfant aux gages mensuels de 25f Amélie Cayrol âgée d’environ 16 ans ; attendu que cette dernière entrée au service le 12 décembre dans un état de santé satisfaisant dû le 21/3 1905 sur l’avis du médecin rentrer chez ses parents où elle mourut le 4/4 de la même année d’une méningite cérébro spinale ; attendu qu’il est constant qu’Amélie Cayrol a été à partir du 8 janvier, époque de la naissance de l’enfant des époux L soumise à des travaux excessifs ; qu’il résulte de sa correspondance avec ses parents qu’au mépris des engagements on l’astreignait à lessiver et à repasser tout le linge de maison et à se lever plusieurs fois par nuit pour les soins à donner à la mère et à l’enfant ; qu’elle ne cessa de s’y plaindre de la dureté de ses maitres qui ne lui laissent pas de repos ni le jour ni la nuit et de sa fatigue et de son épuisement qui vont grandissant ; qu’on l’y voit partagée entre le désir de partir pour rétablir sa santé qu’elle sent compromise et la crainte de se trouver sans place , à la charge de ses parents, … attendu que la faute des époux L. apparait encore dans leurs efforts pour empêcher le départ d’Amélie Cayrol ; … attendu qu’il résulte d’une lettre d’Amélie Cayrol que, alors qu’elle exprimait le besoin impérieux de se reposer, ils l’ont contrainte à rester en la menaçant en cas de départ de lui retirer le montant de son voyage à Paris ; … attendu qu’en raison de son épuisement Amélie Cayrol était particulièrement apte à contracter la maladie et sans force pour lui résister, qu’il existe dès lors un lien de droit entre le surmenage et la mort … »
Conditions de travail
Les cuisines au 19ème siècle sont, on l’a vu, petites, encombrées, pas ou peu aérées.
La bonne doit y passer son existence sans pouvoir se retourner aisément, avec la chaleur du fourneau, les fumées, les odeurs qui la forcent à travailler fenêtre ouverte, été comme hiver.
La fenêtre donne souvent sur une cour, petite (souvent de l’ordre de 4/5m2) et sans soleil et où s’accumulent toutes les poussières de la maison que les domestiques y déposent en secouant les tapis et autres plumeaux. Le garde-manger est d’ailleurs le réceptacle des toutes ces poussières.
Le docteur Oscar du Mesnil dans un article intitulé « La question des courettes de Paris » dénonce l’insalubrité que crée dans la capitale ces courettes : « de véritables puits de 15 à 17m de profondeur ne communiquant avec l’extérieur que par leur orifice supérieur et dont les parois emprisonnent une colonne d’air infectée par les émanations fétides qui s’échappent nuit et jour des cabinets d’aisance et des cuisines… ».
N’oublions pas que souvent les bonnes dorment dans leur cuisine ; les médecins protestent contre ce mode de couchage : coucher dans une cuisine est dangereux « car un jour ou deux par semaine le linge de la lessive sèche et répand une telle humidité que les domestiques qui couchent là contractent immanquablement des rhumatismes ».
Un observateur en 1912, Marcel Cusenier, note à Paris que : « dans le quartier de Grenelle et de Javel de nombreuses cuisines n’ont même pas de fenêtres ; elles prennent le jour sur l’escalier où se répandent toutes les odeurs …. Parfois au-dessus du fourneau la hotte manque ; l’oxyde de carbone qui se dégage inévitablement de tout fourneau ne trouve pour ainsi dire plus d’issue : c’est l’intoxication lente et fatale.
Dans certaines cuisines passent des trémies d’aération pour les WC voisins. Ces trémies ont jusqu’à deux mètres de long. L’étanchéité n’est jamais parfaite. Quelles émanations viennent se mélanger à celles des cuisines. Sur l’évier on place la boite à ordures ; le plus souvent elle n’est pas couverte. »
Et que dire des accidents : les noyades en rivière car la bonne a cherché à rattraper une pièce de linge, les chutes dans la cave ou en lavant les vitres, les blessures avec la paille de fer utilisé pour frotter les parquets …
Sources
Filles mères à Bordeaux à la fin du 19ème
Pierre Guiral et Guy Thuillier, La vie quotidienne des domestiques en France au XIXe siècle, Hachette, Paris, 1978.
La domesticité à Cannes à la belle époque de Christine Cecconi
La place des bonnes – la domesticité féminine à Paris en 1900– Anne Martin Fugier